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Full text of "Annales de la Société académique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure"

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ANNAL 


DE    LA 


SOCIÉTÉ  ACADÉMIQUE* 

DE    NANTES 
ET  DU  DÉPARTEMENT  DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE 

DÉCLARÉE 

ÉTABLISSEMENT  D'UTILITÉ  PUBLIQUE 

Pur  Décret  du  27  décembre  1877. 


Volume    1er    de    la  7e  Série. 


1890 


PREMIER    SEMESTRE. 


NANTES, 

>1!'  CAMH  LINET,  IMPRIMEUR  DU   LA  SOCIÉTÉ   ACADÉMIQUE, 

Place  du  Pilori,  5. 
L.  MELL1NET  ET  Cie,  SDC". 





TABLE. 


Statuts  ei  règlement  ï ni ■  rieur  de  la  Société 6 

Liste    des    membres    résidants    taisant    actuellement    partie    de    la 

Société 21 

Liste  des  membres   résidants  décédés,  démissionnaires   ou  devenus 

correspondants  (de  1880  à  1889) 25 

Liste  des  membres  correspondants 26 

Liste  des  Sociétés  correspondantes 27 

Allocution  de  M.   Andouard,  président  sortant 31 

Allocution  de  M.  Julien  Merland,  président  nommé 33 

Notice  nécrologique  sur  M.  Manchon,  par  M.  Julien   Merland 37 

Notice  nécrologique  sur  M.  Rouxel,  par  M.  Julien  Merland Ul 

Occanes,  par  H.  Lmile  Oger 48 

Sous  escorte,  par  M.  Emile  0;j,er 52 

Compte  rendu  du  roman  La  lloun,  de  Mme  Riom,  par  M.  Emile  Oger.  60 

Erdra,  légende  de  l'Erdrc,  par  M.  Francis  Merlant 67 

Autobiographie  littéraire,  par  M.  Dominique  Caillé. . . . , SI 

Louis  XIV  aux  dunes,  par  M.  Dominique  Caille 86 

Les  Hémiptères  de  la  Loire-Inférieure,  par  l'abbé  J.  Dominique....  87 

La  Contrer  guérandttite  da  nul  l'histoire  ancienne,  par  M.  E.  Orieux.  117 


ANNALES 


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DE    LA    SOCIETE    ACADEMIQUE 


DE    NANTES 


ANNALES 


DE    LA 


SOCIÉTÉ  ACADÉMIQUE 


DE    NANTES 
ET  DU  DÉPARTEMENT  DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE 

DÉCLARÉE 

ÉTABLISSEMENT  D'UTILITÉ  PUBLIQUE 

Par  Décret  du  27  décembre  1877. 


Volume    Ie'    de    la  7e  Série. 


1890 


NANTES, 

Mme  yve  CAMILLE  MELLINET,  IMPRIMEUR  DE  LA  SOCIÉTÉ  ACADÉMIQUE, 

Place  du  Pilori,  5. 
I..  MELLINET  et  O,  sucrs. 


UBL 


Conformément    aux    prescriptions    de    l'article    68    des 
Statuts  et  Règlement   intérieur  de  la  Société  Académique 


les  Annales  de  la  Société  sont  publiées  par  séries  de  dix 
années. 

Le  Règlement  de  la  Société  est  imprimé  à  la  tête  du 
premier  volume  de  chaque  série,  ainsi  que  la  liste: 

1°  Des  Membres  résidants  faisant  actuellement  partie  de 
la  Société,  classés  par  ordre  de  réception  ; 

1°  Des  Membres  résidants  qui,  reçus  pendant  la  série 
précédente,  seraient  décédés,  ou  démissionnaires,  ou  devenus 
correspondants  ; 

3°  Des  Membres  correspondants  admis  pendant  celte  série  ; 

4°  Des  Sociétés  savantes  avec  lesquelles  la  Société  Acadé- 
mique est  en  relations. 


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Statuts 


STATUTS  ET  REGLEMENT  INTÉRIEUR 


DE 


LA     SOCIÉTÉ     ACADÉMIQUE 

DE  NANTES  ET  DE  LA.  LOIRE-INFÉRIEURE, 

DÉCLARÉE 

ÉTABLISSEMENT     D'UTILITÉ    PUBLIQUE 

Par  Décret  du  27  décembre  4877. 


Nota.  —  Les  caractères  ilaliques  indiquent  les  articles  des  Statuts;  les  caractères 
ordinaires,  ceux  du  Règlement  intérieur. 

Art.  1er.  —  La  Société  Académique,  fondée  en  1798,  a  pour 
but  de  cultiver  les  lettres,  les  sciences  et  les  arts,  et  d'en  déve- 
lopper le  goût  et  les  applications,  à  Nantes  et  dans  le  département 
de  la  Loire- Inférieure,  par  ses  propres  travaux  et  par  des 
récompenses  annuelles.  (Art.   1er  des  Statuts.) 

Ses  séances  si;  tiennent  à  Nantes. 

AitT.  '1.  —  La  Société  est  administrée  par  : 

I"  Un  Bureau; 

2"  Un   Comité  central; 

'■',"  Un  Comité  de  rédaction  des  Annales.  (Art.  7  des  Statuts.) 

Du  Bureau. 

Art.  3.  —  Le  Bureau  se  compose  de  sept  Membres:  un  Pré- 
sident, un  Vice-Président,  un  Secrétaire  {jetterai,  un  Secrétaire 
adjoint,  un  Trésorier,  un  Bibliothécaire-Archiviste  et  un  Bibliothé- 
caire ml  joint.  (Art.  8  des  Statuts.) 

An  r.  i.  La  durée  du  mandat  de  chaque  Membre  du  Bureau 
est  annuelle  avec  réélection  facultative.  (Art.  !)  des  Statuts.) 


De  la  Présidence. 

Art.  o.  —  Les  fondions  du  Président  consistent  à  régler  et 
maintenir  l'ordre  dans  les  séances  mensuelles  et  publiques  de  la 
Société,  à  correspondre  avec  les  diverses  Sociétés  savantes  de  la 
France. 

Il  communique  à  la  Société,  en  séance,  le  résultat  de  ses 
relations  avec  les  diverses  Académies;  il  lui  fait  part  des 
ouvrages  qu'il  a  reçus  pour  elle,  et  lui  propose  les  nominations 
des  Commissions  et  les  Membres  qui  doivent  les  composer. 

Art.  6.  —  Le  Président  représente  la  Société  en  justice  et  dans 
les  actes  de  la  vie  civile.  (Art.  18  des  Statuts.) 

Art.  7.  —  Le  Président  sortant  fait,  de  droit,  partie  du 
Comité  central,  aux  mêmes  titres  que  les  Membres  du  Bureau, 
pendant  l'année  qui  suit  celle  de  sa  présidence. 

Art.  8.  —  Le  Vice-Président  supplée  le  Président  en  cas 
d'empêchement;  et,  en  cas  d'absence  de  l'un  et  de  l'autre,  le 
doyen  d'âge  occupe  le  fauteuil. 

Du  Secrétariat. 

Art.  9.  —  Le  Secrétaire  général  rédige  les  procès-verbaux 
des  séances  mensuelles.  Il  l'ait,  en  séance  publique,  le  rapport 
des  travaux  des  Membres  résidants  et  des  Membres  corres- 
pondants qui  ont  été  adressés  à  la  Société  durant  l'année  qui 
vient  de  s'écouler.  Il  partage,  avec  le  Président,  le  soin  de 
correspondre  avec  les  autres  Sociétés  savantes.  Il  est  chargé  des 
convocations  générales  et  particulières,  ainsi  que  de  l'expédition 
des  diplômes  aux  Membres  qui  ont  été  reçus. 

Art.  10.  —  Le  Secrétaire  adjoint  remplace  le  Secrétaire 
général,  en  cas  d'empêchement;  et,  en  cas  d'absence  de  l'un 
et  de  l'autre,  le  plus  jeune  des  Membres  présents  prend  place 
au  Bureau. 

Des  Finances. 

Art.  11.  —  Les  dépenses  sont  mandatées  par  le  Président  dans 
les  limites  des  crédits  ouverts  à  chaque  article  du  budget  établi 
annuellement  par  le  Comité  central.  (Art.  14  des  Statuts.) 

Tous  les  mémoires  doivent  être  visés  par   le    Président;  ceux 


8 

dos  fournitures  do  bureau,  dos  Annales,  des  achats  et  reliures 
de  livres,  des  abonnements  aux  journaux  et  aux  revues  doivent 
l'être,  en  outre,  par  le  Bibliothécaire-Archiviste. 

Art.-  12.  —  Le  Trésorier  administre  les  finances  de  la  Société 
et  rend  compte,  chaque  année,  de  sa  gestion  au  Comité  central. 
(Art.  15  des  Statuts.) 

Art.  13.  —  Les  comptes  du  Trésorier  sont  joints  à  la  présen- 
tation du  budget,  et  le  Comité  central  statue  sur  cette  compta- 
bilité, d'après  le  rapport  d'une  Commission  nommée  ù  cet  effet. 
(Art.  16  des  Statuts.) 

Celte,  Commission  dile  de  finances  se  compose  de  trois 
Membres  nom  niés  par  le  Comilé  central  même. 

La  présentation  du  budget  et  la  reddition  des  comptes  ont 
lieu  au  commencement  de  chaque  année. 

Art.  14.  —  Les  comptes  annuels  rendus  et  les  quittances  à 
l'appui  sont  déposés  dans  les  archives,  après  que  le  Trésorier  a 
été  valablement  déchargé  de  sa  comptabilité,  sur  son  grand  livre, 
par  la  Commission  des  finances.  (Art.  17  des  Statuts.) 

De  la  Bibliothèque  et  des  Archives. 

Art.  15.  —  Le  Bibliothécaire  est  spécialement  chargé  du  soin 
de  recueillir  el  de  classer  tous  les  livres,  mémoires,  brochures, 
journaux,  revues,  adressés  à  la  Société,  ainsi  que  les  rapports 
dos  Commissions,  les  titres  d'admission  des  candidats  et  les 
mémoires  qui  ont  concouru  pour  les  prix. 

Art.  16.  —  Tout  Membre  résidant  qui  veut  prendre  en 
communication  un  des  ouvrages,  mémoires  ou  rapports  com- 
posant la  Bibliothèque,  est  tenu  de  le  demander  au  Biblio- 
thécaire, <>u,  en  son  absence,  au  concierge,  qui  le  lui  remet. 
Celui  qui  reçoit  un  ouvrage  s'inscrit,  sur  un  registre  propre  à  cet 
effet.  L'ouvrage  communiqué  ne  peut  être  retenu  au  delà  d'un 
mois. 

Du  Comité  central. 

Ain  .   17.  —  Le  Comité  central  se  compose  : 
1°  Des  sept  membres  du  Bureau; 
1"  Du  Président  sortant  ; 


3°  De  représentants  des  Sections,  pris  au  nombre  de  trois  dans 
chacune  d'elles.  (Art.  10  des  Statuts.) 

Les  Membres  affiliés  à  une  Section  ne  seront  nommés  pour  la 
représenter  que,  lorsqu'après  une  première  élection  restée  sans 
résultat,  il  sera  notoire  qu'aucun  des  Membres  titulaires  de  ladite 
Section  susceptibles  d'être  élus,  n'est  disposé  à  accepter  la 
fonction. 

Art.  18.  —  Le  Comité  central  se  réunit  le  lundi  qui  précède 
de  dix  jours  chaque  séance  générale. 

Ses  attributions  consistent  à  délibérer  sur  toutes  les  pro- 
positions et  communications  faites  à  la  Société  ;  sur  les  prix 
à  distribuer  ;  sur  l'admission  à  présentation  des  candidats  pro- 
posés, soit  comme  Membres  résidants,  soit  comme  Membres 
correspondants;  sur  la  fixation  de  l'ordre  du  jour  de  chaque 
séance  générale;  enfin,  sur  tout  ce  qui  a  rapport  à  l'intérêt 
général  de  la  Société. 

Art.  19.  —  Au  Comité  central,  la  présence  de  la  moitié  des 
Membres  plus  un  est  nécessaire  pour  la  validité  des  voles.  (Art.  13 
des  Statuts.) 

Art.  20.  —  Les  procès-verbaux  des  séances  du  Comité 
central  sont  rédigés  par  l'un  des  Secrétaires,  sur  un  registre 
spécial. 

Art.  21.  —  Le  Comité  central  a  la  faculté  de  proposer  et  de 
recevoir  des  questions  sur  les  divers  objets  dont  la  Société 
s'occupe;  de  les  renvoyer  à  l'examen  de  Commissions  qu'il 
désigne  sur  la  proposition  du  Président;  et,  après  leur  rapport, 
en  cas  d'acceptation,  de  les  soumettre  à  la  sanction  de  la  Société 
en  séance  générale. 

Tout  Membre  qui  accepte  de  faire  partie  du  Comité  central 
est  tenu  de  verser  aux  mains  du  Trésorier  une  somme  de  12  fr. 
et  en  reçoit,  à  chaque  séance  mensuelle  a  laquelle  il  assiste,  un 
jeton  de  la  valeur  d'un  franc. 

Conditions   et   mode    d'élection   du   Bureau  et  du 

Comité    central. 

Art.  22.  —  Les  Membres  du  Bureau  et  du  Comité  central  sont 


10 

tous  nommés  en  Assemblée  générale,  au  scrutin  secret,  à  la  majorité 
absolue  des  suffrages,  le  lendemain  de  la  séance  publique  annuelle. 
(Art.  1 1   (les  Statuts.) 

Si  un  troisième  tour  de  scrutin  est  nécessaire,  le  ballotagc  a 
lieu  entre  les  Membres  qui  ont  obtenu  le  plus  de  voix  au  deuxième 

scrutin. 

Art.  23.  —  Le  Président  peut  être  choisi  parmi  tous  les 
Membres  résidants. 

Le  Vice-Président  ne  peut  être  pris  dans  la  même  Section  que 
le  Président. 

Le  Secrétaire  général  peut  être  choisi,  comme  le  Président, 
parmi  tous  les  Membres  résidants. 

Le  Secrétaire  adjoint  ne  peut  être  élu  dans  la  Section  qui  a 
fourni  le  Secrétaire  général. 

Le  Trésorier  cl  le  Bibliothécaire-Archiviste  peuvent  être  choisis 
entre  tous  les  Membres  résidants,  pourvu  qu'ils  n'appartiennent 
pas  à  la  même  Section. 

Celle  disposition  n'est  pas  applicable  au  Bibliothécaire  adjoint. 

Art.  24.  —  'Les  représentants  des  Sections  au  Comité  cent  rai 
sonl  nommés  pour  trois  années,  de  manière  à  être  renouvelés  par 
tiers.  (Art.   10  des  Statuts.) 

Ils  ne  sonl  rééligibles  qu'après  un  an  écoulé. 

En  cas  de  décès  ou  démission  d'un  Membre,  le  Membre  appelé 
à  le  remplacer  ne  conservera  les  fondions  que  pour  le  reste  du 
mandat  de  son  prédécesseur. 

Des    présentations   et  des   réceptions. 

Art.  2.'i.  —  La  Société  se  compose  de  membres  résidants  et  de, 
Membres  correspondants.  (Art.  i  des  Statuts.) 

Art.  ilî.  —  Le  nombre  de  ces  différents  Membres  n'est  pus 
limité.  (Art.  3  des  Statuts.) 

Art.  27.  —  Pour  être  admis  dans  la  Société,  comme  résidant 
ou  correspondant,  il  faut  être  présenté  par  trois  Membres  rési- 
liants, admis  depuis  deux  ans  au  moins,  et  justifier  par  des  titres 
un  drs  productions  qu'on  s'occupe  des  connaissances  mentionnées 
•  a  l'article  Ier.  (Art.  V  des  Statuts.) 


11 

Les  ouvrages  imprimés  produits  à  l'appui  des  demandes 
d'admission,  deviendront  la  propriété  de  la  Société;  mais  les 
ouvrages  manuscrits  seront  rendus  aux  candidats  sur  leurs  récla- 
mations motivées. 

Art.  28.  —  Le  jour  même  de  la  présentation  d'un  candidat,  il 
est  nommé  une  Commission  de  trois  Membres,  chargée  d'exa- 
miner ses  titres.  Le  bulletin  de  présentation,  signé  des  trois  pré- 
sentateurs, est  affiché  immédiatement  dans  la  salle  de  lecture, 
où  il  restera  exposé  jusqu'au  jour  du  scrutin  ;  et  les  litres 
seront  adressés  sans  relard  à  la  Commission  par  le  Secrétaire 
général. 

Art.  29.  —  Le  rapporteur  ayant  terminé  son  travail,  lira  au 
Comité  central  son  rapport  signé  de  lui  cl  des  deux  autres  Com- 
missaires ;  et  si  le  candidat  est  admis  à  présentation,  au  scrutin 
secret  et  à  la  majorité  absolue,  le  rapport  sera  mis  à  l'ordre  du 
jour  de  la  séance,  générale,  qui  devra  se  tenir  dix  jours  après. 

Art.  30.  —  Conformément  à  l'ordre  du  jour,  le  rapporteur 
donnera  lecture  de  son  travail:  et  si  le  candidat  obtient,  au 
scrutin  secret,  la  majorité  des  suffrages,  il  sera  proclamé 
Membre  de  la  Société.  Sont  dispensés  de  l'obligation  du  scrutin: 
le  Général  commandant  le  XIe  Corps,  le  Préfet  du  département, 
L'iïvêque  du  diocèse,  le  Maire  de  Nantes. 

Art.  31.  —  Les  Membres  résidants  qui  auront  quitté  la  ville, 
deviendront  Membres  correspondants,  sur  la  demande  qu'ils  en 
adresseront  au  Président. 

Tout  Membre  correspondant  qui  vient  habiter  Nantes,  doit 
prendre  le  litre  et  supporter  les  charges  de  Membre  résidant,  le 
droit  de  diplôme  compris  ;  autrement,  il  est  considéré  comme 
démissionnaire. 

Art.  32,.  —  Les  Membres  correspondants  sont  invités  à  donner 
à  la  Société  des  mémoires  ou  observations  sur  les  différents 
sujets  dont  elle  s'occupe,  et  à  lui  faire  part  du  résultat  de  leurs 
expériences. 

Admission  temporaire  et  gratuite  des  étrangers. 

Art.  33.  —  Tout  Membre  de  la  Société  qui  désirerait  présenter 


12 

un  étranger,  devra  ou  faire  la  demande  au  Président,  ou,  on  son 
absence,  au  Vice-Président,  qui,  sur  l'avis  du  Bureau,  lui  déli- 
vrera une  carte  d'entrée. 

La  carte  d'admission  temporaire  sera  valable  pour  trois  mois. 

Art.  34.  —  Les  avantages  dont  jouissent  les  Membres  de  la 
Sociélé  seront  acquis  à  l'étranger  admis  comme  visiteur,  sauf  le 
cas  de  délibéral  ion. 

Il  disposera,  mais  sans  déplacement,  des  livres  de  la 
Bibliothèque. 

Art.  35.  —  Chaque  Membre  résidant  aura  la  faculté,  sou-  sa 
responsabilité  personnelle,  d'introduire  un  étranger  dans  l'Aca- 
démie, niais  avec  l'obligation  de  l'accompagner  pendant  la  visite 
du  local  que  celui-ci  aura  désiré  de  faire. 

Art.  36.  —  Aucun  étranger  ne  pourra  être  admis  à  une 
séance  de  la  Sociélé,  ou  de  l'une  de  ses  Sections,  s*il  n'est  pré- 
senté par  un  Membre  résidant,  cl  s'il  n'a  obtenu  l'autorisation  du 
Président  de  la  séance. 

Art.  37.  —  Tous  les  cas  d'admission  d'étrangers,  non  prévus  par 
les  dispositions  ci-dessus,  sont  laisses  à  l'appréciation  du  Bureau. 

Des  séances  mensuelles. 

Art.  38.  —  Il  y  a  une  séance  générale  le  premier  mercredi  de 
chaque  mois.  Elle  commence  à  sept  heures  et  demie  du  soir 
pour  toute  l'année. 

Les  Membres  résidants  sont  convoqués  à  cet  effet.  Après  la 
lecture  du  procès-verbal  de  la  séance  précédente  et  de  la  corres- 
pondance, el  après  l'annonce  des  ouvrages  envoyés  à  la  Sociélé, 
il  est  procédé  à  la  lecture  des  rapports  des  Commissions. 

Art.  39.  —  Tout  Membre  résidant  ou  correspondant  qui  se 
propose  de  communiquer  un  travail  quelconque  à  la  Société, 
dans  l'une  de  ses  séances  générales,  est  tenu  d'en  prévenir  le 
Secrétaire  général  douze  jours  à  l'avance,  afin  que  celte  com- 
munication reçoive  son  rang  d'inscription  dans  l'ordre  du  jour 
de  la  séance. 

Art.  40.  —  Les  Rapporteurs  seront  inscrits,  comme  suit,  a 
L'ordre  du  jour  des  séances  générales  : 


13 

1°  Rapporteurs  sur  la  présentation  d'un  Membre  résidant  ou 
correspondant  ; 

G2°  Rapporteurs  des  Commissions  nommées  par  la  Société  en 
séance  générale  ; 

3°  Rapporteurs  nommés  par  le  Comité  central,  pour  tout 
autre  objet  que  pour  l'examen  des  titres  d'un  candidat; 

4°  Rapporteur  des  Sections. 

Art.  41.  --  Chaque  lecture  ne  pourra  durer  plus  d'une  heure, 
et  si  le  même  ouvrage  exige  plusieurs  lectures,  l'auteur,  après 
l'avoir  lu  dans  une  première  séance,  prendra,  pour  la  séance 
suivante,  le  dernier  numéro  de  l'ordre  du  jour. 

Art.  42.  —  Lorsqu'un  auteur  aura  fait  mettre  à  l'ordre  du 
jour  un  travail  quelconque,  et  que,  après  avoir  été  appelé  pour 
la  lecture,  il  n'aura  pas  répondu*  à  cet  appel  deux  fois  consé- 
cutives, sa  proposition  de  lecture  sera  considérée  comme  non 
avenue,  et  il  ne  pourra  plus  être  porté  à  l'ordre  du  jour  sans  une 
nouvelle  demande  spéciale  écrite  par  lui  au  Secrétaire  général. 

Art.  43.  —  Lorsqu'un  Sociétaire  aura  lu,  en  séance  générale, 
un  ouvrage  de  sa  composition,  il  sera  libre  de  le  faire  imprimer, 
mais  il  ne  pourra  mentionner  que  cet  ouvrage  a  été  lu  et 
approuvé  en  séance,  sans  un  consentement  formel  de  la 
Société. 

Art.  44.  —  La  publication  des  votes,  des  rapports  et  de  tous 
les  actes  administratifs  ou  délibéralifs  de  la  Société,  du  Comité 
central  et  des  Commissions,  ne  peut  jamais  avoir  lieu  sans 
l'autorisation  ou  l'ordre  exprès  du  Comité  central  ou  de  la 
Société. 

Les  ordres  du  jour  des  séances  générales  sont  adressées  en 
temps  utile  par  le  Secrétaire  général,  aux  journaux  de  Nantes, 
auxquels  la  Société  est  abonnée. 

Art.  45.  —  Aucune  communication  ne  peut  être  faite,  dans 
une  séance,  par  des  personnes  étrangères  à  la  Société,  si,  au 
préalable,  elle  n'a  été  autorisée  par  le  Président. 

Nulle  décision  de  la  Société,  sur  un  sujet  quelconque,  n'est 
valable  que  si   le  nombre  des  votants   est  au  moins  de   quinze 


14 

Membres  à  la  première  délibération.  Si  le  vote  ne  peut  aboutir, 

la    majorité  absolue    suffira  à  la  séance  suivante,  quel  que  soit 
le  nombre  des  volants. 

Des  séances  publiques. 

Art.  46.  —  Une  séance  solennelle  à  laquelle  sont  invitées  les 
Autorités  publiques,  se  lient  chaque  année,  indépendamment  des 
réunions  mensuelles  ou  extraordinaires  de  la  Société  et  des  Sec- 
tions. (Art.  <l\   des  Statuts.) 

Art.  47.  —  La  séance  publique  annuelle  se  tient  l'un  des 
dimanches  du  mois  de  novembre. 

Art.  48.  —  La  séance  publique  se  compose  du  discours  du 
Président,  du  rapport  du  Secrétaire  général  sur  les  travaux  de 
Tannée  et  du  rapport  du  Secrétaire  adjoint  sur  les  prix  à 
décerner. 

Art.  49.  —  Une  Commission  dite  du  cérémonial  et  composée 
d'un  Président,  d'un  Vice-Président  et  d'un  Secrétaire  est  chargée 
de  l'organisation  des  séances  publiques. 

Celle  Commission,  dont  le  mandat  est  de  trois  années,  est 
nommée  par  le  Comité  central  qui  en  approuve  le  règlement. 

Art.  50.  —  Il  pourra  y  avoir,  dans  le  cours  de  l'année 
académique,  une  ou  plusieurs  séances  publiques  extraordinaires 
consacrées  à  la  lecture  d'œuvres  de  Membres  de  la  Société 
Académique  seulement. 

Les  travaux  ne  pourront  être  admis  à  la  lecture  publique 
qu'après  approbation  d'une  Commission  spéciale  de  quinze 
Membres  nommés  par  le  Comité  central,  et  qui  pourront  être 
pris  dans  son  sein. 

Le  Comité  central  reste  d'ailleurs  chargé  d'assurer  les  voies 
et  moyens  d'exécution. 

Des  Prix. 

Art.  .M.  —  La  Société  pourra  décerner  des  prix  d'encoura- 
gement à  tous  les  travaux  importants  exécutés  dans  le  départe- 
ment, de  quelque  nature  qu'ils  soient. 

Art.  lii.  —  Les  Sections  devront,  chaque  année,  si  les 
finances  de  la  Société  le  permettent,  fournir  au  Comité  central 


15 

un  certain  nombre  de  questions  sur  toutes  les  études  dont  la 
Société  s'occupe,  questions  parmi  lesquelles  le  Comité  choisira 
celles  qui  seront  proposées  à  litre  de  sujets  de  prix  à  décerner, 
en  séance  publique,  aux  auteurs  des  mémoires  jugés  dignes  de 
celte  distinction. 

Art.  53.  —  Les  sujets  de  concours  sont  annoncés  dans  la 
séance  publique  de  chaque  année  ;  et  les  prix  décernés,  soit 
un  an,  soit  deux  ans  après,  selon  que  le  peut  exiger  la  nature 
du  concours. 

Art.  54.  —  Dans  l'un  et  l'autre  cas,  les  mémoires  des  con- 
currents devront  être  adressés  au  Secrétaire  général  de  la 
Société  avant  l'époque  fixée*  chaque  année  par  le  Comité 
central. 

Art.  55.  —  Dans  la  séance  qui  suivra  immédiatement  le  terme 
fixé  pour  la  remise  des  mémoires,  le  Comité  central  désignera 
les  Membres  qui  composeront  la  Commission  chargée  d'examiner 
les  travaux  des  concurrents. 

Le  Secrétaire  adjoint  fait  de  droit  partie  de  la  Commission, 
la  préside  et  soumet  à  son  approbation  le  rapport  qu'il  est 
chargé  de  présenter  au  Comité  central. 

Art.  56.  —  A  l'époque  fixée  par  le  Comité  central,  la  Com- 
mission aura  discuté  le  mérite  des  travaux  soumis  à  son  appré- 
ciation, décidé  quelle  récompense  peut  être  décernée  à  chacun 
de  ceux  qui  lui  paraîtront  dignes  de  recevoir,  soit  un  prix,  soit 
une  mention. 

Art.  57.  —  Le  Comité  central  sera  ensuite  convoqué  pour 
entendre  la  lecture  du  rapport  approuvé  par  la  Commission,  et 
en  discuter  les  formes  et  les  conclusions. 

Les  Membres  de  la  Commission  seront  appelés  à  cette  séance; 
ils  pourront  y  prendre  la  parole,  mais  ils  n'auront  voix  délibé- 
rative  qu'autant  qu'ils  feront  partie  du  Comité  central. 

Les  décisions  prises  dans  celte  séance  seront  définitives. 

De  la  cotisation  annuelle. 

Art.  58.  —  Chaque  Membre  résidant  paie  une  cotisation 
annuelle  et  un  droit  de  diplôme  (Art.  G  des  Statuts.) 


16 

Colle  cotisation,  qui  doit  être  versée  aux  mains  du  Trésorier 
dans  le  Ier  trimestre  de  chaque  année,  est  de  40  fr.,  dont  le 
montant  est  employé  aux  dépenses  diverses  de  la  Société. 

Tout  membre  qui  aura  refusé  d'acquitter  la  cotisation  de 
l'année  au  31  décembre  sera  considéré  comme  démissionnaire, 
sauf  justification  auprès  du  Bureau. 

Le  droit  de  diplôme,  fixé  à  20  fr.,  est  facultatif.  11  devra 
être  acquitté  immédiatement  après  la  réception.  Ce  droit  est 
aussi  de  20  fr.  pour  les  Membres  correspondants  qui  demandent 
un  diplôme. 

Art.  59.  —  On  ne  paie  l'annuel  de  la  première  année  qu'au- 
tant qu'on  est  admis  avant  le  dernier  trimestre  de  celle  année. 

Des   Commissions. 

Art.  00.  —  Le  premier  Membre  nommé  dans  chaque  Com- 
mission est  chargé  de  convoquer  ses  collègues,  pour  la  première 
réunion  seulement.  Dans  celle  réunion,  le  Rapporteur  est 
nommé  et  considéré  comme  Secrétaire;  il  convoque  ensuite 
ses  Collègues  autant  de  fois  qu'il  le  juge  nécessaire. 

Des  Sections. 

Art.  01.  —  Les  Membres  résidants  sont,  suivant  leurs  aptitudes, 
répartis  en  quatre  Sections  : 

1°  Agriculture,  Commerce ,  Industrie  et  Scie?ices  économiques  ; 

"2,°  Médecine  et  Pharmacie; 

3°  Lettres,  Sciences  et  Arts; 

4°  Sciences  naturelles.  (Art.  S  des  Statuts.) 

Chaque  Membre,  immédiatement  après  son  admission,  est 
placé  par  le  Comité  central  dans  la  Section  de  sa  spécialité. 
Néanmoins,  il  peut  assister  aux  séances  d'une  autre  Section 
avec  l'autorisation  du  Président,  sans  y  avoir  voix  délibéralive. 
Il  peut,  en  outre,  être  affilié,  sur  sa  demande,  à  une  ou  plusieurs 
Sections  dont  il  supporte  les  charges  et  partage  les  travaux. 
Toulefois,  par  des  motifs  de  convenance  qui  ont  toujours 
élé  appréciés  par  la  Société,  la  Section  de  Médecine  et  de 
Pharmacie  ne  peut  admettre  dans  son  sein  et  à  ses  séances  que 


17 

ries  docteurs  en  médecine  et  en  chirurgie,  des  pharmaciens  et 
des  vétérinaires. 

Akt.  02.  —  Tout  Membre  de  la  Soeiélé  Académique  qui 
désirera  passer  d'une  Section  dans  une  autre,  devra,  en  adres- 
sant sa  demande  de  déclassement  au  Comité  central,  fournir  à 
l'appui  la  preuve  justificative  qu'il  s'occupe  de  travaux  relatifs 
à  la  spécialité  de  celle  Section.  Le  Comilé,  sur  l'examen  de 
celle  preuve,  pourra  statuer  immédiatement,  ou  nommer,  dans 
son  sein,  une  Commission  chargée  de  l'éclairer  sur  l'opportunité 
de  la  demande. 

Art.  63.  —  Chaque  Section  a  son  règlement  spécial,  qu'elle 
soumet  à  l'approbation  de  la  Société  Académique. 

Les  rapports  annuels  de  ses  travaux  seront  lus  en  séance 
générale. 

Art.  64.  —  Les  Présidents  des  Sections  sont  admis  aux 
séances  du  Comilé  central,  toutes  les  fois  qu'ils  s'y  présentent, 
mais  seulement  avec  voix  consultative. 

Art.  65.  —  Lorsqu'un  ouvrage  quelconque  est  offert  à  la 
Société,  il  est  envoyé  au  Président  de.  la  Section,  qui  s'occupe 
des  matières  qu'il  traite,  pour  qu'un  rapport  en  soil  fait,  s'il  y  a 
lieu. 

Annales  de  la  Société  Académique. 

Art.  66.  —  La  Soeiélé  publie  un  journal  de  ses  travaux, 
sous  le  titre  à' Annales  de  la  Société  Académique  de  Nantes  et  de 
la  Loire- Inférieure.  Ces  Annales  se  composent  des  divers  écrits 
lus  à  la  Société  en  séance  générale  mensuelle,  ou  à  l'une  de 
ses  Sections.  La  Société  a  le  droit,  après  qu'une  des  Sections  a 
publié  un  travail,  de  se  l'approprier,  avec  le  consentement  de 
l'auteur. 

Art.  67.  —  Tout  travail  lu  dans  une  séance  de  la  Société 
Académique  sera  remis  dans  la  huitaine  au  Secrétaire  général. 

Celui-ci,  après  la  correction  des  épreuves  par  l'auteur, 
vérifiera  si  le  texte  est  conforme  au  lexte  lu  en  séance.  En 
cas  de  changements  notables,  il  en  référera  au  Comité  de 
rédaction. 

2 


1  s 

Art.  08.  —  Les  Annales  de  la  Société  paraissent  deux  fois 
par  an,  de  six  mois  en  six  mois,  de  manière  à  former,  chaque 
année,  un  volume  de  500  pages  in-8°  environ. 

Néanmoins,  l'impression  et  la  publication  de  certains  travaux 
particuliers  pourront  devancer  ces  deux  époques  semestrielles, 
en  vertu  d'une  décision  spéciale  du  Comité  central,  après  avis 
du  Comité  de  rédaction. 

Les  Annales  de  la  Société  sont  publiées  par  séries  de  dix 
années. 

Le  Règlement  de  la  Société  est  imprimé  à  la  tête  du  premier 
volume  de  chaque  série,  ainsi  que  la  liste  : 

1°  Des  Membres  résidants  faisant  actuellement  partie  de  la 
Société,  classés  par  ordre  de  réception  ; 

2°  Des  Membres  résidants  qui,  reçus  pendant  cette  série, 
seraient  décédés,  ou  démissionnaires  ou  devenus  correspondants; 

3°  Des  Membres  correspondants  admis  pendant  celte  série; 

4°  Des  Sociétés  savantes  avec  lesquelles  la  Société  Académique 
est  en  relations. 

Du  Comité  de  rédaction. 

Art.  69.  —  Le  Comité  de  rédaction  des  Annales  se  compose  du 
Président,  du  Secrétaire  général,  du  Trésorier,  du  Bibliothécaire- 
Archiviste,  Membres  de  droit,  et  de  deux  Membres  par  chaque 
Section,  élus  pour  deux  ans  par  le  Comité  central  au  scrutin 
secret,  et  à  la  majorité  absolue  des  suffrages.  (Art.  1J2  des 
Statuts.) 

On  procédera,  chaque  année,  a  l'élection  d'un  Membre  seule- 
ment par  Section. 

Le  Comité  de  rédaction  est  présidé  par  le  Président  de 
la  Société;  en  son  absence,  par  le  Secrétaire  général;  en 
l'absence  de  l'un  et  de  l'autre,  par  le  plus  âgé  des  Membres 
présents. 

Dans  ce  dernier  cas,  le  plus  jeune  Membre  remplira  les 
fondions  de  Secrétaire  de  la  séance. 

Les  décisions  du  Comité  seront  consignées  sur  un  registre 
particulier. 


19 

Art.  70.  —  Au  Comité  de  rédaction,  la  présence  de  la  moitié 
des  Membres  plus  un,  est  nécessaire  pour  la  validité  des  votes. 
(Art.   13  des  Statuts.) 

Art.  71.  —  Le  Secrétaire  général  réunira  les  Membres  du 
Couiilé  de  rédaction  des  Annales,  dans  la  dernière  quinzaine 
des  mois  de  juin  et  de  décembre,  dans  le  but  d'arriver  £  la 
publication,  aussi  régulière  que  possible,  des  deux  semestres 
des  Annales  de  la  Société  Académique. 

Du  règlement  intérieur. 

Art.  72.  —  Un  règlement,  intérieur,  dont  l'exécution  est  confiée 
au  Président,  prescrit  la  date  des  réunions  mensuelles  et  extraor- 
dinaires de  la  Société,  des  Sections,  du  Comité  central  et  du 
Comité  de  rédaction  des  Annules,  l'ordre  des  lectures,  la  limite 
du  temps  qui  leur  est  attribué.  (Art.  22  des  Statuts.) 

Art.  73.  —  En  dehors  des  réunions,  les  salons  de  la  Société 
sont  ouverts  tous  les  jours  à  tous  les  Membres  qui  veulent  lire  les 
revues  littéraires  et  scientifiques  auxquelles  elle  est  abonnée,  ou 
qui  se  proposent  de  consulter  les  ouvrages  de  sa  bibliothèque. 

Toutes  les  distractions  des  cercles  ordinaires  sont  formellement 
interdites.  (Art.  23  des  Statuts.) 

Art.  74.  —  Le  règlement  intérieur  préparé  par  le  Comité  central 
est  adopté  en  séance  générale.  (Art.  24  des  Statuts.) 

Art.  75.  —  La  liste  générale  des  Membres  résidants  de  la 
Société  sera  affichée  dans  la  salle  de  ses  séances;  le  Règlement 
sera  imprimé  et  distribué  aux  Membres  entrants,  indépendam- 
ment de  son  insertion  dans  les  Annales. 

Des  ressources  de  la  Société. 

Art.  76.  —  Les  ressources  de  la  Société  se  composent  actuelle- 
ment : 

1°  Du  mobilier  nécessaire  à  la  tenue  des  séances,  des  installa- 
tions diverses,  d'une  bibliothèque  importante,  de  collections 
botaniques,  etc.  ; 

2°  Des  cotisations  mentionnées  en  l'art.  G  ; 

3°  Des  subventions  du  Gouvernement,  du  Département  et  de  la 
Ville.  (Art.  19  des  Statuts.) 


20 

Art.  77.  -  Les  délibérations  relatives  à  l'acceptation  de  dans 
et  legs,  aux  acquisitions,  aliénations  ou  échange  d'immeuble,  seront 
soumises  à  l'approbation  du  Gouvernement.  (Art.  <20  des  Statuts.) 

Art.  78.  —  En  cas  de  dissolution  de  la  Société,  la  dévolution 
et  l'emploi  de  son  avoir  tant  mobilier  qu  immobilier,  feront  l'objet 
d'une  délibération  du  Comité  central  qui  sera  soumise  à  l'appro- 
bation du  Gouvernement.  (Art.  25  des  Statuts.) 

Toutefois,  en  raison  de  leurs  apports  primitifs  et  des  cotisa- 
tions particulières  que  peuvent  s'imposer  les  Sections,  il  paraît 
équitable  que,  dans  le  cas  où  le  tiers  au  moins  des  Membres  de 
l'une  d'elles  constituerait  une  Société  succédant  à  la  Société 
Académique,  cette  Société  reçoive  en  partage  les  livres  et  les 
collections  se  rapportant  à  sa  spécialité. 

Les  livres  qui,  dans  le  délai  de  trois  années  révolues,  n'auraient 
pas  reçu  ainsi  leur  attribution,  seraient  dévolus  défi nili veinent 
à  la  Bibliothèque  publique  de  la  Ville,  dans  laquelle  ils  auront 
dû  être  déposés  tout  d'abord  provisoirement,  après  inventaire 
dressé  en  double  expédition. 

Art.  79.  —  Les  présents  Statuts  ne  pourront  être  modifiés  qu'en 
vertu  d'une  délibération  du  Comité  central  et  de  l'approbation  du 
Gouvernement.  (Art.  26  des  Statuts.) 

Du  Concierge. 

Art.  80.  —  Les  attributions  du  Concierge  sont  délerminées 
par  le  Comité  central. 

Délibéré  par  le  Comité  central  et  approuvé  par  la  Société,  en 
ce  qui  concerne  le  Règlement  intérieur,  dans  la  séance  du 
5  juin  1878. 


LISTE 

DBS    MEMBRES    RÉSIDANTS 

FAISANT  ACTUELLEMENT  PARTIE  DE  LA  SOCIÉTÉ 

CLASSÉS      PAR     ORDRE     DE      RÉCEPTION. 


1847 

l.  De  ea  Tour  du  Pin  Chambly,  propriétaire 3  t'cvr. 

Blanchet,  docteur-médecin 2  juin. 

1851 
Lechat  ft,  0.  A.,  ancien  maire  de  Nantes 5  mars. 

1853 
Livet  &,  0.  1.,  chef  d'institution 5  juin. 

1854 
Lefecvre,  docteur-médecin 5  avril. 

1857 
Bernkaudeaux,  0.  A.,  docteur-médecin 2  sept. 

1858 

Laennec,  0.  1.,  directeur  de  l'École  de  Médecine 7  juillet. 

Viaud-Grand-Marais,  O.A.,  docteur-médecin I   déc. 

1859 

Orieux  #,  agent-voyer  en  chef  en  retraite 6  avril. 

Housse,  banquier .* 7  déc. 

1861 

Heurtaux,  0.  A.,  docteur-médecin .       9  janv. 

Kirchberg,  id.  7  mars. 

Jouon  (François),  0.  A.,     id.  1   mai. 

1862 
Chartier,  0.  I.,  docteur-médecin 5  t'évr. 

1854 
Biou,  juge  de  paix 0  avril. 


2*2 

1865 

MM.  Poirier,  ingénieur  civil  des  mines 1  mars. 

Andouard,  0.  L,  professeur  à  l'École  de  Médecine 3  mai. 

1868 

Linïer,  bâtonnier  de  l'ordre  des  avocats 5  t'evr. 

Goi'llin  (Gustave),  négociant 4  mars. 

Dolmetsch,  0.  A.,  professeur  de  musique 7  oct. 

'      1869 

Raingearp,  docteur-médecin 3  mars. 

1870 

Barthélémy,   docteur-médecin 2  mars. 

Montfort,  0.  A.,       id. id. 

Teillais  &,  id.  6  avril. 

Bonamy,  id.  id. 

Maître,  0.  I.,  archiviste  du  département 4  mai. 

Merland  (Julien),  juge  suppléant 7  sept. 

1871 

Abbé  Coquet 1  mai. 

1872 

Mémer,  0.  A.,  professeur  à  l'Ecole  de  Médecine.........  5  déc. 

Grimaud  #,  docteur-médecin id. 

1873 

Malherhe  (Albert),  0.  A.,  docteur-médecin 3  janv. 

Thibault  (Théobald),  id.  id. 

Luneau,  id.  3  déc. 

1874 

Porson,  docteur-médecin 4  févr. 

Gadeceau,  négociant id. 

1875 

Le  Grand  de  la  Liraye,  docteur-médecin 3  mars. 

Dianolx,  id. 7  juillet. 

Génuit,  id.  ,.  8  déc. 

1876 

Guillemet,  docteur-médecin 4  oct. 

1877 

Leroux,  avocat 6  juin. 

Poisson,  docteur-médecin 1   août. 

Simom.au,         id.  id. 

MÉNAGER,  id.  5    déC. 


23 

1878 

MM.  Mauot,              docteur-médecin 2  janv. 

Bureau  (Louis),  0.  A.,      id id. 

1879 

Hervouet,  docteur-médecin . . . .  8  janv. 

Rauturau,  pharmacien id. 

Guénel,  docteur-médecin 1  oct. 

Mobel,  0.  I.,  principal  de  Collège  en  retraite 3  déc. 

1881 

Jollan  de  Ci.ervillk,  docteur-médecin 6  janv. 

Gourraud,                              id.            4  févr. 

Maisonneuve,  ingénieur  des  arts  et  manufactures 2  mars. 

1882 

Larocque,  0.  I.,  directeur  de  l'École  des  Sciences 4  janv. 

Rouxeau  fils,  docteur-médecin 1  févr. 

Abbé  Heurtin 3  mai. 

1883 

Viard,  chimiste 3  janv. 

Gauuucheau,  docteur-médecin 6  janv. 

Delteil  #,  pharmacien  de  la  marine  en  retraite 1  août. 

1884 

Olmve,  docteur-médecin 6  févr. 

Gergaud,           id. 2  avril. 

1885 

Chacuereau,  docteur-médecin 4  févr. 

Attimont,                 id. id. 

DelaRabrie,            id.             8  mai. 

1886 

De  Chastellux  #,  ancien  sous-préfet 4  juillet. 

1887 

Le  Beau,  0.  #,  0.  I.,  commissaire  de  la  marine 5  janv. 

Polo,  docteur-médecin id. 

Gahier,  avocat 2  mars. 

1888    ■ 

Pérochaud,  docteur-médecin 4  janv. 

Legendkë,  architecte 4  avril. 

Legrand,  avocat id. 

Callandreau,  pharmacien 2  mai. 

Samson,  docteur-médecin 5  déc. 


24 

1889 

MM.  Cesbiion,  pharmacien 2  janv. 

Caillé  (Dominique) ,  avocat ti  févr. 

Mgr  Le  Coq,  évéque  du  diocèse 6  mars. 

Cocu  mi  d,  docteur-médecin , .  .  .  id. 

Pilon  (Eugène) ,  industriel id. 

Merlant  (Francis),     id id. 

Renaud  (Paul)  #,       iil id. 

Dcbocuet  (Louis) ,  négociant id. 

Favremj,  pharmacien id. 

Caingeard,        id id. 

Allaire,           id id. 

Robert,             id id. 

Moïon,                id id. 

Mm»  Riom 4  avril. 

MM.  Lenoir,  architecte id. 

Cormerais,   conseiller  général id. 

Simon  (Charles),  armateur id. 

Le  Gloahec,  médecin-vétérinaire id. 

Sémeuil,  ancien  pharmacien id. 

Dlpi'.é  #,  ingénieur  de   la  marine 1   mai. 

Chevalier,  médecin-vétérinaire id. 

Plessis,    pharmacien id. 

Thibault  (Eugène),  négociant id. 

M»s  de  Ternay,  conseiller  général 5  juin. 

Ci«  de  Landemont,  maire  d'Aucenis id. 

Cosse    (Victor),    industriel id. 

COSSÉ  (Dominique) ,     id id. 

Roiitin,    docteur-médecin id. 

Oui, y,  négociant id. 

Herbelin,  propriétaire id. 

Mercier,  ancien  pharmacien id. 

Rivuii,  o.  #,  0.  L,  préfet  de  la  Loire-Inférieure 7  août. 

Vimi),  pharmacien 4  sept. 

Oger  (Emile),  littérateur 18  déc. 

Bossis,  docteur-médecin id. 


LISTE 

DES      MEMBRES      RÉSIDANTS 

QUI,  REÇUS  PENDANT  LA  6«  SÉRIE  (DE  1880  A  1889  INCLUSIVEMENT) 

SONT     DÉCÉDÉS 
DÉMISSIONNAIRES    OU    DEVENUS    CORRESPONDANTS. 


Benoist,  avocat,  admis  4  février  1881,  démissionnaire      en  1884. 

Messine,  pharmacien,  id.  6  août      1881,  id.  en  1883. 

Arnault,  profr  d'agiic,  id.  6  juillet     1881,  id.  9  janvier  1889. 

Bon,  proviseur  du  lycée,  id.  4  janvier  1882,  id.  5  sept.      1883. 
Bonfante,  ingr  des  arts 

et  manuf.,  id.  1er  févr.   188*2,  id.  9  janvier  1889. 

Jamet,  profr  au  lycée,  id.  1er  mars  1882,  id.  2  octobre  1889. 

Boques,           id.,  id.  1er  mars  1882,  id.  2  octobre  1889. 

Catusse,  préfet  du  dép«t,  id.  6  sept.      1882,  id.  en   1885. 

Lemaiué,  pharmacien,  id.  2  janvier  1884,  id.  27  nov.       1888. 

Fahuies  (le  pasteur),  id.  6  février  1884,  id.  30  déc.       1889. 

Aumaîtiie,  doct.-médec,  id.  5  mai        1884,  id.  27   déc.        1880. 

Biaute,             id.,  id.  4  juin        1884,  id.  25  janvier    1886. 

Citerne,           id.,  id.  4  juin       1884,  id.  24  janvier    1886. 

Maisonneuve  (Th.),  litr,  id.  4  février  1885,  id.  ■    23  janvier   1888. 

Delétano,  doct.-méd.,  id.  3  juin       1885,  id.  en   1888. 

Leuat,              id.,  id.  3  juin       1885,  id.  27  nov.       1888. 

TniERRY-RisLEit,  propre,  id.  2  juin       1886,  id.  en  1887. 

Audrain,  pharmacien,  id.  6  mars      1889,  décédé  5  mai        1889. 


LISTE 

DES    MEMBRES     CORRESPONDANTS 

REÇUS  PENDANT  LA  6»  SÉRIE  (DE  1880  A  1889  INCLUSIVEMENT). 


Charrier,  juije  de  paix  à  Noirmoutier admis  le  3  déc.  1379. 

Bourgault-Ducoudray,  compositeur  à  Paris. ..  .  —  le  l*rfév.  1882. 

Gauglet  (Elie),  éditeur  à  Paris —  le  5  juillet  1882. 

Delamare  (de  Saint-Pierre) —  le  2  juillet  1884. 

MacaRIO  (de  Nice) —  le   1er  déc.  1884. 

CorjËTOux,  docteur-médecin —  le  5  mai  1886. 

Liénas,  docteur-médecin  au  Cap-Haïtien —  le  3  nov.  1886. 

Hublé,  médecin  militaire —  le  2  mars  1889. 

Delauney,  rédacteur  au  Ministère  de  l'intérieur.  —  le  7  sept.  1887. 

Goillotin  DE   Corson  (abbé),  à  Rennes —  le  1er  fév.  1888. 

Bernon,  pharmacien  à  Chàteaubriant —  le  5  juin  1889. 

SuiuiiFFE,  médecin-vétérinaire  à  Machecnul —  le  5  juin  1889. 

Bi.aizot,  médecin  à  Doulon —  le  6  nov.  1889. 


LISTE 

DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES 

AVEC  LESQUELLES 

LA  SOCIÉTÉ  ACADÉMIQUE  EST  EN  RELATIONS. 


.1  Angers.  —  Société  industrielle. 

2  —    Société  d'études  scientifiques. 

3  —    Société  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts. 

4  —    Société  académique. 

5  Abbeville.  —  Société  d'émulation. 

0  Amiens.  —  Société  des  Sciences,  Lettres  et  Arts. 

7  —     Société  des  antiquaires  de  Picardie. 

8  —    Société  linnéenne  du  Nord  de  la  France. 

1)  Auxerre. —  Société  des  Sciences  historiques  et  naturelles. 

10  Autun.  —  Société  éduenne. 

11  Aix  (Bouches-du-Rhône).  —  Académie  des  Sciences. 

12  Bordeaux.  —  Académie  des  Sciences. 

13  Bourg.  —  Société  d'émulation. 

14  —     Société  littéraire,  historique  et  archéologique. 

15  Boulogne-sur-Mer.  —  Société  d'Agriculture,  Commerce  et 

Arts. 

16  Besançon.  —  Académie  des  Lettres,  Sciences  et  Arts. 

17  Bézier.  —  Société  archéologique. 

18  —    Société  d'études  des  Sciences  naturelles. 

19  Brest.  —  Société  académique. 

2,0  Bar-le-Duc.  —  Société  des  Lettres,  Sciences  et  Arts. 
21  Bourges.  —  Société  littéraire,  historique  et  archéologique. 
°22  Caen.  —  Société  des  Beaux-Arts. 

23  —    Société  linnéenne  de  Normandie. 

24  —    Académie  des  Sciences,  Belles-Lettres  et  Arts. 

25  Cholet.  —  Société  des  Sciences,  Lettres  et  Arts. 

20  Cambrai.  —  Société  d'émulation. 


27  Chalons-sur-Marne.  —  Société  d'Agriculture   et  de   Com- 

merce. 

28  Cherbourg.  —  Société  des  Sciences  naturelles. 

29  —     Sociélé  académique. 

30  Clermont-Ferrand.  —Académie  des  Sciences,  Lettres  et  Arls. 

31  Colmar.  —  Sociélé  des  Sciences  naturelles. 

32  Chambéry.  —  Académie  des  Sciences,    Lettres  et  Arls  de 

Savoie. 

33  Dunkerque.  —  Société  des  Sciences  et  Lettres. 

34  Dijon.  —  Académie  des  Sciences,  Lettres  et  Arts. 

35  Douai.  —  Société  d'Agriculture,  Sciences  et  Arls. 

36  Evreux.  —  Sociélé  d'Agriculture,  Sciences  et  Lettres. 

37  Elbeuf.   —  Sociélé  industrielle. 

38  Epinal.  —  Société  d'émulation. 

39  Grenoble.  —  Académie  délpinale. 

40  Lyon.  —  Sociélé  d'Agrici.llure  et  des  Sciences  naturelles. 

41  —    Sociélé  littéraire,  historique  et  archéologique. 

42  -     Académie  des  Sciences,  Lellres  et  Arts. 

43  Le  Havre.  —  Société  d'études  diverses. 

44  Lille.  —  Sociélé  des  Sciences,  Agriculture  el  Arls. 

45  —     Société  industrielle  du  Nord  de  la  France. 

46  Le  Mans.  —  Sociélé  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts. 

47  —     Sociélé  philolechnique. 

48  Laon.  —  Sociélé  académique. 

49  La  Rochelle.  —  Société  d'Agriculture,  Sciences  et  Arls. 

50  Le  Puy.  —  Société  d'Agriculture,  Sciences  el  Arls. 

51  Le  Caire.  —  Institut  égyptien. 

52  .Maçon.  —  Académie  des  Sciences,  Arls  el  Belles-Lettres. 
•V.  Montauban.  —  Société  des  Sciences,  Lettres  et  Arts. 

54  Mayenne.  —  Sociélé  d'Agriculture. 

55  Metz.  —  Académie  des  Sciences,  Lettres  et  Arts. 
•Mi     —     Société  des  Sciences  naturelles. 

57  Montbéliard.  —  Société  d'émulation. 

58  Montpellier.  —  Sociélé  centrale  d'Agriculture. 
.V.)  Marseille.  —  Sociélé  de  Statistique. 

60    —    Académie  des  Sciences,  Lellres  et  Arls. 


99 

61  Moulins.  —  Sociélé  d'émulation. 

62  Moscou.  —  Sociélé  impériale  des  Naturalistes. 

63  Nancy.  —  Académie  de  Stanislas. 

64  Nantes.  —  Sociélé  des  Bibliophiles  bretons. 

65  —     Sociélé  de  Géographie  commerciale. 
06     —     Société  archéologique. 

67  —    Société  d'Horticulture. 

68  Niokt.  —  Sociélé  de  Statistique,  Sciences,  Lettres  et  Arts. 

69  Nîmes.  —  Académie  du  Gard. 

70  Nice.  —  Sociélé  des  Lettres,  Sciences  et  Arts. 

71  Orléans.  —  Sociélé  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts. 
72,     —     Société  d'archéologie. 

73  Ottavia.  —  Institut  canadien  français. 

74  Paris.  —  Sociélé  centrale  d'Agriculture. 

75  ._  Société  protectrice  des  animaux. 

76  —  Sociélé  de  Numismatique. 

77  —  Société  philolechnique. 

78  —  Ministère  de  l'Instruction  publique. 

79  —  Muséum  d'Histoire  naturelle. 

80  —  Institut. 

81  —  Société  zoologique. 

82  —  Sociélé  d'Anlropologie. 

83  Poitiers.  —  Sociélé  académique. 

84  Pau.  —  Sociélé  des  Lettres,  Sciences  et  Arts. 

85  Perpignan.  —  Sociélé  agricole,  scientifique  et  littéraire. 

86  Reims.  —  Académie  des  Sciences,  Lettres  et  Arts. 

87  Roche-  sur-Yon.  —  Sociélé  d'émulation. 

88  Rochefort.  —  Sociélé  de  Géographie. 

89  Rouen.  —  Académie  des  Sciences,  Lettres  et  Arts. 

90  —    Sociélé  centrale  d'Agriculture. 

91  —    Société  des  Amis  des  Seiences  naturelles. 

92  Rennes.  —  Sociélé  d'Archéologie. 

93  —     Annales  de  Bretagne. 

94  Rio-de-Janeiko.  —  Archives  du  Musée  national. 

95  Saint-Etienne.    —    Sociélé    d'Agriculture,    Industrie    et 

Sciences. 


80 

96  Saint-Quentin.  —  Société  académique. 

97  Saint-Brieuc.  —  Société  d'émulation. 

98  Saint-Lô.    —     Société     d'Agriculture,     Archéologique    et 

Sciences  naturelles. 

99  Semur.  —  Société  des  Sciences  naturelles  et  historiques. 

100  Strasbourg.  —  Société  des  Sciences,  Agriculture  et  Arts. 

101  Salem  (Etats-Unis).   —   The    Association  American    Massa- 

chusset. 

102  Toulon.  —  Société  des  Sciences,  Arts  et  Lettres. 

103  Toulouse.  —  Sciences  physiques  et  naturelles. 

104  —  Société  académique  franco-hispano-portugaise. 

105  —  Académie  des  Sciences,  Inscriptions  et  Belles-Lettres. 

106  —  Société  des  Sciences  naturelles. 

107  —  Société  centrale  d'Agriculture. 

108  Tours.  —  Société  des  Sciences,  Agriculture  et  Arts. 

109  —    Société  d'Archéologie. 

110  Troyes.  —  Société  académique. 

111  Valenciennes.  —  Société  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts. 

112  Versailles.  —  Société  des  Sciences  morales,  Lettres  et  Arts. 

113  Vannes.  —   Société  polymalique  du  Morbihan. 

114  Vesoul.  —  Société  d'Agriculture,  Sciences  et  Arts. 

115  Vitry-le-Français.  —  Société  des  Sciences  et  Arts. 

116  Washington.  —  United  stales  géologieal  survey  Smilhsonian 

Institution. 


Offerts  gracieusement  par  les  Ministères. 

Bulletin  des  bibliothèques  et  des  archives  avec  Annuaire. 

Revue  des  travaux  scientifiques. 

Bulletin  archéologique  du  Comité  des  travaux  historiques. 

Bulletin  historique  et  philologique  du  Comité  des  travaux  scien- 
tifiques et  historiques. 

Bulletin  du  Comité  des  travaux  historiques  et  scientifiques 
(Section  des  sciences  économiques  et  sociales). 

Littérature  latine  et  Histoire  du  Moyen-Age. 


ALLOCUTION   DE   M.    ANDOUARD 


PRÉSIDENT    SORTANT. 


Mes  chers  Collègues, 

Merci  de  la  bienveillance  que  vous  n'avez  cessé  de 
me  témoigner  pendant  la  durée  d'un  mandat  dont  je  suis 
uniquement  redevable  à  votre  indulgente  amitié.  Merci  a 
mes  dévoués  collaborateurs  de  leur  zèle  et  de  leur  empresse- 
ment a  m'aplanir  les  difficultés  de  la  route  que  nous  devions 
parcourir  ensemble.  A  eux  revient  la  meilleure  part  de  ce 
qui  a  été  fait  d'utile  pour  notre  Société  dans  le  courant 
du  dernier  exercice.  Croyez,  mes  chers  Collègues,  que  je 
garderai  de  vos  affectueux  procédés  à  tous  un  souvenir 
ineffaçable  et  bien  reconnaissant. 

En  résignant  aujourd'hui  mes  fondions,  je  suis  heureux 
de  pouvoir  dire  que  l'année  dont  nous  atteignons  le  terme 
n'a  pas  été  stérile.  Je  ne  saurais  rien  ajouter  a  l'éloge  de 
vos  travaux,  si  élégamment  fait  par  votre  distingué  Secrétaire 
général.  Vos  Annales  feront  foi  de  votre  activité  aussi  bien 
que  de  la  valeur  et  de  la  variété  de  vos  recherches. 

Parmi  les  œuvres  que  vous  aviez  entreprises,  il  en  est  une 
qui  reste  inachevée;  je  veux  parler  de  la  réunion  en  une 
même  famille,  ou  au  moins  en  une  môme  maison,  de  tous 
les  ouvriers  de  la  pensée,  aujourd'hui  dispersés  sur  divers 


points  de  la  ville.  Vous  avez  espéré  un  moment  que  cette 
œuvre  allait  recevoir  une  solution  conforme  à  vos  désirs. 
Les  circonstances  ne  s'y  sont  pas  prêté.  Mais  l'idée  demeure 
et  elle  fera  son  chemin,  [tarée  qu'elle  intéresse  l'avenir  de 
imites  les  Sociétés  qui  ont  pour  objet  la  culture  des  lettres, 
des  arts  et  des  sciences. 

Pour  sa  réalisation  et  pour  celle  des  progrès  de  toute 
nature  que  doit  ambitionner  une  Compagnie  comme  la  vôtre, 
vous  venez  de  choisir  parmi  vous  des  guides  sûrs  et  vaillants. 
C'est  avec  une  véritable  satisfaction  et  avec  une  confiance 
absolue  que  j'invite  MM.  Merland,  Bonamy  et  Pérochaud  à 
inaugurer  la  gestion  de  vos  intérêts.  Le  succès  ne  peut 
faire  défaut,  quand  il  est  sollicité  par  l'intelligence  et  par  le 
dévouement. 

18  décembre  1889. 


ALLOCUTION  PAR  M.  JULIEN  MERLAND 


PRÉSIDENT    NOMMÉ. 


Messieurs  et  chers  Collègues, 

En  prenant  possession  du  poste  élevé  auquel  vous  venez 
de  m'appeler,  ma  première  parole  doit  être  pour  vous 
remercier,  pour  remercier  en  votre  nom  et  au  mien  les 
membres  du  Bureau  dont  les  pouvoirs  viennent  d'expirer  et, 
en  particulier,  M.  le  président  Andouard  et  M.  le  secrétaire 
général  Gabier. 

Succéder  à  M.  Andouard  est  un  grand  honneur;  c'est 
aussi  un  grand  danger.  Si,  en  effet,  vous  n'aviez  à  demander 
à  votre  Président  qu'un  dévouement  absolu  à  vos  intérêts,  je 
crois,  sans  fausse  modestie,  que  je  serais  à  la  hauteur  de 
ma  mission.  Mais  vous  êtes  en  droit  d'exiger  de  lui  une 
autorité  qui,  je  le  crains,  me  fera  défaut,  et  un  talent  auquel 
vous  ont  habitué  mes  prédécesseurs  et  que  je  ne  puis  espérer 
égaler  même  de  loin. 

Je  n'ai  pas  cru  néanmoins  devoir  refuser  les  fonctions 
que  vous  m'avez  confiées  ;  car  j'estime  que  nul  n'a  le  droit 
de  se  dérober  aux  manifestations  librement  exprimées  de  ses 
concitoyens;  parce  que,  ensuite,  je  sais  quels  sont  les  collègues 
que  vous  m'avez  adjoints  au  Bureau  et  au  Comité  central; 
parce  que,  enfin,  je  n'ignore  pas  la  bonne  harmonie  qui  règne 
parmi  nous  et  la  courtoisie  parfaite,  de  nos  discussions. 

3 


84 

C'est,  Messieurs,  ce  qui  fait  la  force  de  la  Société  Acadé- 
mique. Sur  un  terrain  absolument  neutre,  nous  cherchons  à 
développer  autour  de  nous  le  goût  des  lettres  et  des  sciences. 
Profondément  respectueux  des  opinions  de  chacun,  nous 
nous  efforçons  d'attirer  et  de  grouper  tous  ceux  qui,  dans 
notre  grande  cité,  ont  le  culte  des  choses  de  l'esprit.  Nous 
écartons  de  nos  séances  toutes  les  discussions  irritantes  qui 
touchent  a  la  religion  et  à  la  politique,  et  je  vous  affirme 
que,  moins  que  jamais,  sous  ma  présidence,  la  grande 
dissolvante  ne  pénétrera  point  chez  nous. 

Mais,  Messieurs,  pour  que  notre  Société  progresse,  il  faut 
sans  cesse  faire  de  la  propagande.  Chaque  année,  nous 
devons  remplacer  les  membres  qui  disparaissent.  Les  uns 
nous  quittent,  souvent  sans  motifs  bien  plausibles,  et  a  ceux-là, 
j'en  veux  un  peu.  D'autres,  poursuivant  leur  carrière  ou 
obéissant  aux  exigences  de  la  vie,  nous  abandonnent  pour 
des  régions  plus  ou  moins  éloignées.  D'autres,  enfin,  nous 
sont  ravis  par  la  mort. 

L'année  1889  nous  a  été  particulièrement  cruelle.  Nous  ne 
reverrons  plus  parmi  nous  ce  jeune  Maurice  Audrain,  qui 
était  notre  collègue  depuis  deux  mois  à  peine  et  qui  nous 
arrivait  avec  une  réputation  bien  justifiée.  Nous  ne  reverrons 
plus  Herbeliu,  l'habile  chimiste,  que  sa  modestie  a  seule 
empêché  d'accepter,  il  y  a  quelques  années,  la  première 
place.  Nous  ne  reverrons  plus  notre  vénéré  doyen,  le 
Dr  Delamare,  si  soucieux  de  notre  bibliothèque,  si  dévoué 
à  nos  intérêts,  et  qui  a  voulu,  après  sa  mort,  nous  laisser 
un  souvenir  de  lui.  Il  n'en  était  pas  besoin  pour  que  nous 
conservions  pieusement  sa  mémoire  (*)• 

Quand   de  tels  hommes  viennent  à  manquer,  n'ai-jc  pas 

(*)  Au  moment  même  où  nous  prononcions  cette  allocution,  nous  appre- 
nions la  mort  de  M.  Manehou,  bibliothécaire  adjoint.  J.  M. 


85 

raison  de  dire  qu'ils  laissent  une  place  difficile  à  remplir. 
Il  ne  faut  pourtant  pas  que  ces  vides  ne  soient  point  comblés. 
Il  faut,  au  contraire,  que  de  jeunes  et  vaillantes  recrues 
remplacent  les  vétérans  qui  tombent  au  combat  de  la  vie. 

La  Société  Académique  sera  bientôt  vieille  d'un  siècle. 
Dans  quelques  années,  elle  célébrera  son  centenaire.  Nos 
Annales  prouvent  ce  qu'ont  été  nos  prédécesseurs,  ce  que 
nous  avons  été  nous-mêmes.  Nous  enregistrons  avec  une 
noble  satisfaction  les  récompenses  qui  nous  ont  été  accordées, 
l'honneur  que  nous  avons  eu,  en  1873,  de  voir  nos  Annales 
représenter  à  l'Exposition  de  Vienne  les  Académies  de  pro- 
vince, l'honneur  que  nous  avons  eu  cette  année  en  obtenant 
à  la  grande  Exposition  du  Centenaire  une  médaille  d'argent. 

Continuons  donc  à  marcher  dans  la  voie  qui  nous  est 
tracée.  A  chacun  de  vous,  je  vous  demande  d'apporter  à 
nos  séances  le  résultat  de  vos  travaux  et  de  vos  études. 
Ne  craignons  pas  de  rendre  trop  pénible  la  tâche  de  notre 
Secrétaire  général.  Nous  connaissons  sa  valeur  et  nous 
savons  qu'il  est  à  la  hauteur  de  ses  fonctions. 

Je  viens  de  prononcer  le  nom  de  notre  secrétaire  général, 
M.  le  Dr  Pérochaud.  Vous  l'avez  enlendu  à  la  séance  du 
8  décembre.  Vous  l'avez  apprécié. 

Notre  Vice-Président  porte  un  nom  bien  cher  à  la  Société 
Académique,  qui  n'a  point  oublié  qu'en  1855  elle  était  présidée 
par  un  autre  docteur  Bonamy,  le  père  de  noire  collègue 
actuel.  Par  suite  de  coïncidence,  nos  Présidents  de  1890  se 
trouvent  être  les  fils  de  nos  Présidents  de  1855  et  de  1877  (i) 
qui,  eux-mêmes,  dans  leur  jeunesse,  furent  condisciples  et 
amis  à  la  grande  Faculté  de  Médecine  de  Paris. 

Enfin,  Messieurs,  nos  finances  et  nos  bibliothèques,  confiées 


(4)  M.  le  Dr  Bonamy  père  a  été  président  de  la  Société  en  1855,  M.  le 
Dr  Merland  père  en  1877. 


86 

à  MM.  Delteil  et  Guénel,  sont  en  bonnes  mains.  M.  Guéncl 
sera  le  digne  continuateur  de  M.  Delamare  (t). 

Pardonnez-moi,  mes  ehers  Collègues,  cette  trop  longue 
allocution.  Un  mot  encore  cependant,  mot  qui,  à  force  d'Être 
répété,  est  devenu  banal,  qui  trop  souvent  n'est  pas  justifié, 
mais  qui,  dans  la  circonstance,  le  sera,  j'en  suis  sûr  :  Je 
puis,  n'est-ce  pas,  compter  sur  vous  tous,  comme  tous,  je 
vous  l'atteste,  vous  pouvez  compter  sur  moi. 

18  décembre  1889. 


(')  A  la  séance  de  février,  le  Bureau  a  été  complété  par  la  nomination 
de  M.  Francis  Merlant,  comme  secrétaire  adjoint,  en  remplacement  de 
M.  D.  Caillé,  non  acceptant,  et  de  M.  Gabier,  comme  bibliothécaire 
adjoint,  en  remplacement  de  M.  Manchon,   décédé. 


NOTICE     NÉCROLOGIQUE 

SUR    M.    MANCHON 

Par  M.  Julien  MERLAND 

PRÉSIDENT      DE      LA      SOCIÉTÉ      ACADEMIQUE. 


Messieurs, 

Je  suis  Président  de  la  Société  Académique  depuis  quelques 
jours  à  peine  et  j'ai  déjà  le  triste  devoir  de  vous  présenter 
une  notice  nécrologique. 

Notre  collègue,  M.  Manchon,  est  décédé  à  Nantes  le 
15  décembre  1889. 

Né  à  Paris,  le  28  janvier  1815,  M.  Manchon  (Adrien- 
François-Eiigène)  se  destina  au  notarial.  Le  10  mai  1845, 
il  acheta  l'étude  de  M.  Ghenantais,  notaire  à  Nantes,  et  se 
maria  dans  notre  ville  le  2  septembre  de  l'année  suivante. 
Il  devint  ainsi  complètement  notre  compatriote. 

Le  notariat  d'alors  n'était  point  le  notariat  de  nos  jours. 
On  achetait  une  étude;  on  restait  de  longues  années  notaire; 
on  mourait  notaire  ou  on  cédait  son  office  à  son  fils,  son 
gendre  ou  un  autre  parent,  et,  en  se  retirant  après  plus  de 
vingt  années  d'exercice,  on  était  fier  d'obtenir  l'honorariat. 
Aujourd'hui,  il  n'en  est  plus  de  même.  Nos  mœurs  sont 
changées,  pas  h  notre  avantage.  On  achète  une  charge 
souvent  avec  la  pensée  de  faire  un  brillant  mariage;  on 
reste  quelques  années  notaire,  puis  on  se  retire,  quelquefois 
forcé,  contraint. 


38 

M.  Manchon  était  de  la  vieille  école.  Il  fut  notaire  du 
10  mai  18i5  au  10  octobre  1867,  c'est-à-dire  pendant  plus 
de  vingt-deux  années.  Si  des  circonstances  douloureuses 
l'obligèrent  a  se  démettre  de  ses  fonctions,  me  disait  un  jour 
un  doyen  du  notariat  nantais,  l'honorable  M.  Boiscourbeau, 
bon  juge  en  pareille  matière,  il  emporta  dans  sa  retraite  les 
sympathies  de  ses  collègues.  On  le  plaignit.  On  ne  l'accusa  pas. 

Pendant  son  long  exercice,  M.  Manchon  fut  a  plusieurs 
reprises  membre  et  même  secrétaire  de  la  Chambre  de 
discipline.  Je  sais  que  ses  travaux  y  étaient  fort  goûtés. 

Le  1er  avril  1863,  sur  le  rapport  de  M.  le  Dr  Blanchet, 
il  fut  admis  en  qualité  de  membre  résidant  de  la  Société 
Académique.  11  a  souvent  fait  partie  du  Comité  central  et  a 
été  successivement  secrétaire  et  président  de  la  Section  des 
Lettres.  En  1867,  il  a  été  vice-président  de  la  Société  et, 
depuis  1882,  il  en  était  le  bibliothécaire  adjoint. 

M.  Manchon,  en  dehors  de  ses  rapports  comme  secrétaire 
de  Section,  n'a  publié  dans  nos  Annales  qu'un  seul  autre 
travail,  du  moins  à  ma  connaissance.  C'est  un  rapport  sur 
l'étude  de  notre  collègue  M.  Orieux,  César  chez  les  Venètes 
(Annales,  année  1881,  page  379).  11  était  absolument  dévoué 
à  notre  Société,  et  nos  séances  n'avaient  pas  de  membre  plus 
assidu.  Aussi,  lorsqu'à  celle  du  9  décembre  dernier,  j'ai  remar- 
qué son  absence,  j'ai  bien  pensé  qu'il  était  gravement  atteint. 

M.  Manchon  aimait  la  littérature.  Bien  de  ce  qui  touche 
aux  travaux  de  l'esprit  ne  le  laissait  indifférent.  Aussi, 
lorsque  la  Société  de  Géographie  fut  fondée  sous  l'impulsion 
énergique  de  notre  collègue  M.  Linyer,  fut-il  un  des  premiers 
à  y  donner  son  adhésion. 

Ceux  d'entre  vous,  Messieurs,  qui,  nouveaux  venus  parmi 
nous,  n'ont  connu  M.  Manchon  que  dans  ces  derniers  temps, 
n'ont  pu  l'apprécier  à  sa  juste  valeur.  En  effet,  depuis 
quelques  années,  les  infirmités  ne  l'avaient  point  épargné. 


39 

Voilà  déjà  longtemps  que  nous  nous  apercevions  que  sa 
sanlé  déclinait.  La  inarche  était  plus  pénible,  la  vue  plus 
basse,  et,  faut-il  l'avouer,  l'intelligence  plus  lente.  Mais  il  a 
conservé  jusqu'au  dernier  moment  cette  politesse  exquise, 
cette  urbanité  parfaite,  qui  faisait  que  jamais  il  n'abordait 
quelqu'un  sans  un  mot  aimable  et  affectueux.  Je  ne  puis  me 
rappeler  sans  émotion  la  parole  qu'il  m'adressa,  à  la  séance 
du  26  novembre  1888,  au  moment  où  vous  veniez  de 
m'appeler  a  la  vice-présidence  :  «  Votre  père,  me  dit-il,  s'il 
était  là,  serait  bien  heureux.  »  Cette  simple  phrase  prouve 
que  chez  M.  Manchon,  un  organe  était  resté  bien  intact  : 
le  cœur. 

Il  était  d'une  grande  bienveillance.  Jamais  un  mot  blessant 
pour  qui  que  ce  soit  n'est  sorti  de  sa  bouche.  Indulgent  pour 
tous,  il  cherchait  toujours  à  pallier  les  travers  et  les  défauts 
des  autres.  Aussi,  peut-on  dire  qu'il  n'a  jamais  eu  un  ennemi. 

11  a  suivi  de  près  dans  la  tombe  M.  Delamare,  dont  il 
était  l'adjoint  comme  bibliothécaire.  C'est  ainsi  que  dispa- 
raissent les  plus  anciens  d'entre  nous.  Ah  !  combien,  combien 
parmi  ceux  qui,  en  1870,  m'ouvrirent  à  deux  battants,  à 
moi,  jeune  homme  de  vingt-quatre  ans,  les  portes  de  la 
Société  Académique,  que  j'étais  loin  de  penser  présider  un 
jour,  combien  ne  sont  plus  î  Nous  sommes,  nous,  Messieurs, 
les  représentants  d'une  nouvelle  génération,  qui,  elle  aussi, 
passera  vite  pour  faire  place  à  une  autre.  Mais  tant  que 
nous  serons  là,  honorons  nos  morts;  n'oublions  pas  ce  qu'ils 
ont  été;  prenons  leur  vie  comme  un  exemple  à  suivre, 
et,  comme  eux,  maintenons  intactes  les  vieilles  traditions 
d'honneur  et  de  travail  de  la  Société  Académique  de  la 
Loire-Inférieure. 

8  janvier  1890. 


NOTICE     NÉCROLOGIQUE 

SUR    M.    ROUXEL 

Par  M.  Julien  MERLAND 

PRÉSIDENT      DE       LA       SOCIÉTÉ       ACADÉMIQUE. 


Messieurs, 

En  moins  d'un  mois,  la  mort  a  deux  fois  frappé  h  la  porte 
de  la  Société  Académique,  et  il  semble  que,  depuis  que  je 
suis  votre  Président,  j'ai  la  douloureuse  spécialité  des  notices 
nécrologiques. 

A  la  séance  de  janvier,  je  vous  disais  ce  qu'avait  été 
M.  Manchon.  Aujourd'hui,  j'ai  à  vous  faire  connaître  ce  que 
fut  M.  Ilouxel. 

Né  à  Nantes,  le  14  juillet  1809,  M.  Rouxel  (Athanase- 
Eugène),  y  est  décédé  le  7  janvier  1890. 

Certes,  Messieurs,  en  le  voyant,  nul  ne  l'eût  cru  aussi 
âgé.  Il  portait  fièrement  le  poids  des  années.  Il  avait  toute 
l'apparence  de  la  force,  et  il  paraissait  appelé  à  vivre  encore 
longtemps,  lorsque  tout  a  coup  il  a  été  terrassé  pour  ainsi 
dire  en  pleine  vie. 

Après  de  fortes  éludes  au  Petit-Séminaire  et  au  Collège 
de  N'ailles,  le  jeune  Rouxel  fut  reçu  bachelier  ès-lellres  le 
19  octobre  1827.  Il  avait  été  préparé  à  cet  examen  par  le 
vénérable  M.  Douein,   dont  la  Société  Académique  gardera 


41 

toujours  la  mémoire,  et  je  me  souviens  de  l'étroite  amitié 
qui  n'a  cessé  d'exister  entre  le  maître  et  son  ancien  élève. 

Cédant  aux  sollicitations  de  son  père,  M.  Rouxel  se  prépara 
a  l'enseignement.  Il  fut  d'abord  professeur  de  cinquième  au 
Collège  d'Ancenis  (du  18  octobre  1830  au  2  février  1831) 
et  ensuite  maître  d'études  au  Collège  d'Angers  (du  2  février 
1831  au  16  avril  1835).  Mais  la  carrière  universitaire  était 
loin  de  lui  plaire.  Il  put  enfin  obtenir  de  son  père  l'autorisa- 
tion de  suivre  ses  penchants,  et  entra  dans  la  marine.  Ce 
fut  le  25  mai  1836  qu'il  y  obtint  son  premier  grade,  écrivain 
de  marine,  et,  dès  lors,  jusqu'au  moment  où  il  prit  sa 
retraite,  il  occupa  dans  cette  Administration  divers  emplois, 
soit  sur  terre,  soit  sur  mer,  soit  en  France,  soit  aux  colonies. 
Je  sais  que,  pendant  toute  cette  longue  période,  M.  Rouxel  a 
tenu  avec  soin  un  journal  relatant  ses  impressions  de  cliaqne 
jour.  Ayant  beaucoup  vu,  beaucoup  observé,  avec  son  esprit 
sagace,  il  a  dû  consigner  sur  ce  journal  quantité  de  faits 
intéressants,  et  il  est  bien  à  regretter  que  sa  modestie  l'ait 
empêché  de  nous  en  donner  communication. 

M.  Rouxel  a  ainsi  parcouru  tous  les  degrés  de  la  vie 
administrative,  et  après  quelques  déboires  inhérents  aux 
fonctionnaires  de  tous  ordres,  atteint  par  la  limite  d'âge,  il 
a  pris  sa  retraite  en  qualité  de  commissaire  adjoint  de  la 
marine.  Pendant  sa  longue  carrière,  la  croix  de  la  Légion- 
d'Honneur  avait  justement  récompensé  de  bons  et  loyaux 
services. 

En  1867,  il  vint  habiter  Nantes,  et,  dès  le  5  janvier  1870, 
sur  le  rapport  de  M.  Biou,  il  fut  admis  en  qualité  de  membre 
résidant  de  la  Société  Académique.  Il  devint  un  de  nos  plus 
fidèles  habitués  et,  dans  les  premières  années,  nos  réunions 
n'avaient  pas  d'assistant  plus  exact.  Lorsqu'il  alla  demeurer 
dans  le  quartier  des  Salorges,  son  assiduité  se  ralentit 
forcément.  On  comprend  que,  malgré  sa   vigueur,  il  était 


42 

difficile  à  un  homme  aussi  âgé  de  venir  le  soir  suivre  nos 
séances.  De  la  rue  des  Salorges  a  la  rue  Suffrcn,  c'est  un 
véritable  voyage,  très  pénible,  surtout  en  hiver,  pour  un 
vieillard,  et  on  s'explique  aisément  pourquoi  il  fut  à  peu  près 
obligé  de  renoncer  à  des  habitudes  qui  lui  étaient  chères. 
Il  n'avait  pas  voulu  néanmoins  se  séparer  de  nous,  et  il 
a  tenu  à  mourir  notre  collègue. 

Son  activité  le  portait  à  s'occuper  de  travaux  de  diverses 
natures.  Ainsi,  à  la  Société  de  Géographie,  dont  il  fut  un  des 
membres  fondateurs,  il  faisait  partie  du  Comité  central.  A  la 
Société  d'Horticulture,  il  fut  longtemps  Vice-Président,  et  je 
sais  que  sa  modestie  seule  l'a  empêché  d'accepter  la  Prési- 
dence, qui  lui  fut  proposée  a  une  certaine  époque. 

Mais  il  est  d'autres  fonctions  plus  modestes  et  plus 
inconnues  qu'il  aimait  à  remplir.  Vous  savez  tous  ce  que 
sont  les  enquêtes  de  cornmodo  el  incommodo.  Pour  les 
diriger,  pour  y  présider,  les  municipalités  sont  obligées 
d'avoir  recours  à  la  complaisance  d'hommes  éclairés.  Dans 
une  grande  cité  comme  la  nôtre,  ces  enquêtes  sont  très 
fréquentes  et  demandent  un  réel  dévouement.  Jamais  en 
vain  la  municipalité  de  Nantes  n'a  fait  appel  à  M.  Rouxel  ; 
el  ces  fonctions,  qui  nécessitent  une  réelle  somme  de  travail, 
il  les  remplissait  avec  une  compétence  et  une  courtoisie  qui 
rendront  son  remplacement  bien  difficile,  d'autant  plus  que 
ces  missions  toutes  privées,  ne  procurant  ni  gloire,  ni 
honneur,  ni  profit,  sont  peu  recherchées  et  qu'il  faut  pour 
les  accepter  une  véritable  abnégation.  Combien,  en  voyant 
la  manière  dont  il  s'en  acquittait,  devons-nous  regretter  qu'il 
ait  cru  devoir  décliner  les  fonctions  de  juge  de  paix,  qu'on 
lui  avait  offertes  alors  qu'il  venait  d'être  mis  à  la  retraite! 
Nul  plus  que  lui  n'eût  été  apte  à  exercer  celte  juridiction 
toute  de  conciliation. 

M.  Rouxel,  en  1871,  fut  cruellement  éprouvé.  Lui,  le  père 


43 

de  famille  si  dévoué,  qui  avait  toujours  entouré  ses  enfants 
de  tant  de  sollicitude,  il  perdit,  à  quelques  jours  d'intervalle, 
un  fils  et  une  fille  dans  la  force  de  la  jeunesse.  Ah!  pour 
résister  à  ces  coups  terribles,  il  fut  heureux  d'avoir  celte 
foi  qui  soutient  et  console.  Il  y  puisa  le  courage,  qui 
permet  de  vaincre  les  plus  grandes  douleurs.  11  trouva,  du 
reste,  un  adoucissement  à  son  malheur  dans  la  dévouée 
compagne  de  sa  vie  et  dans  les  enfants  qui  lui  restaient. 
Par  un  pieux  sentiment,  ceux-ci  ont  voulu  aujourd'hui 
honorer  sa  mémoire  en  recueillant  les  divers  témoignages 
d'estimes  donnés  à  celui  qu'ils  pleurent  amèrement.  Nos 
regrets,  Messieurs,  se  joindront  a  ceux  que,  sur  sa  tombe, 
ont  exprimés  M.  Huon,  au  nom  de  la  Marine,  et  M.  le 
Dr  Blanchet,  au  nom  de  la  Société  d'Horticulture.  Les 
enfants  de  M.  Rouxel  les  transmettront  eux-mêmes  à  leurs 
propres  enfants,  afin  que  ceux-ci  aient  toujours  présente 
devant,  leurs  yeux,  comme  un  exemple  à  suivre,  la  vie  de 
leur  aïeul. 

Il  est  un  autre  côté  de  l'existence  de  M.  Rouxel  que 
j'aimerais  a  vous  faire  connaître.  Mais  là,  je  suis  tenu  à  une 
grande  réserve.  La  vie  privée  doit  être  murée,  et  certains 
voiles  ne  peuvent  être  soulevés  même  avec  la  main  la  plus 
légère.  Notre  regretté  collègue  ne  me  le  permettrait  pas  du 
reste.  Qu'il  me  soit  permis  de  dire  cependant  que  M.  Rouxel 
s'était  consacré  tout  entier  à  l'œuvre  des  Cercles  catholiques 
d'ouvriers  et  qu'il  n'a  jamais  marchandé  aux  malheureux  ni 
son  temps  ni  sa  peine.  Il  avait  pour  devise  et  répétait  souvent 
à  ses  enfants  «  qu'il  faut  savoir  faire  le  bien  pour  le  bonheur 
de  le  faire.  »  Dans  le  misérable  quartier  de  Sainte- Anne 
qu'il  habitait,  les  pauvres  sont  nombreux.  Nombreux  sont 
ceux  qui  ont  besoin  de  secours  et  de  conseils.  M.  Rouxel 
prodiguait  les  uns  et  les  autres;  et  la  foule  tristement  émue 
qui  suivit  son  cercueil  prouve  que,  quoi  qu'on  en  dise,  dans 


44 

le  cœur  des  hommes  il  est  encore  des  sentiments  de  recon- 
naissance. Le  concours  des  malheureux  qui  se  'pressaient 
autour  des  restes  de  notre  collègue  ne  démontrc-t-il  pas 
mieux  que  mes  paroles  l'affection  et  l'estime  qu'il  avait 
inspirées  à  tous,  surtout  aux  pauvres,  qui  avaient  reçu  de 
lui  aide  et  assistance. 

Tel  fut  M.  Rouxel.  Il  est  de  ces  hommes  qui  ne  meurent 
pas  tout  entier.  Son  souvenir  subsistera,  mais  nulle  part  plus 
vivace  qu'au  sein  de  la  Société  Académique,  qui  a  perdu  en 
lui  non  seulement  un  de  ses  membres  distingués,  mais  encore 
un  parfait  homme  de  cœur,  un  parfait  homme  de  bien. 

5  février  1890. 


OGÉANES 


PAR     M.     EMILE     OOER 


LA  FALAISE. 


En  janvier.  Un  chemin  perdu  sur  la  falaise 
Grise.  Une  pâquerette  en  ce  sable  où  juillet 
Peut  à  peine  semer  la  rose  odeur  d'œillet, 
Où  siffle  maintenant  la  rafale  mauvaise. 

Tu  la  cueillis,  croyant  y  voir  l'aveu  qu'on  baise, 
Y  lire,  en  l'effeuillant,  comme  on  lit  un  billet  : 
Mignonne,  l'âme  seule  a  l'éternel  feuillet 
Qui  dit  vrai,  que  la  fleur  parle  ou  qu'elle  se  taise. 

Pour  aider  ton  travail  nous  allions  pas  à  pas  ; 
Tu  répétais  des  mots  que  je  n'entendais  pas 
En  ôtant  à  la  fleur  son  coquet  diadème  : 

Et  le  vent  l'arracha  tout  à  coup  de  ta  main. . . 
—  Mais  pourquoi  ce  labeur  et  pourquoi  ce  chemin 
Quand  nos  cœurs  souffraient  tant  de  ce  secret  :  «  Je  t'aime  !  » 


46 


LE  BAIN. 


Toujours,  je  les  entends  tes  mignons  cris  d'effroi, 
Tes  supplications  et  tes  éclats  de  rire. 
Je  te  revois,  toujours,  quand  la  vague  en  délire, 
Qui  fuyait,  te  laissait  frissonnante  de  froid. 

Tu  prolongeais  le  bain.  J'avais  beau  te  prescrire 

Les  avis  du  docteur,  d'efforcer  d'être  adroit 

Pour  rentrer  a  la  plage  :  —  «  Allons  cncor  ! . . .  tout  droit. . .  » 

—  Et  j'allais,  t'adorant  trop  pour  te  contredire. 

J'ai  lu  que  tu  m'aimais  dans  tes  yeux  ingénus  ; 

J'ai  tenu  dans  mes  bras  tes  chers  petits  bras  nus, 

Mais  sans  penser  que,  moi,  j'étais  homme,  et  toi,  femme. 

Va  !  Rapprendre  qu'il  est  des  rêves  sans  grandeur, 

Abuser  de  ta  foi,  te  ravir  la  candeur, 

Jamais!  —  Car,  lorsqu'on  aime  on  ne  peut  être  infâme! 


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LES  PINS. 


Le  soir.  L'étoile  d'or  au  ciel.  La  mer  étale. 
Au  bord,  le  flot  bruit,  —  douce  incantation. 
Un  phare,  au  loin,  là-bas,  moule  sa  faction. 
Et  la  lune  a  grandi  dans  la  nuit  estivale. 

C'est  l'enchantement  plein,  l'heure  sentimentale  : 
Les  choses  vont  vibrer,  prises  de  passion. 
Et  l'esprit  s'égare  en  la  fascination, 
Et  l'âme  s'abandonne  en  l'extase  totale. 

N'est-ce  point  par  un  soir  semblable  à  celui-là, 
Mignonne,  que  ta  main  sur  la  mienne  trembla  ; 
Que,  sous  l'ombre  des  pins  que  la  brise  balance, 

Dans  le  grand  calme  où  Dieu  doit  bénir  les  amours, 
Dans  l'infini  repos,  dans  le  lointain  silence, 
Nous  nous  sommes  redit  :  —  «  Toujours  !  Bien  sûr?. . .  »  — 

[«  Toujours  !  » 


48 


LE  MOLE. 


Le  môle  était  étroit,  et  nous  étions  au  bout, 
Du  côté  de  la  mer.  La  lame  impérieuse 
Jaillissait  sur  ta  robe,  et  toi,  folle  et  rieuse, 
Tu  l'agaçais  du  pied,  dans  le  grand  vent  debout. 

Le  ciel  fut  noir.  Le  vent  redoubla.  Tout  a  coup, 

La  rafale  rasa  le  môle,  furieuse, 

Et  faillit  t'emporter!.. .  Tremblante  et  sérieuse, 

Tu  dis  :  «  Partons!  »  jetant  tes  deux  bras  à  mon  cou. 

Mon  cœur  avait  battu  ;  j'avais  pâli  de  crainte. 
Fier  d'être  ton  sauveur,  ivre  de  ton  étreinte, 
Aux  endroits  dangereux  je  te  serrais  plus  fort. 

—  Désormais,  entre  nous,  c'est  l'absolu  partage 
Des  périls,  mon  aimée.  Irais-tu  vers  la  mort  : 
Pour  te  suivre,  mes  bras  t'étreindraient  davantage. 


49 


LE  SALON. 


L'ombre,  dans  le  salon,  épandait  le  mystère, 
Se  vêtant  de  silence  et  de  mysticité. 
Et  l'amour  veillait  seul  en  celte  obscurité,     - 
Comme,  devant  l'autel,  veille  la  lampe  austère. 

Sur  nous  passait  ce  pur  parfum  d'intimité 
Qui  laisse  croire  au  ciel,  qui  n'est  pas  de  la  terre. 
Nous  vivions  en  plein  rêve,  âmes  que  rien  n'altère, 
Nous  sachant  a  nous  seuls  pour  une  éternité. 

Dis-moi.  Sais-tu,  mignonne,  où  vaguaient  nos  pensées  ? 
As-tu  le  souvenir  de  ces  heures  passées  ? 
Moi,  je  sais  seulement  que,  nos  doigts  enlacés, 

Mon  front  à  tes  cheveux  et  l'épaule  à  l'épaule, 

Sur  tes  grands  yeux  plus  clairs  qu'une  aurore  du  Pôle, 

.le  posai  le  baiser  chaste  des  fiancés. 


50 


LA  GRÈVE. 


Derrière  nous,  les  rocs  fouillés  des  flots,  sans  art, 
S'entassent  ;  à  nos  pieds,  s'allonge  molle  et  grise, 
La  grève  au  sable  lin,  à  la  sjpnteur  qui  grise 
Des  glauques  goémons  semés  par  le  hasard. 

La  vague,  dans  le  flux,  monte  au  bord  et  se  brise, 
Et  jette  comme  adieu  son  cher  refrain  bavard.  — 
Et  nous  restons,  la  main  dans  la  main,  le  regard 
Perdu  dans  l'infini,  le  front  baigné  de  brise  : 

Toi,  mignonne,  rêvant  de  nos  premiers  aveux, 
Moi,  laissant  mes  baisers  descendre  à  tes  cheveux 
Qu'un  coup  de  vent  défait  et  que  le  soleil  dore. 

Je  le  dis  à  l'oreille  :  «  A  quoi  donc  pensez-vous  ?  » 
Et  tu  rougis  :  Tes  doigts,  d'un  mouvement  très  doux, 
Sur  le  sable  ont  écrit  :  —  «  Mon  René,  je  t'adore  !  » 


51 


L'ÉPAVE. 


D'où  venait  ce  vieux  mât,  cette  lugubre  épave, 

Gisant  alors  à  sec  au  milieu  des  récifs, 

Où  nous  nous  asseyions  attristés  et  pensifs  ? 

—  Et  quand  le  flux,  deux  fois  par  jour,  l'épluche  et  lave, 

Que  peuvent  raconter  ses  sourds  râles  plaintifs  ? 
Le  navire  était  neuf,  l'équipage  était  brave. 
Tous,  le  mousse  étonné,  le  vieux  matelot  grave, 
Ont  lutté  jusqu'au  bout  contre  les  flots  massifs. 

Tous,  pourtant,  étaient  forts  de  la  forte  pensée 

Des  petits,  de  la  femme  ou  de  la  fiancée  : 

Ils  sont  restés  quand  même  en  les  grands  lointains  bleus. 

La  vie  a  son  naufrage  et  ses  mortelles  lames  : 
Mignonne,  nous  mourrons.  Qu'importe  !  si  nos  âmes 
S'en  retournent  ensemble  aux  pays  fabuleux  ! 


SOUS    ESCORTE 

PAR  M.  EMILE  OGER 


A     M.     Pierre     M  O  R  E  A  U 


I 

«  A  Berlin  !  »  clamions-nous.  C'était  clameur  de  guerre. 

Fort  du  devoir  sacré,  sans  faiblesse  vulgaire, 
Digne  du  noble  nom  transmis  par  les  aïeux, 
Le  comte  du  Floc  s'est  engagé.  De  son  mieux, 
Il  a  voulu  cacher  a  sa  femme  ses  craintes. 
Mais,  le  moment  venu  des  dernières  étreintes  : 

—  «  Dieu  me  garde!  dit -il.  S'il  n'en  est  pas  ainsi, 
»  Sois  bonne  pour  l'enfant,  sois  juste  et  ferme  aussi. 
»  Répète  à  Marc  qu'il  fut  ma  plus  tendre  espérance. 
»  Qu'il  vive  en  gentilhomme  et  qu'il  aime  la  France.  » 

La  comtesse,  étouffant  dans  ses  sanglots,  promit. 
Et  lui,  le  lendemain,  marchait  à  l'ennemi. 

Saarbrùck,  un  jeu  d'enfant,  un  combat  de  parade; 
La  dépêche  Lebceuf;  l'emphatique  tirade 
Des  journaux  ;  puis,  le  deuil 


53 

Trois  jours  étaient  passés. 
Amenés  au  château,  des  officiers  blessés 
Contèrent  Wissembourg,  —  la  première  défaite  !  — 
L'œuvre  atroce  pourtant  que  la  mitraille  a  faite, 
Et,  parmi  ceux  tombés  déjà  pour  le  drapeau, 
Ils  nommèrent,  hélas!  le  maître  du  château. 

II 
L'invasion  allait  grandir,  barbare,  horrible. 

En  décembre,  un  matin  de  ce  passé  terrible, 

La  comtesse,  les  yeux  rougis,  las  de  pleurer, 

Vit  son  vieux  serviteur,  —  presque  un  ami,  —  rentrer 

D'un  pas  plus  hésitant,  plus  lent  que  d'habitude. 

Voici  :  le  vieux  en  a  la  triste  certitude  : 
Vaincus  et  prisonniers,  des  Français,  par  le  bois, 
S'avancent,  escortés  de  soldats  bavarois. . . 

—  «  Des  Bavarois!  » 

Aveu  d'une  douleur  mortelle  : 
La  veuve  du  soldat  reste  au  soldat  fidèle. 
C'est  bien  à  Wissembourg,  —  elle  n'oubliait  pas,  — 
Que,  préférant  mourir  que  reculer  d'un  pas, 
Le  comte  a  péri  sous  les  balles  de  Bavière  ! 

Elle  est  à  deux  genoux,  sanglote  une  prière, 
Se  relève,  et  portant  son  fils,  son  petit  Marc, 
Va,  traverse,  affolée,  en  courant,  tout  le  parc, 
Ne  s'arrêtant  enfin  qu'au  bord  de  la  grand'route. 
Car,  bourreaux  et  martyrs  vont  passer  là,  sans  doute. 

Rien,  pour  la  protéger,  qu'une  grille  de  fer. 


54 
111 


Le  visage  fouetté  par  l'âpre  vent  d'hiver, 

La  mère  attend.  L'enfant,  qui  tremble,  balbutie  : 

—  «  J'ai  froid  !  »  —  Elle,  elle  écoute  : 

El  la  neige  durcie 
Sous  des  pas  cadencés  résonne  tout  à  coup. 

Les  prisonniers  venaient,  —  eux  qui  chantaient  en  août!  — 

Cavaliers  sans  chevaux,  officiers  sans  épée, 

Dignes  soldats,  malgré  l'espérance  trompée. 

Et  ces  vaillants,  traînés  vers  les  buts  inconnus, 

La  plupart  en  haillons,  tête  nue  et  pieds  nus, 

Etaient  fils  des  géants,  fils  de  la  grande  armée! 

Tous,  les  vieux  d'Italie  et  les  vieux  de  Grimée, 

Héros  qui,  maintenant,  devaient  courber  le  front, 

Et  dont,  en  ce  premier,  ce  ténébreux  affront, 

Les  dents  grinçaient,  claquaient  sous  la  moustache  grise  ; 

Les  jeunes,  —  des  enfants  presque,  —  chez  qui  la  bise 

Dans  les  cils  refermés  faisait  monter  des  larmes, 

Et  dont  les  doigts  crispés  cherchaient  d'instinct  ces  armes 

Remises  au  vainqueur,  et  les  yeux,  ce  drapeau 

Qu'on  a  su,  le  brûlant  jusqu'au  dernier  lambeau, 

Sauver  de  l'ennemi,  sauver  du  sacrilège, 

Tous  s'en  allaient,  —  muet  et  lugubre  cortège  ! 


IV 


Peuple  de  Germanie,  as-tu  pour  le  vaincu 

Os  égards  qui  feront  qu'il  aura  survécu? 

Que  vas-tu  lui  laisser?  —  Tes  vins,  tes  blondes  bières? 

Ou  ces  sapins  qu'on  scie  a  la  longueur  des  bières  ? 


55 

Est-ce  un  cœur  fier,  loyal,  qui  vibre  dans  ton  sein, 
Ou  ton  soldat  de  fer  n'est-il  qu'un  assassin? 
Sais-tu  qu'on  se  pardonne  au  soir  de  la  bataille, 
Que  tout  homme  où  l'épée  a  marqué  son  entaille 
Est  sacré  pour  tous,  sauf,  c'est  vrai,  pour  des  bandits, 
Et  que,  pour  lui,  là-haut,  Dieu  tient  des  paradis?. . . 

Honte  !  Tu  ne  sais  pas  !  Gomme  Attila  naguère 
Tu  sèmes  l'infamie  et  tu  dis  :  «  C'est  la  guerre  !  » 
Tu  souilleras  tes  doigts  dans  le  sang  du  blessé  : 
Et  combien  des  vaincus  de  France  auront  laissé, 
Au  jour,  hâté  par  loi,  de  la  suprême  épreuve, 
Les  petits,  orphelins,   et  leur  épouse,  veuve; 
La  fiancée  en  pleurs  au  pied  du  crucifix  ; 
Le  village,  sans  gars,  et  l'aïeule,  sans  fils  ! . . . 


V 


Us  allaient.  —  Et  la  femme,  à  la  grille  appuyée, 
En  les  voyant  venir,  conçut,  l'âme  broyée, 
Le  rêve  noir,  affreux,  des  nôtres  entassés 
Par  milliers,  vers  le  Nord,  dans  les  cachots  glacés, 
Sans  vêtement,  sans  pain,  et  bientôt,  morts  livides, 
Dans  les  fosses  jetés  par  des  bourreaux  avides. 
De  l'atroce  douleur,  rien,  du  moins,  ne  parut. 
Sans  penser  à  l'escorte,  aussitôt  qu'elle  crut 
Qu'on  l'entendait  et  la  voyait,  elle  fit  signe, 
Saluant  de  la  main  ;  puis,  souriante  et  digne, 
Mais  plus  pâle  peut-être  en  son  costume  noir, 
Cria  pour  les  martyrs: 

—  «  Mes  amis,  au  revoir  !  » 


56 


C'était  beau,  c'était  grand.  Nul,  n'est-ce  pas,  n'outrage 

Une  fierté  si  noble,  un  si  noble  courage  ? 

Erreur!  —  Pas  de  respect  pour  les  inères  en  deuil! 

Ces  Bavarois  voudront  de  la  boue  à  ce  seuil  ! 

Et  les  voilà,  hurlant  de  ces  galanteries 

Qu'il  Munich  ou  Wiirlzbourg,  au  fond  des  brasseries, 

Enlre  deux  bocks,  hardis  en  leur  fébrile  ardeur, 

Ils  débitaient,  le  soir,  aux  filles  sans  pudeur!  — 


VI 


Belle  et  chaste,  la  veuve  hésite  d'abord,  blême, 
Sans  réplique  devant  cette  injure  suprême. 
Quand  elle  s'est  remise,  elle  prend  dans  ses  bras 
Son  fils,  et,  lui  montrant  autour  de  nos  soldats 
L'escorte  infâme  : 

—  «  Va  !  ne  crains  pas.  Mais  regarde, 
»  Mon  petit  Marc,  dit-elle.  Au  moins,  si  Dieu  le  garde, 
»  Si  tu  grandis,  lu  les  reconnaîtras  un  jour, 
»  Le  jour  où  ta  pairie,  enfant,  aura  son  tour! 
»  Oh  !  regarde-les  bien  :  ils  ont  tué  ton  père  ; 
»  Et,  maintenant,  —  écoute,  —  ils  insultent  la  mère! 
Puis,  presque  délirante,  et  le  serrant  plus  fort  : 
—  «  Dis,  sauras-tu,  plus  tard,  te  souvenir  encor?  » 

Femme,  c'est  bien!  —  Qu'importe  a  notre  haine  franche 
Qu'on  attende  longtemps  l'heure  de  la  revanche; 
Oui,  qu'importe,  pourvu  que  l'heure  sonne  enfin  ! 
Nous  n'aurons  pas  toujours  contre  nous  le  destin! 
Femme,  tu  parlas  vrai,  dans  Ion  orgueil  de  mère, 
Dans  ton  juste  mépris,  dans  la  douleur  amère  : 
En  nos  pays  volés,  on  saura  bien  haïr; 
Mieux  se  venger  encore,  et  non  pas  obéir. 


57 


VII 


Surpris  par  cette  ardeur  héroïque  de  femme, 
Tirés  de  ce  dégoût  qui  les  prenait  a  l'âme, 
Oublieux  qu'ils  allaient  sans  savoir  le  chemin, 
Oublieux  de  la  veille,  oublieux  de  demain 
Qui,  peut-être,  devra  finir  toute  souffrance, 
Les  nôtres,  ont  le  mot  d'amour  : 

—  «  Vive  la  France!  » 

—  «  Kœnig  und  Vaterland  !  »  rugissent  les  gardiens  ; 
»  Forwerth  !  forwerlh  !  allons,  en  avant,  maudits  chiens  !  » 

L'un  d'eux,  ivre,  écumant,  pris  d'une  ignoble  rage, 
Epaule  son  fusil,  ajoutant  à  l'outrage 
Le  crime.  —  Le  plomb  part,  fatal,  traverse  l'air, 
Siffle  entre  les  barreaux  de  la  grille  de  1er 


L'héroïne  à  son  cœur  porte  la  main  :  «  Blessée  !  » 

Mais,  c'est  aux  seuls  vaincus  qu'appartient  sa  pensée 

Elle  est  fille  française  :  elle  reste  debout, 

Bien  que  frappée  à  mort,  défiant  jusqu'au  bout 

Cette  cruauté  lâche  et  celte  barbarie, 

—  Emblème  trois  fois  saint  de  la  sainte  patrie. 

Gomme  si,  pour  mourir,  ce  n'était  pas  assez 
D'attendre  que  les  chers  prisonniers  soient  passés. 
Ils  sont  déjà  très  loin,  qu'étanchant  sa  blessure, 
Elle  salue  encor  d'une  voix  forte  et  sûre  : 


58 

Et  son  cri,  son  beau  cri,  synonyme  d'espoir, 
Dans  le  ciel  gris  et  froid  se  répète  : 

—  «  Au  revoir!  » 

Le  convoi  disparaît.  Affaiblie  et  lointaine, 
Se  perd  une  clameur  dernière  : 

—  «  Adieu,  Lorraine!  » 
VIII 


Quand  le  vieux  serviteur  vint,  le  petit  pleurait. 
Et  la  comtesse,  au  sol  blanc  de  neige  expirait. 


IX 


Or,  les  gens  d'un  faubourg  de  l'Est,  à  la  frontière, 
Voient,  chaque  soir,  depuis  cinq  mois,  —  d'allure  fière, 
Un  jeune  homme  gravir  seul  un  coteau  voisin, 
Y  rester  immobile  et  tourné  vers  le  Rhin  : 

—  Est-ce  qu'il  va  rêver,  là-haut,  de  chères  mortes? 
Quand  il  passe,  on  prétend  bien  bas,  au  seuil  des  portes, 
Que  ses  yeux  sont  battus,  qu'il  pleure  longuement 

Sur  le  coteau.  La  cause?  Un  ami  récemment 
L'interrogeait  : 

—  o  Pourquoi  donc  ce  pèlerinage, 
»  Cet  air  d'enterrement  qui  n'est  pas  de  ton  âge?  » 

11  répliqua  : 

—  «  Je  rentre  au  quartier  le  front  bas. 


59 

»  Mais,  ne  t'ai-je  jamais  conté  que  j'ai,  là-bas, 
»  Dans  ma  Lorraine,  un  saint  héritage...  deux  tombes; 
»  Qu'enfin,  j'y  vois  briller  les  croix  des  hécatombes, 
»  Et,  planant  au-dessus,  l'âme  de  Jeanne  d'Arc?...  » 


X 


Cet  homme  est  l'officier  du  Floc,  —  le  petit  Marc 
D'il  y  a  dix-huit  ans  :  Il  se  souvient  encore! 
Il  attend,  aujourd'hui,  le  fier  appel  sonore 
De  nos  jeunes  clairons,  de  nos  tambours  battants  : 
—  Les  gloires  de  revanche  et  les  jours  éclatants  ! 


COMPTE  RENDU 

DU    ROMAN    «   LA    HOUN    » 

DE  Mme  RIOM 

PAR     M.     EMILE     OGER 


Messieurs, 

Impossible,  a-t-on  dit,  de  trouver  dans  la  langue  française 
deuy.  mots  vraiment  synonymes.  Le  sont  encore  moins  que 
tous,  peut-être,  les  mois  rimeur  et  poète.  Et  j'en  ai  un  lourd 
regret.  Le  rimeur  est  insuffisant.  Il  eût  fallu  le  poète  pour 
vous  prouver  que  ma  gratitude  n'est  point  en  retard  sur 
celte  bienveillance  qui,  en  l'espace  de  deux  mois,  me  procla- 
mait le  premier  de  vos  lauréats  de  lï&J,  me  faisait  votre 
collègue,  puis  le  Secrétaire  adjoint  de  votre  Section  des 
Lettres. 

J'ai  essayé  une  preuve  de  gratitude  ;  j'ai,  dans  un  oubli 
de  mon  âge  et  de  ma  pauvreté  de  talent,  accepté  le  délicat 
honneur  de  vous  parler  du  roman  que  Mme  Riom  venait  de 
nous  offrir:  «  La  Hoim.  » 

Nom  au  sou  étrange,  incompréhensible  pour  des  oreilles 
inaccoutumées  au  sonore  parler  d'Oc,  «  La  Hoan  »  désigne 
une  source  d'eau  salée,  découverte  à  Salies,  —  au  Moyen- 
Age,  rapporte  la  légende,   —  et   dont  Jeanne  d'Albrel,  la 


61 

bonne  reine,  céda  la  propriété  aux  gens  de  l'endroit.  Le 
bourg  des  Salésiens  est  situé  clans  ce  pays  où  les  hommes 
portent  le  béret  et  la  chamarre,  les  femmes  le  madras  et  le 
casabet,  en  un  coin  du  Béarn,  à  quelques  lieues  d'Orthez, 
avec,  au  loin,  a  gauche  du  Gave,  à  l'assaut  du  ciel,  les 
blanches  cimes  éternelles  du  pic  de  Bigorre,  du  mont  Perdu 
et  du  pic  d'Ossau. 

Les  forets  épaisses  de  cette  contrée,  coupées  de  clairières, 
de  chemins  embroussaillés,  bruissent  pleines  d'attirantes 
senteurs,  dans  l'imagination  de  Pierre,  le  fils  de  la  veuve 
Gassabère.  Les  compagnons  du  jeune  apprenti  —  il  a 
quinze  ans,  —  ont  beau  le  railler,  lui  répéter  qu'il  ne  sera 
jamais  un  bon  sandalier,  il  revient,  malgré  lui,  a  ses  souve- 
nirs d'enfant,  au  temps  où  il  aidait,  dans  un  commerce  de 
bois,  son  père,  mort  il  y  a  trois  étés  :  Il  rêve. 

Elle  rêve  aussi,  Jeanne  Castel,  la  jolie  brune,  pure  comme 
les  brises  des  seize  printemps  qui  ont  caressé  son  front  ; 
elle  rêve,  ce  soir,  à  nuit  close,  de  novembre,  où  elle  néglige 
de  servir  les  anciennes  réunies  pour  la  veillée  du  sel  ;  elle 
écoute  distraitement  les  contes.  Car  on  dit  des  contes  encore, 

—  distraction  que  n'ont  pu  faire  disparaître,  là-bas,  celles 
plus  civilisées  !  de  culotter  une  pipe,  de  tuer  un  Londres, 
j'allais  ajouter:  et  de  manger  du  prochain.  Mais...  Mme  de 
Sévigné  ayant  estimé  que  c'était  excellent  après  bien 
dîner  !..... 

Les  contes  ne  sont  pas  l'unique  curiosité  de  ce  pays.  La 
Jeanne,  une  vieille  fille,  marraine  de  Jeanne  Castel,  est,  en 
qualité  d'ayant-droit  à  La  Houn,  électrice.  Electrice  ?  — 
Oui,  Messieurs,  électrice,  féminin  d'électeur,  —  votant, 
s'occupant  des  intérêts  de  la  commune,  part-prenant  non 
seulement  de  la  source,  mais   encore  du  suffrage  universel  ! 

—  Nil  novi  sub  sole.  Si  l'excentrique  Amérique  inventa  la 
décapitation  par  électricité,  elle  n'inventa  pas  du  moins  la 


62 

politique  en  jupon.  Les  Salésienncs  d'alors  eussent  pu  être 
de  fort  bon  conseil  a  la  municipalité  corsetée  d'Oskaloosa, 
ce  chef-lieu  d'un  comté  du  Kansas.  Et  les  reporters  aux 
abois  eussent  bien  trouvé  chez  nos  Béarnaises,  le  sourire, 
les  yeux,  les  cheveux,  tant  loués  chez  la  plus  jeune  des 
conseillères  de  la  mairesse. 

Pierre  eut  probablement  pensé  ainsi.  Quand  l'heure  de 
terminer  la  veillée  fut  venue,  il  se  trouva  a  point  pour  prendre 
son  brandon  enflammé  au  foyer  et  précéder,  avec  Jeanne 
Castel,  à  la  lueur  de  ces  falots  aux  fantastiques  reflets,  la 
rentrée  à  la  maison. 

Au  moment  de  se  quitter  : 

—  Pourquoi  ne  viens-tu  pas  nous  voir  le  dimanche, 
demande  Jeanne? 

Pierre  hésite,  ne  sachant  que  répondre.  A  l'église,  il  se 
placera  derrière  elle,  pour  que  les  prières  des  deux  cœurs 
montent,  unies,  a  Dieu,  et  un  an  ainsi  tant  aux  salines  qu'aux 
veillées  où  l'on  épluche  le  maïs,  ils  éviteront  de  se  parler, 
embarrassés,  timides. 

Timidités  naïves,  embarras  exquis,  gaucheries  adorables, 
mutisme  qui  pèse  et  dans  lequel  les  âmes  s'entendent,  voilà, 
je  suppose,  les  symptômes  de  celte  maladie  vieille  comme 
l'extraction  de  la  côte  d'Adam,  pour  qui,  toutefois,  la 
chirurgie  n'a  point  de  bistouri,  ni  la  thérapeutique  d'ordon- 
nance ;  qui  ne  choisit  guère  ses  victimes  qu'arrivées  à  l'âge 
de  puberté,  et  ne  s'approche  jamais  des  berceaux  si  ce  n'est 
pour  déposer  sous  leur  mousseline  neigeuse,  quelque  chose 
de  très  mignon,  très  frais  et  très  rose  ! 

Pierre  et  Jeanne  Castel  s'aiment  :  Pauvre  et  triste  amour! 

Un  jour,  Pierre  dit  à  sa  mère  :  —  «  Jeanne  est  une  belle 
et  bonne  fille.  »  —  «  Peut-être  ;  mais  elle  n'a  rien.  » 

Mlle  n'a  rien.  Lui,  piètre  sandalier,  n'a  qu'un  salaire  bien 
faible.  Né,  comme   ses  parents,  en  dehors  du   territoire  de 


63 

Salies,  il  ne  peut  puiser  à  La  Houn.  Un  tel  mariage  serait 
une  folie.  D'ailleurs,  Sanche  Cassabère,  une  femme  de  tête, 
—  à  défaut  de  cœur,  —  connaît  ce  qui  convient.  La 
marraine  de  la  petite  Gastel  est  part-prenant,  droit  dont 
hérite  le  mari.  Puis,  elle  en  a  convenu  :  C'est  commode 
d'avoir  un  homme  dans  une  maison.  Tout  est  bien.  La  veuve 
propose  à  Pierre  :  —  «  Si  tu  épousais  la  vieille  Jeanne  ?  » 

Il  consent.  11  a  compté.  L'une,  soixante-quinze  ans  ;  lui, 
dix-huit  ;  l'autre,  l'aimée,  dix-sept.  Calcul  infâme  qu'accom- 
pagne une  infâme  espérance.  L'ambition  de  la  mère  a  fait  du 
fils  plus  qu'un  lâche,  presque  un  criminel. 

Dans  une  semblable  union,  le  prêtre  n'ayant  point  d'âmes 
h  bénir,  n'a  rien  à  voir.  Le  demander,  c'eût  été  blasphémer. 
El  l'épousée  l'a  avoué  :  Etre  mariés  à  la  ville  suffit  pour  les 
affaires  d'intérêt. 

Devant  le  Maire,  ce  quelqu'un  alors  comme  un  commis  du 
cadastre,  la  «  chose  commode  dans  une  maison  »  et  «  la 
part-prenant  de  La  Houn  »  sont  enregistrées. 

La  consécration  de  Dieu  a  manqué  ;  on  prend  celle  du 
ventre  et  de  la  chanson. 

Mais,  Jeanne  Castel,  la  brune  enfant,  ne  chante  pas,  ne 
mange  pas,  toute  pâle  au  bas  de  la  table. 

Belle  figure,  Messieurs,  celle  de  celte  pauvrette  sacrifiée  a 
l'argent.  Elle  doit  être  la  vision  des  premiers  rêves  ;  la 
désirée  qu'enveloppe  le  mystère,  blanche  et  pure  à  rendre 
jaloux  les  neiges  et  les  lys,  idéale,  pas  humaine,  à  qui  notre 
hallucination,  d'un  rayon  de  soleil  et  d'un  lambeau  d'azur 
façonne  des  ailes  d'ange. 

Elle  restera  l'ange.  Elle  le  restera  dans  l'odieux  ménage 
où  ses  mains  préparent  le  maïs  et  les  légumes.  Elle  le  restera 
dans  sa  réponse  chastement  négative,  le  jour  où  Pierre, 
envahi  de  remords  et  de  passion,  supplie  :  —  «  Je  vais 
partir   pour  l'Amérique:   veux-tu  me  suivre?  »  --  Elle  le 


64 

restera  dans  la  lutte  essayée,  un  soir,  contre  l'aimé  ;  dans  sa 
demi-chute  même,  en  la  seconde  l'extase  éperdue  et  de 
volupté  inconsciente  où  elle  laisse  leurs  âmes  se  communier 
en  l'ineffable  baiser,  où,  avouant  son  martyre,  elle  murmure: 
«  Je  ne  puis  plus  vivre  ainsi  :  promets-moi  de  partir.  »  — 
Elle  le  restera,  enfui,  dans  ces  nuits  que,  pleine  de  tendresse 
et  de  sollicitude,  elle  passe  a  soigner  Sanche  Cassabère  qui 
meurt  entre  ses  bras,  pardonnée  du  ciel  peut-être,  ayant  eu 
pour  derniers  mots  :  —  «  Ma  chère  fille  ! . . .  Mon  fils  ! . . .  » 

Quand  sa  mère  mourut,  Pierre  avait  tenu  sa  promesse. 
Il  vivait  de  la  vie  du  trappeur.  C'est  dans  les  Pampas  de 
l'Uruguay  que  lui  parvint  la  lettre  de  Jeanne,  la  jeune.  — 
Plus  de  mère  !  Le  cœur  de  celle  qu'il  adore,  pieusement 
fidèle  !  Et,  c'était  en  post-scriptum,  Jeanne,  la  vieille,  sa 
femme,  affaiblie  par  les  fièvres,  veillée  jour  et  nuit  ! . . . 

Vite,  il  réalise  ses  fonds,  reprend  la  mer.  Trois  mois  de 
traversée.  A  la  mi-août,  il  est  à  Bordeaux.  Une  autre  lettre 
de  «  sa  chère  fiancée,  comme  il  l'appelle  dans  son  cœur,  » 
l'y  attend,  qui  confirme  les  mauvaises  nouvelles.  La  filleule 
est  toujours  garde-malade  de  la  marraine. 

11  approche.  Mais  voilà  l'église  Saint-Martin.  A  côté, 
dorment  son  père  et  sa  mère.  Il  s'en  voudrait  de  passer  sans 
prier.  Tout  à  coup,  il  éprouve  une  oppression  étrange.  Dans 
le  cimetière,  un  vent  d'orage  secoue  les  arbres,  en  de  gémis- 
santes accolades;  leurs  voix  d'orgues  accompagnent,  sinistres, 
un  glas  qui  tinte,  là-bas,  à  l'église  de  Salies. 

...  Il  a  continué  sa  route.  Un  enfant  passe  à  cheval. 

—  «  Qui  donc  est  mort  ?  «  lui  crie-t-il. 

—  c  On  m'a  dit  que  c'était  Jeanne,  vous  savez,  Jeanne 
qui  habitait  la  rue  Poumayou  !  » 

Morte,  sa  femme  f . . .  Il  est  libre  ! . . . 
Il  se   haie.  Ceux  qui  reviennent  de  l'enterrement  n'osent 
lui  parler.  Il  est  devant  sa  porte.  Il  entre.  Et,  fou   d'amour, 


65 

dans  un  accent  qui  résume  ses  désirs  deux  ans  contenus,  les 
souvenirs  du  passé,  les  espérances  de  l'avenir,  il  appelle  : 
—  Jeanne  !  Jeanne  ! 

Du  lit  de  serge  verte,  une  voix  qu'éraillcnt  la  vieillesse  et 
la  fièvre,  répond  :  —  «  Le  bon  Dieu  s'est  trompé.  » 

La  marraine  vivait  !  La  filleule  était  morte  ! . . . 

Dès  lors,  ce  fut  de  lui  comme  de  ces  foyers  de  la  veillée 
du  sel  dont  chacun  emportait  un  brandon.  Deux  brandons 
avaient  éclairé  son  âme,  allumés  par  Sanche  Cassabère  et 
par  Jeanne  Castel.  Elles  étaient  parties  :  maintenant,  c'étaient 
les  ténèbres. 

Sa  mère  n'est  plus  !  Sa  fiancée  n'est  plus  !  Ses  vingt  ans 
ne  sont  plus  !  Tout  est  fini. 

Reste  l'argent  ;  l'argent  de  l'héritier  de  la  part-prenant  de 
La  Houn  ;  l'argent  du  trappeur  des  Pampas.  Dérision  !!  En 
faut-il  tant  pour  payer  trois  cercueils  ;  les  deux  qui  sont 
descendus,  le  troisième  qu'on  descendra  bientôt,  qui  attend 
la  moribonde. 

Et  les  pages  se  terminent  en  une  malédiction. 

—  Maudite  Hoan  ! 

Pages  douloureuses,  direz-vous,  Messieurs.  Est-ce  une 
critique  a  adresser  à  l'auteur  ? 

—  Non  pas. 

L'auteur,  et  avec  elle,  tous  ceux  dont  les  cheveux  ont 
blanchi  peuvent  être  pris  d'un  élonnemenl  navré  devant  les 
générations  nouvelles  de  ce  siècle  qui  finit.  Il  est  en  eux  plus 
de  jeunesse  qu'en  nous  les  hommes  de  vingt  ans.  Ce  qui  est 
bon,  ce  qui  est  vrai,  ce  qui  est  beau  éveille  en  leurs  cœurs 
des  sentiments  qui  nous  feraient  sourire  si  nous  savions 
sourire  encore.  Et  je  comprends  qu'ils  traduisent  cet  étonne- 
ment,  qu'ils  s'indignent  même  de  nous  voir  fervents  fidèles 
des  jouissances  vite  acquises,  —  pardonnez-moi  l'étrangeté 
brutale  de  l'expression,  —  de  nous  voir  peser  l'amour  à  la 

5 


GG 

balance  du  banquier,  faire  de  la  muse  une  vache  à  lait,  et 
de  la  vieille  France  artistique  un  champ  de  foire  ! 

Aussi,  n'est-ce  pas  seulement  une  tristesse  poignante,  une 
mélancolie  à  faire  pleurer,  qui  se  dégagent  de  l'œuvre  de 
Mme  Riom  ;  c'est,  avec  le  châtiment  final,  une  haute  et 
éloquente  leçon. 

Puissent  de  telles  œuvres  être  écrites  nombreuses.  Puissions- 
nous  les  lire,  nous,  les  jeunes  hommes  !  Nous  saurons  notre 
erreur.  Nous  saurons  que  les  luttes  désintéressées  de  l'intel- 
ligence et  du  cœur  assurent  le  plus  vrai  des  bonheurs  ;  que 
prostituer  l'Idéal,  renier  le  Rêve,  railler  la  Vérité,  vendre 
l'Amour,  traîner  la  Musc  aux  halles  sont  des  sacrilèges  ;  et, 
que  dans  l'homme,  enfin,  le  corps  seul  a  droit  à  vieillir. 

Quant  au  style  dans  lequel  est  écrit  «  La  Eoun,  »  je  n'en 
dirai  rien.  Là,  plus  encore  que  dans  l'analyse  de  l'œuvre,  je 
resterais  au-dessous  de  ma  tache.  Puis,  trop  jeune,  je  n'ose 
même  formuler  l'appréciation  que  j'ai  sur  les  lèvres.  Mais,  vous 
lirez  «  La  Eoun,  »  Messieurs.  Vous  y  reconnaîtrez  l'auteur 
des  Légendes  bretonnes,  de  Merlin,  des  Mobiles  bretons. 
Et  c'est  vous  qui,  dans  l'expression  de  notre  pensée  a  tous, 
la  vôtre  et  la  mienne,  direz  que  la  plume  demeure  toujours 
aux  doigts  de  Mme  Riom,  ce  qu'est  la  fleur  aux  doigts  de 
toute  femme  :  la  chose  la  plus  spirituelle  et  la  plus  délicate, 
la  plus  élégante  et  la  plus  poétique. 


ERDRA 


LÉGENDE       DE       L'ERDREC) 

Par  Francis  MERLANT. 

Membre  de  la  Société  Académique  de  la  Loire-Inférieure. 


I. 

Au  temps  où  les  Croisés  partirent  à  la  conquête  du  Saint- 
Sépulcre,  la  France  entière  présentait  un  bien  triste  spec- 
tacle. 

Entraînés  par  les  exhortations  des  moines  et  des  prêtres, 
les  habitants  s'enrôlaient  en  foule  sous  la  bannière  de  Dieu 
pour  marcher  ensemble  vers  la  Palestine. 

Les  seigneurs  s'éloignèrent  richement  armés,  accompagnés 
d'une  nombreuse  suite,  les  pauvres  vendirent  tout  ce  qu'ils 
possédaient  pour  se  procurer  des  armes  et  prendre  part 
à  la  croisade. 

Partout  la  même  foi,  le  même  cœur  et  la  même  espé- 
rance. 

Les  villes  se  trouvèrent  bientôt  presque  complètement 
abandonnées  ;  seuls,  les  vieillards  et  les  infirmes  restèrent. 
Dans  les  campagnes  les  paysans  avaient  suivi  l'exemple, 
aussi  les  bras  manquaient-ils  pour  travailler  la  terre.  Les 


(*)  L'auteur  a  recueilli  cette  légende  de  la  bouche  d'un  vieux  bûcheron 
des  bords  de  l'Erdre. 


68 

femmes  et  les  enfants  furent  obligés  de  se  mettre  à  la 
charrue  pour  préparer  les  moissons,  afin  de  nourrir  ceux 
qui  restaient. 

Les  bandits  n'ayant  plus  à  redouter  les  poursuites  des 
preux  chevaliers  ne  craignirent  plus  de  piller  et  de  voler. 
Le  pays  était  en  proie  à  leurs  rapines  et  à  leur  ravage, 
au  grand  désespoir  de  ses  habitants. 

Les  voyageurs  étaient  dépouillés  et  massacrés  sans  pitié: 
souvent  ces  brigands  se  réunissaient  en  bande,  attaquaient 
les  villages,  mettaient  les  pauvres  gens  à  rançon,  et  s'ils 
ne  pouvaient  les  payer,  ils  les  égorgeaient'. 

Les  malfaiteurs,  après  avoir  brûlé  et  saccagé  tout,  s'em- 
paraient des  troupeaux,  les  chassaient  devant  eux  dans  leurs 
forêts,  où  ils  allaient  vivre  en  paix  du  fruit  de  leurs 
brigandages.  Quelques  braves  avaient  bien  essaya  de  leur 
résister,  mais  ils  s'étaient  vu  assaillis  par  le  nombre,  et 
n'avaient  pas  tardé  à  succomber.  Partout  régnaient  la 
terreur  et  la  consternation. 

Dans  un  petit  village  de  Bretagne,  non  loin  de  l'endroit 
où  la  Loire  devient  un  beau  et  magnifique  fleuve,  vivait 
une  famille  de  pauvres  gens. 

Le  père  vieux  et  impotent  n'avait  pu  suivre  ses  com- 
pagnons à  la  croisade.  En  vain  avait-il  promis  au  ciel  de 
partir  s'il  guérissait  ;  ses  vœux  n'avaient  pas  été  exaucés. 
Ne  pouvant  mettre  son  projet  à  exécution,  il  résolut  de  se 
faire  remplacer  par  ses  deux  fils. 

Mes  enfants,  leur  avait-il  dit,  une  noble  et  sainte  cause 
vous  appelle  en  Palestine,  prenez  vos  armes,  suivez  vos 
compagnons,  et  souvenez-vous  que  vous  allez  combattre 
pour  Dieu. 

Et  les  jeunes  gens,  baignés  des  larmes  de  leur  mère, 
s'éloignèrent  de  la  maison,  après  avoir  reçu  la  bénédiction 
paternelle. 


69 

Ces  deux  vieillards  ne  restaient  pas  seuls  dans  leur  chau- 
mière, ils  gardaient  auprès  d'eux  leur  fille  bien-aimée,  Erdra, 
désormais  l'unique  soutien  de  leur  vieillesse.  En  voyant 
partir  ses  frères,  la  jeune  fille  n'avait  pas  versé  une  larme, 
non  pas  qu'elle  ne  les  aimât  point,  mais  elle  avait  une  âme 
généreuse,  et  elle  était  heureuse  de  voir  sa  famille  se 
sacrifier  pour  la  grande  cause.  Si  elle  n'avait  eu  ses  vieux 
parents  à  soutenir,  elle  aussi  serait  partie  de  grand  cœur 
pour  la  Terre-Sainte,  soigner  les  blessés  et  les  malades. 

De  longs  jours  s'étaient  déjà  écoulés  depuis  le  départ  des 
Croisés,  les  nouvelles  n'arrivaient  pas,  aussi  la  famille 
d'Erdra  était-elle  plongée  dans  la  plus  profonde  désolation. 
La  jeune  fille  comprenant  tout  le  chagrin  de  ses  parents 
cherchait  par  sa  sollicitude  à  faire  oublier  le  départ  de  ses 
frères  et  à  chasser  les  tristes  pensées. 

La  plus  douce  intimité  régnait  dans  l'humble  chaumière, 
le  bonheur  semblait  entourer  la  .famille  et  sans  le  souvenir 
des  absents  qui  venait  de  temps  à  autre  l'attrister,  elle  eût 
joui  d'une  pure  tranquillité. 

Le  matin  le  vieillard  allait  dans  la  forêt  ramasser  le  bois 
pour  l'hiver  ou  bien  il  se  rendait  aux  champs  cultiver  la 
terre  pour  procurer  aux  habitants  de  la  maison  le  pain  de 
chaque  jour.  La  mère  restait  ii  filer,  tandis  que  la  jeune 
fille  menait  paître  son  troupeau  dans  les  prairies  qui  bor- 
daient la  forêt. 

Erdra  était  aimée  dans  le  village  dont  elle  paraissait  être 
la  Providence.  Sa  pauvreté  ne  lui  permettait  pas  de  faire 
l'aumône,  mais  elle  n'épargnait  pas  ses  soins  aux  malheu- 
reux, et  les  plus  douces  consolations  aux  affligés.  Le  soir, 
quand  elle  ramenait  son  troupeau  a  rétable,  ses  beaux  yeux 
étincelant  de  gaieté,  ses  cheveux  épars  sur  les  épaules,  les 
habitants  du  village  disaient  en  la  voyant  passer  :  «  Voilà 
la  sainte.  » 


70 

Un  soir  d'hiver  la  famille  se  trouvait  réunie  dans  la 
chaumière  autour  de  Pâtre  flamboyant  dont  la  lueur  éclai- 
rait la  chambre  entière,  Erdra  filait  auprès  de  ses  vieux 
parents  en  récitant  dos  prières  pour  les  absents. 

Au  dehors,  il  faisait  froid,  et  la  bise  glaciale  du  nord 
soufflait  avec  violence  dans  la  toiture  de  la  chaumière 
qu'elle  menaçait  d'emporter  dans  un  tourbillon. 

Soudain  on  frappe  à  la  porte,  et  une  voix  chevrotante 
se  fait  entendre  demandant  l'hospitalité.  Erdra  s'empresse 
d'ouvrir  et  laisse  passer  un  moine  mendiant. 

«  Entrez,  homme  de  Dieu,  dit  le  vieux  père  en  s'élançant 
au-devant  de  lui.  —  Soyez  le  bienvenu  sous  notre  toil,  qu'il 
vous  serve  de  refuge.  Approchez-vous  du  feu,  et  réchauffez 
vos  membres  glacés.  » 

En  parlant  ainsi  le  vieillard  jette  dans  le  foyer  un  fagot 
de  genêts  secs  qui  s'enflamme  aussitôt  en  pétillant,  et 
dont  la  chaleur  bienfaisante  se  répand  bientôt  dans  la 
chaumière. 

L'arrivée  de  ce  personnage  était  chose  toute  naturelle  ; 
à  cette  époque  les  moines  sortaient  de  temps  à  autre  de 
leur  monastère,  se  dispersaient  dans  les  campagnes  pour 
implorer  la  charité  des  habitants,  et  ils  revenaient  chargés 
de  provisions  de  tous  genres. 

Après  avoir  bu  et  mangé,  le  moine  raconta  à  ses  hôtes 
que,  depuis  peu,  il  arrivait  d'un  grand  voyage.  Oh  !  bonheur, 
il  revenait  de  Palestine  et  apportait  des  nouvelles  des  Croisés. 
Après  bien  des  misères  et  des  déceptions  les  soldats  de 
Dieu  avaient  enfin  vu  Jérusalem  et  s'en  étaient  emparés, 
non  sans  combats  sanglants.  Il  connaissait  les  frères  d'Erdra, 
les  deux  jeunes  gens  s'étaient  noblement  comportés,  et  il 
les  avait  laissés  en  bonne  santé  dans  la  Ville  Sainte,  d'où 
ils  reviendraient  bientôt. 

La   famille  écoutait  avec  bonheur  les  récils  de  l'homme 


71 

vénérable,  l'orgueil  brillait  dans  les  yeux  du  père,  heureux 
du  courasre  de  ses  enfants,  il  reconnaissait  en  eux  la  valeur 
de  sa  jeunesse  ;  la  vieille  mère  pleurait  d'attendrissement, 
et  Erdra,  du  fond  du  cœur,  remerciait  la  Providence  d'avoir 
conserve  sains  et  saufs  ses  frères.  Pleine  de  sollicitude  pour 
le  bon  messager,  la  jeune  fille  l'entourait  de  prévenances  et 
de  mille  soins  délicats. 

Depuis  longtemps  déjà  l'on  causait  autour  du  foyer.  Au 
dehors  la  tempête  sévissait  dans  toute  sa  fureur.  Des  rafales 
de  vent  s'abattaient  sur  la  maison  et  faisaient  trembler  le 
chaume  qui  la  recouvrait. 

Tout  à  coup,  à  travers  le  ronflement  lugubre  d'une  bour- 
rasque plus  forte  que  les  autres,  un  long  sifflement  aigu, 
qui  ne  ressemble  en  rien  au  souffle  du  vent,  se  fait 
entendre. 

Les  habitants  de  la  chaumière  tressaillent,  écoutent , 
inquiets  en  regardant  vers  la  porte.  Seul  le  moine  semble 
n'avoir  rien  entendu  ;  mais  sous  son  capuchon,  qu'il  avait 
refusé  d'abattre,  il  jette  un  regard  plein  de  haine  sur  Erdra. 
La  jeune  fille  s'en  aperçoit,  et  frémissante,  s'élance  vers 
son  père  ;  elle  le  serre  dans  ses  bras,  comme  pour  chercher 
secours  contre  un  danger  qui  la  menace. 

L'homme  de  Dieu  rompt  le  silence  le  premier  pour  calmer 
l'inquiétude  de  ses  hôtes.  —  Ce  n'est  rien,  c'est  le  vent 
qui  souffle  dans  les  grands  peupliers.  Vous  n'avez  rien  à 
craindre,  les  malfaiteurs  pensent  plutôt  à  se  mettre  en 
sûreté  dans  leur  forêt  qu'à  piller,  quand  les  éléments  de  la 
nature  se  déchaînent  comme  ce  soir. 

A  peine  avait-il  prononcé  ces  derniers  mots  qu'un  choc 
formidable  ébranle  la  porte  et  fait  trembler  la  maison  au 
milieu  de  hurlements  sauvages. 

«  N'ouvrons  pas,  n'ouvrons  pas,  »  s'écrie  le  vieux   père 


7-2 

en   s'élançant  vers   la   porte  pour   voir  si  eHe  ne  cédait 

pas  aux  coups  des  assaillants. 

A  peine  avait-il  fait  quelques  pas,  que  le.  moine  se  lève 
de  son  siège,  et  dépouillant  sa  robe  de  bure,  il  laisse  voir 
un  bandit  armé  jusqu'aux  dents.  Il  saisit  un  glaive  pendu 
à  sa  ceinture,  écarte  brusquement  le  vieillard,  et  faisant 
tomber  les  claies  qui  ferment  la  porte ,  il  l'ouvre  en 
grand. 

Aussitôt  une  bande  de  forcenés  fait  irruption  dans  la 
chaumière  ;  sur  un  signe  du  faux  moine,  qui  n'était  autre 
que  leur  chef,  ils  s'emparent  d'Erdra  et  de  ses  parents. 

Les  brigands  se  mettent  à  piller  la  maison,  et  ne  trouvant 
rien  dans  cette  humble  chaumière  qui  puisse  assouvir  leur 
cupidité,  ivres  de  fureur  et  de  déception,  ils  brisent  les 
meubles  en  mille  morceaux. 

Ton  argent;  où  est  ton  argent?  s'écrie  le  chef  en  saisissant 
brutalement  le  vieillard. 

Je  ne  possède  rien  que  ce  que  vous  voyez  ici,  nous 
sommes  pauvres  et  vivons  de  notre  travail. 

Tu  mens,  reprend  le  faux  moine  avec  colère,  donne-moi 
ton  argent,  ou  lu  vas  mourir  ? 

Faites  de  moi  ce  que  bon  vous  semble,  mais  je  ne  puis 
vous  donner  ce  que  je  ne  possède  pas. 

Eh  bien  !   meurs  donc 

Et  le  brigand  plonge  son  glaive  dans  le  cœur  du  vieillard. 

La  mère  est  saisie  à  son  tour  et  tombe,  la  gorge  tranchée, 
sur  le  corps  de  son  mari. 

Erdra  va  avoir  le  même  sort.  Déjà  le  bourreau  lui  serre 
le  bras,  elle  voit  le  glaive  passer  comme  un  éclair  devant 
ses  yeux,  un  voile  de  sang  l'aveugle,  et  poussant  un  cri  de 
terreur,  elle  s'atïai>se  inanimée. 

En  voyant  celle  fille  belle  et  jeune,  le  chef  des  brigands 
suspend  le  coup  meurtrier,  il  semble  saisi  de  pitié,  il  hésite, 


73 

et  jetant  son  poignard  au  loin,  il  se  détourne  vers  ses 
compagnons. 

C'est  assez  de  deux,  dit-il,  celle-ci  est  jeune  et  vigoureuse, 
elle  peut  nous  rendre  quelques  services,  emmenons-la  avec 
nous. 

Les  bandits  lient  Erdra  sur  un  cheval,  s'emparent  du 
troupeau,  et  après  avoir  mis  le  feu  à  1a  chaumière  pour 
cacher  leur  crime,  ils  s'enfuient  dans  la  forêt. 


II, 


Aux  grands  bouleversements  de  la  nature  succèdent  le 
calme  et  la  tranquillité.  La  tempête  s'était  apaisée.  De 
temps  en  temps  les  rayons  de  la  lune  déchiraient  les  gros 
nuages  noirs  qui  l'obscurcissaient,  et  venaient  éclairer  la 
petite  troupe  qui  galopait  silencieusement  vers  la  forêt. 
Erdra  était  étendue  sur  un  cheval  auquel  on  l'avait  liée. 
La  blancheur  de  sa  robe  contrastait  avec  les  costumes  des 
bandits,  et  sa  chevelure  d'ébène  se  mêlait  à  la  crinière  de 
son  coursier. 

La  fraîcheur  de  la  nuit,  les  secousses  du  cheval  ne 
tardèrent  pas  à  la  rappeler  a  la  vie  qui  semblait  l'avoir 
abandonnée.  Peu  à  peu  elle  reprit  ses  sens,  elle  se  crut 
en  proie  à  un  cauchemar,  mais  le  souvenir  de  la  terrible 
scène  dont  elle  venait  d'être  témoin,  la  persuada  qu'elle  ne 
rêvait  point,  mais  qu'elle  était  bien  victime  de  l'horrible 
réalité. 

Au  détour  d'une  route,  elle  aperçut  une  grande  lueur 
qui  s'élevait  dans  l'obscurité  de  la  nuit  :  c'était  sa  chaumière 
qui  brûlait  ;  elle  comprit  alors  ce  qu'elle  n'avait  pas  vu, 
et  se  mit  à  pleurer. 

Après  avoir  galopé  pendant  quelques  heures,  la  petite 
troupe  arrive  sur  la  lisière  d'un  bois. 


74 

Erdra  est  descendue  de  sa  monture,  et  le  chef  lui  dit, 
en  la  rudoyant,  qu'il  fallait  désormais  marcher  a  pied. 

Des  torches  sont  allumées,  et  Erdra  pénètre,  avec  ses 
ravisseurs,  dans  l'épaisseur  du  bois.  On  s'engage  dans  un 
sentier  étroit,  et  après  une  longue  course,  on  arrive  dans 
une  clairière  où  s'élevaient  quelques  maisons  recouvertes 
de  chaume  :  c'était  la  le  repaire  des  brigands. 

Le  faux  moine  prend  la  jeune  fille  par  la  main  et  l'entraîne 
dans  une  des  cabanes. 

Jehanne,  Jehanne,  s'écrie-t-il,  en  entrant  :  «  Allons,  vieille 
sorcière,  lève-toi,  allume-nous  du  feu,  et  vient  recevoir  une 
jeune  tourterelle  qui  est  tombée  dans  nos  serres.  » 

Une  voix  chevrotante  répondit  en  maugréant  dans  l'obs- 
curité, et  quelques  minutes  après  un  grand  feu  brillait  au 
milieu  de  la  cabane. 

Erdra  vit  s'approcher  d'elle  une  vieille,  hideuse  et  difforme, 
appuyée  sur  un  bâton.  Elle  était  vêtue  de  mauvais  haillons, 
et  sa  tête  dandinait  sur  ses  épaules  comme  une  feuille  agitée 
par  le  vent.  Son  visage  osseux  était  recouvert  d'une  peau 
ridée,  semblable  à  un  vieux  parchemin  que  perçaient  deux 
petits  yeux  gris  pleins  de  méchanceté. 

La  vieille  étonnée,  regarda  fixement  Erdra,  et  faisant  un 
geste  de  mécontentement,  elle  grommela  entre  ses  dents 
ébréchées  quelques  mots  inintelligibles. 

Eh  bien,  quoi  !  murmura  le  chef,  est-ce  ainsi  que  l'on 
reçoit  mes  hôtes  ici  ?  Cette  jeune  fille  restera  avec  loi,  tu 
us  vieilli1  cl  n'es  plus  bonne  à  rien,  die  l'aidera  à  faire 
ta  besogne,  et  lâche  de  t'enlendre  avec  elle,  continua-l-il 
d'un  air  terrible,  ou  sans  cela,  malheur  à  toi. 

Puis  se  radoucissant  :  Allons,  vieille,  donne-nous  les  resles 
de  cet  agneau  que  lu  nous  as  rôli  ce  matin,  nous  avons 
bien  travaillé  el  nous  avons  faim. 

La    mégère   s'approche  alors  d'Erdra  en  grimaçant   un 


75 

sourire  et  veut  lui  prendre  la  main.  La  jeune  tille  glacée 
de  terreur  à  la  vue  de  ce  fantôme  hideux  s'élance  vers  la 
porte  pour  fuir. 

Comment,  bel  oiseau,  s'écrie  le  chef  en  la  retenant,  tu 
veux  déjà  t'échapper  du  nid.  Oh  !  nous  saurons  bien  l'ha- 
bituer à  la  cage. 

Puis  se  tournant  vers  ses  compagnons  : 

Oh  là  !  les  autres,  liez-lui  les  pieds  et  les  mains  et  mettez- 
la  au  fond  de  la  chambre  sur  un  peu  de  paille,  elle  dormira 
là  et  demain  j'espère  qu'elle  ne  sera  pas  aussi  farouche. 

L'ordre  est  exécuté  immédiatement  et  quelques  minutes 
après,  malgré  sa  résistance  désespérée,  Erdra  gisait  dans 
un  coin  de  la  chaumière. 

Tandis  que  la  vieille  Jehanne  prépare  leur  repas,  les 
bandits  s'assoient  en  cercle  autour  du  feu  et  se  mettent  à 
deviser  des  événements  de  la  soirée. 

Par  satan  notre  patron,  dit  en  ricanant  le  chef,  avouez 
les  amis  que  nous  n'avons  pas  eu  de  chance  aujourd'hui  ? 
Ce  n'était  vraiment  pas  la  peine  de  prendre  tant  de  pré- 
cautions et  de  se  donner  tant  de  mal  pour  s'emparer  de 
quelques  brebis  galeuses. 

Ah  !  si  vous  m'aviez  vu  sous  la  défroque  de  ce  moine 
que  nous  avons  envoyé  ad  paires  l'autre  jour  sur  la  route, 
vous  auriez  juré  que  j'étais  né  pour  aller  au  couvent.  Bah  ! 
après  tout,  nous  nous  sommes  divertis  un  peu. 

Comment  avez-vous  trouvé  la  figure  du  vieux,-  quand  je 
lui  plongeais  mon  couteau  dans  la  poitrine  ?  Et  il  se  mit 
à  rire  cyniquement  avec  ses  compagnons. 

Enfin,  conlinua-l-il,  nous  n'avons  pas  travaillé  pour  rien, 
puisque  nous  avons  trouvé  cette  jeune  fille  qui  remplacera 
Jehanne  ;  mais  elle  me  semble  bien  effarouchée,  et  je  crains 
qu'elle  ne  nous  donne  du  mal  à  l'apprivoiser,  nous  en  serons 
quittes  alors  pour  l'envoyer  rejoindre  ses  parents. 


76 

Erdra  écoutait  cette  horrible  conversation  en  frémissant, 
chacune  des  lugubres  plaisanteries  de  ces  monstres  lui 
résonnait  au  cœur.  En  vain  essayait-elle  de  fermer  ses 
oreilles,  malgré  elle,  elle  entendait  tout. 

Elle  se  mit  alors  a  prier  ardemment  et  à  demander  au 
ciel  de  la  faire  mourir  plutôt  que  de  rester  avec  ces  gens 
infâmes. 

Les  bandits  commencèrent  leur  repas  et  ne  tardèrent  pas 
à  se  plonger  dans  l'orgie. 

La  jeune  fille  sentait  ses  paupières  s'alourdir,  les 
émotions  et  la  fatigue  l'avaient  tellement  accablée  que, 
malgré  tous  ses  efforts  pour  vaincre  le  sommeil,  bientôt 
elle  s'endormit  profondément. 

Elle  rêva  qu'elle  se  retrouvait  dans  sa  chaumière.  Sa 
famille  était  dans  la  plus  grande  joie,  ses  frères  venaient 
d'arriver  de  Terre  Sainte  couverts  de  gloire  et  de  renommée, 
elle  les  entourait,  leur  prodiguait  mille  caresses.  Le  bonheur 
était  donc  revenu,  plus  de  crainte,  plus  d'inquiétude,  désor- 
mais on  allait  vivre  réunis  ensemble,  dans  la  plus  douce 
tranquillité. 

Puis  Erdra  se  vit  dans  son  petit  jardin  qu'elle  affectionnait 
tout  particulièrement. 

C'était  par  un  beau  soleil  de  printemps,  la  nature  était 
en  fêle,  les  roses  répandaient  leur  doux  parfum  qui  se 
mêlait  à  la  suave  haleine  des  œillets.  Les  tulipes  étalaient 
avec  orgueil  leur  corolle  veloutée,  et  les  lys,  sur  leur  gracieuse 
tige,  se  balançaient  aux  caprices  du  vent. 

Erdra  joyeuse  courait  de  fleur  en  fleur,  les  admirant  et 
respirant  leur  parfum.  Elle  les  cueillait  par  brassées  et 
courait  les  porter  aux  pieds  de  la  madone  placée  au  fond 
du  jardin  dans  une  niche  de  verdure. 

Au  milieu  de  ses  ébats,  la  jeune  fille  entend  prononcer 
son    nom.   Elle  se   détourne,   et    aperçoit   sa    mère.    Erdra 


77 

s'élance  pour  la  serrer  dans  ses  bras,  la  vision  s'évanouit 
tout  a  coup.  Quelques  minutes  après  elle  reparaît.  La 
malheureuse  est  glacée  d'effroi  à  la  vue  du  visage  pâle  de  sa 
mère  sur  lequel  étaient  marquées  la  souffrance  et  la  douleur. 
Son  cou  portail  une  plaie  béante  d'où  s'écoulait  du  sang  qui 
inondait  ses  vêtements.  Erdra  l'appelle  en  vain  des  noms  les 
plus  tendres,  le  fantôme  semble  fuir  les  embrassements  de 
son  enfant. 

Soudain  un  sourire  douloureux  illumine  son  visage,  elle 
s'approche  d'Erdra  et,  déposant  un  baiser  sur  son  front, 
elle  lui  dit: 

«  Fuis  mon  enfant,  je  serai  avec  loi.  » 

La  jeune  fille  sentit  le  baiser  de  sa  mère  comme  le  froid 
d'un  fer  qui  eût  louché  son  front,  elle  pousse  un  cri  de 
frayeur  et  s'éveille. 

Le  feu  était  près  de  s'éteindre  ;  de  temps  h  autre  une 
faible  lueur  venait  éclairer  les  brigands  qui  sommeillaient 
étendus  à  terre.  Leurs  ronflements  sonores  troublaient  seuls 
le  silence  qui  régnait  dans  la  cabane. 

Erdra  regarde  longtemps  cette  lugubre  scène  qui  lui 
rappelle  l'horrible  situation  dans  laquelle  elle  se  trouve 
plongée.  Elle  envisage  avec  effroi  toute  l'horreur  de  sa  posi- 
tion. Que  va-l-elle  devenir?  Certes,  mieux  valait  endurer 
mille  tortures  que  de  rester  plus  longtemps  entre  les  mains 
des  brigands.  D'ailleurs  sa  mère  ne  lui  a-t-  elle  pas  dit  de 
fuir  en  lui  promettant  sa  protection  ;  elle  n'hésite  plus,  la 
fuite,  seule  la  délivrera  de  ces  gens  infûmes. 

La  jeune  fille  essaie  de  se  lever  en  silence,  elle  retombe 
bientôt  sur  sa  couche  de  paille,  elle  ne  peut  faire  un  pas,  les 
liens  paralysent  tous  ses  mouvements.  La  prisonnière  se  met 
alors  à  pleurer  amèrement. 

Enfin,  à  force  de  se  tourner  en  tous  sens,  elle  parvient  à 


78 

rompre  les  liens  qui  retenaient  ses  pieds.  C'était  presque  la 
liberté  conquise. 

Encouragée  par  ce  premier  succès,  la  jeune  fille  essaie  de 
briser  les  cordes  qui  lui  serrent  les  poignets.  Elle  les  ronge 
avec  ses  dents,  mais  en  vain. 

Le  jour  allait  paraître,  déjà  une  faible  lueur  commençait 
à  pénétrer  dans  la  cabane  par  les  interstices  de  la  porte  ; 
d'un  moment  à  l'autre  les  bandits  pouvaient  se  réveiller,  il 
n'y  avait  plus  de  temps  à  perdre. 

Une  idée  traverse  l'esprit  d'Erdra  :  elle  se  lève,  poussée 
par  une  héroïque  inspiration,  et  se  dirige  sans  bruit  vers  le 
foyer  à  demi  éteint.  Elle  cherche  dans  les  cendres  un  tison 
encore  rouge  et  l'applique  sur  la  corde  qui  retient  ses  mains 
enchaînées.  Les  souffrances  sont  horribles,  la  chair  brûle 
en  crépitant,  vingt  fois  la  jeune  fille  est  sur  le  point  de 
faiblir.  Elle  se  tord  dans  des  convulsions  épouvantables, 
mais  qu'importe  la  douleur,  c'est  la  liberté  qu'elle  veut, 
même  au  prix  de  sa  vie. 

Enfin  la  corde  brûlée  se  rompt,  la  pauvre  fille  pousse  un 
soupir  de  soulagement  et,  le  cœur  plein  d'espérance,  elle  va 
vers  la  porte,  l'ouvre  sans  bruit  et  s'élance  dans  la  foret. 

Le  soleil  commençait  à  paraître  a  l'horizon,  la  nature  se 
réveillait  au  lendemain  de  la  tempête,  et  les  petits  oiseaux 
dans  la  ramure  secouaient  leurs  plumes  baignées  par  la 
rosée  du  malin. 

Erdra  marchait  toujours,  ou  plutôt  continuait  sa  course 
effrénée.  De  temps  à  autre  elle  s'arrêtait  émue,  le  cœur 
battant,  pour  écouter  si  personne  ne  la  poursuivait.  Après 
avoir  repris  haleine,  elle  s'enfuyait  allant  toujours  devant  elle. 

Deux  longues  heures  s'étaient  ainsi  écoulées  lorsque  la 
fugitive  aperçoit  un  ruisseau  qui  coulait  sur  un  tapis  de 
mousse  verte  parsemée  de  fleurs.  Erdra  s'y  dirige  et  tombe 
épuisée.  Ses  blessures  la  faisaient  horriblement  souffrir,  elle 


70 

plonge  ses  mains  dans  l'onde  pure  et  arrose  ses  lèvres 
desséchées,  puis,  reconnaissante  envers  la  Providence,  dont 
elle  reconnaît  le  secours,  elle  se  met  à  prier. 

A  leur  réveil,  les  brigands  ne  tardent  pas  a  s'apercevoir 
de  la  fuite  de  leur  prisonnière.  Le  chef,  furieux,  accuse  ses 
compagnons  de  négligence  et  malmène  la  vieille  Jehanne 
qu'il  avait  préposée  à  la  garde  de  la  jeune  fille.  Tous  se 
mettent  a  la  poursuite  de  la  fugitive  et  jurent  de  punir  de 
mort  son  escapade. 

Les  premières  recherches  restent  d'abord  infructueuses  : 
rien,  nulle  trace  ne  dénoie  le  passage  d'Erdra,  les  chiens 
eux-mêmes  ne  parviennent  pas  a  sentir  la  piste,  quand  la 
vieille  Jehanne  apporte  au  chef  un  lambeau  de  la  robe 
d'Erdra  qu'elle  vient  de  trouver  accroché  aux  épines  d'un 
petit  sentier  à  peine  frayé.  Nul  doute,  c'est  ce  chemin  qu'a 
pris  la  fugitive,  et  les  brigands  se  précipitent  dans  la  forêt 
en  poussant  des  hurlements  de  triomphe. 

Erdra  était  encore  en  prière  quand  la  bande  l'aperçut  au 
bord  du  petit  ruisseau.  La  jeune  fille,  arrachée  à  sa  médi- 
tation par  l'arrivée  des  malfaiteurs,  se  redresse  d'un  bond 
et,  jetant  un  cri  de  frayeur,  s'élance  comme  une  biche 
effarouchée  vers  une  petite  colline  qui  s'élevait  au  milieu 
d'une  clairière  voisine. 

Les  brigands  la  suivent  de  près,  ils  vont  s'en  emparer. 
Erdra  se  voit  perdue,  elle  tombe  à  genoux  au  pied  d'un 
vieux  châtaignier  dont  la  puissante  ramure  couvrait  le  sommet 
de  la  colline.  Elle  se  prépare  a  mourir  et,  les  mains  élevées 
vers  le  ciel,  elle  le  supplie  de  la  réunir  à  ses  parents. 

Le  chef,  plein  de  fureur,  s'approche  d'Erdra  et,  la  saisis- 
sant par  sa  noire  chevelure,  fait  tournoyer  sa  hache  et 
tranche  d'un  seul  coup  la  tête  de  la  jeune  fille  qui  va  rouler 
sur  le  tapis  de  verdure. 

Le  choc  est  si  terrible  que  la  hache  s'enfonce  jusqu'à  la 


80 

cognée  dans  le  tronc  de  l'arbre.  Le  vieux  châtaignier, 
ébranlé  jusque  dans  ses  racines,  gémit  el  un  bruit  semblable 
au  roulement  du  tonnerre  se  prolonge  dans  la  forêt. 

0  miracle!  ô  prodige!  Ce  n'est  point  du  sang  qui  sort  du 
corps  d'Erdra,  mais  une  source  limpide  et  abondante  dont 
les  eaux  se  répandent  dans  la  clairière. 

Les  bandits  étonnés  se  regardent,  répouvante  fait  place  à 
la  stupéfaction,  ils  reconnaissent  l'intervention  divine.  Saisis 
de  frayeur  ils  jettent  loin  d'eux  leurs  armes  el  cherchent  à 
fuir. 

Mais  l'eau  les  entoure  de  toute  part,  une  vaste  plaine 
liquide  s'étend  à  leurs  yeux.  Le  flot  monte,  monte  toujours, 
gagne  le  sommet  de  la  colline  et  ne  tarde  pas  a  engloutir 
les  assassins. 

Erdra  était  vengée!     • 


111. 


L'Erdre  est  une  charmante  rivière  aux  bords  enchanteurs. 
Semblable  à  un  long  serpent  aux  replis  tortueux,  elle  coule 
sur  un  lit  de  verdure  parsemé  de  fleurs  plus  variées  les  unes 
que  les  autres.  Ses  rives  sont  couvertes  de  marais  verdoyants 
ou  de  fécondes  prairies. 

Les  châtaigniers  centenaires  paraissent  l'affectionner  tout 
particulièrement  et  viennent  plonger  leur  feuillage  dans  son 
onde  transparente. 

Elle  se  pare  de  mille  fleurs  aquatiques.  Les  maercs  s'éten- 
dent ça  et  là  en  immense  tapis  de  verdure;  les  nénuphars 
aux  larges  feuilles  laissent  émerger  timidement  leurs  fleurs 
dont  la  blancheur  ne  cède  en  rien  au  plus  pur  albâtre.  Les 
digitales  balancent  mollement  leurs  clochettes  multicolores 
au  souffle  du  zéphir  imprégné  de  l'haleine  des  iris  parfumés 
et  du  thym  odoriférant. 


81 

L'Erdre  renferme  en  ses  eanx  mille  sortes  de  poissons: 
l'ablette  se  joue  à  sa  surface  en  détours  capricieux  et  fait 
étinceler  aux  rayons  du  soleil  sa  robe  argentée.  La  brème 
majestueuse  paît  tranquillement  les  herbes  qui  croissent  aux 
pieds  des  roseaux,  et  la  perche  aux  dards  aigus  s'endort 
nonchalamment  sur  un  lit  de  sable.  Le  brochet,  chasseur  du 
fond  de  son  antre,  guette  avec  avidité  ses  victimes  et  l'an- 
guille s'élance  à  travers  les  lianes  avec  la  rapidité  de  l'éclair. 

Les  bateaux  aux  blanches  voiles  sillonnent  la  rivière  de 
toute  part,  et  les  canotiers  en  fêle  font  retentir  la  rive  de 
leurs  refrains  joyeux  qui  se  mêlent  aux  battements  sonores 
des  lavandières. 

Après  avoir  arrosé  les  prairies,  l'Erdre  vient  baigner  les 
murs  d'une  des  plus  grandes  villes  de  France.  De  nombreuses 
usines  s'élèvent  sur  ses  bords  et  elle  porte  de  lourds  bateaux 
chargés  de  marchandises  de  toutes  sortes. 

Dans  les  campagnes,  quand  les  étoiles  brillent  au  firma- 
ment et  que  la  lune  répand  sa  douce  clarté,  au  milieu  des 
croassements  des  grenouilles  et  du  cri-cri  des  grillons,  l'on 
entend  parfois  une  voix  plaintive  qui  s'élève  de  la  rivière 
comme  une  mélodieuse  harmonie,  c'est  un  murmure  enchan- 
teur, un  zéphir  parlant.  Les  paysans  l'écoutent  pieusement 
et  disent  en  se  signant  :  «  Ce  soir,  la  Vierge  de  l'Erdre  prie.  » 


AUTOBIOGRAPHIE  LITTÉRAIRE 


A  M.  René  Kerviler. 

Oui,  j'aime  la  Bretagne  et  ses  landes  sauvages, 
Et  sa  mer  écumant  au  loin  sur  ses  rivages 
Sans  pouvoir  ébranler  ses  rochers  de  granit  ; 
Oui,  j'aime  ses  forêts  et  leurs  épais  feuillages, 
Ses  rivières,  ses  monts,  ses  dolmens,  ses  villages 
Qui  se  groupent  au  pied  d'un  vieux  clocher  bruni. 

J'aime  aussi  ses  pardons,  ses  anciennes  coutumes, 
Sa  langue  rude  et  fière  et  ses  brillants  costumes, 
Et  ses  enfants  si  beaux  dans  leur  simplicité, 
Et  ses  villes  au  front  élincelant  de  gloire, 
Une  d'elles  surtout  qui  mire  dans  la  Loire 
Son  gothique  château  :   c'est  Nantes,  ma  cité. 

Près  de  son  port  rempli  de  marine  marchande. 
Ile  Feydeau,  devant  la  Petite-Hollande, 
Le  premier  avril  mil  huit  cent  cinquante-six, 
Trois  heures  du  matin  tintaient,  l'on  me  vit  naître, 
Tandis  qu'un  incendie  (*)  éclairait  ma  fenêtre 
El  le  fleuve  embrumé,  d'un  éclat  indécis. 

(')  Incendie  de  l'usine  Mesnil,  lie  Gloriette,  en  avant  de  l'Ile  Feydeau. 


83 

La  maison  de  Carrier  fut  ma  maison  natale  (•)  ; 
De  ma  chambre,  le  monstre  à  la  face  brutale, 
Ecoutait  crépiter  les  feux  de  pelotons, 
Et  pour  se  divertir,  le  sarcasme  à  la  bouche, 
Regardait,  escorté  d'une  bande  farouche, 
Ses  bateaux  à  soupape  engloutir  nos  Bretons. 

Par  son  ordre  on  liait  l'un  a  l'autre,  homme  et  femme, 
Leur  faisant  contracter  un  mariage  infâme, 
Puis  on  les  submergeait  malgré  leurs  cris  affreux  ; 
Mais  l'eau  dans  leur  gosier,  vite  éteignait  le  râle 
Et  les  noyés  bercés  par  l'onde  froide  et  pâle, 
Erraient,  s'entrechoquant  l'œil  ouvert  et  vitreux. . . 

Plus  tard  dans  ce  logis,  dans  cette  môme  chambre, 
Mon  père  à  son  balcon,  de  janvier  à  décembre, 
Regardait  décharger  le  blé  de  ses  vaisseaux. 
Et  bien  loin  des  clameurs  de  la  guerre  civile, 
Ecoutait  dans  la  paix  de  notre  bonne  ville, 
Et  mes  frères  et  moi,  rire  dans  nos  berceaux. 

Sous  les  lambris  fameux  où  se  vautra  le  crime, 
Tout  respirait  la  joie  et  leur  bonheur  intime, 
La  bonté,  la  douceur  régnaient  autour  de  nous  ; 
Ma  mère  ou  sa  servante,  au  foyer  domestique, 
Narrant  a  mes  aînés  un  conte  fantastique, 
Me  berçait  tout  petit  enfant  sur  leurs  genoux. 

Je  me  dis  maintenant  par  un  secret  mystère, 
Dieu  peut-être  voulut  que  je  vins  sur  la  terre, 
A  l'endroit  où  vécut  jadis  un  meurtrier. 

(')  La  maison  qui  porte  le  no  3,  en  face  le  marché  de  la  Petite-Hollande, 
fut  habitée,  en  1794,  par  le  représentant  du  peuple  Carrier  (Annuaire  Melliuet). 


84 

Afin  que  plein  d'horreur  pour  ses  crimes  sinistres, 
Je  maudis  l'assassin  et  ses  lâches  ministres, 
Et  mis  au  pilori  l'affreux  nom  de  Carrier. 


Je  suis  d'une  famille  où  d'une  voix  sonore 

On  a  célébré  les  héros 
Et  flétri  d'une  voix  plus  véhémente  encore 

Les  criminels  et  les  bourreaux  (i). 
Les  miens,  Bretons  de  race  ont  vécu  sans  reproche 

Dans  les  étals  les  plus  divers  ; 
Mais  toujours  ils  se  sont  transmis  de  proche  en  proche 

Le  goût  sublime  des  beaux  vers. 
Tour  à  tour  ils  chantaient  d'harmonieux  cantiques; 

Puis  en  descendant  au  tombeau, 
0  poésie  !  ainsi  que  les  coureurs  antiques, 

Ils  se  léguaient  Ion  pur  flambeau; 
Et  je  l'ai  reçu  d'eux  lorsqu'au  bord  de  la  Loire 

Mon  œil  s'ouvrit  à  la  clarté, 
Je  l'ai  reçu,  voila  mon  seul  titre  de  gloire, 

L'unique  objet  de  ma  tierlé. 
Depuis  j'ai  fait  vibrer,  poésie  éternelle, 

Mon  vers  doucement  cadencé 
Au  bord  de  la  Chézine  ou  bien  sous  la  tonnelle  (2), 

Dans  le  parc  riant  de  Procé  (3). 

(4)  Lire  le  sonnet  XVllle  du  livre  troisième,  Famille,  du  recueil  de  sonnets 
de  Boulay-Paly  et  son  ode  à  l'Aie  de  Triomphe  de  l'Etoile,  couronnée  par 
l'Académie  française  dont  le  prix  fut,  à  cette  occasion,  doublé  par  M.  de 
Salvandy,  ministre  de  l'instruction  publique. 

(2)  Titres  de  deux  volumes  de  l'auteur  qui  plus  bas  en  mentionne  trois 
autres  :  Lever  d'étoiles,  Parisina,  le  Gui  sacré  (inédit). 

(3)  Propriété  de  M.  Gustave  Caillé,  père  du  poète. 


85 

C'est  dans  ce  pave  ombreux  où  l'écureuil  sautille, 

Qu'aux  jours  enchanteurs  de  l'été 
Tranquillement  je  vis  au  sein  de  ma  famille, 

Dans  une  heureuse  obscurité. 
C'est  là  que  j'ai  passé  les  jours  de  ma  jeunesse, 

Près  de  ma  mère  et  de  mes  sœurs, 
Et  que  mon  père  coule  une  heureuse  vieillesse, 

Pleine  de  calme  et  de  douceurs  ; 
C'est  là  que  j'ai  souvent,  enveloppé  des  voiles, 

De  la  nuit  couvrant  l'univers, 
Regardé  dans  le  ciel  luire  un  lever  d'étoiles, 

Dans  mon  âme  briller  mes  vers  ; 
C'est  là  qu'avec  Byron,  chantre  à  la  voix  sublime 

Dont  le  charme  me  fascina, 
J'ai  médité  longtemps  sur  les  amours,  le  crime, 

Les  malheurs  de  Parisina  ; 
Oui,  c'est  là  que  mon  cœur  dans  l'extase  divine, 

S'est,  à  la  poésie,  ouvert, 
Au  murmure  léger  des  flots  de  la  Chézine, 

Sous  l'ombrage  d'un  chêne  vert  ; 
Et  la  rime  en  chantant  de  l'arbre  au  large  faite, 

Tombait  de  même  qu'autrefois, 
Sous  la  faucille  d'or,  au  jour  de  grande  fête, 

Le  gui  sacré  chez  les  Gaulois. . . 
Ma  seule  ambition  est  de  suivre  la  trace, 

Et  d'un  pas  jamais  ralenti, 
De  trois  de  mes  parents,  trois  poètes  de  race 

Lambert,  Halgan,  Boulay-Paty  (i). 

Dominique  CAILLE. 

(')  Trois  cousins  du  grand  père  maternel  de  l'auteur. 


86 


LOUIS  XIV  AUX   DUNES 

D'APRÈS  LE   TABLEAU   DE  FRANCIS  TATTEGRAIN. 


L'aurore  fait  briller  et  le  sabre  et  la  lance, 
Les  balles  fendent  l'air  avec  un  sifflement, 
Le  canon  jette  au  loin  son  sourd  rugissement, 
L'escadron  au  galop  sur  les  carrés  s'élance. 

Le  bruit  cesse.  La  nuit  couvre  le  firmament. 
Dans  le  ciel  étoile,  la  lune  se  balance. 
Les  soupirs  des  blessés  troublent  seuls  le  silence, 
Les  villages  partout  flambent  sinislrement. 

Tout  est  fini.  L'encens  parfumé  dans  l'église, 
A  longs  flots  montera  sur  l'aile  de  la  brise  ; 
Le  Te  Deum  joyeux  retentira  demain  ; 

Et  le  prince  viendra  sur  sa  blanche  monture 
Voir  le  champ  de  bataille  un  bouquet  à  la  main, 
Pour  chasser  l'acre  odeur  des  morts  sans  sépulture  ! 

Dominique  CAILLÉ. 


LES  HEMIPTERES 

DE      LA      LOIRE -INFÉRIEURE 

Par  l'abbé  J.  DOMINIQUE  (») 


Aucun  travail  d'ensemble  n'a  été  entrepris  jusqu'à  ce  jour 
sur  la  faune  des  Hémiptères  de  la  Loire-Inférieure.  Elle 
offre  cependant  au  naturaliste  un  intérêt  tout  particulier, 
grâce  à  la  diversité  des  conditions  biologiques  que  présente 
le  territoire  de  ce  département. 

L'Océan  le  baigne  à  l'ouest,  et  ses  rivages  sont  hantés 
par  des  insectes  tout  méridionaux.  Un  grand  fleuve  grossi  par 
des  affluents  au  cours  accidenté  et  pittoresque  le  traverse  et 
l'arrose  dans  toute  sa  longueur.  La  Loire-Inférieure  possède 
le  plus  grand  lac  de  France,  de  nombreux  marécages,  de 
vastes  tourbières,  des  chaînes  de  collines,  des  forêts  d'essences 
diverses,  des  landes  sauvages,  de  riches  prairies,  des  cultures 
de  toute  sorte. 

L'hémiptériste  a  le  droit  de  s'attendre,  dans  un  pays  si 
varié,  a  de  nombreuses  et  intéressantes  captures.  Cette 
attente  n'est  nullement  déçue  ;  nous  espérons  le  prouver  par 
la  suite  de  cette  étude. 

(*)  Ce  travail  a  obtenu  une  médaille  d'or  au  Concours  des  prix  de  la 
Société  Académique  de  l'année  1888. 


88 

Inutile  de  le  dire  ;  nous  n'avons  pas  la  prétention  de  dresser 
la  liste  complète  des  Hémiptères  de  la  Loire-Inférieure. 
Aucun  Catalogue  régional  ne  peut  s'annoncer  ainsi.  Notre 
énumération  comprendra  tous  les  insectes  de  cet  ordre  vivant 
à  notre  connaissance  dans  cette  région  de  la  France  occiden- 
tale. Nous  sommes  convaincu,  toutefois,  qu'il  reste  ample 
matière  aux  recherches  ultérieures. 

Nous  avons  eu  la  bonne  fortune  de  pouvoir  joindre  au 
résultat  de  nos  chasses  celui  des  chasses  d'un  naturaliste 
distingué,  M.  le  Dr  Marmottan,  hôte  de  nos  plages  chaque 
année,  durant  la  belle  saison.  La  bienveillance  de  ce  zélé  et 
savant  entomologiste  a  singulièrement  enrichi  notre  Catalogue 
pour  la  région  maritime. 

Dans  plusieurs  excursions  de  vacances  sur  le  littoral  de  la 
baie  de  Bourgneuf,  M.  l'abbé  d'Antessanty  a  capturé  de  rares 
et  intéressantes  espèces,  parmi  lesquelles  deux  nouvelles  pour 
la  science.  L'une,  Rhgparockromus  mixtus  Horvalh,  a  été 
depuis  reprise  dans  l'Est.  L'autre,  Nolochilus  Noviburgensis 
d'Antess.,  parait  confinée  aux  polders  de  Bourgneuf. 
M.  l'abbé  d'Antessanty  nous  a  constamment  aidé  de  ses 
conseils  et  encouragé  de  son  amitié. 

Au  mois  de  juin  1883,  les  excursionnistes  de  la  Société 
française  d'entomologie  explorèrent  les  alentours  du  lac  de 
Grand-Lieu  et  le  littoral  de  la  baie  de  Bourgneuf.  Le  compte 
rendu  de  cette  excursion,  où  sont  notées  d'intéressantes 
captures  d'Hémiptères,  a  été  publié,  deux  ans  après,  dans  la 
Revue  d'entomologie,  par  M.  Albert  Fauvel,  son  éminent 
directeur.  Nous  n'avons  eu  garde  de  négliger  celle  précieuse 
source  de  renseignements. 

Toutes  nos  espèces  ont  élé  soumises  à  des  maîtres  de  la 
science  hémiptérologique,  tels  que  M.  le  IV  Puton  et 
M.  Lelhierry.  Nous  leur  exprimons  ici  toute  notre  recon- 
naissance  pour    la    bienveillance   dont    ils    ont    bien   voulu 


89 

nous  honorer  et   pour  l'intérêt  qu'ils  ont  porté  à  nos  re- 
cherches. 

Dans  celte  énumération,  nous  avons  suivi  l'ordre  du  dernier 
Catalogue  de  M.  le  Dr  Puton  (1886),  et  nous  avons  marqué 
d'un  astérisque  (*)  les  espèces  réputées  méridionales. 


Hemiptera  heteroptera    Latr. 

GEOCORISiE  Latr. 
Pentatomides. 

Corimelœna  scarabœoides  L.  —  Clisson.  PC 

Odontoscelis  fuliginosa  L.  —  Dans  le  sable  ou  la  terre, 
sous  les  pierres.  Pornic.  R. 

0.  dorsalis  Fabr.  —  Falaises  sablonneuses.  Pornic.   RR. 

Eurygasler  maura  L.  —  Nantes,  Pornic,  Saint-Père-en- 
Retz.  Surtout  dans  les  champs  cultivés. 

E.  hotlentota  H.  S.  —  Dunes  du  littoral.  Nantes,  en  hiver, 
sous  la  mousse. 

E.  hotlentota  var.  nigra  Fabr.  —  Même  habitat,  avec 
le  type. 

Graphosoma  lineatum  Lin.  —  Sur  les  ombellifères, 
surtout  sur  Daucus  Carota.  Nantes,  Clisson,  Orvault , 
Pornic.  AC. 

Podops  inuncta  Fabr.  —  La  Bernerie  (DT  Marmotlan). 

Cydnus  flavicornis  Fabr.  —  Sables  et  lieux  secs  du 
littoral.  Pornic,  Le  Pouliguen.  R. 

C.  flavicornis  var.  pusoipes.  M.  R.  —  La  Bernerie  (Dr 
Marmotlan). 

Brachîjpelta  alerrima  Fœrst.  —  Dunes  et  falaises  du 
littoral.  Pornic,  Mesquer,  Le  Pouliguen. 


90 

Sehirus  affinis  H.  S.  —  Dunes  du  littoral.  Le  Pouliguen.  R. 

S.  luctuosus  Mis.  R.  —  La  Rcrnerie  (Dr  Marmottan). 

S.  dubius  Scop.  —  Lieux  secs  ;  souvent  a  la  racine  des 
plantes.  Nantes,  Pornic.  PC. 

S.  dubius  var.  melanopterus  IL  S.  —  Dunes  du  littoral.  R. 

S.  biguttatus  L.  —  Nantes.  PC 

Gnathoconus  albomarginatus  Goez.  —  Falaises  mari- 
times. Pornic.  R. 

*Ochetostclhus  nanus  H.  S.  —  Pornic,  Le  Pouliguen, 
Glisson.  Dans  cette  dernière  localité,  nous  avons  trouvé  sous 
une  pierre,  au  sommet  d'un  coteau  dominant  la  Sèvre,  une 
nombreuse  famille  de  ce  Pentatomide  réputé  maritime.  Les 
individus  immatures  étaient  d'un  rouge  vif  passant  au  jaune 
chez  les  sujets  plus  avancés  en  âge  (Cydnus  cinnamomeus 
Garb.),  puis  au  brun  et  enfin  .au  noir  de  poix,  couleur 
normale  de  l'insecte  adulte.  R. 

*Menaccarus  arenicola  Scholtz.  —  La  Bernerie  (Dr 
Marmottan). 

*Sciocoris  macrocepfiahis  Fieb.  —  La  Bernerie  (Z)r 
Marmottan). 

*S.  fissus  Mis.  R.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

S.  terreus  Sclirk.  —  Falaises  du  littoral  ;  souvent  enterré 
au  pied  des  herbes.  Pornic.  R. 

*Dijroderes  marginatus  Fab.  —  Sur  les  haies,  les  hautes 
herbes.  R.  Nantes,  Riaillé,  Pornic,  Glisson. 

Œiia  acuminata  L.  —  Nantes,  Glisson.  AG. 

Œ.  rosira  ta  Bon.  —  Pornic.  PC. 

Neottiglossa  inflexa  Wolf.  —  La  Bernerie  (Dr  Mar- 
mottan). 

*Eusarcoris  inconspicuus  H.  S.  —  Pelouses  ensoleillées. 
Pornic,  en  août.  R. 

Carpocoris  fuscispinus  Bon.  —  Pornic,  Mesquer.  PC. 

*C.  lynx  Fab.  —  Machecoul  (Dr  Marmottan). 


91 

C.  baccaram  L.  —  GC  tout  l'été. 

Palomena  viridissima  Poda.  —  Pornic.  Un  seul  exem- 
plaire pris  en  septembre  sur  une  haie. 

P.  prasina  Fall.  —  GC  partout  toute  l'année. 

P.  prasina  var.  subrubescens  Gorski.  —  Gomme  le  type  ; 
hiverne  avec  lui. 

Piezodorus  incarnatus  Germ.  —  C.  sur  les  haies,  au 
printemps. 

P.  incarnatus  var.  alliaceus  Germ.  —  Mêlée  au  type 
presque  partout,  elle  le  remplace  dans  la  région  maritime. 

Rhaphigaster  grisea  Fab.  —  CC.  partout.  Cet  insecte 
passe  l'hiver.  Il  aime  a  se  réchauffer  au  soleil,  le  long  des 
murs,  dans  les  belles  journées  de  cette  saison. 

Tropicoris  rufipes  L.  —  R.  Nantes,  Glisson.  Août-sep- 
tembre. 

Eurydema  omatum  L.  —  GG.  tout  Tété  sur  les  Cruci- 
fères, dans  les  jardins. 

E.  omatum  var.  pectorale  Fieb.  —  Vit  mêlé  avec  le 
type,  mais  moins  commun. 

*E.  cognalum  Fieb.  —  Sables  maritimes,  sur  les  Cruci- 
fères. PC. 

E.  oleraceum  L.  —  Moins  commun  que  E.  omatum. 
Tout  l'été. 

Pkromerus  bidens  L.  —  Nantes,  Pornic,  Vertou,  sur 
les  chênes,  en  été.  AC. 

Arma  custos  Fab.   —  Clisson,  en  batlant  les  chênes.  H. 

Podisus  luridus  Fab.  —  R.  Orvault,  Pornic.  Juillet-sep- 
tembre. 

Coreides. 

Phyllomorpha  laciniata  Vill.  —  Un  seul  exemplaire  pris 
en  septembre  dans  les  polders  de  Bourgneuf-en-Relz. 
{d'Antessanty). 


92 

*Centrocoris  variegatus  Kol.  —  La  Bernerie  (Dr  Mar- 
moltan). 

Spathocera  Dalmanni  Schill.  —  AG.  région  maritime.  R. 
à  l'intérieur. 

S.  lobala  H.  S.  —  RR.  Pornic,  en  été. 

Enoplops  scapha  Fabr.  —  PC.  Pornic,  Gorges.  Juillet- 
septembre. 

Syromastes  marginatus  L.  —  CC  toute  la  belle  saison, 
sur  les  haies. 

Verlusia  rhombea  L.  —  CG.  prairies,  lieux  incultes. 
Juin-octobre. 

*V.  sulcicornis  Fab.  -  Habitat  de  V.  rhombea,  mais 
plus  rare.  Nantes,  Pornic. 

Gonocerus  venator  Fab.  —  R.  Saint-Sébastien-lez-Nantes, 
Pornic.  En  été. 

G.  venator  var.  aculangulus  Put.  —  Avec  le  type. 

Pscudoplilœus  Fallenii  Schill.  -■  RR.  Pornic,  dans  les 
lieux  herbeux.  Août-septembre. 

*P.  Walllii  H.  S.  -    RR.  Même  habitat. 

Bathysolen  nubilus  Fall.  —  AG.  sur  le  littoral.  RR.  à 
l'intérieur.  Nous  l'avons  pris  en  grand  nombre  à  Pornic,  au 
mois  d'août,  sur  les  murs  des  maisons. 

Ceralcplas  lividus  Stein.  —  RR.  Pornic,  Glisson.  Lieux 
ensoleillés. 

*C.  gracilicornis  H.  S.  —  R.  Mêmes  lieux. 

*Botlirostethus  annulipes  Costa.  —  Un  seul  individu 
pris  à  Pornic,  en  août. 

Coreus  denliculatus  Scop.  —  CC  tout  l'été.  Haies, 
prairies. 

*Strobilotoma  typhœcornis  Fabr.  —  RR.  Littoral  de  la 
baie  de  Bourgneuf. 

*Miçrelytra  fossularum  Rossi.  —  Forme  brachyplère  : 
AG.  par  localités.  Pornic,  Nantes,  Glisson,   Le   Pouligucn, 


93 

Couëron.  Forme  macroptère  :  RR.  Pornic,  Nantes.  Cet  insecte 
se  prend,  à  la  fin  de  l'été,  dans  les  fossés  herbeux,  les 
coteaux  boisés,  les  falaises  maritimes.  Nous  l'avons  capturé 
fréquemment  sur  les  murailles,  dans  les  rues  de  Nantes  et 
de  Pornic. 

*Camptopus  lateralis  Germ.  —  Un  seul  individu  pris 
à  Nantes,  le  long  d'un  mur,  en  octobre. 

Ah/dus  calcaratus  L.  —  C.  dans  les  lieux  secs.  Nantes, 
Pornic,  Glisson,  Orvault,  Mesquer. 

Stenocephalus  agilis  Scop.  —  AG.  Pornic,  Clisson,  Le 
Pouliguen,  en  été. 

S.  médius  Mis.  R.  —  RR.  environs  de  Nantes.  Juillet- 
août. 

S.  neglectus  H.  S.  —  Sur  les  Euphorbes.  —  PC  Nantes, 
Pornic,  en  été. 

Therapha  Hijosciami  L.  —  AG.  toute  la  belle  saison. 
Nantes,  Glisson. 

Corizus  crassicornis  L.  —  G.  dans  les  lieux  secs. 

C.  crassicornis  var.  abutilon  Rossi.  —  Le  Pouliguen.  R. 

*C.  hyalinus  Fabr.  —  PC  Saint-IIerblain,  Pornic. 

C.  maculatus  Fiel).  —  AG.  Pornic,  Glisson. 

C.  capitatus  Fabr.  —  Environs  de  Pornic.  PC 

C.  parumpunctatus  Scliill.  —  G.  Saint-Père-en-Relz, 
Clisson,  Pornic. 

C.  ru  fus  Scliill.  —  PC  et  seulement  région  maritime. 
Mesquer,  baie  de  Rourgneuf. 

C.  liyrinus  Scliill.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

Chorosoma  Schillingi  Schml.  —  Dunes  du  littoral,  sur 
les  graminées,  de  juillet  à  septembre.  AG. 

Berytides. 

*Neïdes  aduncus  Fieb.  —  Environs  de  Nantes,  eu 
septembre.  RR. 


94 

N.  tipularius  L.  — PC  Nantes,  Pornic,  à  la  fin  de  l'été. 

*Berylus  hirticornis  Brul.  —  AG.  par  localités.  Nantes, 
Saint-Père-en-Retz,  Pornic. 

B.  clavipes  Fabr.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan)  RR. 
Macroptère. 

B.  minor  H.  S.  —  PC.  La  forme  macroptère  (B.  cognatus 
Fieb.)  a  été  capturée  par  nous,  en  septembre,  à  Clisson. 

B.  montivagus  Fieb.  —  Pornic,  en  août.  RR. 

B.  geniculatus  (Fieb.)  Horv.  —  Un  seul  individu  de 
Clisson,  pris  en  septembre. 

B.  Signoreti  Fieb.  —  Littoral  de  la  baie  de  Bourgneuf. 
RR. 

Metacanthus  elegans  Curt.  —  La  Bernerie  (Dr  Mar- 
mottan). 

Lygœides. 

Lygœus  œquestris  L.  —  AC.  par  localités.  Le  Croisic, 
Nantes,  Vertou.  Affectionne  les  fleurs  de  Colchium  autom- 
nale. Septembre-octobre. 

L.  saxatilis  Scop.  —  PC.  Nantes. 

*L.  apuamts  Rossi.  —  R.  région  maritime. 

L.  punctatoguttatus  F.  —  AC  Nantes,  Pornic,  Clisson, 
Saint-Herblain. 

*Lygœosoma  reticidatum  IL  S.  —  C  Tout  l'été  sur  le 
littoral  de  la  baie  de  Bourgneuf.  On  le  trouve  surtout  dans 
la  terre  sablonneuse  des  falaises,  sous  les  touffes  de  Spergula 
marina  Rotli.,  en  compagnie  d'un  petit  Roslrifère  qui  y 
abonde  :  Sybinia  arenariœ  Steph. 

Arocatas  Rœselii  Schum.  —  RR.  Saint-Sébaslien-lcz- 
Nantes,  Pont-du-Cens  {Piel  de  Chur cheville). 

Nysim  Thymi  Wolf.  —  PC  Nantes,  Pornic,  en  été, 
surtout  sur  les  Thymus. 

N.  senecionis  Scbill.  —  C   région  maritime.  Abonde  à 


95 

Pornic  dans  les   lieux  cultivés.  AR.  à  l'intérieur.  Varie  a 
antennes  entièrement  testacées,  sur  le  littoral. 

N.  Ëricœ  Schill.  —  R.  Pornic,  la  Bérnerie  (Dr  Mar- 
mottait). 

Cymus  melanocephalus  Fieb.  —  AC  région  maritime, 
des  deux  côtés  de  la  Loire. 

C.    claviculus  Fall.    —   CC   région   maritime.   PC   à 
l'intérieur. 
Ischnorhynchus  Resedœ  Pz.  —  PC.  environs  de  Nantes. 
J.  geminatus  Fieb.  —  La  Bérnerie  (Dr  Marmotlan). 
Heneslaris  laticeps  Gurt.  —  AC  sur  le  littoral,  dans  les 
endroits  sablonneux  et  ensoleillés,  juin-septembre. 

H.  geocoriceps  d'Antess.  —  Confondue  avec  la  précédente 
jusqu'en  1885,  où  l'auteur  de  ces  lignes,  sur  le  conseil  de 
M.  Lethierry,  prit  l'initiative  de  sa  séparation.  (Revue 
d'Entomologie,  IV,  1885,  p.  112.)  Mêmes  mœurs  et  même 
habitat  que  H.  laticeps,  mais  beaucoup  plus  rare. 

Geocoris  erythrocephalus  Lep.  —  La  Bérnerie  (Dr  Mar- 
mot tan). 

G.  siculus  Fieb.  —  Pornic,  La  Bérnerie,  plage  de  Port- 
main  (d'Antessanty).  Cet  insecte,   dont  les  allures  vives  et 
saccadées  rappellent  singulièrement  celle  des  Notiophilus, 
affectionne  l'abri  des  plantes  maritimes  croissant  sur  les  dunes 
et  les  falaises. 
*Helerogaster  affinis  H.  S.  —  RR.  Nantes,  en  août. 
fl.  urticœ  Fabr.  —  CC.  tout  l'été,  surtout  sûr  les  Orties. 
Platyplax  Salviœ  Schill.  —  La  Bérnerie,  en  juin.  RR. 
*Microplax  albofasciala   Costa.   —    AC.  par  localités. 
Nous  l'avons  prise  en  grand  nombre,  avec  l'espèce  suivante, 
au  mois  de  septembre,  dans  un  champ  de  chaume,  près  de 
Pornic. 

*Metopoplax  ditomoïdes  Costa.  —  Se  trouve  en  familles 
nombreuses  sous  les  plantes  traînantes  qui  croissent  sur  les 


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au 

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PC. 

PC. 

— 

AC 

Pornic, 

9fi 

vases  desséchées  de  l'arrière-port,  à  Pornic,  en  compagnie 
de  Piesma  quadrata.  Dans  les  chaudes  journées  d'août,  il 
n'est  pas  rare  de  rencontrer  cet  insecte  sur  les  murailles 
extérieures  des  maisons  de  cette  ville,  à  l'ombre.  RR.  à 
l'intérieur.  Un  exemplaire  de  Nantes  dans  notre  collection. 

Plociomerus  fracticollis  Schill.  —  Bords  du  lac  de 
Grand-Lieu  (Dr  Marmottan). 

Rhyparochromus   prœlextatus    H.    S. 
maritime.  R.  à  l'intérieur.  Saint-Herblain. 

R.  dilatatus  H.  S.  —  Région  maritime. 

R.  chiragra  F.  —  Pornic  et  le  littoral. 

R.  chiragra  var.   sabulicola   Thoms. 
Riaillé,  Clisson. 

R.  mixtus  Horvath.  —  Sp.  nova.  —  Dune  de  Portmain, 
près  Sainte-Marie  de  Pornic,  en  septembre.  Une  seule 
femelle  (d'Antessanty).  —  Revue  d'Entomologie,  VI, 
1887,  p.  254. 

*Piezoscelis  stapliylinns  Ramb.  —  RR.  dunes  de  Bourg- 
neuf  (d'A7ites.santy). 

Tropistethus  Iwlosericeus  Schltz.  —  C.  toute  l'année, 
dans  la  mousse  humide.  Nantes,  Clisson,  Pornic. 

Pterotmetus  staphylinoïdes  Burm.  —  AR.  dans  la 
mousse  et  les  détritus  végétaux.  Saint-Herblain,  Clisson, 
Pornic. 

Ischnocoris  hemiplerus  Schill.  —  R.  Clisson,  Pornic. 

Mucrodema  micropterum  Curt.  —  La  Bernerie  (Dr  Mar- 
mottan). 

Pionosomus  varius  Wolf.  —  RR.  La  Bernerie,  sous  les 
plantes  maritimes  de  la  plage  (d'Antessanty). 

Plinthisus  brevipennis  Lalr.  —  CC.  dans  les  mousses 
humides.  Clisson,  Nantes,  Pornic. 

Lasiosomus  enervis  H.  S.  —  La  Bernerie  (Dr  Mar- 
mottan). 


97 


s 


Acompus  rufipes  Wolf.  —  Région  maritime.  AC.  Nantes 
(Piel  de  Chur  cheville).  —  Antennes  entièrement  testacécs. 

Stygnus  rusticus  Fall.  —  Forme  brachypt.  —  Pornic, 
falaises  sablonneuses.  R. 

S.  rusticus  var.  incanus  Fieb.  —  Forme  macropt.  — 
Pornic.  RR. 

S.  pedestris  Fall.  -  Terrains  sablonneux.  Nantes,  Pornic. 

PC. 

5.  arenarius  Hall.  —  GG.  région  maritime.  R.  à  l'inté- 
rieur. 

Peritrechus  geniculatus  Hah.  —  La  Bernerië  (Dr  Mar- 
moltan). 

P.  gracilicornis  Put.  —  G.  dans  tout  le  département. 

P.  nubilus  Fall.  —  Nantes,  Pornic.  AG. 

P.  luniger  Scliill.  —  G.  de  Nantes  à  la  mer. 

Trapezonotus  dispar  Stal.  —  Nantes  et  l'intérieur  du 
département.  PC. 

T.  Ullricliii  Fieb.  —  Région  maritime.  PC. 

Culyptonotus  Rolandri  Lin.  —  AC.  Nantes  et  le  littoral. 
La  tache  jaune  de  la  membrane  disparaît  habituellement  par 
la  dessiccation. 

Aphanus  lynceiis  F.  —  Région  maritime  PC. 

A.  quadratus  F.  —  Le  Pouligucn,  Pornic.  AG. 

A.  pedestris  Pz.  —  La  Bernerië  (D*  Marmottan). 

A.  vulgaris  Schill.  —  Environs  de  Nantes.  PC 

A.  Pini  Lin.  —  R.  Nantes.  Nous  en  avons  pris  un 
exemplaire  franchement  rouge,  en  mars,  sous  un  fagot 
d'ajoncs. 

Beosus  luscus  Fab.  —  AG.  à  l'intérieur.  G.  sur  le  littoral. 

B.  luscus  var.  sphragmidium  Fieb.  —  Pornic.  R. 
Embletliis   Verbasci  Stal.  —  G.  surtout  région  maritime. 
Dry  mas  sylvaticus  F .  —  Samt-Pèrc-en-Relz,  bords  de  la 

Loire.  AC. 


98 

Scolopestethus  pictus  Scliill. —  Nantes,  Pornic.  AG. 

S.  decoratus  Hab.  —  Nantes,  bourg  de  Batz.  PC. 

S.  affinis  Scliill.  — G.  dans  tout  le  département,  brachypt. 
R.  macropl. 

Notochilus  contractus  H.  S.  —  PC.  a  l'intérieur.  CG.  sur 
le  littoral. 

iV.  (Tbaumastopus)  Noviburgensis  d'Antess.  —  Sp.  nova. 
—  RR.  Bourgneuf,  en  septembre  (d'Antessanty). 

Pi/rrocoris  apterus  L.  —  G.  partout.  Pullule  à  Nantes  au 
pied  des  arbres,  sur  les  promenades.  Ordinairement  hra- 
cnyptère. 

Tingidides. 

Piesma  quadrata  Fieb.  —  Pornic.  AG.  Vit  en  familles 
nombreuses,  dans  les  vases  desséchées  de  l'arrière-port, 
sous  les  Chenopodium  et  Atriplex  rampants.  Les  individus 
blanc-jaunâtre  sont  probablement  immatures.  Les  adultes 
offrent  de  nombreuses  variétés  de  coloration.  Le  prothorax 
reste  ordinairement  plus  foncé  que  les  hémélytres  qui  sont 
blanches,  testacées,  rouge  brique,  tachées  ou  non  de  noirâtre. 

P.  capitata  '  Wolf.  —  PC.  Clisson  ,  en  septembre. 
Macroplère. 

P.  macutata  Lap.  —  R.  Nantes,  La  Rernerie  (Dr  Mar- 
mottait). Macroplère  dans  cette  dernière  localité  (P.  Laportei 
Fieb.). 

Serenthia  lœla  Fall.  —  La  Beraerie  (Dr  Marmottan). 

S.  femoralis  Thms.  var.  confusa  Put.  —  Bords  du  lac 
de  Grand-Lieu  {Dv  Marmottan). 

Orlhostira  parvulaFdW.  —  Nantes,  LaBernerie.  Macrop- 
lère (Dr  Marmottan). 

Dictyonota  crassicomis  Fall.  —  =  erythrocephala 
Garb.  —  La  Berneric(Dr  Marmottan). 

Derephysia  foliacca  Fall.  —  Pris  en  nombre,  a  Pornic, 


(Kl 


le  long  d'un  vieux  mur  de  jardin  tapissé  de  lierre.  Aussi  aux 
environs  de  Nantes,  mais  isolément. 

Galeatus  maculatus  H.  S.  —  Bourgneuf,  en  septembre. 
Un  seul  individu  (d'Antessanty). 

Tingis  Pyri  Fab.  —  AC  Nantes,  Glisson,  Pornic, 
Bourgneuf. 

Monanthia  Cardui  L.  —  Nantes,  Saint-Herblain,  Pornic. 

PC. 

M.  aurkulata  Costa.  —  R.  Saint-Père-en-Relz,  Glisson. 

M.  costata  Fab.  —  Un  individu  pris  à  Nantes,  en  avril, 
sur  une  muraille,  et  un  second  pris,  en  août,  à  la  Billar- 
dière,  en  Vertou. 

M.  Eryngii  Latr.  —  AC.  Région  maritime  sur  les 
Eryngium.    . 

M.  dumetorum  H.  S.  —  C  sur  l'aubépine.  Nantes,  bords 
de  la  Sèvre. 

M.  Humuli  F.  —  Bords  du  lac  de  Grand-Lieu  (Dr  Mar- 
mottan).  Environs  de  Nantes  {Piel  de  Churcheville). 

Aradides. 

Aradus  depressus  F.  —  Un  individu  pris  à  Pornic,  en 
août,  sous  une  planche  posée  à  terre.  Un  autre  à  Nantes,  en 
juin. 

Hébrides. 

Hebrus  pusillus  Fall.  —  Lac  de  Grand-Lieu  (Dr  Mar- 
mottan). 

Hydromctrides. 

Aëpophilus  Bonnairei  Sign.  —  Ce  curieux  hémiptère 
marin  a  été  trouvé  pour  la  première  fois,  sur  le  continent, 
par  M.  Prié,  du  Pouliguen,  sur  la  côle  voisine  de  ce  port.  Il 
vit  sous  les  pierres  à  demi  enfoncées  dans  le  sable  vaseux  et 
dans  les  fissures  des  roches  baignées  par  le  flot.  M.  le  Dr 


100 

Maisonneuve,  professeur  aux  Facultés  libres  d'Angers,  nous 
l'a  envoyé  de  Rellc-Ile-en-Mer  où  il  Ta  capturé.  M.  E.  Hervé 
Ta  pris  aux  environs  de  Morlaix  (Finistère).  Signalons,  parmi 
les  caractères  principaux  de  ce  singulier  insecte,  l'absence 
d'ocelles  et  la  forme  fragiforme  ou  mulliglobuleuse  de  ses 
yeux.  Il  paraît  n'arriver  a  l'état  parfait  qu'à  la  fin  de  l'au- 
tomne. 

Hydrometra  stagnorum  L.  —  Mares  et  étangs.  CC 

*Ve\ia  rivulorumF.  —  Un  seul  individu  macroptère  pris 
à  Pornic,  en  août,  sous  une  pierre,  dans  un  lieu  sec  et  élevé. 

V.  currens  F.  —  Etangs  et  surtout  eaux  courantes.  Passe 
l'été  à  l'état  larvaire;  devient  insecte  parfait  avant  l'hiver  et 
s'accouple  au  premier  printemps.  CC. 

Gerris  najas  de  G.  —  CC.  Etangs,  canaux,  eaux  tran- 
quilles. Brachypière. 

G.  gibbifera  Schml.  —  Mares  salées  à  Pornic  (Dr  Pulon); 
La  Bernerie  (Dr  Marmottan);  mares  d'eau  douce;  Nantes, 
Saint-Père-cn-Retz. 

G.  lacusiris  L.  —  CC.  Eaux  dormantes.  Ordinairement 
macroptère. 

G.  argentala  Schml.  —  Lac  de  Grand-Lieu,  en  juin 
(Dr  Puton)'-,'La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

Reduvides. 

Ploiaria  vagabunda  Lin. — Nantes,  Clisson,  Pornic.  AC. 

P.  vagabunda  var.  pilosa  Fieb.  —  Avec  le  type.  Rezé. 

P.  culiciformis  de  G.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

*Cerascopus  domesticus  Scop.  —  Un  seul  </  pris  dans 
l'escalier  de  ma  maison  à  Nantes,  en  octobre. 

Reduvius  pcrsonalus  L.  —  PC.  Environs  de  Nantes  (de 
Wouitt). 

*  Pirates  hybridus  Scop.  —  AC.  Région  maritime.  R.  à 
l'intérieur.  Souvent  caché  sous  les  pierres. 


101 

*Coranus  œgijptiusF.  —Littoral  de  la  baie  de  Bourgneuf, 
Mesquer.  PC. 

C.  subapterus  de  G.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

Prostemma  gultula  Fab.  —  PC  et  surtout  région  mari- 
time. Pornic,  Mesquer. 

*P.  sanguineum  Rossi.  —  R.  Bourgneuf  (d'Antessanty). 
—  (Dr  Marmottan). 

Nabis  brevipennis  Hah.  —  GG.  tout  l'été,  sur  les  buis- 
sons, les  chênes. 

N.  lativentris  Boh.  —  CC.  brachyptère.  RR.  macrop- 
tère;  Pornic,  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

N.  major  Costa.  —  x\C.  et  toujours  macroptèrc  Pornic, 
Nantes,  Clisson,  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

N.  férus  L.  -—  CC.  tout  l'été  dans  les  lieux  herbeux. 

N.  rugosus  L.  —  CC  partout.  Prairies,  lieux  incultes. 

N.  ericetorum  Schtz.  —  Environs  de  Vertou,  en  août.  R. 

2V.  brevis  Schtz.  —  Coteaux  de  la  Sèvre,  près  Clisson.  R. 

Saldides. 

Salda  saltatoria  L.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 
Nantes  (Piel  de  Chur  cheville). 

S.  pallipes  F.  —  RR.  Le  Croisic  (de  Wouill).  Les  Mou- 
tiers  (Dr  Marmottan). 

S.  pallipes  var.  pilosella  Thms.  --  La  Bernerie  (Dr  Mar- 
mottan). 

S.  pallipes  \ 'ar.  arenicola  Schltz.  —  La  Bernerie  (Dr  Mar- 
mottan). 

S.  Cocksii  Curt.  —  Nantes.  R. 

S.  Cocksii  var.  geminata  Costa.  —  Environs  de  Clisson. 
RR. 

S.  cincta  H.  S.  -  Le  Pouliguen  (de  Wouill).  Rezé,  en  août. 

Leptopus  boopis  Fourer.  —  Un  exemplaire  pris  à  Pornic, 
sous  une  planche  posée  à  terre,  au  mois  d'août. 


102 

Cimicides. 

Gimex  leclularias  L.  —  Trop  commun  dans  les  babi ta- 
lions des  villes. 

Lyctocoris  campestris  F.  —  GG.  partout,  surtout  dans 
les  détritus  végétaux.  Il  abonde  sous  les  algues  rejetées 
par  le  flot,  sur  la  plage  de  Porlmain,  près  Sainte-Marie  de 
Pornic. 

Piezoslethus  cursitans  Fall.  —  Pornic,  braenyptère. 
Nantes,  macroptère.  RR. 

Temnostethus  pus  il  lu  s  IL  S.  —  R.  Saint-Père-en-Retz. 

Anthocoris  confusus  Reut.  —  Un  seul  exemplaire  de 
Pornic. 

A.  nemoralis  F.  —  AC.  en  été,  sur  les  fleurs  ;  en  hiver, 
sous  les  écorces.  Saint-IIerblain,  Nantes,  Pornic. 

A.  nemoralis  var.  auslriacus  F.  —  PC.  Nantes,  Pornic. 

A.  gallarum-ulmi  de  G.  —  PC.  Nantes.  Varie  à  antennes 
entièrement  noires. 

A.  sylvestris  Lin.  —  CC.  partout.  Mœurs  et  habitat  lVA. 
nemoralis. 

A.  limbalus  Fieb.  —  Rives  du  lac  de  Grand-Lieu  (Dr 
Marmot  la  n). 

Acompocoris  pygmœus  Reut.  —  Un  individu,  de  grandeur 
insolite,  pris  à  Orvault. 

Triphleps  nigra  Wolff.  —  AG.  Nantes,  Pornic. 

T.  nigra  var.  VUrichii  Fieb.  —  Nantes,  Gorges.  VC. 

T.  majuscula  Reut.  —  PC.  Glisson,  Nantes. 

T.  minuta  Lin.  —  CC.  partout.  Mœurs  d' Anthocoris 
nemoralis. 

T.  lœvigala  Fieb.  —  Nantes,  Pornic.  PC.  —  Nos  exem- 
plaires de  la  Loire-Inférieure,  vus  par  M.  Lethierry,  sont 
conformes  à  l'exemplaire  de  Ficher  que  ce  savant  possède  en 
sa  collection.  Reutern'a  pas  eu  connaissance  du  T.  lœvigata 


103 

Fieb.   et,   pour  lui,   cette  espèce  doit   rentrer  dans  le   T. 
minuta  Lin. 

Brachy stèles  parvicornis  Costa.  —  Nantes,  brachyptère. 

PC 

*Cardiasthetus  fasciiventris  Garh.  —  Nantes.  11. 

Xylocoris    ater   Dut.    —  R.  Nantes.   Hiverne  sous  les 
écorces. 

Capsides. 

Miris  calcaratus  Fall.  —  CC.  sur  les  herbes,  en  été. 

M.  lœvigatus  L.  —  Comme  le  précédent. 

Megalocerœa   erraticu   L.   —    AC.   lieux  herbeux,  tout 
l'été. 

M.  longicornis  Fall.  —  CC.  région  maritime.  AC.  à  l'in- 
térieur. 

M.  ruficomis  Fourer.  —  Un  exemplaire  du  Pouliguen 
(de  Wouilt). 

Teralocoris  antennatns  Bon.  —  Les  Moutiers  (Dr  Mar- 
mottan). 

Leptoterna  dolabrata  L.  —  PC.  région  maritime.  R.  à 
l'intérieur. 

Monalocoris  Filicis  Lin.  —  C  sur  Pteris  aquilina. 

Lopus  gothicus  L.  —  Environs  de  Nantes.  PC 

L.  flavomarginatus  Donov.  —  R.  Sainl-Herblain  (de 
Wouilt). 

L.  sulcatus  Fieb.  —  C.  par  localités  au  commencement 
de  l'été.  Disparaît  en  juillet.  Pornic,  Le  Pouliguen,  environs 
de  Nantes. 

Miridius  quadrivirgmius  Costa.  —  AR.  prairies  autour 
de  Nantes,  Le  Pouliguen,  Pornic. 

Phytocoris  Populi  Lin.  —La  Befnerie  (DT  Marmottan). 

P.  Tiliœ  F.  —  AC.  sur  les  peupliers. 

P.  Pini  Krb.  —  La  Berneric  (Dr  Marmottan). 


104 

P.  Ulmi  Lin.  —  G.  dans  toute  la  région. 

P.  varipes  Bon.  —  PC.  Clisson,  Pornic. 

*P.  SalsolœVut.  —  Les  Moutiers  (Dr  Marmottan). 

Calocoris  bipunctatus  F.  —  CC.    toute   Tannée,  surtout 
les  fleurs  des  Ombellifères. 

*C.  sexpunctatus  Fabr.  —  Saint-Herblain,  Nantes.  RR. 

*C.  sexpunctatus  var.  nankineus  Dut.  —  Un  seul  exem- 
plaire de  Saint- Joseph,  près  Nantes  (Piel  de  Churchevilk). 

C.   Chenopodii  Fall.  —  CC.  surtout  lieux  incultes    du 
littoral. 

C.  roseomaculatus  de  G.  —  PC.  Le  Pouliguen. 

C.  marginellus  Fab.  —  AC.  Saint-Herblain,  Pornic. 

Megacœlum  infusum  H.   S.    —   C.  tout  l'été,  sur  les 
chênes.  Clisson,  Pornic. 

*Brachycoleus  bimaculatus  Rarab.   —  La  Bernerie  (Dr 
Marmottan). 

Oncognaius  binolalus  F.  —  AU.  Nantes  (Piel  de  Chnr- 
cheville).  Saint-Herblain  (^  Wouilt). 

Plesiocoris  ritgicollis  Fall.  —  Bords  du  lac  de   Grand- 
Lieu,  en  juin  (DT  Pulon). 

Lygus  pratensis  Fab.  —  CC.  partout  sur  les  plantes  basses. 

L.  campestris  F.  —  CC  et  très  variable. 

L.  lucorum  Mey.  —  R.  sur  les  saules,  environs  de  Nantes. 

L.  pabulinus   L.    —   R.   Clisson,  sur  les  saules;    lieux 
humides. 

L.  PastinacœY-AÏÏ.  —  PC  Clisson,  Nantes.  En  été  sur  les 
fleurs  d'Ombellifères  ;  en  hiver,  sous  les  écorces. 

L.  cervitius  II.  S.  —  Rezé,  eu  juillet  et  août.  R. 

L.  Kalmii  L.  —  CC  partout. 

L.  Kalmii  var.  flavovarius  F.  —  Rezé  ;  quelques  indi- 
vidus. 

L.  Kalmii  var.   pauperatus    11.   S.  —  Rezé;   quelques 
individus. 


105 

L.  viscicola  Put.  —  Revue  d'Entomol.  1888.  Sur  le  gui  des 
peupliers.  Basse-Goulaine  (Piel  de  Chur cheville).  Juin-juillet. 

*Cyphodema  instabilis  Luc.  —  R.  et  seulement  région 
maritime.  Aisé  à  confondre  avec  Liocoris  tripustulatus 
dont  il  diffère  peu  par  sa  livrée. 

Pœciloscytus  holosericeus  Hall.  —  Environs  de  Nantes.  R. 

P.  vulneratus  Wolff.  —  La  Berneric  (DT  Marmottan). 

*P.  eognatus  Fieb.   ~  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

Camptobrochis  lutescens  Schill.  —  CC.  sur  les  chênes. 
Hiverne  sous  les  écorces  et  dans  la  mousse.  Très  variable. 

Liocoris  tripustulatus  Fab.  —  CC  surtout  sur  les  orties. 

Capsus  trifasciatus  L.  —  La  Berneric  (Dr  Marmottan). 

G.  scutellaris  F.  —  La  Bernerie  (D1  Marmottan). 

C.  laniarius  L.  —  CC.  jardins,  lisières  des  taillis.  En  été. 

C.  laniarius  var.  tricolor  F.  —  Avec  le  type.  C. 

Pilophorus  cinnamopterus  Kb.  —  Sur  les  chênes,  à  la 
tin  de  Tété.  PC  Pornic,  Clisson,  Nantes. 

P.  perplems  Scott.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

*Mimocoris  coarclatus  Mis.  R.  —  Environs  de  Nantes, 
sur  les  haies  ;  Sainl-IIerblain,  La  Chapelle-Basse-Mer.  Juil- 
let-août. RR. 

Eroticoris  rufescens  Burm.  —  La  Bernerie  (Dr  Mar- 
mottan). 

Haïtiens  luteicollis  Pz.  —  Nantes,  Saint-Père-en-Retz. 
AC 

Slrongylocoris  luridus  F  ail.  —  Un  individu  pris  en  août, 
à  Pornic. 

*S.  obesus  Perr.  var.  obscurus  Ramlt.  —  La  Bernerie 
(Dr  Marmottan). 

Labops  saltator  tlah.  —  AC  Pornic.  RR.  à  l'intérieur- 

L.  mutabilis  Fall.  -     La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

Dicyphus  annulatus  Wolff.  —  La  Bernerie  (Dr  Mar- 
in ot  tan). 


106 

Campyloneura  virgula  H.  S.  —PC.  Nantes,  sur  l'aulne, 

le  charme;  Pornic.  Juillet-août. 

Cyllocoris  hislrionicus  Lin.  —  Saint-Herblain  (de 
Wouilt).  RR. 

Œtorhinus  angulatus  Fab.  —  C.  tout  l'été,  à  Nantes, 
sur  les  aulnes.  Pornic,  Saint-Père-en-Rclz. 

Globiceps  flavomaculatus  F.—  Pornic,  dans  les  prés  secs.  11. 

G.  selectus  Fieb.  —  La  Berncrie  (Dr  Marmottari). 

Orthotylus  nassatus  F.  —  C.  sur  les  haies,  les  charmilles, 
les  chênes. 

0.  prasinus  Fall.  —  CC  a  Nantes,  sur  les  charmilles. 

0.  flavosparsus  Sahlb.  —  R.  Pornic,  en  été,  sur  les 
Chenopodées. 

0.  chlor  opter  us  Kl).  —  AG.  littoral  du  sud,  sur  le  genêt, 
l'ajonc 

0.  concolor  Kb.  —  AC;  PC.  à  l'intérieur,  sur  le  genêt, 
l'ajonc. 

0.  rubidus  Fieb.  —  La  Bernerie  (DT  Marmottan). 

0.  rubidus  var.  Salsolœ  Reut.  —  Les  Moutiers  (Dr  Mar- 
mottan). 

0.  ericetorum  Fall.  —  Environs  de  Nantes.  RR.  sur  les 
bruyères. 

Hypsitylus  bicolor  Dgl.  —  Rezé,  sur  les  ajoncs.  RR. 

Loœops  coccinea  Mey '.  —  Un  exemplaire  de  Saint-Herblain 
(de  Wouilt). 

Heterotoma  merioptera  Scop.  —  G.  sur  les  baies,  les 
buissons,  surtout  les  orties. 

*Heterocordylus  parvulus  Reut.  —  Pornic  (Dr  Puton). 
Sur  les  genêts,  ajoncs. 

H.  tibialis  Hall.  —  Pornic,  juillet-août.  PC.  sur  les  genêts, 
ajoncs. 

Malacocoris  chlorizans  Fall.  -  A.C.  tout  l'été,  sur  les 
tilleuls. 


107 

M.  chlorizans  var.  smaragdinus  Fieb.  —  Mêlé  au  type. 

Onychumenus  decolor  Fall.  —  Pornic,  en  août.  RR. 

Hoplomachus  Thunbergi  Fall.  —  Pornic,   en  juin  (Dr 
Puton). 

Macrocoleus  mollicuhis  Fall.  —   Un   exemplaire  pris  à 
Pornic,  en  août. 

Macrotylus  PaykuiiiVdW.  —  AC.  sur  les  Ononis,  région 
maritime.  Mai-juillet. 

Harpocera  thoracica Fall.— La  Bernerie(Dr  Marmotlan). 

Phylus  Coryli  Lin.  —  Riaillé,  sur  les  noisetiers.  R. 

*Psallus  ancorifer  Fieb.  —  Environs  de  Nantes.  R. 

P.  ambiguus  Fall.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmotlan). 

P.  lepidus  Fieb.  —  Bords  du  lac  de  Grand-Lieu  (Dr  Mar- 
motlan). 

P.  sanguineus  F.  var.  querceti  Fall.  —  Un  exemplaire 
de  Pornic. 

Atractotomus  Mali  Mey. —  Nantes,  Pornic.  Juillet-août.  R. 

Plagiognathus  fulvipennis  Kb.  —  Un  individu  pris,  en 
août,  à  Pornic. 

P.  arbuslorum  F.  var.  brunnipennis  Mey. —  AC  région 
maritime.  PC.  à  l'intérieur. 

P.  albipennisYzïï.  —  Un  individu  pris,  en  août,  à  Pornic. 

Chlamydalus  pullusReui.  «-Pornic  R. 

G.  evanescens  Boh.  —  Sous  les  touffes  de  Sedum,  où  il 
hiverne.  Nantes,  en  mars,  talus  empierrés,  près  la  gare  de 
l'Etat.  —  Rochers  de  la  Sèvre,  h  Clisson. 

Neocoris  Bohemani  Fall.  —  Un  exemplaire  de  Saint- 
Herblain. 

Sthenaras  dissimilis  Reut.?  —  Environs  de  Nantes  (de 
Wouill).  R. 

S.  Roseri  II.  S.  —  Environs  de  Nantes  (de  Wouilt). 

*Tuponia  Tamaricis  Perris.  —  Sur  les  Tamarix,  région 
maritime.  R. 


108 
HYDROCORISiE   Latr. 

Naucorides. 

Naucoris  cimicoïdes  Lin.  — CC  rivière  d'Erdre,  mares, 
étangs. 
*N.  maculatus  Fab.  —  Nantes,  rivière  d'Erdre.  R. 

Nepides. 

Nepa  cinerea  Lin.  —  Vase  des  marais.  CC- 

Ranatra  lineàrishin.  —  PC.  également  dans  la  vase  des 

étangs,    des   mares.    Pornic    (DT    Maisonneuve)  ;    Nantes 

(Piel  de  Churcheville). 

Notonectides. 

Notonecla  glauca  Lin.  —  Eaux  stagnantes.  CC 
N.  glauca  var.  umbrina  Germ.  —  R.  Nantes. 
N.  glauca  var.  marmorea  Fab.  —  C. 
N.  glauca  var.  furcala  Fab.  —  CC 
Plea  minutissima  Fab.  —  Mares,  rivière  d'Erdre,  lac  de 
Grand-Lieu.  AC. 

Corixides. 

Corixa  Geoffroyi  Leach.  —  AC.  eaux  stagnantes,  rivière 
d'Erdre. 

C.  atomaria  IUig.  —  Pornic  ,  La  Bernerie  (Dr  Marmot- 
tan),  lac  de  Grand-Lieu  {DT  Puton). 

C.  lugubris  Fieb.  —  Etiers  des  salines  à  Bourgneuf 
(Dr  Puton). 

C.  hieroglyphica  DuC  —  Mare  près  Saint-Père-en- 
Retz.    RR. 

C.  Salilbergi  Fieb.  —  Eaux  tranquilles.  CC 

C  Linnëi  Fieb.  —  Eaux  tranquilles.  C 


109 

C.  limitata  Fiel».  —  Mare  en  Rezé.  R. 

C.  semistriata  Fieb.  —  Lac  de  Grand-Lieu  (Dr  Puton). 

C.  striata  L.  —  PC  rivière  d'Erdre,  lac  de  Grand-Lieu. 

C.  Fallenii  Fieb.  —  AC.  autour  de  Nantes. 

C.  distincta  Fieb.  —  Mares  en  Rezé.  R. 

C.  mœsta  Fieb.'  —  Mares  autour  de  Nantes  [Piel  de 
Chur cheville). 

C.  fossarum  Leach.  —  Etiers,  vasières,  eaux  saumâtres. 
R.  Ratz,  Le  Pouliguen,  Le  Croisic 

C.  Vabricii  Fieb.  —  R.  mare  près  le  Plessis-Tison, 
Nantes. 

C.  coleoptrata  Fab.  —  C  rivière  d'Erdre. 

Sigara  Scholtzii  Fieb.  —  Dans  les  dunes  de  La  Bernerie 
(Dr  Marmotlan). 


Hemiptera  homoptera  Am.  serv. 

AUGHENORHYNCHA  Duméril. 

Fulgorides. 

Cixhis  pilosus  01.  —  G.  tout  l'été,  sur  les  chênes,  haies, 
buissons. 

*C.  venustulus  Germ.  —  Pornic,  en  juin,  dans  les 
herbes.  RR. 

C.  nervosys  L.  —  R.  sur  le  littoral  ;  G.  a  l'intérieur. 

C.  pallipes  Fieb.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

C.  simplex  H.  S.  —  Pornic,  sur  les  haies.  R. 

Oliarus  lepnrinus  L.  —  La  Rerncrie  (Dr  Marmotlan). 

0.  qninqnecoslatus  Duf.  —  Pornic,  sur  les  chênes.  RR. 

Issus  coleoplratusFdibï.  —  GG.  sur  les  chênes,  les  haies. 

Asiraca  clavicornis  Fabr.  —  Pornic,  hautes  herbes  des 
falaises.  Août-septembre.  RR. 


110 

Arœopus  pulchellus  Gurt.  —  Pornic,  Jardin-de-Retz,  en 
août.  RR. 

Kelisia  gutlula  Germ.  —  Nantes,  Clisson,  Pornic.  Haies, 
lieux  herbeux  en  été.  AC. 

Conomelus  limbatus  Fabr.  —  AG.  prés  et  fossés  humides. 

Delphax  discolor  Bon.  —  R.  fossés  humides  à  Nantes. 

D.  pellucida  Fabr.  —  CC  tout  l'été,  dans  les  prairies. 

D.  striatella  Fall.  — Environs  de  Nantes,  en  septembre.  R. 

D.  eleyantula  Bon.  —  Nantes,  un  seul  <f  pris  en  sep- 
tembre. 

D.  collina  Bon.  —  R.  Nantes,  fossés  herbeux,  en 
septembre. 

D.  obscurella  Bon.  —  AG.  Nantes,  Clisson,  Pornic. 

D.  Rcyi  Fieb.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmotlan). 

*D.  Mulsanli  Fieb.  —  RR.  Clisson,  en  septembre. 
Macroptère. 

D.  forcipata  Bon.  —  Un  cf  brachyptère  pris  dans  un 
pré,  à  Gorges,  en  septembre. 

D.  fuscifrons  Fieb.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmotlan). 

D.  leplosoma  Flor.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmotlan). 

D.  lepida  Boh.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmotlan). 

D.  quadrimaculala  Sign.  — Un  exemplaire  brachyptère, 
pris  a  Pornic,  en  juillet. 

D.  Aubei  Perris.  —  Coteaux  à  Pornic,  en  juin.  Bra- 
chyptère. R. 

D.  paludosa  Flor.  —  R.  Nantes,  prés  humides,  en  juillet. 
Brachyptère. 

D.  Fairmairei  Perris.  —  R.  Clisson,  en  septembre. 
Macroptère  et  brachyptère. 

Dicranotropis  hamata  Boh.  —  AC.  tout  l'été  dans  les 
prairies,  les  fossés  herbeux.  Brachyptère. 

Stiroma  bicarinala  H.  S.  —  Un  exemplaire  macroptère, 
pris  en  août  à  Pornic 


ill 

S.  Pteridis  Gêné.   —  R.  coteaux  herbeux,  à  Pornic,  en 
août.  Brachyplère. 
.    Tetliyometra  virescens r'Pz.  —  PC  Pornic,  Clisson. 

T.  impressopunctata  Duf.  —  AG.  tout  l'été. 

Cercopides. 

Triecphora  vulnerala  Germ.  —  Marais  à  La  Chapelle- 
sur-Erdre.  RR. 

*T.  sanguinolenta  L.  Pornic,  au  printemps,  sur  les 
falaises  herbeuses,  PC. 

Aphrophora  Salicis  de  G.  —  PC.  sur  les  saules,  en  été. 

A.  Alni  Fall.  —  C.  également  sur  les  saules. 

Plyelus  campestris  Fall.  —  Pornic,  Clisson. 

P.  spumarius  Lin.  —  CG.  tout  Tété. 

P.  spumarius  var.  lateralis  Lin.  —  AC.  avec  le  type. 

P.  spumarius  var.  apicalis  Ger.  —  (Dr  Marmoltan). 

P.  spumarius  var.  leucoccphalus  L.  —  (Dr  Marmoltan). 

P.  spumarius  var.  fasciatus  F.  —  (Dr  Marmoltan). 

P.  spumarius  var.  lineatus  F.  —  Nantes,  Pornic.  PC. 

P.  spumarius  vw.pallidus  Schr.  —  Autour  de  Nantes.  AR. 

Membr acides. 

Gargara  Genislœ  Fab.  —  G.  landes  et  terres  incultes. 
Clisson,  Pornic,  Vertou. 

Jassides. 

Megophthalmus  scanicus  Fall.  —  AG.  sur  les  herbes. 
Nantes,  Clisson,  Pornic.  Très  variable  de  coloration. 

Ledra  aurila  Lin.  —  Sur  les  chênes.  Pornic,  Nantes.  AR. 

Idiocerus  notalus  Fab.  —  RR.  Pornic,  en  août,  sur 
Prunus  spinosa. 

I.  varius  F.  —La  Bernerie  (Dr  Marmoltan). 

L  lituralus  Fall.  —  Pornichet  (Dr  Marmoltan). 


112 

I.  elegans  Flor.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

I.  laminalus  Flor.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

I.  Populi  Lin.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

I.  fulgidus  Fab.  —  PC.  Nantes,  Gorges,  sur  les  saules. 

Macropsis  prasina  Fab.  —  R.  Vertou,  en  août,  sur  les 
chênes. 

M.  lanio  Lin.  —  PC.  Pornic,  Clisson,  Vertou.  Même 
habitat.  Août-septembre. 

Bjjlhoscopus  Alni  Schk.  PC  sur  les  aulnes,  les  saules,  le 
long  des  eaux.  Pornic.  Variété  très  élégante,  de  Saint-Père- 
en-Retz. 

Pediopsis  cerea  Germ.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

P.  (flandacea  Fieb.  —  Un  exemplaire  pris,  en  août,  à 
Pornic. 

P.  virescens  Fab.  —  AG.  sur  les  saules. 

P.  impara  Boh.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

P.  nassata  Ger.  —  Autour  de  Nantes,  fin  de  Tété,  sur 
les  saules.  R. 

P.  scutellala  Boh.  —  C  surtout  sur  les  saules. 

*Agallia  sinuata  Mis.  R.  —  La  Bernerie  (Z>  Marmottan). 

A.  puncticeps  Ger.  —  Cfi.  prés,  pelouses,  tout  l'été. 

A.  venosa  Fall.  —  CC.  mêmes  lieux.  Hiverne. 

Tettigonia  viridis  Lin.  —  C  lieux  herbeux  humides. 

Euacanlhus  interruptus  Lin.  —  Même  habitat,  mais 
moins  commun.  Riaillé,  Nantes,  Pornic,  Saint-Pèrc-en-Retz. 

Prntliimia  alra  Fab.  —  Environs  de  Nantes,  RR. 

*Chiasmus  IranslucidusMh.R.  — Brachyplère  (Attrac- 
totypus  cinctus  Perris).  La  Bernerie  (/>  Marmottan). 

Eupelix  ctispidata  Fab.  —  La  Bernerie  (I)r  Marmottan). 

E.  prodacta  Ger.  —  U.  Clisson,  Pornic,  en  septembre. 

Acocephalus  slrialus  Fab.  —  Fossés,  prairies.  CC.  tout 
Télé. 

A.  bifasciatus  Lin.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 


113 

*A.  assimilis  Sigu.  —  Lieux  herbeux.  Pornic,  Riaillé.  H. 

A.  albifrons   L.    —  PC.  Nantes,  Pornic,  Riaillé,  Saint- 
Père-en-Retz. 

A.  Serralulœ  F.  —  R.  Pornic,  Saint-Père-en-Retz. 

A.  hislrionicus  Fab.  —  Environs  de  Verlou,  en  septem- 
bre. RR. 

Paramesus  nervosus  Fall.   —   Les   Moutiers  (Dr  Mar- 
mottan). 

Gnalhodus  punctalus  Thunb.  —  AR.  autour  de  Nantes, 
sur  les  baies,  les  buissons,  les  herbes.  Juillet-septembre. 

Cicadula  diminula  Leth.  —  R.  environs  de  Nantes,    de 
Vertou,  à  la  fin  de  Télé.  Lieux  marécageux. 

C.  sexnolala  Fall.  —  AC.  mêmes  lieux  et  même  saison. 
Très  Variable  de  livrée. 

Doralura  stylata  Bob.  —  La  Rernerie  (Dr  Marmottan). 

*Thamnoteltix  Fieberi    Ferr.   —  Sur  les  baies,  à  la  fin 
de  Tété.  Vertou,  Rezé.  RR. 

*T.  fuscovenosus    Ferr.    —    Pornic,    Vertou,    Nantes. 
Buissons,  lieux  berbeux,  en  septembre.  R. 

T.  crocfus  IL  S.  —  G.  tout  l'été. 

T.  attenaatus  Germ.  —  La  Rernerie  (Dr  Marmottan). 

T.  quadrinotatus  Fab.  --  Prés  humides,  en  Rezé.  AR. 

T.  sulphurelius  Zelt.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

*Atliysanus  stactonala  Am.  —  Sur  les  Tamarix,  en  Rezé, 
de  juillet  à  septembre.  RR. 

A.  slriola  Fall.  —  La  Bernerie  (Dr  Marmottan). 

A.  obscurellus  Kb.   —  R.  De  juin  à  septembre.  Prés  à 
Pornic. 

A.  distinguendus  Kb.  —  R.  environs  de  Nantes. 

A.  subfusculus  Fall.  —  Nantes,  sur  les  chênes,  en  juillet 
(Picl  de  Churckeville). 

A.  erylhrosllicias  Leth.  —  Clisson,  Riaillé,  Pornic.  Lieux 
boisés,  tout  l'été.  C. 

s 


114 

A.  plebejus  Zell.  —  GC  lieux  herbeux*  tout  l'été. 

A.  variegatus  Kb.  —  CC.  lieux  herbeux,  tout  l'été. 

Goniagnathus  brevis  H.  S.  —  Falaises  de  Pornic.  RR. 

Jassus  alomarius  Ger.  —  Pornic,  sur  les  chênes.  R. 

/.  mixlus  Fab.  —  Un  exemplaire  pris  à  Clisson,  sur  un 
chêne,  en  septembre. 

/.  modeslus    Scott.    —    Pornic,    sur    des    chênes,    en 
août.    RR. 

Deltoceplwlus  multinolatus  Rob.  var.   Mayri    Fieb.  — 
Un  exemplaire  pris  a  Rezé,  le  long  d'un  fossé,  en  août. 

D.  argus  Marsh.    —   RR.    prés   riverains  de  la  Sèvre,  à 
Gorges,  en  septembre. 

D.  distinguendus  Flor.  —  AG.  allées  herbeuses  des  bois, 
pelouses,  en  été.  Nantes,  Clisson. 

D.  Fallenii  Fieb.   —  R.   Gorges,   en  septembre,   prés 
humides. 

D.  pulicaris  Fall.  —  G.  fossés,  prairies,  en  été. 

D.  slriatus  Lin.  —  G.  pelouses  sèches,  lieux  ensoleillés. 

D.  breviceps  Kb.  —  RR.  Pornic,  en  septembre. 

D.  langui  dus  Flor.  —  La  Bernerie  (DT  Marmottan). 

D.  Minki  Fieb.  —  PG.  Nantes,  Gorges,  sur  les  herbes. 

Alebra  albostriella  Fall.  —  G.  sur  les  chênes,  les  haies, 
à  la  fin  de  l'été. 

A.  albostriella  var.  fulveola  IL  S.  —  Avec  le  type.  G. 

A.  albostriella  var.  Walil^ergi  Bon.  —  Avec  le  type.  G. 

Dicraneura  agnata  Leth.  —  AG.  autour  de  Nantes,  sur 
les  herbes,  le  long  des  haies,  a  la  fin  de  l'été. 

D.  citrinella  Zett.  —  R.  Glisson,  en  septembre,  sur  les  haies. 

Chlorita  apicalis  Flor.  —  R.  Pornic,  en  septembre. 

C.  flavescens  Fab.  —  GG.  partout. 

G.  Solani  Koll.  —  GG.  partout. 

Kybos  smaragdulus  Fall.  —  R.  sur  des  saules,  à  Gorges, 
en  septembre. 


115 

Enpteryx  vittata  Lin.  —  H.  prés  marécageux,  en  Rezé. 
Septembre. 

E.  Wallengreni  Si  al.  —  Prés  secs  aux  environs  de 
Clisson,  Vertou,  Rezé.  PC. 

E.  filieum  Newm.  —  Sur  Pteris  aquilina,  Clisson.  RR. 

E.  concinna  Ger.  —  AC.  sur  les  chênes,  en  septembre. 

E.  pidcliella  Fall.  —  Même  habitat  que  E.  concinna.  G. 

E.  Curpini  Fourcr.  —  PC.  prairies  à  Gorges,  garennes 
de  Clisson,  en  septembre. 

E.  aurata  Lin.  —  C.  tout  l'été,  sur  diverses  plantes. 

E.  Urticœ  Fab.  —  PC.  lieux  herbeux,  en  septembre. 

E.  Cnrtisii  Flor.  —Environs  de  Vertou,  de  Rezé.  PC. 

E.  Melissœ  Curt.  —  AC  sur  les  labiées  aromatiques. 

Typhlocyba  nitidula  Fab.  —  AC.  sur  les  ormes.  Nantes, 
Clisson.  A  la  fin  de  l'été. 

T.  nitidula  var  Norgueli  Leth.  —  Charmilles  du  jardin 
de  la  Philosophie,  à  Nantes,  de  juillet  à  l'automne.  RR. 

T.  aurovittata  Dgl.  —  RR.  Nantes,  Clisson.  Fin  de  l'été. 

T.  Rosœ  Lin.  —  Lieux  cultivés.  Nantes,  Pornic.  AC. 

T.  Lelliierryi  Edw.  —  AC.  sur  les  ormes,  autour  de 
Nantes  et  de  Clisson.  Août-octobre. 

T.  gratiosa  Boh.  --  Un  exemplaire  pris  en  Rezé.  Septembre. 

T.  Ulmi  Lin.  —  CC.  sur  la  mousse  des  troncs  d'ormes, 
dans  laquelle  il  passe  l'hiver.  Varie  sans  points  noirs  au 
vertex  et  au  prothorax.  Nantes. 

T.  Quercûs  Fab.  —  Buissons,  baies,  taillis  de  chênes.  R. 
Vertou.  A  la  fin  de  l'été. 

T.  tenerrima  H.  S.  —  RR.  Vertou,  sur  les  haies,  en 
septembre. 

T.  debilis  Dgl.  —  Un  exemplaire  de  Nantes,  pris  sur  une 
haie,  en  septembre. 

Zygina  alneti  Dahlb.  —  Sur  les  noisetiers,  autour  de 
Nantes.  PC. 


116 

Z.  nivea  Mis.  R.  —  Verlou,  en  septembre.  RR. 

Z.  sculellaris  H.  S.  —  AG.  a  la  fin  de  Télé.  Nantes,  Clisson. 

Z.  parvuta  Bon.  —  AC.  toute  l'année,  sur  les  haies,  les 
herbes.  Nantes,  Pornic. 

Z.  blandula  Rossi.  —  R.  Pornic,  Verlou  ;  sur  les  haies. 
Septembre. 

Z.  77//œGcoff. —  RR.  prise  h  Nantes,  en  avril,  dans  un  jardin. 

Z.  angusta  Leth.  —  Vertou,  en  septembre.  R. 

*Z.  bisigriata  Mis.  R.  —  RR.  Nantes,  sur  les  haies,  en 
novembre.  Vertou,  en  septembre 


STERNORHYNCHA  Am.  S. 

Psyllides. 

Livia  juncorum  Latz.  —  AC  sur  les  joncs,  au  bord  des 
marcs,  le  long  des  fossés. 

Psylla  Cratœgi  Schrk.  var.  triozoïdes  Lalz.  —  Pornic, 
sur  l'aubépine.  PC. 

P.  perrgrina  Frst.  —  Sur  l'aubépine;  Nantes,  Pornic,  PC. 

P.  Fœrsteri  Flor.  —  R.  garennes  de  Clisson,  sur  les 
aulnes,  au  bord  de  la  Sèvre,  en  septembre. 

P.  Bnxi  Lin.  —  AC  sur  le  buis,  autour  de  Nantes.  Juin- 
septembre. 

P.  melanoneura  Frst.  —  Pornic,  sur  l'aubépine,  de  mai 
à  septembre.  PC. 

P.  ambiyua  Frst.  —  Un  exemplaire,  pris  en  août,  sur  le 
saule,  en  Rezé. 

Arytaina  Genistœ  Latr.  —  C  surtout  sur  les  genôts. 
Pornic,  Clisson. 

*Homotoina  Ficus  Lin.  —  Un  exemplaire  pris  en  Rezé,  à 
la  fin  d'août. 


LÀ  CONTRÉE  GUÉRÂNDÂISE 


DEVANT      L'HISTOIRE      ANCIENNE 


Par   Mr  E.  ORIEUX. 


I»    PARTIE. 
GRANNONE 


Depuis  une  vingtaine  d'années,  diverses  questions  contro- 
versées d'archéologie  et  d'histoire  ancienne,  concernant  le 
département  de  la  Loire-Inférieure,  ont  été  portées  devant 
les  Sociétés  savantes  :  la  Société  archéologique,  l'Association 
bretonne,  le  Congrès  archéologique  de  France,  ont  entendu 
tour  à  tour  des  dissertations  sur  les  entreprises  de  César,  sur 
les  incursions  des  Saxons,  sur  la  situation  ancienne  de  la 
Grande-Brière  et  du  Trait  du  Croisic,  enfin  sur  les  peuples 
qui  habitaient,  vers  le  commencement  de  l'ère  chrétienne, 
la  région  de  notre  département  Comprise  entre  la  Brière  et 
le  Croisic,  entre  Sainl-Nazaire  et  le  bassin  de  Pompas. 

D'après  les  nombreux  ouvrages  publiés  dans  ces  derniers 
temps,  ce  pays  aurait  été  autrefois  singulièrement  privilégié  : 
entrepositaire  de  toutes  les  richesses  de  la  Gaule  et  de.  l'île 
de  Bretagne,  il  aurait  abrité  les  villes  les  plus  célèbres  de 
l'antiquité:  la  puissante  Grannone  qui  maintenait  les  aventu- 


118 

reux  Saxons;  la  Brivates  aux  220  vaisseaux  qui  lutta,  non 
sans  succès,  contre  le  plus  grand  des  capitaines;  la  riche 
Corbilon  qui  fut  la  rivale  de  Marseille  et  de  Narbonne;  enfin 
la  mystérieuse  Vénéda  dont  le  pouvoir  rayonnait  sur  toute  la 
côte  vénétique. 

Notre  Société  Académique  était  restée  seule  en  dehors  de 
ce  grand  courant  d'érudition.  Mais  voici  qu'un  de  nos  collè- 
gues, qui  connaît  nos  vieilles  ruines  et  nos  lieux  antiques  et 
qui  sait  arracher  au  sol  les  secrets  cachés  par  la  poussière 
des  siècles,  voici  que  M.  Maître  vient  de  saisir  notre  Société 
des  choses  de  l'antiquité  qui  divisent,  qui  attirent,  qui 
passionnent  les  savants  du  pays  nantais. 

Si  les  documents  qui  servent  à  écrire  l'histoire  avaient 
toute  la  clarté  nécessaire,  et  si  les  plus  importants  ne  présen- 
taient pas  de  regrettables  lacunes,  il  est  probable  que  les 
questions  historiques  controversées  seraient  en  bien  petit 
nombre.  Mais  les  textes  originaux  manquent  le  plus  souvent; 
les  copies  ont  des  passages  défectueux  :  ici,  on  a  ajouté  au 
texte  ;  là,  on  a  retranché  du  texte  ;  sur  certains  sujets,  il 
n'existe  que  des  fragments  insuffisants.  Et  puis  nous  avons 
quelquefois  une  confiance  naïve  dans  les  auteurs  qui  ont 
traité  le  sujet  avant  nous  et  dont  le  sentiment  nous  plaît,  ou 
de  singulières  audaces  dans  nos  citations  et  nos  conclusions. 
11  s'ensuit  que  si  nous  n'avions  pour  nous  guider,  dans  ces 
sortes  de  questions,  que  le  sentiment  d'un  écrivain  ou  d'une 
école,  nous  risquerions  fort  d'être  mal  renseignés. 

Le  sentiment  des  hommes  diffère,  en  effet,  sur  beaucoup 
de  choses:  un  objet  apparaît  à  l'un  comme  ceci  et  à  l'autre 
comme  cela.  D'ailleurs,  un  objet  ne  peut  être  bien  apprécié 
que  si  l'on  en  peut  embrasser  toutes  les  faces:  si  tel  observateur 
n'en  voit  qu'une  partie,  et  tel  autre  la  partie  opposée,  on  peut 
affirmer,  sans  crainte  de  se  tromper,  que,  malgré  leur  bonne 
foi,  ils  seront  en  désaccord  sur  la  valeur  de  l'objet.  Cepen- 


119 

dant,  en  prenant  a  l'un  et  à  l'autre  les  idées  qui  peuvent  se 
concilier,  on  doit  arriver  à  entrevoir  la  vérité. 

C'est  dans  celte  pensée  que  j'ai  cru  pouvoir  parler,  après 
notre  savant  collègue,  des  sujets  controversés  dont  il  a 
entretenu  la  Société  Académique.  Je  compte  ne  pas  m'ar- 
rêter  aux  choses  qui  me  paraîtront  étrangères  au  sujet  que 
j'ai  l'intention  de  traiter.  Mais  je  puis  louer,  si  je  ne  dois  pas 
m'y  arrêter,  les  recherches  patientes  de  notre  collègue,  la 
méthode  bien  ordonnée  de  ses  fouilles  et  la  persistance  avec 
laquelle  il  s'y  est  attaché. 

CHAPITRE  I. 
De  l'emplacement  de  Grannone. 

D'après  notre  collègue,  qui  suit  d'ailleurs  la  voie  frayée 
par  un  certain  nombre  d'écrivains,  le  premier  nom  de 
Guérande  est  Grannom,  et  il  en  donne  deux  raisons  prin- 
cipales: la  première  tirée  d'un  chapitre  de  la  Notice  des 
Dignités  de  l'Empire,  et  la  seconde  de  la  présence  des 
Saxons  sur  le  littoral  armoricain  (i). 

Dans  la  Notice,  en  effet,  se  trouvent  les  noms  d'une 
dizaine  de  villes  situées  entre  la  Loire  et  la  Seine,  et  le 
premier  de  ces  noms  est  Grannone;  croyant  que  l'énuméra-. 


(')  M.  Maître  a  cru  trouver  d'autres  raisons,  notamment  dans  celte 
observation,  que  lui  fit  un  vieillard  du  pays,  savoir  :  que  les  anciens  don- 
naient à  la  contrée  le  nom  de  Chdteau-Granon  (page  275). 

Si  ce  paysan  avait  connu  ce  nom  de  la  tradition,  transmise  d'âge  en  âge 
jusqu'à  lui,  pourquoi  était-il  seul  â  le  savoir?  Pourquoi  n'étaient-ils  que 
deux?  Pourquoi  n'étaient-ils  que  trois?  Mais  par  la  tradition,  le  pays  tout 
entier  l'eût  connu. 

Quant  aux  raisons  tirées  de  l'abondance  des  ruines  dans  la  contrée,  elles 
ne  sauraient  rien  prouver  en  faveur  de  l'antique  nom  du  lieu. 


120 

lion  de  ces  villes  suit  un  ordre  régulier  du  midi  vers  le 
nord,  il  en  conclut  que  le  premier  nom  ne  peut  convenir 
qu'à  Guérande. 

Cependant  il  y  a  des  doutes  sur  la  valeur  de  certains 
noms  de  la  Notice  :  quelques  auteurs  ont  traduit  par  Nantes 
le  nom  de  Mannatias  ou  Nannelalias,  qui  a  le  sixième  rang; 
Vannes  est  citée  après  Hennebont  ou  Auray,  et  Rouen  avant 
Avranches  et  un  second  Grannone  que  quelques  antiquaires 
croient  devoir  placer  à  Granville.  On  ne  peut  donc  pas 
affirmer,  puisque  cela  n'est  pas  exact,  que  rénumération 
des  villes  de  la  Notice  suive  un  ordre  régulier  de  la  Loire  à 
la  Seine;  et,  de  l'ordre  observé  dans  cet  antique  document, 
on  ne  peut  tirer  aucune  conséquence  en  faveur  de  Guérande. 

Nous  allons  voir,  d'ailleurs,  que  cette  conséquence  serait 
encore  sans  valeur,  môme  si  rénumération  donnée  par  la 
Notice  suivait  un  ordre  régulier  de  la  Loire  à  la  Seine. 

Avant  d'examiner  celte  Notice  des  Diynilés  de  l'Empire, 
je  crois  utile  de  rappeler  qu'en  ce  temps-là  le  nom  de  cité 
était  entendu  dans  le  sens  de  territoire  de  nation  (');  que 
chaque  cité  avait  une  milice  sédentaire  préposée  à  sa  garde; 
que  ces  milices,  commandées  à  l'origine  par  les  autorités 
locales,  furent  placées  ensuite  sous  la  surveillance  de  délé- 
gués du  pouvoir  impérial,  et  que  «  dans  les  provinces  fron- 
»  tières  ou  dans  celles  que  le  voisinage  de  la  mer  exposait  à 
»  des  excursions  de  pirates,  elles  pouvaient  être  appelées  à 
•>  la  défense  du  territoire  {-).  »  Leurs  chefs  étaient,  dans  ce 
cas,  subordonnés  aux  officiers  romains. 

Les  légions  formaient  le  cadre  permanent   et  le   fond  de 


(<)  «  Nemausus  forme   une   cite  plus  considérable  que  Naibonnc  :  clic  a, 
en  effet,  dans  sa  dépendance  '.24  bourgs.  •>  (Strabon,  liv.  IV,  ch.  XII.) 
(a)  Manuel  des  Institutions  romaines,  par  Bouché-Leclerq,   p.  1%,   3*24 , 

325. 


ni 

l'armée  romaine,  et  elles  étaient  composées  de  dix  cohortes 
(i).  La  cohorte  de  la  légion  élait  commandée  par  un  tribun 
de  cohorte,  tandis  qu'un  préfet  commandait  la  cohorte  d'in- 
fanterie auxiliaire.  Le  tribun,  et  c'est  un  fait  sur  lequel 
j'appelle  l'attention,  le  tribun  était  supérieur  au  préfet,  qui 
élait  d'ordinaire  un  premier  centurion,  et  la  cohorte  avait  le 
pas  sur  la  milice. 

Si  nous  ouvrons  maintenant  la  Notice  des  Dignités  de 
l'Empire,  nous  y  verrons  que  la  garde  du  rivage  nervien  et 
du  rivage  armoricain  élait  confiée  a  un  officier  général  qui 
avait  sous  ses  ordres  dix  commandants,  savoir:  un  tribun  et 
neuf  préfets.  Le  tribun  était  à  la  tête  de  la  cohorte  de  la 
première  Armorique  nouvelle,  elles  neuf  préfets  comman- 
daient les  milices  locales.  Le  tribun  ayant  le  pas  sur  les 
préfets,  la  cohorte  sur  la  milice,  il  est  tout  naturel  que 
l'auteur  de  la  Notice  ait  commencé  son  énumération  par  le 
tribun,  par  la  cohorte  romaine.  Mais  le  tribun  était  à  Gran- 
none:  quelle  que  fût  la  situation  de  cette  ville,  elle  devait 
donc  logiquement  prendre  le  pas  sur  celles  où  comman- 
daient les  préfets. 

Et  c'est  pour  cela  que  l'auteur  de  la  Notice  a  commencé 
ainsi  son  énumération,  sans  souci  de  la  situation  de  Grannone  : 

«  Le  tribun  de  la  cohorte  de  la  première  Armorique 
»  nouvelle  est  à  Grannone,  sur  le  rivage  où  il  y  a  des 
»  Saxons.   » 

Les  neuf  préfets  viennent  à  la  suite  et  dans  un  ordre  qui 
ne  suit  pas  exactement  la  ligne  régulière  de  la  Loire  à  la 
Seine;  le  préfet  de  Grannone  est  cité  le  dernier. 

Je  ne  sache  pas  qu'on  ait  jamais  relevé  d'erreur  dans  le 

(')  Les  légions  qui  gardaient  la  Gaule  au  temps  de  Ptolémée  étaient 
rchelonnées  le  long  de  la  frontière  du  Rhin. 


1*2 

titre  du  paragraphe  25  de  la  Notice  ;  d'après  ce  titre,  il  y 
avait  dix  commandants  sous  les  ordres  du  général  (duces) 
auquel  était  confiée  la  garde  du  rivage  armoricain  et  nervien. 
Le  rivage  armoricain  dépendait  de  la  IIe  et  de  la  IIIe  Lyon- 
naise; le  rivage  nervien  de  la  IIe  Belgique.  Or,  tout  le  monde 
me  parait  d'accord  pour  placer  dans  la  IIe  et  la  IIIe  Lyonnaise 
les  neuf  ou  dix  villes  du  paragraphe  25,  a  moins  cependant 
qu'on  ne  trouve  quelque  raison  pour  donner  à  la  Belgique 
une  ou  deux  villes  dont  la  situation  est  inconnue. 

Le  paragraphe  26  s'applique  à  la  seconde  Belgique  qui  a 
un  autre  général  pour  chef;  et  c'est  là  qu'est  le  rivage 
nervien  où  il  y  avait  aussi  des  Saxons.  11  me  semble  donc 
que  le  titre  du  paragraphe  25  comprend  à  tort  le  rivage 
nervien. 

Sous  les  ordres  du  duc  du  rivage  armoricain,  qui  s'éten- 
dait de  la  Loire  à  la  Seine,  il  y  avait  donc  dix  commandants 
qui  étaient  un  tribun  et  neuf  préfets  :  le  tribun,  je  le  répète, 
était  à  la  tête  de  la  cohorte  ou  fraction  de  la  légion;  les 
préfets,  c'est-à-dire  des  officiers  ou  centurions  romains, 
étaient  à  la  tête  des  milices  locales  qui  devaient  être  formées 
d'éléments  appartenant  à  la  cité,  c'est-à-dire  au  corps  de  la 
petite  nation. 

Cette  situation  nous  permet  de  comprendre  ce  passage  de 
Zozime,  qu'on  applique  au  commencement  du  Ve  siècle,  de 
l'an  407  à  l'an  410  :  «  Les  Armoricains  et  les  peuples  des 
»  Gaules...  chassèrent  les  magistrats  romains  et  établirent 
»  parmi  eux  nu  nouveau  gouvernement  (*).  » 

Si  les  milices  avaient  été  formées  d'éléments  romains,  on 
ne  s'expliquerait  guère  que  l'Armorique  eût  recouvré  son 
indépendance  en  chassant  tout  simplement  les  magistrats  qui 
représentaient  l' Empire. 

(')  Hisioirr  romaine,  liv.  VI. 


123 

L'énuméralion  de  ces  milices  peut  donner  lieu  à  quelques 
observations.  Les  cinq  milices  de  Blabia,  Mannatias,  Aleto, 
Rothomago  et  Grannono  portent  des  noms  qui,  sans  paraître 
étrangers  à  ces  contrées,  ne  rappellent  pas  précisément  les 
noms  des  nations  auxquelles  elles  appartiennent. 

Pour  les  deux  milices  des  Venètes  et  des  Osismiens,  le 
nom  de  Maurorum,  ajouté  a  Venetorum  et  à  Osismiacorum, 
semble  indiquer  que  des  Maures  y  occupaient  une  certaine 
place. 

Enfin,  la  milice  de  Constatia  porte  le  nom  de  première 
Flavie,  et  celle  d'Abrincalis,  le  nom  étranger  de  Dalma- 
tarum. 

On  a  remarqué  que  le  nom  de  Grannone  est  écrit  deux  fois 
dans  cette  première  partie  de  la  Notice,  et  on  en  a  conclu 
tout  naturellement  qu'il  y  avait  deux  villes  de  ce  nom.  Mais 
les  termes  du  document  n'ont  pas  cette  simplicité. 

Chaque  ville  de  la  Notice  a,  selon  l'usage,  sa  milice,  qui 
porte  un  nom  correspondant  généralement  à  celui  de  la  cité; 
la  Grannone  occupée  par  le  tribun  ne  porte  aucun  nom  de 
cité  et  elle  n'a  point  de  milice.  Pourquoi  cette  exception 
dans  l'énumération  donnée  par  la  Notice?  Je  n'en  trouve 
d'autre  raison  que  celle-ci  :  la  ville  qui  est  dans  la  région  des 
Saxons  est  celle  où  le  tribun  a  établi  son  quartier  général 
avec  la  cohorte  de  la  première  Armorique  nouvelle,  et  il  a 
près  de  lui,  dans  la  môme  ville,  la  milice  grannonensiurn 
qui  obéit  à  un  préfet  :  la  Grannone  du  tribun  est  la  même 
que  celle  du  préfet. 

J'aborde  maintenant  le  second  point,  l'histoire  des  Saxons 
dans  nos  contrées,  laquelle  pourrait  bien  n'être  qu'une 
légende  encore  assez  jeune.  J'ai  déjà  traité  cette  question 
ailleurs  :  ici,  je  serai  bref. 


124 

Si  l'on  a  voulu  tirer  de  la  présence  des  Saxons  sur  la 
Loire  une  conclusion  en  faveur  de  Grannone  à  Guérande,  on 
a  commis,  il  me  semble,  un  singulier  anachronisme. 

Vus  de  loin,  les  objets  paraissent  plus  rapprochés;  de  plus 
loin  encore,  ils  se  confondent.  Et  si  nous  ne  cherchons  pas 
à  régler,  par  des  dates,  la  place  des  faits  dans  le  temps,  il 
peut  nous  arriver,  comme  cela  s'est  vu  quelquefois,  de 
confondre  les  générations  et  de  prendre  les  petits  enfants 
pour  les  aïeux. 

Les  dates  sont  comme  des  fanaux  qui  éclairent  les  événe- 
ments et  permettent  de  les  distinguer  a  de  grandes  distances. 

Les  Saxons  ont  fait  une  première  apparition  sur  les  côtes 
de  la  Gaule  et  de  l'île  de  Bretagne  a  la  fin  du  IIIe  siècle, 
mais  sans  s'y  arrêter.  Ils  ont  reparu  sur  les  côtes  de  la 
Gaule  dans  la  seconde  moitié  du  IVe  siècle,  et  c'est  à  cette 
époque  que  nos  historiens  font  remonter  leur  établissement 
sur  les  contins  de  la  Bretagne  et  de  la  Normandie.  Ce  sont 
ces  Saxons,  alors  colonisés,  qui,  en  451,  répondirent  à  l'appel 
fait  par  d'Aetius  aux  peuples  de  la  Gaule  pour  marcher 
contre  Attila  ('). 

C'est  par  Grégoire  de  Tours  que  nous  savons  le  plus  de 
choses  sur  les  Saxons  de  la  Gaule.  Les  historiens  sont 
d'accord  pour  reconnaître  que  la  Notice  des  Dignités  a  été 
dressée  au  temps  dTIonorius,  entre  la  création  de  l'empire 
d'Orient,  qui  eut  lieu  en  395,  et  le  soulèvement  des  Amé- 
riques, qui  remonte  de  l'an  407  à  410  (-).  Or,  l'évoque 
historien  parle  pour  la  première  fois  des  Saxons,  à  propos 
d'un  événement  qui  eut  lieu  vers  l'an  403.  A  cette  époque, 


(')  Jornandès:  Histoire  des  Uoihs,  ch.  XII.  —  t'.uizol  :  Grégoire  de 
Tours,  liv.  V,  ch.  XXII,  en  note.  —  Henri  Martin:  Histoire  de  France,  I.  I, 
p.  260,  307,  370. 

(J)  De  l'.aumonl.  Cours  d'antiquités,  i.  Il,  p.  74. 


dans  le  temps  que  Childéric,  roi  des  Francs  (i),  portait  la 
guerre  sous  Orléans,  Odoacrc  s'avança  jusqu'à  Angers  avec 
ses  Saxons,  et,  l'année  suivante,  il  reçut  des  otages  d'Angers 
et  d'autres  villes. 

Les  écrivains  modernes  ont  cru  devoir  ajouter  à  ce  récit 
que  les  envahisseurs  avaient  remonté  la  Loire  en  barques 
pour  aller  a  Angers.  Eh  bien,  soit,  quoiqu'on  n'en  sache 
absolument  rien.  Mais  cet  événement  arriva  vers  463;  la 
Notice  remonte  à  l'an  400  :  dans  le  récit  de  Grégoire  de 
Tours,  les  Saxons  d'Odoacre  ne  sont  donc  pas,  ne  peuvent 
donc  pas  être  les  Saxons  de  la  Notice,  voilà  qui  est  bien 
certain  :  il  ne  faut  donc  pas  les  invoquer  pour  chercher  à 
fixer  la  situation  de  Grannone.  Poursuivons. 

Vers  l'an  470,  douze  mille  Bretons  venus  sur  des  vaisseaux 
par  l'Océan  et  conduits  par  Riothime,  leur  roi,  remontèrent 
la  Loire  pour  aller  au  secours  des  Romains  (2).  Peu  de  temps 
a[nès,  Odoacre  revint  à  Angers;  mais  Childéric,  quoique 
arrivé  le  jour  suivant,  le  prévint  et  s'empara  de  la  ville. 

Ce  fut  alors  que  les  Saxons  en  vinrent  aux  mains,  on  ne 
sait  en  quel  lieu,  avec  les  Romains;  qu'ils  furent  battus  et 
prirent  la  fuite,  poursuivis  par  les  vainqueurs;  et  qu'enfin 
les  Francs  ravagèrent  leurs  îles,  ou  plutôt  leur  pays,  et  y 
tuèrent  beaucoup  d'habitants  (3). 

Après  cet  événement,  Childéric  conclut  un  traité  avec 
Odoacre,  et  ils  soumirent  ensemble  les  Alamans  qui  avaient 
envahi  une  partie  de  l'Italie. 

Je  ne  sais,  car  c'est  un  fait  contesté  et  fort  contestable, 

(')  Sidoine  Apollinaire  en  fait  un  maître  de  milice.  (Lettre  33,  |).  82,  de 
la  collection  Nisard.) 

(s)  Jornandès,  eh.  XV. 

(3)  Grégoire  de  Tours,  liv.  Il,  cliap.  XIX.  Traduction  Guizot.  Des  manus- 
crits portent  :  insulœ  eorum  (leurs  lies);  d'autres,  in  solo  eorum  (leur  pays). 


126 

si  les  Saxons  d'Odoacre  vinrent  réellement  sur  la  Basse- 
Loire  où  les  Francs  auraient  envahi  et  détruit  leurs  campe- 
ments. Henri  Martin,  après  avoir  cru  a  ce  fait,  a  fini  par  en 
douter  (')•  Et  on  peut  en  douter,  en  effet,  après  avoir 
remarqué  la  facilité  avec  laquelle  les  hommes  du  Nord, 
Francs,  Saxons  et  autres,  franchissaient  de  grands  espaces 
pour  piller  la  Gaule  aux  abois.  Les  Francs  étaient  venus 
d'Orléans  à  d'Angers,  dont  la  dislance,  a  vol  d'oiseau,  a 
cinq  lieues  de  moins  que  celle  de  Bayeux  à  Angers  :  on 
peut  logiquement  admettre  que  les  Saxons  venus  à  Angers 
n'étaient  autres  que  les  colons  établis  sur  le  littoral  du 
Calvados.  On  est  certain  que  là  il  y  avait  des  Saxons;  on  ne 
peut  pas  affirmer  avec  certitude  qu'il  y  en  avait  sur  la 
Loire. 

Quoi  qu'il  en  soit,  si  des  Saxons  vinrent,  des  bouches  de 
la  Loire  à  Angers,  vers  463,  ce  ne  sont  certainement  pas 
ceux-là  que  mentionne  la  Notice  des  Dignités,  puisqu'elle 
fut  rédigée  trois  quarts  de  siècle  avant  cet  événement. 

On  ne  trouve  pas  de  traces  non  plus  de  leur  séjour  dans 
nos  contrées.  Riothime,  allié  des  Romains,  remonta  la  Loire 
avec  des  centaines  de  barques  entre  les  deux  voyages  que 
les  Saxons  firent  à  Angers,  et  il  ne  semble  pas  qu'il  les  ait 
rencontrés  en  un  point  quelconque  du  fleuve.  Et  puis,  après 
ce  dernier  voyage,  Odoacre  s'en  alla  avec  ses  troupes  faire 
la  guerre  chez  les  Alamans.  Les  Saxons  ne  restèrent  donc 
pas  dans  notre  pays. 

Du  témoignage  d'un  contemporain  de  ce  chef  entreprenant, 

(')  S'agit-il  de  quelques  îles  de  la  Loire  occupées  par  les  Saxons  ou  bien 
des  fameuses  lies  saxonnes  des  bouches  de  l'Elbe  (Histoire  de  France,  1. 1, 
p.  399).  Je  répondrai  volontiers:  ni  des  unes  ni  des  autres,  mais  du  littoral 
de  Bayeux.  On  sait  que,  jusqu'à  Chiidéric,  les  Fiancs  n'occupaient  que  le 
nord-est  de  la  Gaule,  et  que  Clo\is  fut  le  premier  de  leurs  rois  qui  envahit 
l'Armorique,  ce  qu'il  fit  vers  491. 


127 

il  résulte  aussi  que  les  Saxons  ne  séjournaient  pas  dans  nos 
contrées.  Dans  une  lettre  de  l'an  470  adressée  à  Nammatius, 
amiral  d'Euric,  roi  des  Goths,  et  chargé  de  poursuivre  les 
esquifs  des  pirates  du  Nord  qui  parcouraient  le  rivage  sinueux 
de  TOcéan,  Sidoine  Apollinaire  dit,  en  effet  :  «  Avant  de 
»  mellre  à  la  voile  pour  quitter  le  continent,  les  Saxons 
»  étaient  dans  l'usage  de  mettre  à  mort  le  dixième  de  leurs 
»  prisonniers  (i).  » 

Si  un  siècle  plus  tard,  et  même  davantage,  sous  l'épisco- 
pat  de  saint  Félix,  des  Saxons  furent  rencontrés  parmi  les 
bandes  de  fugilifs-qui  infestaient  notre  région,  aussi  bien  la 
rive  gauche  que  la  rive  droite  de  la  Loire,  il  ne  faut  voir  là 
que  des  vagabonds  sans  patrie,  de  misérables  débris  d'armées 
errant  autour  des  villes,  les  enfants  des  Allains,  des  Goths 
et  des  Saxons. 

Un  géographe  estimé,  auteur  d'une  Géographie  de  Grégoire 
de  Tours,  qui  a  reçu  l'approbation  de  M.  Guizot,  traducteur 
du  vieil  historien,  Alfred  Jacobs  déclare  que  nous  ne  connais- 
sons les  Saxons  de  la  Loire  que  par  quelques  vers  de  Fortunat, 
dont  on  a  d'ailleurs  beaucoup  exagéré  la  portée  (2).  Après 
nous  avoir  montré  saint  Félix  occupé,  pour  modifier  le  lit 
de  la  Loire  ou  de  l'Erdre,  à  abaisser  des  montagnes  et 
combler  des  vallées,  ce  poète  hyperbolique  a  écrit  ces 
quelques  vers  à  la  fin  de  son  poème  sur  la  Résurrection  du 
Sauveur: 

«  Félix  attire  a  la  foi  des  hommes  égarés  par  les  erreurs 
»  payennes...  11  adoucit  les  cœurs  agrestes  par  de  tendres 
»  paroles,  et  les  épines,  grâce  à  son  zèle,  se  changent  en 
»  moissons.  Le  Saxon,  peuple  farouche,   et  qui  vit   à  la 

(')  Lettre  37e,  p.  89  de  la  Collection  des  auteurs  latins,  publiée  sous 
la  direction  de  M.  Nisard  (Sidoine  Apollinaire).  Nammatius  avait  sous  sa 
garde  le  rivage  compris  entre  la  Garonne  et  la  Loire. 

(a)  Géographie  de  Grégoire  de  Tours,  au  mot  Saxons. 


12g 

»  manière  des  fauves,  cède  à  voire  charme,  ô  Félix,  el  le 
»  loup  rend  la  brebis  (').  » 

On  a  cru  devoir  se  servir  de  ce  passage  pour  affirmer 
qu'une  colonie  de  Saxons  habitait  la  Basse-Loire  :  ils  occu- 
paient la  Brière  ou  le  Croisic,  disent  les  uns  -,  les  îles  situées 
dans  le  voisinage  de  Nantes,  disent  les  autres.  C'est  faire 
trop  de  part  à  l'imagination,  tout  en  reconnaissant  qu'on  n'est 
sûr  de  rien. 

Lorsqu'il  écrivit  la  vie  de  saint  Félix,  Dom  Lobineau  n'a 
vu  que  des  restes  d'armées  disparues  dans  ces  êtres  qui 
vivaient  à  peu  près  comme  des  animaux  sauvages;  et  il 
s'est  bien  gardé,  comme  on  l'a  fait  plus  tard,  d'en  faire  une 
colonie  de  Saxons  et  d'aller  les  placer  au  Croisic,  à  Montoir 
ou  dans  les  îles  de  la  Loire  (2). 

L'événement  que  nous  connaissons  par  Fortunat  avait  lieu 
un  siècle  après  le  départ  des  Saxons  d'Odoacre  pour  l'Alle- 
magne, et  près  de  deux  siècles  après  la  rédaction  de  la 
Notice  des  Dignités.  Ici  encore,  il  ne  peut  pas  être  question 
des  Saxons  de  la  Notice. 

Le  premier  établissement  Saxon  dans  la  Gaule,  dont 
l'histoire  fasse  mention  (3),  remonte  au  IVe  siècle  et  il  eut 
pour  fondement  le  littoral  du  Calvados.  Grégoire  de  Tours 
constate  que  celte  colonie  de  Saxons  existait  au  Ve  siècle 
et  au  VIe,  et  qu'elle  fournit  plusieurs  fois  des  milices  aux 
rois  Francs,  même  aux  comtes  Bretons  ('*)  ;  il  n'a  pas  vu 
de  Saxons  sur  nos  rive.-. 

En  résumé,  les  deux  raisons  qu'on  nous  a  données,  pour 

(')  Pièce  9<%  liv.  III,  p.  93  de  la  Collection,  comme  ci-dessus  (Fortunat). 
Ou  trouve  dans  Sidoine  Apollinaire  uue  peinture  pareille  des  conversions 
faites  par  Paliens,  évêque  de  Lyon.  (Lettre  92,  p.  145.) 

(s)  Dom  Lobineau,  Histoire  des  Saints  de  Bretagne,  saint  Félix,  p.  123. 

(3)  Henri  Martin,  Histoire  de  France,  t.  I,  p.   370. 

(*)  Histoire  des  Francs:  liv.  H,  ch.  XVIII  et  XIX;  liv.  V.,  CD.  XXVII. 


1-29 

démontrer  que  Guérande  occupe  la  place  de   Grannone,  ne 

sont  confirmées  ni  par  les  écrits  ni  par  les  faits  qu'on 
invoque  :  par  l'inscription  de  Grannone  au  premier  rang  de 
ia  Notice  des  Dignités  de  l'Empire,  on  ne  peut  pas  conclure 
que  Grannone  fut  à  Guérande  ;  et  il  est  absolument  impos- 
sible de  prouver  qu'il  y  eut  des  Saxons  sur  le  littoral  de 
Guérande  au  temps  où  fut  dressée  la  Notice  des  Dignités  de 
l'Empire. 

Je  crois  qu'Adrien  de  Valois  est  le  premier  qui  ait  songé 
à  placer  Grannone  à  Guérande,  et  il  a  eu  de  nombreux 
imitateurs.  Il  l'a  fait,  parce  qu'il  a  mal  lu  la  table  de 
Peulinger  :  il  a  vu  le  nom  de  Gravinum  écrit  sur  cette 
table  auprès  de  celui  de  Veneli,  et  trouvant  que  Gravinum 
approche  de  Grannone,  il  a  conclu  que  Grannone  était  à 
Guérande.  Mais  Gravinum  est  placé  sur  la  rive  droile  de  la 
Seine,  et  le  copiste  de  la  table  s'est  trompé  en  écrivant  le 
mot  Veneli  à  l'embouchure  de  ce  fleuve.  Le  raisonnement 
de  de  Valois  manque  de  fondement. 

J'ai  cherché  a  démontrer  ailleurs,  dans  une  notice  sur 
Grannone,  que  l'emplacement  de  celte  ville  dut  être  dans 
le  Calvados,  aux  environs  de  Bayeux,  dans  ces  lieux  où 
les  Saxons  furent  rencontrés  pendant  trois  siècles,  du  IV8 
au  VIe,  sans  aucune  interruption  (»).  La  ils  avaient  un  terri- 
toire assez  étendu  pour  y  former  un  corps  de  nation  ;  ils 
devinrent  assez  puissants,  soit  pour  guerroyer  dans  la  Gaule 
pour  leur  propre  compte,  soit  pour  joindre  leurs  milices, 
tour  à  tour,  aux  forces  des  Romains,  des  Francs  et  des 
Bretons.  On  ne  rencontre  rien  de  pareil,  si  on  y  rencontre 
quelque  chose,  sur  cette  partie  de  notre  littoral  qui  appar- 
tient à  la  contrée  guérandaise. 

(')  De  la  station  Gallo-Romaine  de  Grannone.  C'est  l'opinion  de  Danville. 
{Notice  de  l'ancienne  Gaule,  p.  358.) 


180 

CHAPITRE  II. 
Des  mouvements  du   sol. 

Avant  de  passer  a  l'examen  de  la  seconde  ville  disparue, 
il  me  parait  nécessaire  de  dire  quelques  mots  sur  le  retrait 
ou  l'envahissement  de  la  mer,  parce  que  ce  sujet  est  encore 
diversement  compris ,  et  que  ces  expressions ,  retrait , 
envahissement,  donnent  encore  lieu  à  des  interprétations 
erronées. 

Dans  la  recherche  de  la  vérité  il  faut  ne  se  servir  que 
d'expressions  exactes  :  d'une  expression  inexacte  doit  découler 
une  conclusion  fausse. 

Ces  expressions,  la  mer  s'est  retirée,  la  mer  a  avancé, 
doivent  être  prises  pour  des  images.  C'est  ainsi  que  nous 
disons  :  le  soleil  se  lève,  le  soleil  se  couche,  pour  exprimer 
une  apparence,  tout  en  sachant  que  le  soleil  ne  se  lève  pas, 
qu'il  ne  se  couche  pas.  Ces  expressions  ne  sont  vraies  que 
lorsqu'elles  s'appliquent  aux  mouvements  des  marées. 

La  mer  nous  apporte  des  dépôts  de  sable  ;  elle  forme  des 
alluvions  d'argile  ou  de  calcaire  ;  elle  nourrit  des  coraux 
qui  se  superposent  pour  former  des  îles  ou  agrandir  des 
continents  ;  mais  elle  ne  se  retire  pas.  Elle  détruit  et  enlève 
des  rivages  dont  elle  prend  la  place  :  mais  elle  ne  s'élève 
pas. 

L'argile  que  les  eaux  de  la  Loire  tiennent  en  suspension 
forme  ;ms>i  des  iles  el  des  prairies  :  dirons-nous  que  la 
Loire  se  relire  ?  Le  courant  du  fleuve  ébrèche  ses  rives  : 
dirons-nous  que  le  fleuve  s'élève? 

Le  niveau  de  la  mer  est  une  surface  en  équilibre.  Si  un 
point  quelconque  de  cette  surface  conserve  une  position 
invariable,  tous  les  autres  points  resteront  invariables  ;  les 


131 

eaux  ne  peuvent  s'élever  ni  s'abaisser  d'une  manière  per- 
manente, dans  une  partie  quelconque  de  leur  surface,  sans 
entraîner,  dans  les  autres  parties,  des  changements  corres- 
pondants. 

Or,  il  est  reconnu  que,  depuis  les  temps  historiques,  et 
dans  un  grand  nombre  de  lieux,  les  mers  n'ont  pas  subi 
la  moindre  variation  :  «  Donc,  conclut  Beudan,  leur  surface 
»  générale  n'est  pas  changée  et  la  constance  du  niveau 
»  devient  le  fait  le  plus  positif  que  nous  puissions  avoir, 
»  puisqu'il  a  subi  l'épreuve  de  tous  les  âges  (').  » 

Les  côtes  du  Chili,  sur  une  étendue  de  plus  de  200  lieues, 
ont  subi  des  transformations  remarquables  pendant  les  trem- 
blements de  terre  de  182G2,  1835  et  1837.  «  Des  rochers 
»  jadis  cachés  sous  l'eau  se  sont  élevés  de  2  à  3  mètres 
»  au-dessus  de  son  niveau  avec  les  coquillages  qui  vivaient 
»  à  leur  surface  ;  des  rivières  qui  débouchaient  sur  ces 
»  côtes,  sont  devenues  guéables  là  où  de  petits  bricks  pou- 
»  vaient  autrefois  naviguer  ;  en  mer,  des  mouillages  bien 
»  connus  ont  diminué  de  profondeur  dans  la  môme  propor- 
»  lion,  et  divers  points  où  l'on  passait  facilement  opposent 
»  aujourd'hui  des  hauts-fonds  aux  bâtiments  qui  tirent 
»  beaucoup  d'eau  (^).  »  Et  dans  le  même  temps,  les  côtes 
de  la  Californie,  du  Pérou,  de  la  Patagonie  ne  subissaient 
aucune  variation.  Si  la  mer  s'était  abaissée  au  Chili,  com- 
ment expliquer  son  immobilité  sur  les  côtes  voisines  ?  Ces 
changements  opérés  de  nos  jours  sont  dus  tout  simplement 
à  un  soulèvement  du  sol  au  Chili  :  car  si  la  mer  s'y  était 
abaissée,  elle  se  serait  aussi  abaissée  dans  tous  les  lieux 
qu'elle  baigne. 

La  science  a  constaté  un  grand   nombre  d'affaissements 


(4)  Géologie,  p.  24,  §  22. 

(5)  Géologie  de  Beudan,  p.  11,  §  20. 


13-2 


et  de  soulèvements  du  sol  dans  les  temps  historiques  et  de 
nos  jours.  La  saine  géologie  se  garde  bien  d'attribuer  ces 
mouvements  au  retrait  ou  à  l'envahissement  de  la  mer. 

Il  nous  sera  donc  permis  d'affirmer  ceci  :  lorsqu'cw- 
dessous  du  niveau  de  la  mer,  nous  rencontrons  un  sol  qui 
porte  la  trace  de  l'habitation  de  l'homme  ou  des  débris  de 
végétaux  croissant  sur  la  terre,  ce  sol  a  subi  un  affaissement  ; 
lorsqu' au-dessus  de  ce  même  niveau,  nous  trouvons  un 
sol  qui  porte  l'empreinte  de  végétaux  ou  d'animaux  marins, 
ce  sol  a  éprouvé  un  soulèvement. 


IIe  PARTIR. 


LE    PORT     BRIVATES. 


CHAPITRE  III. 
De  l'emplacement  de  Portas  Brivates. 

Les  Romains  et  les  Venètes. 

Nous  avons  parlé,  en  premier  lieu,  de  la  ville  puissante 
qui  couronnait  le  plateau  de  Guérande.  Voici  tout  près  de 
la,  nous  dit-on,  au  bas  même  du  plateau,  une  ville  considé- 
rable, plus  puissante  encore,  dont  le  port  s'étendait  de 
Penbron  à  Beslon,  sur  une  longueur  de  plus  de  deux  lieues. 
M.  Maître  lui  donne  le  nom  de  Portus  Brivates  ('). 

Je  ne  connais,  dans  l'antiquité,  qu'un  seul  géographe  qui 
ait  parlé  du  Port  Brivates  :  c'est  Ptolémée  ;  il  en  fixe  la 
situation  à  un  quart  de  degré  au  nord  de  l'embouchure  de  la 
Loire,  et  exactement  sous  la  même  longitude.  Mais  on  invoque 
aussi  le  témoignage  de  Slrabon,  par  la  raison  que  celui-ci 
cite  les  bouches  de  la  Loire  comme  étant  un  des  quatre 
points  de  la  Gaule  où  l'on  s'embarquait  pour  Pile  de  Bre- 
tagne. 

(')  Voir  dans  les  Annales  de  la  Société  Académique,  annde  1889,  la 
carte  hydrographique,  planche  111,  qui  accompagne  le  texte  de  M.  Maître. 


134 

Il  a  été  dépensé  beaucoup  d'érudition  en  ce  sujet,  soit  sur 
la  constitution  géologique  du  Trait  du  Croisic,  soit  sur  les 
cataclysmes  qui  ont  transformé  notre  littoral,  soit  sur  les 
nombreux  établissements  gallo-romains  de  la  contrée,  pour 
chercher  a  prouver  que  le  Trait  n'a  pas  subi  de  changements 
depuis  dix-huit  siècles,  qu'un  port  y  existait  à  celte  époque 
reculée,  et  que  ce  port  était  le  Porlus  Bricoles. 

Sans  m'attarder  au  milieu  des  nombreux  détails  dont  les 
récits  sont  semés  ;  sans  m'arrêler  à  prouver,  je  le  ferai  plus 
loin,  que  le  moulin  de  Treveday,  que  les  caves  voûtées  de 
Kerbouchard,  loin  d'être  de  l'époque  gallo-romaine,  n'ont  pas 
quatre  siècles  d'existence  ;  sans  me  demander  si  les  antiques 
vestiges  trouvés  à  peine  au-dessus  des  hautes  mers,  quel- 
ques-uns même  au-dessous,  ni  si  les  couches  de  tourbe 
rencontrées  à  des  niveaux  que  les  grandes  marées  recouvrent 
de  2ra,00  dans  l'anse  de  l'Enclis,  de  3m,00  dans  la 
baie  de  La  Turballe,  de  plus  de  5m,00  au  bas  de  la  plage 
Valentin  ;  sans  me  demander,  dis-je,  si  toutes  ces  choses  ne 
sont  pas  des  indices  de  l'affaissement  du  sol  et  la  preuve 
qu'un  changement  important  s'est  opéré  dans  la  situation 
hydrographique  du  Grand-Trait,  tout  cela  important  peu  à 
la  cause,  j'aborderai  tout  de  suite  le  cœur  du  sujet. 

Ptolémée,  dit-on,  n'indiquant  qu'un  seul  port  sur  nos 
côtes,  entre  la  Loire  et  la  Vilaine,  il  a  naturellement  signalé 
le  plus  fréquenté,  celui  qui  contenait  220  vaisseaux  au  temps 
de  César,  celui  qui,  au  dire  de  Strabon,  était  situé  a  l'em- 
bouchure de  la  Loire  et  servait  de  port  d'embarquement 
pour  la  Grande  Bretagne  (')  ;  enfin  celui  aux  abords  duquel 
il  a  été  rencontré  tant  d'établissements  industriels  :  c'est-à- 
dire,  le  bassin  du  Croisic. 

(')  Annales  de  la  Société  Académique,  ann<?e  18SD,  pages  324,  325. 
Porttis  lfrivates,  par  M.  Maître. 


135 

Pour  répondre  à  cet  exposé,  où  je  vois  qu'on  admet  comme 
étant  acquises  aux  débats,  des  choses  qui  ne  sont  pas  encore 
prouvées  et  ne  peuvent  pas  l'être,  je  commencerai  par 
éliminer  Strabon  :  «  Il  y  a  quatre  points  sur  le  continent, 
»  dit  ce  géographe,  d'où  s'effectue  habituellement  la  traver- 
»  sée  dans  l'île  de  Bretagne,  ce  sont  les  bouches  du  Rhin, 
»  de  la  Seine,  de  la  Loire  et  de  la  Garonne  (i).  » 

On  croit  qu'il  faut  étendre  au  littoral  le  sens  de  ces  mots, 
les  bouches  du  fleuve,  jusqu'aux  lieux  où  l'action  des  eaux 
de  la  Loire  se  fait  sentir.  Je  pense,  en  effet,  que,  dans  le  cas 
présent,  on  peut  donner  une  certaine  extension  à  l'expression 
de  Strabon,  mais  dans  le  sens  contraire,  en  ayant  en  vue, 
non  le  littoral,  mais  l'amont  du  fleuve  jusqu'aux  lieux  où 
V action  du  flot  se  fait  sentir. 

Le  Groisic  est  sur  l'Océan,  loin  des  bouches  de  la  Loire  ; 
si  l'on  trouve  quelque  raison  pour  aller  chercher  jusque-là  le 
port  d'embarquement  pour  l'île  de  Bretagne,  on  en  trouverait 
de  bien  meilleures  encore  pour  le  chercher  vers  les  lieux  de 
l'amont  où  portent  les  marées  du  fleuve. 

Si  nous  lisons  attentivement  les  divers  passages  où  Strabon 
parle  du  commerce  de  la  Gaule  avec  l'île  de  Bretagne,  nous 
pourrons  remarquer  que  les  marchandises  expédiées  du  midi 
de  la  Gaule  descendaient  généralement  nos  grands  fleuves 
de  l'Océan  et  de  la  Manche  :  de  Narbonne,  elles  se  servaient 
de  la  Garonne  ;  des  bords  du  Rhône,  elles  empruntaient  la 
Loire  ou  la  Seine.  Dans  le  sens  contraire,  les  anciens  préfé- 
raient la  voie  de  terre.  «  On  fait  aussi  passer,  dit  Diodore  de 
»  Sicile  (2),  beaucoup  d'élain  de  l'île  de  Bretagne  dans  la 

(')    Géographie  de  Strabon,  liv.  IV,  ch.  V,  §  2. 
_(-)  Liv.  V,  §  28.  M.  Maître  (p.  285)   fuit  dire  à  Diodore  que  le   peuple 
venètu  expédiait   les  cargaisons   de  la  Grande-Bretagne  à  Narbonne  en  30 
jours,  et  il  renvoie  pour  cela  au  liv.  IV,  §    22,   de   l'historien   où    il   n'est 
question  que  des  travaux  d'Hercule. 


136 

o  Gaule  située  en  lace  ;  les  marchands  le  chargent  sur  des 
»  chevaux  et  le  transportent  a  travers  la  Celtique  jusqu'à 
»  Marseille  et  a  Narbonne.  » 

On  se  servait  donc,  dans  une  certaine  mesure,  de  la  voie 
des  fleuves  pour  transporter  les  produits  destinés  à  l'île  de 
Bretagne.  Mais  comment  prouver  que  les  barques  de  la  Haute- 
Loire,  qui  n'étaient  pas  faites  pour  les  tempêtes  de  l'Océan 
et  trouvaient  des  abris  sans  danger  vers  l'amont  de  l'embou- 
chure, comment  prouver  que  ces  barques  faites  pour  des 
eaux  tranquilles,  allaient  porter  leurs  marchandises  jusqu'au 
Croisic,  afin  qu'on  pût  les  y  embarquer  pour  l'île  de  Bre- 
tagne? L'emporium  de  la  Gironde  n'était  pas  sur  le  littoral  : 
il  était  à  Bordeaux  ;  avant  Strabon,  celui  de  la  Loire  était  a 
Gorbilon,  dont  on  cherche  en  vain  la  trace,  mais  il  était  sur 
la  Loire  :  tout  ne  nous  dit-il  pas  qu'au  temps  de  Strabon, 
il  devait  être  encore  sur  le  fleuve,  dans  un  lieu  que  les 
barques  pouvaient  atteindre  sans  danger,  plutôt  que  sur 
l'Océan,  à  six  ou  sept  lieues  du  fleuve,  et  dans  un  lieu 
inaccessible  aux  barques  construites  pour  naviguer  à  l'abri 
des  rives  ? 

D'ailleurs,  Strabon  fixe  lui-même  le  sens  qu'il  attache  à  ces 
mots  :  les  bouches  d'un  fleuve,  quand  il  dit  :  «  Bordeaux, 
»  ville  située  au  fond  d'un  estuaire  que  forment  les  bouches 
»  de  la  Garonne  (').  » 

Le  passage  invoqué  ne  prouve  donc  rien  en  faveur  du 
Trait  du  Croisic  ;  il  ne  donne  aucun  appui  au  texte  de 
Ptolémée  (2). 

(')    Liv.    IV,   cl).    Il,   §   1er. 

(2)  On  trouve  dans  les  copies  de  la  Géographie  de  Strabon,  comme  dans 
toutes  les  copies  des  anciens  auteurs,  des  omissions  ou  des  transpositions 
t|ui  dénaturent  souvent  le  sens  de  la  phrase.  En  voici  un  exemple  : 

«  Le  Liger,  dit  Strabon,  est  tributaire  de  l'Océan,  et  comme  le  trajet  i|in 
>i  M*pare  |a  cote  île  Bretagne  de  l'embouchure  des  fleuves  de  la  Gaule  n'est 


137 

Mais  dans  cette  question  du  Port  Brivates,  on  a  singulière- 
ment agrandi  le  cadre  du  sujet  :  on  nous  a  entretenu  de  la 
flotte  de  Brutus,  des  ports  du  littoral  compris  entre  le 
Croisic  et  la  baie  de  Quiberon,  des  limites  des  Venètes  en 
un  point  de  leur  frontière  du  midi,  enfin  des  lieux  où  César 
eut  raison  de  ce  peuple  et  de  ses  alliés.  Je  vais  aborder  ce 
sujet  qui,  depuis  plus  de  vingt  ans,  a  fait  naître  tant  de 
dissertations  de  nos  archéologues. 

Les  navires  gaulois  qui  concouraient  à  la  défense  de  ces 
lieux  et  qui  luttèrent  au  nombre  d'environ  220  contre  la 
flotte  de  Brutus,  provenaient  en  partie  des  ports  divers  de 
la  Vénétie  ;  l'autre  partie  appartenait  aux  alliés  du  littoral  de 
la  Manche  qui  étaient  entrés  dans  la  conjuration.  Voici  ce 
qu'en  dit  César  :  «  Cette  bataille  mit  fin  à  la  guerre  avec 
»  les  Venètes  et  avec  tous  les  peuples  de  la  côte.  En  effet  :  . . . 
»  tous  leurs  «aisseaux  avaient  été  réunis  sur  ce  seul  point  : 
»  après  les  avoir  perdus,  les  ennemis  n'avaient  plus  ni 
»  retraites,  ni  moyens  de  défendre  leurs  villes  (<).  » 

M.  Maître  pense  que  le  Trait  du  Croisic,  «  ce  Morbihan  en 
miniature,  »  était  le  seul  port  qui  pût  contenir  les  220  navires 
réunis  par  les  Venètes  et  leurs  alliés;  il  n'y  avait  pas  de 

»  que  de  320  stades,  en  parlant  le  soir  avec  le  reflux,  un  peut  aborder  le 
».  lendemain  dans  cette  île  vers  la  8e  heure  ('2  heures  après  midi).  Liv.  IV, 
»  ch.  111.  » 

Il  est  bien  évident  qu'il  se  s'agit  pas  ici  des  fleuves  de  la  Gaule  puisqu'ils 
sont  à  des  distances  très  différentes  de  l'île  de  Bretagne  ;  d'ailleurs  les  320 
stades  qui  représentent  environ  50  kilomètres,  ne  sont  applicables  à  aucun 
d'eux.  Cependant  si  nous  nous  reportons  a  quelques  pages  plus  loin,  nous 
saurons  ce  que  Strabon  a  voulu  dire.  En  effet  :  «  César,  continiie-t-il, 
»  s'embarqua  de  nuit  à  Itium,  et  le  lendemain,  vers  la  4e  heure  (10  heures 
»  du  matin),  il  aborda  dans  l'île,  ayant  franchi  la  distance  de  320  stades 
»  que  mesure  le  détroit  (liv.  111,  ch.  1).  » 

(<)    Commentaires  :  liv.    III,  ch.  XVI. 


138 

refuge  digne  de  ce  nom,  dit-il,  sur  la  cote  de  Sainl- 
Nazaire  à  Port-Navalo  ;  et,  pour  le  prouver,  il  cite  Mesquer 
et  Pcnerf,  puis  Port-Navalo,  c'est-à-dire  un  point  à  l'entrée 
du  Morbihan,  et  Locmariaker,  une  anse  dans  la  rivière 
d'Auray  (»)• 

Mais,  et  je  laisse  de  côté  la  Vilaine  qui  a  toujours  de 
bons  mouillages  et  qui,  encore  au  siècle  dernier,  pouvait 
abriter  les  grands  vaisseaux  de  l'Etat,  niais  on  oublie  cette 
mer  intérieure  cinq  fois  plus  vaste  que  notre  Grand-Trait, 
c'est-à-dire  le  Morbihan  qui  avait,  il  y  a  deux  siècles,  treize 
brasses  d'eau  à  son  entrée  (plus  de  c2\  mètres),  et  jusqu'à 
onze  brasses  dans  son  intérieur;  on  oublie,  en  citant  Locma- 
riaker, d'y  ajouter  la  rivière  d'Auray  qui  est  fort  large  et 
dont  les  profondeurs  atteignent  encore  de  dix  à  vingt-deux 
mètres.  Et  si  nous  allons  plus  loin,  pour  entrer  dans  le 
système  des  auteurs  qui  croient  que  la  grande  lutte  des 
Venètes  eut  lieu  au  nord  de  la  presqu'île  de  Qtiiberon,  nous 
trouverons  le  vaste  estuaire  du  Blavet  où  évoluent  encore  à 
l'aise  les  flottes  de  l'Etat;  plus  loin  encore,  toujours  en 
restant  chez  les  Venètes,  il  y  a  des  abris  qui  n'ont  rien  à 
envier  au  Trait  du  Croisic.  Le  Croisic  n'a  même  rien  de 
comparable  à  ces  abris.  Il  ne  faut  donc  pas  exagérer  son 
importance  et  ne  rien  voir  qui  vaille  en  dehors  de  lui. 

Il  est  plusieurs  fois  question,  dans  les  Commentaires,  des 
ports  des  Venètes.  Il  y  est  dit,  au  chapitre  VIII  :  «  Les  Venètes 
»  sont  maîtres  du  petit  nombre  de  ports  disséminés  sur  celle 
»  mer  immense  et  orageuse.  »  Et  plus  loin,  au  chapitre  IX: 
«  Les  Venètes  savaient  que  la  navigation  était  difficile,  à 
•)  cause  de  l'ignorance  des  parages  et  de  la  rareté  des 
»  ports...  Les  Romains  ne  connaissaient  ni  les  sondes,  ni 
»  les  ports,  ni   les  iles  de  cette  côte  où  ils   allaient  l'aire  la 

(')  Annalet  de  la  Société  Académique,  p.  IJOG. 


139 

»  guerre.  »  Enfin,  plus  loin  encore,  au  chapitre  XII:  «  Nos 
a  navires  étaient  retenus  par  des  tempêtes,  et  il  était  très 
»  difficile  de  naviguer  sur  cette  mer  vaste  et  ouverte  ayant 
»  de  grandes  marées  et  dont  les  ports  étaient  rares  et 
»  presque  nuls.  » 

Je  vois,  par  les  deux  premiers  passages,  que  les  Romains 
ne  connaissaient  pas  les  ports  où  ils  allaient  faire  la  guerre, 
et  que  César  croyait  que  ces  ports  étaient  peu  nombreux. 
Mais  je  ne  confonds  pas  précisément  le  passage  du  chapitre 
XII  avec  les  deux  autres  :  et  par  celte  côte  dont  les  ports 
sont  rares  et  presque  nuls,  c'est-à-dire  sans  importance,  je 
comprends  qu'il  s'agit  de  la  côte  devant  laquelle,  doit  passer 
la  flotte  romaine  pilotée  par  les  Pictons,  et  qui  trouve  la 
navigation  fort  difficile.  S'il  n'en  était  pas  ainsi,  comment, 
après  avoir  déclaré  que  la  marine  des  Venètes  est  très  pais- 
sante et  qu'il  ne  connaît  pas  les  ports  de  la  Vénélie,  comment 
César  viendrait-il  dire  que  ces  ports  sont  presque  nuls? 
Quelle  autre  explication  que  la  mienne  faut-il  donner  a  ce 
dernier  passage  des  Commentaires?. 

11  est  bien  certain  qu'au  temps  de  la  conquête  romaine,  il 
y  avait,  comme  aujourd'hui,  d'excellents  ports  sur  le  littoral 
des  Venètes;  c'est  sur  la  côte  samnite  qu'ils  étaient,  comme 
aujourd'hui,  de  peu  d'importance. 

César  était  en  Italie  lorsqu'il  apprit  le  soulèvement  des 
Venètes  contre  l'autorité  romaine.  Il  ordonna  qu'en  l'atten- 
dant on  construisit  des  navires  de  guerre  sur  la  Loire, 
lesquels  devaient  se  réunir  aux  vaisseaux  des  Pictons,  des 
Santons  et  des  autres  régions  qui  étaient  en  paix  avec  les 
Romains. 

A.  ce  sujet,  je  lis  dans  M.  Maître:  «  Quand  les  trirèmes 
»  commandées  chez  les  Andes  et  les  Pictons,  dit  César, 
»  furent  terminées,  la  flotte  reçut  l'ordre  de  se  conceu- 


140 

»  trer.  »  «  Le  point  de  rassemblement  était,  sans  nul 
»  doute,  à  l'embouchure  de  la  Loire,  en  face  de  Noirmou- 
•>  tiers  ;  un  amiral  de  nos  jours  n'agirait  pas  autrement.  » 

Après  ce  bref  exposé,  les  lignes  suivantes  viennent  immé- 
diatement, comme  si  rieu  ne  s'était  passé  dans  l'intervalle  : 

«  Dès  que  la  jonction  fui  opérée,  dit  César,  la  flotle 
»  des  Venètes  sortit  du  port.  »  «  Quel  peut  être  ce  port, 
»  si  ce  n'est  celui  du  Trait  du  Croisic  où  les  bateaux  plats 
»  des  Venètes  pouvaient  mouiller  en  grand  nombre,  en 
»  attendant  la  flotte  romaine,  et  sortir  rapidement  par  les 
»  deux  embouchures  du  Pouliguen  et  de  Penbron  (').  » 

Eh  bien,  en  effet,  malgré  les  hauts-fonds  de  granit  qui,  à 
marée  basse,  empêchent  de  naviguer  dans  ces  deux  embou- 
chures, malgré  l'affaissement  qu'a  subi  le  Grand-Trait,  et 
dont  plus  loin  nous  comptons  donner  la  preuve,  si  la  flotte 
des  Venètes  sortit  du  port,  pour  commencer  l'attaque,  dès 
que  la  jonction  des  flottes  ennemies  fut  opérée  vers  l'embou- 
chure de  la  Loire,  c'est  que  le  port  des  Venètes  n'était  pas 
loin  de  là.  Et  je  comprends  la  conclusion  qu'on  en  lire,  à 
savoir  que  ce  port  était  vers  le  Croisic.  Mais  ce  n'est  pas 
ainsi  que  les  choses  se  sont  passées. 

Pour  le  prouver,  je  n'ai  qu'à  citer  César.  Je  le  copie  donc, 
en  me  croyant  obligé  d'allonger  un  peu  mes  citations  pour 
donner  plus  de  sûreté  à  mes  conclusions.  D'ailleurs,  en  me 
servant  de  passages  incomplets  ou  en  cousant  ensemble  des 
phrases  isolées,  je  pourrais  ra'exposer  à  ne  pas  rendre  conve- 
nablement, ii  ne  pas  rendre  du  tout  la  pensée  de  fauteur. 

Avant  de  partir  pour  l'Italie,  «  César  avait  mis  ses  légions 
»  en  quartier  d'hiver  chez  les  peuples  de  Chartres,  de  Tours 
»  el  d'Angers  (-).  »  A  son  retour  en  Gaule,  c'est  la  qu'il  les 

(*)  Annales  de  la  Société  Académique,  p.  305,  306. 
(,J)  Commentaires,  liv.  II,  ch.  XXXV. 


141 

retrouva  et  il  prit  immédiatement  ses  dispositions  pour  com- 
mencer la  guerre  :  «  César  fait  partir  Crassus  pour  l'Aqui- 
»  laine ,  disent  les  Commentaires  ,  avec  douze  cohortes 
»  légionnaires  et  une  nombreuse  cavalerie ,  afin  que  les 
»  Gaulois  ne  tirent  pas  de  secours  de  ces  contrées  et  que  ces 
»  nations  si  puissantes  ne  se  liguent  point  entre  elles.  Il 
»  détache  le  lieutenant  Sabinus  avec  trois  légions  chez  les 
»  Unelles,  les  Curiosolites  et  les  Lexoviens,  pour  occuper 
»  leurs  forces.  11  donne  au  jeune  Brutus  le  commandement 
»  de  la  flotte  et  des  vaisseaux  gaulois ,  rassemblés  chez  les 
»  Pictons,  les  Santons  et  dans  les  autres  contrées  soumises, 
»  et  lui  ordonne  de  partir  pour  la  Vénétie  dès  qu'il  le 
»  pourrait.  Il  s'y  rend  lui-même  avec  ses  troupes  de  terre 
»  (i).  » 

En  dehors  du  corps  d'armée  qui  se  rend  en  Vénétie  avec 
César,  trois  lieutenants  sont  donc  chargés  d'une  mission  qui 
les  sépare  du  commandant  en  chef:  Brutus  aussi  bien  que 
Crassus  et  Sabinus.  La  flotte  de  Brutus,  composée  d'éléments 
fort  divers,  était  loin  des  lieux  où  campaient  les  légions  ; 
César  et  Brutus  durent  donc  se  séparer  dès  le  début  de 
l'entrée  en  campagne. 

Cependant  il  faut  qu'il  y  ait  dans  la  manière  de  voir  des 
hommes  des  divergences  bien  extraordinaires.  César  dit  a 
Brutus  :  Je  te  donne  le  commandement  de  la  flotte  romaine 
et  des  vaisseaux  de  l'Océan,  nos  alliés,  et  je  t'ordonne  dé- 
partir pour  la  Vénétie  aussitôt  que  lu  le  pourras  ;  moi  je 
m'y  rends  sans  retard  avec  mon  infanterie.  Eh  bien,  les 
auteurs  du  nouveau  système  croient  devoir  faire  partir 
ensemble  la  flotte  et  l'infanterie  :  d'après  eux,  l'infanterie  et 
la  flotte  descendent  la  Loire,  l'une  sur  la  rive,  l'autre  sur  le 
fleuve,  de  manière  à  pouvoir  se  secourir  mutuellement;  mais 

(')  Idem,  liv.  lll.ch.XI. 


1 5të 

ces  auteurs  ne  sont  point  d'accord:  les  uns  placent  Tannée 
de  terre  sur  la  rive  droite;  les  autres  sur  la  rive  gauche  ;  et 
ceux-ci  se  servent  des  vaisseaux  de  Brutus  pour  faire  passer 
César  et  sa  fortune  de  Mindin  à  Saint-Nazaire.  M.  Maître, 
qui  voit  les  Nannèles  entre  les  Angevins  et  Saint-Nazaire  (*), 
croit  que  César  a  dû  venir  d'Angers  à  Méan  en  suivant  le 
bord  de  la  Loire,  afin  de  protéger  sa  flotte  et  d'être  ravitaillé 
par  elle  (2). 

Je  ne  sais  si  l'on  a  songé  que  les  Nannètes,  dont  on  fait 
traverser  tout  le  territoire  par  les  légions,  pouvaient  bien 
être  les  alliés  des  Venètes  ;  mais  si  une  opération  de  cette 
importance  avait  été  accomplie,  une  phrase  concise  des 
Commentaires,  je  n'en  saurais  douter,  n'eût  pas  manqué  de 
nous  l'apprendre. 

Cependant  César  est  arrivé  en  Vénélie.  L'attaque  est  com- 
mencée. L'habile  capitaine  trouve  des  obstacles  inattendus. 
Il  est  surpris  par  les  moyens  qu'emploie  la  défense. 

«  Ainsi  le  flux  et  le  reflux,  dit-il,  nous  empêchaient  égale- 
»  ment  d'assiéger  les  places  des  Venètes,  et  si  quelquefois 
»  la  mer,  vaincue  par  d'immenses  travaux,  était  repoussée 
»  par  nos  digues,  quand  nos  terrasses  atteignaient  à  peu 
»  près  la  hauteur  des  remparts,  les  ennemis,  désespérant  de 
»  leur  salut,  faisaient  avancer  un  grand  nombre  de  leurs 
»  vaisseaux,  ce  qui  leur  était  extrêmement  facile,  y  erobar- 
»  quaient  toutes  leurs  richesses  et  se  reliraient  dans  les 
»  places  voisines,  où  ils  recommençaient  à  se  défendre  avec 
»  les  mêmes  avantages  de  position.  C'est  ce  qu'ils  firent 
»  pendant  une  grande  partie  de  l'été,  d'autant  plus  aisé- 
»  ment  que  nos  navires  étaient  retenus  par  des  tempêtes  et 
»  qu'il  était  très  difficile  de  naviguer  sur  cette  mer  vaste  et 

(«)  Annales  de  la  Société  Académique,  p.  337,  338. 

(a)  —  —  note  de  la  page  311. 


143 

»  ouverte  ayant  de  grandes  marées  et.  dont  les  ports  étaient 
»  rares  et  presque  nuls  (raris  ac  prope  nullis  porlubus) 
»  (i).  ,, 

«  Plusieurs  places  avaient  été  enlevées,  continue  l'histo- 
»  rien,  mais  César,  voyant  que  tant  de  travaux  étaient 
»  inutiles  et  qu'en  prenant  des  villes  il  ne  pouvait  ni  empê- 
»  cher  l'ennemi  de  fuir,  ni  lui  faire  du  mal,  résolut  d'attendre 
»  la  flotte.  Dès  qu'elle  fut  arrivée,  après  avoir  été  aperçue 
»  d'abord  par  les  ennemis  (<œ  primum  ab  hostibus  visa 
»  est),  environ  220  vaisseaux  parfaitement  équipés  sortirent 
»  du  port  et  se  rangèrent  devant  elle  (-).  » 

De  celte  nouvelle  citation,  je  reliens  ceci  :  César  avait 
commencé  l'attaque  des  VenÔtes  en  attendant  sa  flotte; 
celle-ci  fut  retenue  par  des  tempêtes;  elle  dut  naviguer  en 
haule  mer,  sur  une  mer  ouverte,  devant  une  côte  dont  les 
ports  étaient  rares,  sans  importance;  César  l'attendit  une 
partie  de  l'été  en  faisant  d'immenses  travaux  qui  n'ont  rien 
d'applicable  au  Trait  du  Croisic,  en  livrant  des  combats  qui 
n'étaient  pas  sans  difficultés;  enfin  la  flotte  de  Brutus  fui 
aperçue  par  les  Venètes  avant  de  l'être  par  les  Romains. 

Je  tire  ici  tout  naturellement  une  conclusion  différente  de 
celle  que  je  combats:  le  théâtre  de  la  lutte  avait  une  grande 
étendue,  les  vaisseaux  de  Brutus  en  étaient  fort  éloignés  et 
le  port  d'où  sortirent  les  vaisseaux  venètes  n'était  point  dans 
le  voisinage  de  l'embouchure  de  la  Loire. 

Admettons  cependant  un  instant,  pour  voir  où  cela  peut 
nous  conduire,  admettons  qu'il  s'agisse  du  Trait  du  Croisic, 
favorisé  d'une  double  sortie  du  côté  du  Pouliguen  et  du  côté 
de  Penbron  :  dans  ce  cas,  la  côte  qui  a  des  ports  quoique 
rares  et  presque  nuls,  mais  enfin  qui  a  des  ports;  celte  côte 

(')  Commentaires,  liv.  111.  ch.  XII. 
(a)  —  liv.  ill,  ch.  XIV. 


144 

devant  laquelle  navigue  péniblement  la  flotte  de  Bi'utus,  et 
qu'elle  met  si  longtemps  à  dépasser,  c'est  donc  tout  simple- 
ment la  belle  falaise  dénuée  du  moindre  abri  qui  s'étend  de 
Saint-Nazaire  à  Chcmoulin?  La  mer  ouverte  et  vaste  où  les 
vaisseaux  de  Brulus  maudissent  les  éléments  pendant  une 
partie  de  l'été,  c'est  donc  la  baie  où  débouche  la  Loire  et 
qui  se  trouve  comprise  dans  le  quadrilatère  ayant  pour 
sommets  Saint-Nazaire,  Mindin,  La  Plaine  et  Chemoulin? 

Mais  ce  n'est  pas  là  ce  que  dit  César.  Il  donne  une  autre 
idée,  une  idée  autrement  grande  des  fatigues  de  sa  flotte, 
des  tempêtes  qui  la  retinrent,  du  temps  considérable  qu'elle 
perdit  avant  de  pouvoir  arriver  jusqu'à  lui.  Il  y  avait  quelques 
ports  de  peu  d'importance  sur  le  littoral  devant  lequel  elle 
passait,  tandis  qu'il  n'y  en  a  point  entre  Saint-Nazaire  et 
Le  Pouliguen  ;  le  but  qu'elle  avait  la  mission  d'atteindre 
était  loin  d'elle  et  non  pas  à  sa  portée. 

Eh  bien,  même  avec  tout  cela,  il  y  a  dans  ^  récit  de 
César  une  toute  petite  phrase  d'une  ligne  qui  suffirait,  à  elle 
seule,  pour  faire  crouler  tout  le  système  plein  de  hardiesses 
et  d'invraisemblances  qui  m'est  opposé  ;  c'est  celle-ci  :  «  La 
»  flotte  de  Brulus  fut  aperçue  d'abord  par  les  Venètes.  » 

Depuis  le  moment  où  César  partant  directement  pour  la 
Vénétie  avec  ses  troupes  de  terre,  donna  l'ordre  à  Brulus 
de  le  rejoindre  à  la  lêle  de  la  flotte,  le  plus  tôt  possible,  le 
capitaine  et  le  lieutenant  sont  absolument  séparés  ;  cela 
résulte  clairement  de  la  lettre  et  de  l'esprit  des  Commentaires. 
Si  nous  admettons  cependant  cette  situation  invraisemblable 
que  César  soit  devant  le  Grand-Trait  à  la  poursuite  des 
Venètes  ;  que  ceux-ci,  grâce  à  leurs  nombreux  vaisseaux, 
se  dérobent  à  chaque  instant,  abandonnant  la  ville  où  ils 
sont  menacés  pour  aller  se  réfugier  dans  la  ville  voisine  où 
ils  trouvent  le  même  moyen  de  se  défendre,  c'est-à-dire 
fuyant  le  petit  rocher  de  Saille  pour  la  petite  anse  de  Congors, 


145 

le  petit  hameau  de  Pradel  pour  son  petit  voisin  l'Enclis,  et 
cela,  pendant  toute  la  belle  saison,  à  portée  du  trait  des 
légions  qui  couvrent  la  plaine  ;  si  nous  admettons  cet  infime 
théâtre,  un  pays  plat  sans  étendue,  sans  moyens  de  défense, 
pour  une  lutte  si  grande,  si  compliquée,  si  difficile,  il  faudra 
bien  admettre  aussi  que  le  conquérant  est  le  maître  du 
plateau  qui  s'étend  jusqu'à  Saint-Nazaire  ;  il  avait,  dans  ce 
cas  supposé,  un  trop  grand  intérêt  à  se  maintenir  en  rapport 
•avec  ses  vaisseaux,  qui  sont  près  de  lui,  pour  négliger  de  le 
faire. 

La  plupart  des  partisans  de  ce  système,  croyant,  sans  sujet, 
que  la  Vénélie  s'étendait  jusqu'à  la  Loire,  font  d'ailleurs 
accompagner  César  par  Brulus  jusqu'au  bas  du  fleuve.  Quant 
à  M.  .Maître,  il  reconnaît  que  les  Samnites  s'étendaient  de  la 
Loire  jusqu'à  Saille  (i),  pourquoi  Saille;  et  il  pense  que 
Brulus  n'a  dû  se  séparer  de  son  chef  qu'à  Méan. 

Dans  ces  cas  divers,  César  arrive  donc  par  Saint-Nazaire 
devant  les  marais  salants.  Entre  l'embouchure  de  la  Loire 
et  ces  marais,  le  conquérant  est  donc  sur  le  territoire  des 
Samnites  qui  ne  sont  pas  ses  ennemis  et  ne  peuvent  être  que 
ses  alliés  ;  il  est  donc  en  communication  avec  sa  flotte,  non 
pas  d'après  les  Commentaires,  mais  ainsi  que  cela  résulte  des 
récits  que  je  combats. 

C'est  donc  sous  les  yeux  de  César  que  la  flotte  romaine  se 
réunit  aux  flottes  alliées  des  Piclons,  des  Santons  et  autres 
peuples  amis  des  Romains  ;  c'est  encore  sous  ses  yeux  que 
les  flottes  réunies  luttent,  luttent  longtemps,  contre  les 
tempêtes  dans  l'estuaire  de  l'embouchure  de  la  Loire. 
De  la  pointe  de  l'Eve,  du  tumulus  de  Saint-Marc,  des  hauteurs 
de  Chemoulin,  César  est  témoin  de  la  situation  malheureuse  de 
Brulus  qui,  pendant  une  grande  partie  de  la  belle  saison,  ne 

(')  Annales  de  la  Société  Académique,  p.  338. 

10 


146 

trouve  pas  un  seul  jour  pour  se  rendre  de  Saint-Nazaire  au 
Pouliguen.  Eh  bien,  le  jour  fortuné  où  Brutus,  toujours  sous 
le  regard  de  César,  est  enfin  favorisé  de  la  brise  pour  faire 
voile  ou  force  de  rames  vers  le  Grand-Trait,  est-ce  que 
Tannée  romaine  a  fermé  les  yeux  tout  exprès  pour  laisser  le 
soin  aux  Venètes  d'apercevoir,  les  premiers,  les  flottes  de 
leurs  adversaires  ? 

Est-ce  qu'il  y  a  une  ombre  de  vraisemblance  dans  celte 
proximité  de  la  flotte  de  Brutus  et  de  l'infanterie  de  César, t 
si  les  Venètes  sont  les  premiers   à   signaler   l'apparition  de, 
leurs  ennemis? 

Non.  Il  faut  donc  admettre  encore  que  les  Venètes  étaient 
bien  loin  de  la,  bien  au  delà  de  la  côte  du  Croisic  et  de 
Piriac. 

Dans  ce  sujet,  je  n'ai  point  de  système  préconçu  ;  j'inter- 
roge surtout  les  anciens  ;  j'étudie,  je  compare  et  je  conclus. 
Le  système  qui  m'est  opposé  n'est  point  né  de  la  lecture  de 
nos  vieux  historiens  ;   il  a  pris  son  essor  de  nos  jours. 

Le  premier  en  date,  de  ces  historiens,  Alain  Bouchart  (t) 
écrivit  ses  Grandes  Chroniques  de  Bretagne,  au  temps  où 
la  duchesse  Anne  était  reine  de  France  ;  il  avait  puisé  dans 
les  anciennes  histoires,  dans  les  vieilles  chroniques,  dans  les 
vieux  livres  et  les  vieux  registres  ;  il  avait  peu  de  critique, 
mais  au  contraire  une  certaine  confiance  dans  la  légende  : 
il  était  de  son  temps.  Les  Commentaires  de  César  lui  ont 
servi  de  guide  pour  la  guerre  des  Venètes.  Je  vais  le  copier 
en  rajeunissant  son  vieux  style. 

Après  avoir  parlé,  comme  dans  le  livre  latin,  des  précau- 
tions que  prend  César  lorsqu'il  envoie  trois  de  ses  lieutenants 

(')  Pierre  Le  Baud,  son  contemporain,  ne  fut  imprimé  que  longtemps 
après  Bouchart. 


147 

pour  surveiller  les  Gaulois  dont  il  pouvait  craindre  un  retour 
offensif,   Alain  Bouchart  continue  ainsi  : 

«  De  tous  les  navires  que  César  avait  fait  faire  en  Provence 
»  et  en  Loire,  il  fit  Decius  Brutus,  conducteur,  et  le  chargea 
»  que,  sitôt  qu'il  pourrait,  il  menât  les  navires  à  Vernies.  » 
On  voit  que  Bouchart  n'oublie  pas  le  mot  de  César,  sitôt 
»  qu'il  pourrait.  César  conserva,  pour  sa  part,  tous  ses 
»  gens  a  pied.  Quand  César  fut  venu  au  pays  de  Vennes,  il 
«  fit  faire  tout  de  suite  les  engins  pour  prendre  les  châteaux, 
s  II  est  bien  vrai  que  César  prenait  des  châteaux,  mais  il  ne 
»  pouvait  retenir  les  habitants  qui  s'enfuyaient  tous  par 
»  navires. 

»  Quand  il  vit  qu'il  se  travaillait  en  vain,  parce  qu'il  ne 
»  pouvait  prendre  ni  retenir  ses  ennemis  qui  tous  fuyaient 
»  par  eau,  de  forteresse  en  forteresse,  il  ordonna  qu'ils 
»  fussent  en  souffrance  par  trêve,  en  attendant  que  Decius 
»  Brutus  vînt  avec  toutes  ses  nefs,  lesquelles  il  amenait  par 
»  grande  difficulté,  pour  ce  qu'ils  trouvaient  petit  de  port  et 
»  d'eau  pour  nager  ;  car  ses  nefs  étaient  faites  de  telle  sorte 
»  qu'en  nageant  on  les  conduisait. 

»  Decius  Brutus  vint  avec  tous  ses  navires  droit  à 
»  Vennes  (i).  »  Ainsi  parle  Alain  Bouchart,  qui  connaissait 
bien  Le  Croisic  et  qui  s'est  bien  gardé  d'y  placer  les  forces 
des  Venètes. 

Dom  Lobineau  est  plus  réservé  ;  il  renvoie  à  César,  et  se 
borne  à  écrire  ces  trois  lignes  :  «  Les  Armoricains  soulevés 
»  par  ceux  de  Vannes,  se  révoltèrent  aussi-tost,  et  César 
»  punit  leur  rébellion  avec  le  bonheur  qui  lui  estoit 
»  ordinaire  (2).  » 

Dom  Morice   se  borne   à   traduire   tout  simplement  les 

(4)  Les  Grandes  Chroniques  de  Bretaigne,  liv.    1,  feuillet  12. 
(a)  Histoire  de  Bretagne,  p.  1. 


148 

Commentaires  ;  mais  son  sentiment  n'est  pas  douteux  : 
«  Enfui,  dit-il,  César  donna  le  commandement  de  son  armée 
»  navale  à  Brulus.  Ayant  ainsi  pourvu  à  tout,  il  prit  la 
»  roule  de  Vannes  avec  les  troupes  de  terre.  On  conçoit 
»  parfaitement  que  les  Venètes  étant  maîtres  du  Morbihan, 
»  pouvaient  passer  sans  aucun  risque  d'une  place  à  l'autre 
»  et  se  secourir  mutuellement  (').  » 

Le  nouveau  système  n'est  point  d'accord  avec  nos  vieux 
historiens  bretons  (-).  Est-ce  donc  sans  motif  que  ces  vieux 
historiens  ont  tous  placé  le  lieu  du  combat  au  nord  de  la 
Vilaine  ?  Non.  Ils  connaissaient  les  raisons  que  nous  avons 
données,  et  au-dessus  de  ces  raisons,  il  y  a  celle-ci  qu'ils 
connaissaient  bien  aussi  :  les  Venètes  n'eussent  pas  été  chez 
eux  au  Groisic,  ni  à  Guérande,  ni  sur  toute  cette  partie  du 
littoral  qui  s'étend  de  la  Loire  à  la  Vilaine.  Et  cela  suffirait 
seul  pour  permettre  de  conclure  que  la  lutte  eut  lieu  au 
nord  de  la  Vilaine,  chez  les  Venètes,  où  César  porta  la 
guerre,  et  non  pas  chez  les  Samnites  ou  Namnèles  leurs 
voisins. 

Je  vais  aborder  cette  seconde  partie. 

La  Vilaine  est  la  limite  méridionale  de  la  Vénétie. 

L'Empire  romain  avait  établi  en  Gaule,  dès  l'origine,  de 
grandes  divisions,  sous  le  nom  de  provinces,  en  les  compo- 
sant d'un  certain  nombre  de  peuples  conquis  par  la  Répu- 
blique. Chaque  province  avait  une  charte  fixant  la  condition 


(')  Histoire  de  Bretagne,  p.  3. 

(5)  J'ai  là  ilcux  contemporains  sous  les  yeux.  Daru  et  Richer.  Daru  cite, 
sans  se  prononcer,  l'opinion  de  ceux  qui  placent  le  lieu  du  combat  cuire  les 
presqu'îles  de  Riez,  et  de  Quiberon.  Richer  fait  relâcher  a  Belle-Ile  les  vais- 
seaux de  Brutus;  il  s'ensuit  que,  pour  lui,  ils  allaient  plus  loin  encore. 


149 

des  peuples  ou   des  villes  qui   en  dépendaient,  ainsi  que  la 
limite  de  leurs  territoires  respectifs  (>). 

Ces  grandes  divisions  furent  d'ailleurs  remaniées  et  augmen- 
tées plusieurs  fois,  sans  qu'il  fut  touché  aux  limites  des  peuples 
dont  elles  étaient  formées;  c'est  ainsi  que  sous  Auguste,  la  rive 
droite  de  la  Basse-Loire  fut  classée  dans  la  Gaule  lyonnaise; 
que,  sous  Diocléticn,  la  Lyonnaise  fut  divisée  en  deux  parties 
et  que  cette  même  rive  fut  rattachée  a  la  seconde  ;  et  qu'enfin, 
d'après  la  Notice  des  Provinces  et  des  Cités  de  la  Gaule, 
dressée  vraisemblablement  sous  Honorius,  qui  régna  de  395 
a  425,  la  partie  de  notre  département  située  sur  la  rive 
droite  du  fleuve  était  dans  la  IIIe  Lyonnaise,  avec  Tours 
pour  métropole,  et  celle  de  la  rive  gauche  dans  la  seconde 
A'qui  laine. 

C'est  à  cette  dernière  époque  que  les  villes  prirent  le  nom 
des  peuples  dont  elles  étaient  la  capitale  ou  le  centre  impor- 
tant, et  que  le  nom  de  Civitas  Namnetum  apparaît  pour  la 
première  fois  dans  la  Notice  des  Provinces  (2).  Cependant, 
on  ne  peut  pas  conclure  grand'chose  de  cette  apparition  ; 
car  la  Notice  peut  fort  bien  appliquer  le  mot  Civitas  au  terri- 
toire des  Namnètes,  non  à  la  ville,  et  elle  n'indique  pas 
autrement  la  situation  des  peuples  qu'en  les  plaçant  dans  la 
IIIe  Lyonnaise. 

Les  évechés  de  Nantes  et  de  Hennés  ayant  été  institués  du 
temps  de  la  domination  romaine,  et  les  églises  anciennes 
ayant  adopté  pour  la  démarcation  de  leur  territoire,  les  divi- 
sions du  Gouvernement  civil  p),  on  doit  retrouver,  dans  les 
premières  limites  de  ces   antiques   diocèses,  les  limites  des 

(4)  Manuel  des  Institutions  romaines,  par  Bouché-Leclerq,  par  196. 

(a)  Le  nom  de  Portu-Namnetu  (.Portus  Namnetum)  apparaît  également 
dans  la  carte  dite  de  Peutinger  ou  Table  théodosienne.  J'en  parlerai  plus 
loin. 

(3)  Daru.  Histoire  de  Bretagne,   t.  1,  p.    12H. 


450 

peuples  telles  qu'elles  existaient  au  moment  de  la  conquête 
romaine.  Je  vais  essayer,  eu  procédant  par  ordre,  de  déter- 
miner ces  limites  pour  l'ancien  diocèse  de  Nantes,  parce 
qu'elles  doivent  correspondre  à  celles  qui  séparaient  les 
Venèles  des  Samniles  ou  Namnètes. 

César  est  le  premier  écrivain  qui  parle  des  Nannètes,  et 
voici  a  quelle  occasion  :  «  Les  Venètes  font  entrer  dans  leur 
»  alliance  les  Osismiens,  les  Lexoviens,  les  Nannètes,  les 
»  Ambiliates,  les  Morins,  les  Diablintes,  les  Menapiens  ;  ils 
»  mandent  des  secours  de  la  Bretagne  qui  est  située  vis-à- 
»  vis  ces  contrées  (').  » 

Je  ne  voudrais  pas  abuser,  comme  on  Ta  fait  souvent,  de 
Tordre  suivi  dans  les  énuméralions  des  peuples,  pour  en  tirer 
des  conséquences  en  faveur  de  mon  sujet.  Je  ne  puis  cepen- 
dant m'empêcher  de  faire  remarquer  que  les  Osismiens, 
voisins  immédiats  des  Venètes,  au  nord  et  à  Test,  sont  placés 
par  César  au  premier  rang  ;  qu'eu  faisant  abstraction  des 
Nannèles  et  des  Diablintes,  les  autres  peuples  sont  placés  à 
la  suite,  dans  un  ordre  absolument  régulier,  conforme  à  leur 
situation,  en  allant  vers  le  Rhin,  et  qu'ils  sont  tous  siluo 
vis-à-vis  de  l'île  de  Bretagne,  ainsi  que  Ta  dit  César  ;  qu'enfin, 
lis  Nannèles  viennent  après  les  Lexoviens  qui  étaient  sur  le 
littoral  du  Calvados. 

11  n'y  a  là  que  des  peuples  qui  bordent  la  Manche,  selon 
les  Commentaires.  On  peut  cependant  produire  une  objection 
de  la  présence  des  Nannètes  parmi  les  conjurés  ;  mais  nous 
allons  voir  que  Pline  n'est  pas  opposé  à  celle  situation  et  que 
Ptolémée  en  est  très  rapproché. 

Après  César,  voici  Pline,  qui  dit  tout  simplement  ceci  : 
«  Les  Nannètes  sont  en  dehors  de  ki  péninsule  qui  s'avance 
»  dans  l'Océan  jusqu'aux  limites  Osismiennes.  »  Il  évalue  le 

(')  Commentaire»,  liv.  ill,  chap.  IX. 


loi 

circuit  de  la  péninsule  a  Gîo  mille  pas  ou  9-21  kilomètres  (•), 
et  sa  largeur  à  135  mille  pas  ou  185  kilomètres  :  ce  qui 
est  à  peu  de  chose  près  la  mesure  de  la  péninsale  armori- 
caine formant  le  triangle  qui  a  pour  sommet  le  cap  Saint- 
Mathieu,  la  Basse-Loire  et  le  fond  de  la  baie  Saint-Michel. 
De  celte  vague  indication  de  Pline,  ou  ne  peut  tirer  d'autre 
conclusion  que  celle-ci  :  les  Nannèles  étaient  à  Test  d'une 
ligne  tirée  de  la  Basse-Loire  a  Avranches.  11  s'ensuit  que  le 
champ  des  recherches  est  très  vaste. 

Voici  enfin  Ptolémée  qui  place  les  Namnètes,  avec  leur 
capitale  Gondevincum,  précisément  à  Test  de  cette  ligne, 
entre  les  Génomans  et  les  Abrincates  (entre  Le  Mans  et 
Avranches).  Ici,  l'indication  est  très  précise,  si  elle  n'est  pas 
très  exacte,  et  ces  Namnètes  y  sont  loin,  fort  loin  de  la 
Basse-Loire. 

De  ces  trois  citations,  nous  ne  pouvons  tirer  aucun  secours. 
Et  même  elles  ne  sont  pas  sans  jeter  quelque  obscurité  sur 
celte  partie  de  la  géographie  ancienne  de  nos  contrées. 

Les  Nannèles,  quaucun  vieil  auteur  ne  place  précisément 

près  de  la  Loire,  font  partie  de  la  ligue  formée  contre  César, 
et  celui-ci  les  range  parmi  les  peuples  qui  bordent  la  Manche. 
S'ils  avaient  été  entre  les  Arides  et  les  Venètes,  c'est-à-dire 
entre  ses  légions  et  les  ennemis  qu'il  allait  combattre,  c'est 
chez  eux  que  César  eût  commencé  la  guerre.  Il  n'en  fait 
rien.  On  a  vu  quelles  précautions  il  a  prises  pour  contenir 
les  peuples  dont- il  pouvait  craindre  un  retour  offensif: 
les  Nannèles  avaient  été  sur  son  chemin,  il  aurait  commencé 
par  les  réduire  à  l'impuissance;  s'ils  avaient  été  sur  l'une 
de  ses  ailes,  il  les  aurait  fait  maintenir  par  un  lieutenant. 
César  n'en  dit  rien.  Il  se  rend  chez  les  Venètes  avec  son 

(')  Le  pas  romain  était  de  im,'*8  d'après  Noél,  dans  son  dictionnaire. 


152 

infanterie  pour  y  commencer  Ja  guerre,  tandis  qu'avec  les 
vaisseaux,  sans  doute  en  petit  nombre,  qui  viennent  d'être 
construits  sur  la  Loire,  Brutus  descend  le  fleuve  pour  aller 
à  la  rencontre  de  ses  alliés. 

Je  suis  naturellement  amené  à  penser  que  les  Nannètes 
étaient  alors  loin  de  la  Loire,  comme  le  témoignent  César  et 
Ptolémée,  et  comme  cela  peut  ressortir  de  Pline,  et  qu'ils 
auraient  bien  pu  prendre  possession  du  Vicus  portus  des 
Samniles,  à  une  époque  de  bouleversement,  ainsi  que  l'a 
pensé  Dom  Lobineau  (').  Sinon,  c'est  une  faute  des  Com- 
mentaires, peut-être  une  interpolation,  de  nommer  les 
Nannètes  en  les  plaçant  parmi  les  eonjurés  de  la  Maucbe. 

Quoi  qu'il  en  soit,  le  secours  que  nous  chiTchons  va  nous 
venir  des  vieux  auteurs  qui  ont  parlé  des  Samniles. 

Strabon  est  le  premier  en  date  :  il  en  parle  d'après  Polybe, 
qui  naquit  deux  siècles  avant  l'ère  chrétienne,  et  d'après 
Posidonius,  qui  vécut  entre  Polybe  et  César. 

Selon  Polybe,  la  Loire  se  déchargeait  dans  l'Océan,  entre 
les  Pictons  et  les  Namniles;  et  Strabon  nous  apprend  qu'il  y 
avait  sur  le  littoral,  les  -Santons,  riverains  de  la  Garonne,  et 
les  Pictons,  riverains  de  la  Loire  (-).  Les  Namnites  étaient 
donc  à  l'embouchure  du  fleuve,  sur  la  rive  droite. 

Selon  Posidonius,  il  existait  une  petite  île  dans  l'Océan, 
vers  le  haut  de  l'embouchure  de  la  Loire,  et  elle  était  habitée 
par  les  femmes  des  Samniles  (*).  Les  maris  étaient  évidem- 
ment à  portée  de  l'île  où  se  réunissaient  leurs  femmes  :  les 
Samniles  bordaient  donc  l'Océan. 

Dans  la  première  citation,  le  texte  grec  de  Strabon,  livre  IV, 
chapitre  II,  dit  Namniton;  dans  la  seconde  citation,  même 


(')  Histoire  de  liretagnej  \).  '1. 

(s)  Strabon,  Géographie,  liv.  IV,  ch.  Il,  §  1  <'l  2. 

(»)        —  —  liv.  IV,  ch.  IV,  §  6. 


153 

livre,  chapitre  IV,  il  y  a  Samniton  ;  mais  il  s'agit  bien  du 
même  peuple,  comme  nous  allons  le  voir  tout  à  l'heure.  Les 
auteurs,  qui  traduisent  ces  deux  noms  par  Nannèles,  ne 
donnent  pas  le  texte  que  nous  possédons  de  Strabon,  mais 
bien  un  texte  modifié. 

Ptolémée  va  agrandir  notre  cadre  et  en  déterminer  les 
limites.  11  dit  en  effet  : 

«  §  6.  —  La  côte  occidentale,  sous  les  Osismiens,  est 
»  occupée  par  les  Venèles,  dont  la  ville  est  Dariorigum, 
»  située  par  17°,<20'  de  longitude  et  de  49°,15'  de  latitude, 
a  Et  au-dessous  sont  les  Samnites  qui  s'étendent  jusqu'au 
»  fleuve  de  Loire. 

»  §7.  —Dans  l'intérieur  des  terres,  à  l'orient  desVenètes, 
»  sont  les  Diablintes. . .  » 

»  §  8.  —  ...  Puis  à  l'orient  des  Samnites  sont  les 
»  Andes  (').  » 

Entin  Marcien  d'Heraclée  va  continuer  l'existence  des 
Samnites,  en  ces  mêmes  lieux,  au  IVe  siècle.  Il  décrit  le 
littoral  de  l'Atlantique,  du  Midi  au  Septentrion;  arrivé  près 
de  nous,  il  dit  :  «  Du  promontoire  des  Pictons  au  port  Sicor, 
»  il  y  a  G290  à  300  stades;  du  port  Sicor  à  l'embouchure  de 
»  la  Loire,  155  à  185  stades.  Le  fleuve  avoisine  la  nation 
»  des  Samnites.  » 

Nous  voilà  en  grande  partie  tîxés.  11  n'y  a  pas  une  seule 
contradiction  dans  ce  que  disent  Polybe  et  Posidonius, 
Strabon  et  Marcien  ;  Ptolémée  les  complète  :  les  Samnites 
étaient  entre  les  Venèles  et  la  Loire  ;  ils.  s'étendaient  de 
l'Océan  aux  Andes;  ils  étaient  assis  sur  le  littoral. 

Ptolémée,  qui  fut  un  grand  mathématicien,  était  aussi  un 

(')  l'tolémée,  Géographie,  liv.  11,  cha[>.  VU,  §6,7  cl  8. 


154 

écrivain  fort  méthodique,;  il  place  les  peuples  les  uns  à  la 
suite  des  autres,  exactement  selon  leurs  situations  respectives 
et  telles  qu'il  les  connaissait.  Il  vient  de  décrire  les  peuples 
voisins  de  la  Manche;  il  arrive  a  l'Océan.  Ici,  il  commence 
par  le  littoral,  qui  n'a  que  deux  peuples,  et  il  dit,  dans  son 
paragraphe  G  :  La  côte  occidentale,  après  les  Osismiens, 
est  occupée  par  les  Venèles,  et  au-dessous  des  Venètes  par 
les  Samnites,  qui  s'étendent  jusqu'à  la  Loire.  Puis  vient 
le  paragraphe  7,  qui  commence  par  ces  mots  :  Dans  l'inté- 
rieur des  terres,  à  l'orient  des  Venèles,  sont  les  Aulerques; 
puis  le  paragraphe  8,  qui  se  termine  par  ceux-ci  :  Et  à 
l'orient  des  Samnites  sont  les  Andes.  Le  géographe  a 
donc  bien  soin  de  distinguer  les  peuples  du  littoral  et  ceux 
de  l'intérieur. 

Ici  il  n'y  a  pas  le  moindre  doute  :  les  Samnites  occupaient 
la  côte  océane,  à  la  suite  et  au  midi  des  Venètes.  Mais  quelle 
était  l'étendue  de  cette  côte?  On  ne  donne  pas  précisément 
des  raisons  pour  placer  à  Saille  la  limite  de  ces  deux  peuples; 
peut-être  allons-nous  en  trouver  pour  la  placer  à  la  Vilaine, 
seule  limite  naturelle  qui  convienne  à  celte  situation,  et  que 
d'excellents  auteurs  ont  admise. 

L'histoire  de  notre  Armoriquc  esl  brève  et  eonl'use  au 
Ve  siècle  et  dans  la  première  moitié  du  VIe.  Dans  la  seconde 
moitié,  saint  Félix  était  évoque  de  Nantes,  et  son  diocèse 
dépendait  des  Francs,  ainsi  que  celui  de  Rennes,  depuis 
la  conquête  de  l'Armorique  par  Clovis;  Waroch  ou  Gue- 
rech  ,  placé  à  l'avant -garde  de  l'invasion  de  l'Armorique 
par  les  Bretons ,  invasion  qui  suivait  sa  voie,  du  nord 
au  sud,  Waroch  était  toujours  prêt  a  marcher,  à  piller,  a 
batailler;  il  eut  plusieurs  engagements  avec  les  Francs  au 
bord  de  la  Vilaine,  et  ses  sujets  firent  de  nombreuses  entre- 
prises  sur   li's   pays   de  Kermès  et  de  Nantes.  Dans  une  de 


155 

ces  entreprises,  l'évêque  Félix   fit  réprimander  les  Bretons 
par  ses  envoyés  ('). 

Quelques  années  après  la  mort  de  saint  Félix,  en  590, 
l'armée  de  Gontran,  roi  franc  d'Orléans,  venait  enfin 
d'obliger  le  remuant  comte  Breton  à  accepter  la  paix: 
«  Comme  l'armée  sortait  de  Bretagne,  dit  Grégoire  de  Tours, 
»  les  plus  forts  traversaient  le  fleuve,  les  faibles  et  les  pauvres 
»  qui  les  suivaient  ne  purent  passer  en  même  temps.  Tandis 
»  qu'ils  étaient  encore  sur  le  bord  de  la  Vilaine,  Waroch... 
»  envoya  son  fils  Ganao  avec  une  armée...  plusieurs  furent 
»  emportés  à  la  mer  par  l'impétuosité  du  courant  (2).  » 

Il  résulte  évidemment  de  ces  quelques  lignes,  que  la 
Vilaine,  appelée  alors  Vicinonia,  était,  en  ce  temps-la,  à  la 
limite  de  la  nouvelle  Bretagne,  d'une  Bretagne  indépendante, 
et  que,  sur  la  rive  gauche  si  souvent  envahie  par  Waroch, 
le  Comte  breton  n'était  pas  chez  lui.  En  rapprochant  ce  récit 
des  réprimandes  adressées  par  Félix  aux  Bretons  envahisseurs 
de  cette  rive  gauche,  on  est  tout  porté  à  conclure  que  le 
pouvoir  de  cet  évêque  s'étendait  jusqu'au  fleuve,  ainsi  que 
cela  existait  trois  siècles  plus  tard,  sous  ses  successeurs.  Rien 
ne  donne  à  penser  que,  dans  cet  intervalle,  son  diocèse  ait  été 
agrandi  aux  dépens  de  la  Vénétie.  Nous  ne  devons  pas  oublier 
que  les  évêchés,  à  leur  fondation,  respectèrent  les  limites  des 
peuples  ;  sans  des  motifs  bien  graves,  on  ne  louchait  pas  à 
celles  des  évêchés,  et  la  rive  gauche  de  la  Vilaine  ne  porte 
pas  l'empreinte  de  sa  dépendance  de  celui  de  Vannes. 

Est-ce  donc  une  grande  hardiesse  que  de  conclure  que  le 
diocèse  de  Félix  était  alors  limité  par  la  Vilaine  jusqu'à  la 
mer,  de  la  même  manière  que  nous  le  voyons  au  IXe  siècle, 

(')  Grégoire  de  Tours,  Histoire  des  Francs,  traduction  Guizot,  liv.  V, 
en.  XVI. 

(5)  Ibid.,  liv.  X,  cli.  IX. 


156 

au  temps  où  le  diocèse  nantais  eut  passagèrement  deux 
évêques,  Actard  a  Nantes,  Gislard  à  Guérande  ? 

Est-il  donc  téméraire  de  penser  qu'il  en  était  ainsi  de 
l'ancienne  nation  des  Samnites  ou  Namnètes,  dont  les  limites 
respectées  des  Romains  servirent  à  séparer  les  diocèses 
religieux  (i)  ? 

Des  savants  bretons  sont  aussi  de  cet  avis,  que  les  limites 
des  anciens  évêchés  correspondaient  à  celles  des  peuples 
gaulois,  et  que  les  Venètes  étaient  bornés  au  midi  par  la 
Vilaine.  C'est  aussi  le  sentiment  de  M.  Bizeul,  qui  a  écrit 
d'excellentes  études  sur  notre  pays  (''-).  C'est  également  celui 
de  l'abbé  Grégoire  qui  a  publié  un  important  ouvrage  sur  le 
diocèse  de  Nantes  :  «  Il  est  bon,  dit  celui-ci,  de  faire  remar- 
»  quer  que  le  clergé,  dans  son  organisation,  suivit  les 
«  divisions  géographiques  de  l'Administration  romaine, 
»  même  après  l'invasion  des  barbares  (•*).  » 

Le  savant  M.  de  la  Borderie,  dans  une  courte  étude  sur  la 
collégiale  de  Guérande  et  l'intrus  Gislard,  nous  apprend 
aussi  que  le  diocèse  de  Nantes  comprenait  avant  le  IXe  siècle 
les  pays  de  Guérande  et  de  La  Boche-Bernard,  et  s'étendait 
jusqu'à  la  Vilaine  (4). 

C'est  encore  l'opinion  du  plus  consciencieux  de  nos  histo- 
riens bretons,  dom  Lobineau.  11  exprime  d'abord  l'avis,  sur 
un  point  très  obscure  de  notre  histoire,  que  l'intercession  dé 
l'évoque  de  Nantes  Félix,  dans  les  affaires  du  comte  de 
Vannes,  Canao,  au  sujet  de  Macliau,  peut  servir  à  confirmer 
que,  dès  ce  temps-la,  les  Comtes  bretons  étaient  possesseurs 
de  la   partie   où  l'on    parlait   breton  entre  la  Vilaine  et  la 

(')  Etude  sur  la  géographie  ancienne  dans  les  contrées  de  la  liasse-Loire, 
par  l'auteur,  p.  30  et  31. 

(2)  Revue  des  Provinces  de  l'Ouest,  t.  III,  p.  737. 

(3)  Annules  de  la  Société  Académique,  p.  305,  306. 

{')  Revue  de  Bretagne,  de  Vendée  et  d'Anjou,  juillet   1889,  p.  54. 


157 

Loire,  sur  le  littoral  ;  puis  il  ajoute  que  c'est  en  qualité 
d'évêque  diocésain  que  saint  Félix  intercédait  auprès  du 
Comte  de  Vannes  (>). 

En  présence  de  ces  autorités,  de  ces  antiques  documents 
qui  concordent  entre  eux,  est-il  donc  possible  d'affirmer  que 
le  territoire  des  Venèles  s'étendait  jusqu'à  la  Loire,  même 
jusqu'au  Trait  du  Croisic  ?  Une  pareille  affirmation  n'est- 
elle  pas  absolument  contraire  aux  indications  des  vieux 
géographes,  aux  anciennes  limites  des  peuples  respectées 
par  les  Romains  et  conservées  lors  de  la  création  des  dio- 
cèses? Et  trouve-t-on  dans  les  vieux  textes  l'indication  d'une 
autre  limite  que  celle  de  la  Vilaine  ? 

Oui,  on  en  trouve  une  qui  n'est  pas  précisément  du  temps 
des  vieux  géographes,  mais  qui  pourrait  bien  être  voisine  du 
Xe  siècle 

Saint  Aubin,  qui  naquit  dans  le  diocèse  de  Vannes  vers 
470  et  fut  évêque  d'Angers  de  529  à  550,  est  le  patron  de 
Guérande  et  sa  vie  fut  écrite  au  VIe  siècle  par  le  poète 
Fortunat.  Or,  dans  les  actes  du  Saint  transcrits  au  XVIIe 
siècle  par  un  Bollandiste,  d'après  le  récit  d'un  moine  du  IXe 
ou  du  Xe  siècle,  il  est  dit  :  que  sur  le  littoral  de  l'Océan, 
en  territoire  vènètique,  il  y  a  un  bourg  qui,  dans  la  langue 
bretonne,  est  appelé  Gucnran.  11  s'agit  de  Guérande. 

M.  Maître  cile  cet  exemple  (-)  pour  en  conclure  que  le 
pays  de  Guérande  dépendait  de  la  Vénélie. 

Mais  au  IXe  siècle,  et  depuis  longtemps  déjà,  il  n'y  avait 

(')   Les  Vies  des  Saints  de  Bretagne.  Saint  Félix,  p.  121. 

Le  vieux  chroniqueur  Alain  Bouchart,  en  plusieurs  endroits  de  son 
histoire,  exprime  absolument  cette  opinion  qu'au  IX»  siècle  l'évêché  nantais 
s'étendait  du  côté  de  Guérande,  jusqu'à  la  Vilaine  ;  qu'il  y  eut  une  interrup- 
tion de  courte  durée  après  la  mort  de  l'évoque  Gislard.  Liv.  Il,  feuillet  70, 
verso,  2«  col.;  liv.  III,  ch.  1er,  feuillet  74,  recto. 

(a)  Annales  de  la  Société  Académique,  p.  308  et  note. 


158 

plus  de  Vénétie  :  elle  avait  disparu  peu  à  peu  sous  l'invasion 
bretonne.  Grégoire  de  Tours,  qui  écrivait  au  VIe  siècle,  appelle 
bien  la  ville  de  Vannes  Venetis,  mais  il  ne  parle  point  des 
Venètes  :  dans  toutes  les  occasions,  il  se  sert  du  mot  Bri- 
tannia  pour  désigner  la  petite  Bretagne,  et  des  mots  Bri- 
tanni,  Brilones  pour  en  désigner  les  habitants  (<). 

Bien  avant  le  IXe  siècle,  il  n'y  avait  plus  de  Venètes, 
plus  de  Samnites,  plus  d'Osismiens,  en  Àrmorique  ;  il  n'y 
avait  qu'un  peuple  qui  obéissait  à  des  souverains  bretons, 
comtes  ou  rois,  lorsque  les  Francs  ne  se  mêlaient  pas  de 
ses  affaires. 

.Notre  province  commença  a  porter  le  nom  de  Bretagne 
dans  la  seconde  moitié  du  Ve  siècle  ;  entre  l'époque  où 
s'éteignit  le  nom  de  Vénétie  et  cette  partie  du  Ve  siècle,  elle 
fut  appelée  Armorique  ('2). 

Le  Bollandisle  du  XVIIe  siècle,  ou  le  moine  du  Xe  siècle, 
n'a  pu  se  servir  du  mot  Vénétie  que  pour  dire  Bretagne. 

Dom  Lobineau,  qui  a  écrit  la  Vie  de  saint  Aubin  d'après 
Forlunat,  presque  un  contemporain  du  Saint,  n'a  point  vu  les 
Venètes  sur  la  rive  gauche  de  la  Vilaine  ;  il  a  seulement  vu 
des  gens  de  la  rive  droite  s'installer  sur  la  rive  gauche,  à 
l'époque  de  l'invasion  bretonne,  ce  qui  peut  expliquer  l'ex- 
pression du  moine  du  Xe  siècle. 

Je  me  résume  :  pour  prouver  que  le  port  Brivates  était 
dans  le  Grand-Trait,  il  faut  renoncer  à  invoquer  les  trois 
lignes  de  Slrabon,  dont  le  sens  élastique  laisse  un  champ 
trop  vaste  à  l'imagination  ;  il  faut  renoncer  a  rien  demander 
à  César  qui  combattait  sur  le  littoral  vénétique,  au  nord  de 

(')  Histoire  ecclésiastique  des  Francs. 

(°)  Ce  nom  d'Armorique  qui,  sous  les  Romains,  s'étendait  à  trois  pro- 
vinces, la  Belgique,  la  Lyonnaise  et  l'Aquitaine,  finit  par  s'appliquer  seule- 
ment a  notre  pays. 


159 

la  Vilaine,  bien  au  delà  de  cette  plaine  affaissée,  sans  abri, 
inconnue  de  l'impitoyable  vainqueur  ;  il  faut  se  résoudre  à 
s'en  tenir  aux  seules  indications  de  Ptolémée. 

Ce  géographe  a  composé  ses  fameuses  tables  d'après  des 
documents  de  diverses  provenances.  Longtemps  avant  lui, 
on  déterminait  la  situation  d'un  lieu,  soit  en  observant  les 
belles  constellations  du  nord,  au  moment  de  leur  passage 
sur  l'horizon  ;  soit  en  mesurant  la  hauteur  angulaire  du 
soleil,  à  midi,  au  moyen  du  gnomon,  à  l'époque  des  équi- 
noxes  -,  soit  en  tenant  compte  de  la  longueur  du  jour  au 
solstice  d'été.  Pour  le  plus  grand  nombre  de  lieux,  la  situation 
élait  déterminée  au  moyen  d'itinéraires  et  de  lignes  de  navi- 
gation (i). 

Du  temps  de  Ptolémée,  on  déterminait  aussi  la  latitude 
d'un  lieu,  sans  choix  du  jour  ni  de  l'heure,  en  mesurant 
l'arc  cejesle  compris  entre  le  pôle  et  le  zénith  du  lieu  ;  on 
déterminait  la  longitude  en  mesurant,  d'après  les  espaces 
célestes,  l'arc  compris  entre  deux  méridiens  et  le  comparant 
à  un  arc  semblable  du  méridien  (-). 

Les  itinéraires  et  les  lignes  de  navigation  ne  donnaient 
que  des  situations  approximatives;  mais  par  l'observation  des 
astres,  la  mesure  de  la  hauteur  du  pôle  et  l'emploi  du  gnomon, 
on  pouvait  obtenir  des  résultats  d'une  grande  exactitude. 

C'est  ainsi  que,  pour  nos  contrées,  l'arc  de  méridien  de 
S°,4~>'  indiqué  par  Ptolémée  entre  les  embouchures  de  l'Adour 
et  de  la  Loire,  est  exactement  conforme  aux  données  de  nos 
géographes.  Même  il  indique  exactement  la  latitude  de  la 
mystérieuse  Thulé,  que  des  auteurs  ont  voulu  voir  a  Belle- 
Ile,  et  qui,  en  réalité,  n'est  autre  que  la  froide  Islande. 

Pour  en  revenir  à  Brivates,  on  lit  donc  dans  Ptolémée  que 

(<)  Strabon,  Géographie,  liv.  11,  ch.  V,  §§  34  et  35. 
(')  Ptolémée,  Géographie,  liv.  1er,  ch.  III. 


1 60 

ce  porl  est  à  un  quart  de  degré  au  nord  de  l'embouchure 
de  la  Loire  et  sous  le  même  méridien.  Ce  qui  correspond 
exactement  à  La  Roche-Bernard,  sur  la  Vilaine,  si  cette 
embouchure  est  prise  à  Saint- Nazaire. 

Cependant,  nous  l'avons  vu,  on  ne  peut  pas  toujours 
compter  sur  l'exactitude  absolue  des  données  du  géographe. 
D'ailleurs  le  problème  renferme  des  inconnues  qu'on  ne 
saurait  négliger  ;  je  veux  parler  des  lieux  que  cite  Ptolémée 
au  nord  et  à  la  suite  de  Drivâtes,  et  dont  voici  l'indication 
pour  la  partie  du  littoral  comprise  entre  la  Loire  et  la  Manche  : 

Embouchure  de  la  Loire latitude  48°,30' 

Port  Brivates —      48°,45' 

Embouchure  du  fleuve  Erius —      49°,  lo' 

Port  Vidana —      49°,40' 

Promontoire  Gobeum —      49°, 45' 

Les  savants  sont  divisés  sur  l'emplacement  de  tous  ces 
lieux.  Hélas  !  ils  manquent  d'accord  sur  bien  d'autres  points 
encore  !  Les  uns,  partisans  de  la  ressemblance  des  noms, 
croient  que  l'Erius  et  la  Vilaine  c'est  la  même  chose,  par  la 
raison  que  la  ville  de  Rieux  est  placée  sur  le  cours  de  celle- 
ci  ;  les  autres  affirment ,  non  sans  raison  ,  que  l'Erius  est 
la  rivière  d'Auray  ;  d'autres  enfin  pensent  que  le  Blavet,  où 
se  trouve  Lorient,  répond  mieux,  par  sa  situation,  aux 
données  de  Ptolémée.  On  le  voit,  l'accord  n'existe  pas  entre 
les  chercheurs. 

Quant  à  M.  Maître,  il  n'admet  pas  les  deux  dernières  inter- 
prétations, et  il  avance,  mais  sans  pouvoir  le  justifier,  que  le 
port  Brivates  a  été  placé  par  Ptolémée  entre  la  Loire  et  la 
Vilaine  (i). 

Si  le  fleuve  Erius,  nommé  par  Ptolémée  immédiatement 
après  Brivates,  représentait   la   Vilaine,   il   est  évident   que 

(')  Annales  de  la  Société  Académique,   p.  324,  325. 


KM 

Brivates  devrait  être  cherché  entre  la  Vilaine  et  la  Loire,  du 
côté  du  littoral  du  Croisic.  Mais  la  Vilaine  était  connue  sous 
le  nom  de  Vicinonia  au  temps  de  Grégoire  de  Tours,  c'est- 
à-dire  au  VIe  siècle,  et  on  ne  sait  si,  avant  cela,  elle  avait 
quelque  raison  de  s'appeler  Erius.  Puis  Ptolémée  place  le 
fleuve  Erius  trois  fois  plus  loin  de  la  Loire  que  n'est  la 
Vilaine,  exactement  sous  la  môme  latitude  que  la  capitale  des 
Venètes  et  a  un  tiers  de  degré  au  couchant,  c'est-à-dire  un  peu 
à  l'ouest  d'Auray  :  comment  donc  identifier  l'Erius  avec  la 
Vicinonia  ?  De  sorte  que  si,  pour  faire  ce  rapprochement,  on 
n'a  d'autres  raisons  que  le  nom  de  Rieux,  parce  que  ce  lieu 
antique  est  situé  sur  la  Vilaine,  la  raison  est  insuffisante  et 
ne  peut  être  admise  pour  une  preuve. 

Si,  ce  qui  est  plus  conforme  à  la  vraisemblance,  l'Erius 
répond  à  la  rivière  d'Auray,  ou  même  à  celle  de  Lorient, 
Brivates  doit  être  cherché  sur  la  Vilaine,  car  les  Gaulois 
aimaient  à  placer  leurs  ports  aux  bords  des  fleuves  plutôt 
que  sur  des  côtes  sans  abris,  sans  ruisseaux.  Si  l'on  doit  avoir 
égard  au  récit  de  César,  on  ne  saurait  admettre  que  le  port 
Brivates  ait  été  au  Croisic,  car  Brivates  avait  une  certaine 
importance,  une  très  grande  importance,  dit  M.  Maître  :  Or, 
à  l'exception  de  la  Vilaine,  qui  était  écartée  de  la  route  suivie 
par  la  flotte  de  Brutus,  les  ports  devant  lesquels  navigue 
celte  flotte  sont  presque  nuls. 

Et  maintenant  où  sont  les  restes  de  ce  vaste  emporium 
appelé  Portus  Brivates  ?  Où  sont  ces  ruines  qui,  dit-on, 
couvrent  une  partie  de  la  plaine  des  marais  salants  ?  Quand 
on  y  trouve  leur  place  et  qu'on  les  compare  à  l'étendue  de  la 
contrée  où  elles  sont  égarées,  elles  ne  sont  plus  que  des 
points  épars  dans  la  vaste  plaine. 

Les  traces  d'une  ville  antique  peuvent  disparaître  sous  les 
constructions  successives  qui  prennent  lentement  sa  place  ; 
mais  sous  les  rues,  sous  les  carrefours  des  villes  nouvelles, 
on  trouve  toujours  quelques  vestiges  de  la  ville  antique  ;  et 

n 


162     . 

dans  les  champs,  on  en  reconnaît  jusqu'à  la  poussière  que 
les  siècles  ont  détachée  de  ses  ruines. 

Nous  avons  près  de  Nantes,  à  Rezé,  les  restes  d'un  vaste 
établissement  contemporain  du  port  Brivates  et  qualifié  de 
ville  par  Ptolémée  ;  le  géographe  l'appelle  Raliate.  Eh  bien, 
j'ai  pu,  il  y  a  trente  ans,  en  suivre  constamment  les  traces 
dans  une  étendue. de  deux  kilomètres,  depuis  le  grand  clos 
de  Saint-Lucien  jusqu'au  Bois-Chabot  ;  dans  les  champs,  à 
l'est  et  à  l'ouest  du  bourg  de  Rezé,  c'était  une  suite  non 
interrompue  de  débris  ;  dans  le  bourg,  sous  les  rues,  dans 
les  carrefours,  autour  de  l'église,  sous  les  fondations  des 
maisons,  partout  on  rencontrait  les  débris  des  constructions 
eallo-romames. 

Voilà  les  restes  d'une  ville  antique.  Il  n'y  a  rien  de  sem- 
blable dans  la  plaine  des  marais  salants. 

Dans  celte  plaine  toute  nue,  on  rencontre  à  de  longs  inter- 
valles les  débris  d'une  habitation  gallo-romaine  :  d'abord  aux 
Maisons  brûlées,  c'est-à-dire  au  bas  du  plateau  où  sont  les 
ruines  importantes  de  Clis  ;  puis  à  1,200  mètres  vers  l'est,  à 
Keiignon  ;  puis  à  deux  kilomètres  au  delà  de  Kerignon, 
dans  le  champ  de  la  Pierre,  voisin  de  Congors  ;  enfin,  à  deux 
kilomètres  encore  au  delà  dû  champ  de  la  Pierre,  à  Kerbré- 
nézé,  près  de  Saille.  On  parcourt  ainsi,  entre  deux  petits 
emplacements  gallo-romains,  mille  pas,  deux  mille  pas,  trois 
mille  lias,  sur  un  terrain  vierge  de  pierres,  vierge  du  moindre 
débris  antique.  On  ne  connaît  rien  au  Groisic,  rien  à  Batz, 
rien  à  Saille. 

Cependant,  si  ce  sol  renfermait  des  vestiges  de  construc- 
tions, ils  seraient  faciles  à  découvrir,  soit  dans  les  talus  des 
douves  sans  fin  dont  ce  curieux  pays  est  sillonné,  soit  dans 
les  champs  nus  et  plats  qui  sont  entre  les  marais  et  le  pla- 
teau de  Guérande. 

Mais  non.  On  se  trouve  ici  en  présence  de  villas  isolées  ; 
on  a  sous  les  yeux  des  éléments  qui  ont  pu  appartenir  à  de 


163 


modestes  industries  pour  la  fabrication  de  poteries  gros- 
sières ;  mais  il  n'y  a  pas  là  les  restes  d'une  ville. 

C'est  sur  le  plateau  de  Guérande,  c'est  sur  les  pentes  de 
Clis,  qu'on  rencontre  le  plus  de  débris  antiques,  ainsi  que 
nous  le  dit  M.  Maître  dans  son  chapitre  sur  Grannone  ;  c'est 
là  qu'on  a  découvert  les  ruines  les  plus  remarquables  de  la 
contrée,  lesquelles  auraient  appartenu  à  des  palais  où  de 
riches  gallo-romains  et  après  eux  des  Comtes  bretons  allaient 
faire  leur  résidence. 

Mais,  si  je  ne  me  trompe,  il  importe  peu,  au  point  de  vue 
de  Brivates ,  qu'on  rencontre  un  nombre  plus  ou  moins 
grand  de  vieilles  ruines,  en  dehors  de  la  plaine  des  marais 
salants,  dans  la  contrée  guérandaise. 

* 
Des  auteurs  de  notre  temps  placent  le  port  Brivates  à  Pont- 
Château,  d'autres  à  Saint-Nazaire  ou  à  Méan,  d'autres  au 
Croisic,  môme  à  Mesquer,  d'autres  encore  à  Rieux  ou  à  La 
Roche-Bernard,  sur  la  Vilaine  ;  il  en  est  môme  qui  vont 
jusqu'à  Brest,  à  cause  de  la  ressemblance  des  noms  (>).  On 
le  voit,  le  champ  est  vaste.  Ces  auteurs  donnent  tous  des 
raisons,  d'excellentes  raisons  —  non  pas  des  preuves  —  en 
faveur  de  leur  système.  Mais  dans  l'état  actuel  de  nos  con- 
naissances en  géographie  ancienne,  il  me  paraît  difficile 
d'affirmer  que  ce  port  fût  là  ou  qu'il  fût  ici. 

S'il  était  possible  d'accorder  créance  aux  indications  de 
Ptolémée,  le  seul  géographe  ancien  qui  en  ait  parlé,  et  si  l'on 
devait  tenir  compte  des  descriptions  de  César,  il  faudrait 
aller  chercher  le  port  Brivates  sur  la  Vilaine.  Il  faut  des 
preuves  nouvelles,  des  arguments  nouveaux,  pour  décider 
que  ce  port  disparu  était  dans  le  Trait  du  Croisic. 

(«)  Saint-Nazaire,  M.  Kèrviler  ;  —  Le  Croisic,  M.  Caillo  ;  -  Mesquer, 
Spriiner,  cité  par  M.  Lejean  ;  —  Rieux  ou  La  Roche-Bernard,  l'abbé  Gallet  $ 
—  Brest,  Danville. 


IIIe  PARTIE. 
VÉNÉDA . 


CHAPITRE  IV. 
De    Vénéda. 

Vénéda,  dont  nous  connaissons  le  nom  par  le  témoignage 
d'un  poète  du  temps  de  Louis  le  Débonnaire,  Ernold  le  Noir, 
est  la  troisième  ville  de  la  contrée  guérandaise,  si  riche  en 
vieux  souvenirs. 

D'après  Ernold,  Vénéda  était  située  sur  le  bord  de  la  mer, 
aux  lieux  mêmes  où  la  Loire  dirige  ses  eaux  vers  la  côte 
armoricaine;  de  son  temps,  au  IXe  siècle,  c'était  déjà  une 
ville  ancienne  :  le  sel  faisait  sa  richesse,  le  poisson  y  abon- 
dait et  les  Bretons  envahisseurs  allèrent  plus  d'une  fois 
s'enrichir  de  butin  chez  ses  habitants  ('j. 

M.  de  Courson  a  pensé  que  le  poète  s'est  mépris  en  pla- 
çant celte  ville  si  près  de  la  Loire;  car,  selon  lui,  Vénéda 
répond  à  Vannes.  Le  nom,  oui:  mais  non  pas  la  description; 
et  le  pillage  de  Vénéda  par  les  Bretons  envahisseurs  suffirait 
seul  à  prouver  qu'il  ne  saurait  être  question  de  Vannes,  non 
plus  que  de  Saille. 

(')  Annales  de  la  Société  Académique,  1889,  p.  326. 


165 

Il  est  certain  que  la  description  du  poète  s'applique  bien 
aux  environs  de  Gùérande.  Guérande  y  répond  en  tous  points 
par  sa  proximité  de  la  Loire,  par  sa  belle  situation  près  du 
rivage  armoricain,  par  son  riche  commerce  de  sel,  par 
l'abondance  du  poisson  qui  peuple  ses  eaux  et  je  crois  aussi 
par  les  misères  qu'elle  dut  souffrir  de  l'invasion  bretonne. 
Et  si  déjà  on  n'avait  disposé  de  celte  ville  en  faveur  de 
Grannone,  je  crois  que  c'est  là  qu'on  serait  allé  chercher 
Vénéda. 

Pour  moi  qui  n'ai  point  vu  Grannone  sur  notre  littoral  et 
qui  ne  saurais  l'y  voir,  j'identifie  Vénéda  avec  Guérande.  De 
hardis  étymologistes  nous  prouveraient  môme  que  ces  deux 
noms  sont  très  près  voisins,  et  ils  feraient  dériver  l'un  de 
l'autre  aussi  facilement  que  Vénéda  de  Vénétis  (<). 

M.  Maître  place  Véuéda  à  Saille,  sur  le  bord  même  du 
port  Biïvates  qui  l'enserre  de  trois  côtés,  à  l'ouest,  au  sud  et 
à  l'est.  Voyons  les  raisons  qui  lui  ont  fait  adopter  celte 
situation. 

Selon  lui,  des  commerçants  du  Midi  seraient  venus  s'as- 
seoir en  ces  lieux,  au  premier  ou  au  second  siècle  de  l'ère 
chrétienne,  «  pour  charger  des  cargaisons  sur  mer,  créer 
»  des  ateliers  et  ouvrir  des  comptoirs,  »  et  ils  auraient 
baptisé  leur  établissement  du  nom  latin  Saliacum  (^). 
Ensuite,  d'après  le  poète  Ernold,  Saliacum  se  serait  appelé 
Vénéda,  nom  qu'elle  portait  au  IX9  siècle  depuis  longtemps 
déjà;  enfin,  après  le  nom  de  Vénéda,  mais  à  une  époque  tou- 
jours ancienne,  elle  aurait  repris  son  premier  nom  de  Saille. 

(')  Guérande  fut  appelée  Guen-ran,  par  conséquent  Guen-rande.  Mais 
dans  ce  temps-là  on  écrivait  également  Wen  ou  Ven  pour  Guen.  En  suppri- 
mant la  syllabe  du  milieu  ran,  selon  un  ancien  usage  dont  je  parlerai  plus 
loin,  en  la  remplaçant  par  un  e,  pour  la  sonorité  du  mot,  et  en  latinisant  le 
nom,  on  trouve  exactement  Vénéda. 

(2)  Annales  de  la  Société  Académique,  p.  335,  336. 


166 

Pour  produire  de  pareilles  affirmations,  ne  faudrait-il  pas 
donner  des  preuves  ou  citer  des  autorités?  On  ne  donne 
rien,  on  ne  cite  rien,  mais  on  fait  remarquer  que  «  les  deux 
»  noms  de  Vénéda  et  de  Saliacum  ne  s'excluent  pas  parce 
»  qu'ils  sont  dissemblables;  l'un  est  particulier,  l'autre  est 
»  régional.  Le  second  (Saliacum)  a  pu  supplanter  le  premier 
»  quand  la  fabrication  du  sel  s'est  propagée  (<).  »  Mais  je 
ne  vois  pas,  en  tout  cela,  comment  et  à  quelle  occasion  le 
premier  nom  est  venu  ensuite  remplacer  le  second. 

Tout  le  monde  connaît  Saille:  un  petit  îlot  rocheux  soulevé 
au  sein  des  marais  salants.  Pour  justifier  l'importance  que 
le  poète  donne  à  Vénéda,  on  étend  son  territoire  sur  les 
terrains  bas  et  marécageux  qui  environnent  Saille,  depuis  le 
hameau  de  Gongors,  au  couchant,  jusqu'au  rocher  de  Carheil, 
au  levant  (-). 

Tout  cela  est  facile  à  dire,  mais  il  n'y  a  point  de  preuve. 

De  Congors  à  Carheil  il  y  a  tout  près  de  quatre  kilomètres  ; 
Saille  est  à  1,500  mètres  au  midi  de  la  ligne  qui  réunit  ces 
deux  villages.  Cela  ferait  en  effet  une  ville  considérable. 
Mais  cette  zone  de  1 ,500  mètres  de  largeur  située  au  midi 
de  la  ligne  qui  joint  les  deux  villages,  est  presque  toute 
formée  de  marais  salants  ;  et  si  nous  jetons  les  yeux  sur  la 
troisième  des  cartes  dont  M.  Maître  fait  suivre  son  ouvrage, 
nous  y  verrons  Saillé-Vénéda  baignée,  entourée  par  les  eaux 
du  port  Brivates,  de  la  même  manière  que  l'île  Feydeau  par 
les  eaux  du  port  de  Nantes.  Vénéda  aurait  été  en  plein  port 
Hrivates. 

Nous  avons  vu  tout  à  l'heure  les  commerçants  du  Midi 
s'établir  en  ces  lieux  pour  y  fonder  des  comptoirs.  M.  Maître 
ctoit   pouvoir  placer  les   Samnites   de   l'embouchure  de  la 

(')  Annales  de  la  Société  académique,  \>.    332. 
(>)  —  —  p.   340. 


167 

Loire  au  rang  de  ces  étrangers  «  venus  du  Midi  avec  le 
»  secret  du  sel;  »  et  il  pense  «  qu'après  la  défaite  des 
»  Venètes,  César  a  bien  pu  dépouiller  la  nation  révoltée  de 
»  la  contrée  de  Guérande,  la  refouler  en  partie  dans  le 
»  Morbihan  et  installer  à  sa  place  un  nouveau  peuple  (•).  » 

Mais  nous  avons  déjà  dit  que  Posidonius,  qui  naquit  85  ans 
avant  César,  avait  déjà  vu  les  Samnites  au  bord  de  l'Oc6an, 
sur  la  rive  droite  de  la  Loire,  et  que  les  combats  livrés  par 
César  chez  les  Venètes  n'ont  pu  avoir  lieu  qu'au  nord  de  la 
Vilaine.  César  n'eut  donc  pas  l'occasion  de  mettre  les  Sam- 
nites à  la  place  des  Venètes  dans  la  contrée  guérandaise.  Us 
étaient  là  avant  qu'il  fut  question  du  grand  capitaine;  ils 
étaient  encore  là  lorsque  César  se  rendit  chez  les  Venètes 
dans  le  dessein  de  détruire  leur  puissante  marine;  ils  étaient 
encore  là  après  lui. 

L'étude  de  la  numismatique  vient  donner  un  appui  au  dire 
de  Posidonius.  Parmi  les  monnaies  gauloises  recueillies  dans 
nos  contrées,  quelques-unes  portent  au  revers  le  sigma  des 
Grecs  et  sont  attribuées  aux  Samnites;  d'autres  portent  un 
génie  dans  une  barque  et  sont  attribuées  aux  Namnètes. 
31.  l'arenteau,  qui  fut,  à  Nantes,  un  maître  en  numismatique, 
n'a  aucun  doute  sur  l'attribution  aux  Samnites  des  slalères 
marqués  du  sigma  ;  la  même  certitude  ne  me  parait  pas 
exister  pour  attribuer  aux  Namnètes  la  barque  montée  par 
un  génie:  ce  sialère  pourrait  aussi  bien  s'appliquer  aux 
Venètes  navigateurs,  et  mieux  encore,  que  le  statère  aux 
cavaliers  (2). 

La  présence  dans  nos  contrées  de  monnaies  samnites,  à 
l'époque   gauloise,    vient    donc    confirmer    l'indication   de 


(')  Annales  de  la  Société  Académique,  p.  336. 

(-)  Paienteau:  Essai    sur    les    monnaies    des    Nannètes     et     Inventaire 
archéologique,  planches  40  et  41. 


168 

Posidonius,  à  savoir  :  que  les  Samniles  étaient  en  possession 
du  pays  avant  la  conquête  romaine. 

Mais,  nous  dit-on,  «  il  y  avait  des  Samnites  et  des  Nan- 
»  nètes  dans  notre  pays  au  11e  siècle,  puisque  Plolémée 
»  nomme  ces  deux  peuples  distinctement  l'un  après  l'autre, 
»  dans  des  régions  différentes...  Enuméranf  les  nations  de 
»  l'intérieur,  les  Andegaves,  les  Cenomans,  il  ajoute  les 
»  Nannètes  dont  la  ville  est  Condivicnum  (i).  » 

J'interromps  un  instant  la  citation. 

Des  écrivains  ayant  affirmé,  il  y  a  vingt  ans  environ,  un 
peu  plus  pour  les  uns,  un  peu  moins  pour  les  autres,  que 
Plolémée  place  les  Nannètes  sur  la  rive  droite  de  la  Loire 
et  leur  capitale  Condevincum  aux  lieux  où  se  trouve  Nantes, 
j'ai  répondu  que  cela  n'est  pas  exact  et  qu'il  est  absolument 
certain  que  le  vieux  géographe  place  les  Nannètes  au  nord- 
est  du  Mans.  L'un  de  ces  écrivains,  un  homme  de  mérite  fort 
instruit,  reconnut  son  erreur  en  déclarant  qu'il  ne  savait 
comment  il  avait  pu  la  commettre. 

Gomment  il  l'a  commise,  je  m'en  doute  bien.  11  n'avait  pas 
eu  le  temps  de  recourir  à  Plolémée;  il  tenait  l'erreur  d'un 
contemporain  qui  la  tenait  d'un  devancier,  et  ainsi  de  suite 
en  remontant  jusqu'au  premier,  qui  ne  saurait  être  bien 
éloigné  de  nous. 

M.  Maître  a  donc  vu  la  situation  que  Plolémée  assigne  aux 
Nannètes  au  delà  des  Cenomans  et  des  Andegaves,  au  delà 
du  Mans  et  d'Angers.  Aus>i  je  ne  puis  m'expliqucr  sou 
sentiment:  que  les  Samnites  et  les  Namnèles  étaient 
distincts  l'un  de  l'autre  dans  des  régions  différentes,  et 
qu'ils  étaient  dans  notre  puys. 

Il  va  là  un  problème  qui  n'est  point  encore  résolu  et  qui 
n'a  mémo  pas  été  abordé  de  front  par  les  savants. 

(_■)  Annales  de  la  Société  Académique,  p.  337  :  Vénéda,  par  M.  Maître. 


169 

«  Peu  importe,  continue  l'auteur  de  Vénéda,  que  quelques 
»  traducteurs  aient  lu  dans  cette  dernière  phrase  Samnites 
»  au  lieu  de  Namnites,  leur  erreur  est  grossière  et  ne 
»  peut  tenir  debout  devant  le  témoignage  des  autres  géo- 
»  graphes  qui  ont  reconnu  Condivicnum  comme  la  capitale 
»  àesNarinèleS;  devant  la  masse  imposante  des  vestiges 
»  gallo-romains  qui  sont  sortis  du  sol  de  Nantes,  comme 
»  pour  attester  son  importance  au  temps  de  Ptolémée  ; 
»  devant  le  nom  de  Nantes  qui  dérive  visiblement  de 
»  Nannetœ,  et  devant  une  tradition  respectable  de  dix-huit 
»  siècles  (i).  » 

Je  ne  vois  pas  bien,  peut-être  à  cause  de  notre  éloigne- 
ment  de  Vénéda,  le  rapport  que  ces  choses  diverses  peuvent 
auiir  entre  elles.  Je  ne  sais  pas  si  quelque  géographe 
moderne  a  pris  pour  des  Samnites  les  Namnètes  que  Ptolémée 
a  placés  au  nord-est  du  Mans;  à  ce  sujet,  il  ne  peut  y  avoir 
d'erreur  ;  mais  un  seul  des  anciens  géographes,  un  seul, 
Ptolémée,  a  parlé  de  Condevincum,  dont  il  indique  la  situa- 
tion à  quatre-vingts  lieues  de  nous  ;  mais  les  vestiges  gallo- 
romains  ne  donnent  pas  toujours  le  nom  d'un  lieu  et  ne 
précisent  pas  toujours  une  époque.  Cependant  il  se  trouve 
une  heureuse  exception  en  faveur  de  Nantes  :  les  vestiges 
de  notre  vieille  ville  nous  apprennent,  en  effet,  qu'au  temps 
de  Ptolémée,  lorsque  Condevincum  était  une  capitale,  placée 
loin  de  nos  contrées  (-),  l'embrion  de  Nantes  n'était  encore 
qu'un  viens,  un  village  :  on  l'appelait  le  bourg  du  port. 
Si  ses  ruines  prouvent  une  agglomération  importante  au 
IVe    siècle,    il    faut    reconnaître    qu'elles   représentent  des 


(')  Annales  de  la  Société  Académique,  p.  337. 

(2)  Pour  désigner  Condevincum,  Ptolémée  se  sert  du  mot  grec  polis  que 
les  auteurs  latins  ont  traduit  par  Oppidum,  et  que  nous  traduisons  par 
Ville. 


170 

agrandissements  successifs,  œuvre  de  plusieurs  siècles  après 
Plolémée,  et  qu'elles  ne  prouvent  rien  contre  l'existence  d'un 
simple  bourg  au  second  siècle.  Il  ne  faut  pas  deux  cents  ans 
pour  qu'un  port  heureusement  placé  devienne  prospère. 

Dans  la  recherche  du  nom  antique  de  notre  ville  de  Nantes, 
la  table  de  Peutinger,  c'est-à-dire  le  tableau  des  villes  et 
des  grandes  voies  de  l'Empire  ('),  pourrait  bien  nous  venir 
en  aide  ;  nous  allons  y  avoir  recours. 

Des  auteurs  ont  avancé,  les  uns,  que  l'œuvre  originale 
de  ce  précieux  document  fut  entreprise  sous  Auguste  ;  les 
autres,  que  c'est  une  œuvre  d'Antonin  ;  d'autres  encore, 
qu'elle  est  de  la  fin  du  IVe  siècle  ou  du  commencement  du 
Ve.  Elle  doit  avoir  participé  à  tous  ces  temps-là,  c'est-à-dire, 
avoir  été  conçue  sous  Auguste,  continuée  sous  Antonin  et 
avoir  reçu  ses  derniers  tracés  sous  Théodose,  même  sous 
Honorius.  Car  une  œuvre  de  cette  nature  et  de  cette  impor- 
tance ne  peut  rester  inachevée  :  elle  doit  être  complétée  à 
mesure  que  s'établissent  les  voies  de  communication.  El  eu 
effet,  sous  Auguste,  on  ne  construisit  qu'une  petite  partie 
des  grandes  voies  dessinées  sur  la  carte,  et  le  nom  de 
Bononia  (Boulogne),  qui  a  vu  le  jour  au  IIIe  siècle  (-),  y 
est  écrit  à  côté  de  l'ancien  nom  de  la  ville  Gauloise. 

La  carte  de  Peutinger  concorde,  pour  un  grand  nombre 
de  lieux,  avec  celle  de  Plolémée,  notamment,  en  ce  qui 
concerne  notre  région,  dans  le  nom  des  villes  de  Vorgium 
aux  Osismiens,  de  Gondale  aux  Hedones,  de  Limonum  aux 
Pictones,  de  Julioinagus  aux  Andecaves,  de  Dariorigum  aux 
Venètes. 

Elle  ne  paraît  pas  avoir  été  faite   pour   recevoir  les  noms 


(')  Cotte  carte  comprend  également  les  pays  alors  connus   des   Romains 
en  dehors  de  l'Empire. 

(2)   Dosjardins,  Introduction  à  la  table  de  Peutinger,  p.  63. 


171 

des  peuples  Gaulois  ;  ceux  qu'on  y  trouve  ont  l'air  d'y  être 
tracés  par  hasard.  Entre  la  Loire  et  la  Seine,  il  n'y  en  a 
aucun  ;  il  y  en  a  deux  entre  la  Loire  et  la  Garonne  ;  les 
noms  des  Venètes  et  des  Osismiens  y  sont  sur  la  rive  droite 
de  la  Seine,  comme  s'ils  avaient  été  placés  là  par  un  copiste 
ignorant. 

Enfin,  plusieurs  villes  de  la  table  de  Ptolémée  ne  figurent 
pas  sur  celle  de  Peutinger  :  je  n'y  vois  pas  Raliale  des 
Pictones,  Gondevincum  des  Namnètes,  Noviomagus  des 
Bituriges,  Vagoritum  des  Arvernes,  par  la  raison  évidente 
que  ces  villes  n'étaient  pas  placées  sur  le  parcours  des  voies 
qui  y  sont  dessinées. 

En  ce  qui  concerne  notre  ville  de  Nantes,  on  peut  y 
remarquer  cette  opposition  :  les  places  de  commerce  de  la 
Seine  et  de  la  Garonne  n'ont  pas  pris  le  nom  de  leur  peuple  : 
Rotoinagus,  ville  des  Véliocasses,  a  modifié  son  nom  et  est 
devenue  Rouen  ;  Burdigala,  ville  des  Bituriges,  a  fait  peu 
d'efforts  pour  devenir  Bordeaux  ;  quant  au  village  du  Port, 
il  est  devenu  le  port  des  Namnètes,  puis  Nantes. 

La  carte  originale  des  grandes  voies  de  l'Empire  a  été 
perdue.  Une  copie  manuscrite  en  a  été  faite  au  XIII*  siècle 
par  un  moine  de  Golmar  et  en  caractères  gothiques  qui 
rappellent  ce  temps-là  ;  découverte  à  Spire  vers  1500,  elle 
fut  léguée  au  savant  Peutinger  qui  mourut  avant  d'avoir 
pu  la  publier.  Cette  publication  eut  lieu  en  1598.  M.  Des- 
jardins, à  qui  j'emprunte  ces  renseignements,  en  a  donné 
une  excellente  reproduction  en  1868. 

La  table  de  Peutinger  n'est  pas  d'une  exactitude  irrépro- 
chable :  des  noms  y  sont  altérés  ;  celui  de  la  Loire  est  écrit 
Riyer,  et  le  fleuve  débouche  dans  l'Océan  entre  Vannes  et 
Hennebont.  Les  savants  sont  néanmoins  d'accord  pour 
reconnaître  à  la  copie  le  caractère  de  fidélité. 

Nantes  est   là  sous  le  nom  de    Portu  Namnetu.   C'est  la 


17u2 

seule  ville  qui  y  soit  désignée  sous  la  qualification  latine  de 
Purtus  (i),  et  c'est  peut  être  la  seule  qui  ait  déjà  reçu  le 
nom  de  son  peuple. 

De  ce  que  le  nom  de  Namnetum  figure  sur  le  précieux 
document,  il  serait  téméraire  de  conclure  qu'il  y  fut  inscrit 
dès  l'origine.  Je  le  répète,  la  carte  n'a  pas  été  faite  tout 
d'une  pièce,  et  ses  villes  n'ont  pas  encore  pris  le  nom  des 
peuples  auxquelles  elles  appartenaient  :  ftamnetum  y  est 
une  exception  peut-être  unique  ;  les  noms  y  sont  presque 
tous  Gaulois  ;  Nantes  y  est  entourée  de  noms  Gaulois  (2)  ; 
et  le  nom  de  Viens  portas  inscrit  sur  les  pierres  recueillies 
dans  les  ruines  antiques  de  notre  ville,  est  un  nom  latin. 
Tout  nous  porte  à  croire  que  Namnetum  y  a  été  introduit 
tardivement,  soit  au  changement  de  nom  des  villes  au  IVe 
siècle,  soit  par  quelque  copiste  du  Moyen-Age. 

La  manière  dont  notre  ville  est  indiquée  sur  la  Table 
Théodosienne  indique  qu'elle  était  encore  de  peu  d'impor- 
tance lorsqu'on  y  fit  passer  la  voie  romaine.  En  effet,  la 
plupart  des  noms  des  chefs-lieux  de  cités  y  sont  accompagnés 
de  vignettes  représentant  des  maisons,  dont  les  moindres 
sont  à  deux  pignons  ;  certains  pignons  n'ont  qu'une  fenêtre, 
d'autres  en  ont  deux,  et  quelquefois  il  y  a  une  porte  à  la 
jonction  des  deux  pignons  ;  certains  dessins  figurent  de 
grands  monuments.  Or,  Nantes  n'est  là  que  comme  un 
simple  vicuSj  sans  la  moindre  vignette  ;  en  quoi  il  diffère 
des  villes  voisines  Rennes,  Vannes,  Angers,  Poitiers,  et 
aussi  des  villes  de  Rouen  et  de  Bordeaux  qui  ont  toutes  une 
maison  à  deux  pignons. 

Dans  le  voisinage  de  Nantes,  il  y  a  deux  autres  bourgades 

(')  besjanlins,  Introduction  à  la  Table  de  Peiilinger,  p.  80. 

(')  M.  Desjardins  pense  que  les  syllabes  Geso  qui  commencent  le  nom 
gaulois  de  quelques  villes,  répond  au  nom  de  port  en  celtique.  {Table  de 
Peutinger,  p.  83.) 


178 

également  sans  maisons,  ce  sonl  :  Segora  et  Duretie  qui 
n'étaient  aussi  que  de  simples  vicus  et  non  des  chefs-lieux 
de  cités  gauloises. 

L'accord  existe  donc,  sauf  sur  le  nom  de  Namnetum,  entre 
les  indications  de  la  carte  de  Peutinger  et  les  inscriptions 
trouvées  dans  le  vieux  Nantes  :  ces  inscriptions  nous  appren- 
nent que  ce  lieu  s'appelait,  le  Viens  portus,  et  la  table  des 
voies  de  l'Empire  ne  nous  présente  pas  autre  chose  qu'un  vicus. 

Le  vicus  pouvait  être  la  depuis  des  siècles,  la  situation 
suffirait  à  l'expliquer,  mais  il  a  pris  son  développement 
pendant  l'occupation  romaine  :  un  jour  venu,  vers  le  second 
siècle,  son  importance  grandissant,  il  a  été  doté  d'un 
Tribunal  de  commerce,  ainsi  que  nous  l'apprend  l'une  des 
inscriptions  de  l'Hôtel-de-Ville  ;  mais  la  veille  encore  ce 
n'était  qu'un  simple  vicus  qui  attirait  les  gens  d'affaires  par 
sa  belle  situation  au  confluent  de  deux  rivières,  et  peut-être 
aussi  par  suite  de  l'ensablement  du  port  de  Raliate  connu 
de  Ptolémée  (<). 

Un  auteur  qui  a  fait  une  étude  savante,  approfondie,  de 
la  Table  de  Peutinger,  mais  dont  je  ne  partage  pas  toujours 
le  sentiment  en  ce  qui  concerne  notre  pays,  M.  Desjardins, 
pense  que  :  «  si  le  chef-lieu  de  la  civitas  des  Namnètes 
»  prit  de  bonne  heure  le  nom  de  ce  peuple,  c'est  une  raison 
»  de  plus  pour  faire  remonter  aux  premiers  temps  de  l'occu- 
»  pation  romaine  l'existence  du  Porlus  Namnetum,  qui 
»  n'a  point  de  vignette,  quoique  la  place  n'ait  pas  manqué 
»  pour  la  dessiner,  mais  qui  n'était  d'abord  qu'un  vicus, 
»  comme  nous  l'apprennent  des  inscriptions  fort  anciennes, 

(*)  Les  inscriptions  incrustées  dans  le  mur  de  l'Hôtel-de-Ville  disent  : 
Vicpor,  vicanor  portens,  vicanus  portensib,  c'est-à-dire,  les  habitants  du 
village  du  port  (vicanus,  habitants  du  village  ou  du  bourg). 

(Voir  les  mots  vicus,  oppidu,  dans  la  Géographie  de  Grégoire  de  Tours, 
par  Alfred  Jacobs. 


\  71 

»  landis  que  le  chef-liëu  de  la  cité  des  Namnèles  paraît 
»  avoir  été  le  Condevincum  de  Ptolémée,  aujourd'hui  proba- 
»  blemenl  Blain,  où  ue  passe  aucune  des  routes  de  la 
»  Table,  et  qui,  pour  cette  cause,  ne  s'y  trouve  pas  men- 
»  tionnée  (i).  » 

Ici,  je  suis  d'accord  avec  M.  Desjardins  sur  la  qualification 
de  notre  meus.  Je  laisserai  de  côté  l'application  qu'il  semble 
faire  du  chef-lieu  des  Nauinètes  à  deux  lieux  très  distincts. 
Je  ne  m'inquiéterai  pas  de  chercher  si  la  voie  de  Nantes  à 
Vannes  passait  par  Blain  ou  Pontchàteau,  je  me  bornerai  à 
rappeler  ce  que  j'ai  déjà  dit  en  citant  l'exemple  de  Bononîa, 
c'est  qu'il  n'est  pas  démontré  que  le  chef-lieu  actuel  du 
territoire  des  Namnètes  prit  de  bonheur  le  nom  de  ce  peuple, 
et  qu'il  n'y  a  pas  de  raison,  par  conséquent,  pour  faire 
remonter  le  nom  du  Porlus  Namnetum  (je  ne  dis  pas  du 
Vicus  porlus)  aux  premiers  temps  de  l'occupation  romaine 
Admettre  cela,  ce  serait  consacrer  une  exception  unique  dans 
une  règle  générale,  et  ce  serait  aussi  affirmer,  sans  en  rien 
savoir,  que  la  voie  romaine  de  Nantes  à  Vannes  remonte  au 
temps  d'Auguste. 

Supposons  un  instant  que  Nantes  ne  soit  pas  la  seule  ville 
inscrite  sur  la  Table  sous  le  nom  de  son  peuple  ;  que  Vannes, 
Hennés,  Poitiers,  par  exemple,  au  lieu  d'y  porter  les  noms 
gaulois  de  Dariorigunr,  Condate,  Limonum,  y  soient  déjà 
inscrites  sous  les  noms  de  leurs  peuples,  Venelis,  Redonum, 
Pictavi  ;  admettons  enfin  que  les  voies  romaines  qui  les 
desservent  soient  des  premiers  temps  de  l'occupation.  Quelle 
conclusion  devrons-nous  tirer  de  cette  situation?  Celle-ci: 
les  villes  gauloises  n'ont  pas  attendu  le  IVe  siècle  pour 
prendre  le  nom  de  leurs  cités. 

Mais  cette  conclusion  serait  contraire  à  la  vérité  historique; 

(»)  Desjardins,  Introduction  à  la  Table  de  Peutinger,  p.  80. 


47?; 

car  c'est  bien  au  IVe  siècle  qu'elles  ont  pris  ces  noms  nou- 
veaux d'où  sont  dérivés  les  noms  qu'elles  portent  de  nos 
jours.  Eh  bien,  on  trouve  sur  la  carte  une  ville,  une  seule,  du 
nom  de  son  peuple;  celte  ville,  c'est  Nantes  :  partirons-nous 
de  la  pour  affirmer  qu'elle  avait  pris  ce  nom  au  commence- 
ment de  l'occupation?  Non.  La  conclusion  qui  se  présente 
naturellement  est  celle-ci  :  noire  ville  a  reçu  le  nom  de  la 
"cité  gauloise  en  même  temps  que  toutes  les  autres,  et 
puisqu'elle  porte  ce  nom  sur  la  carte,  et  qu'elle  est  la  seule 
dans  cette  condition,  c'est  que  le  nom  de  Namnetum  y  a 
été  inscrit  dans  les  derniers  temps  de  l'occupation. 

Faisons  encore  une  concession.  Quoi  qu'il  soit  absolument 
certain  que  Ptolémée  indique  la  situation  des  Samnites  entre 
les  Angevins  et  l'Océan,  sans  y  laisser  d'intervalle  pour  y 
intercaler  un  peuple  quelconque ,  admettons  un  instant  que 
les  anciens  géographes  se  soient  trompés  et  que  les  Namnètes 
nient  occupé  nos  contrées  au  temps  de  Ptolémée  :  dans  ce 
cas,  leur  capitale  Condevincum  est  une  ville  dont  nous  ne 
connaissons  pas  l'emplacement,  dont  rien  n'indique  l'empla- 
cement, tandis  que  la  place  du  vieux  Nantes,  entre  les  marais 
de  l'Erdre  et  les  sables  de  la  Loire,  est  occupée,  dans  le 
même  temps,  par  un  village  de  marins  appelé  le  bourg  du 
port,  le  bourg  du  port  des  Namnètes,  si  on  y  lient.  Conde- 
vincum et  le  bourg  du  port  sont  deux  lieux  distincts;  on 
connaît  la  place  de  l'un,  celle  du  vicus  ;  on  ne  sait  rien  de 
celle  de  l'autre,  la  capitale;  et  il  est  absolument  impossible 
de  prouver  que  le  chef-lieu,  Condevincum,  est  la  môme 
chose  que  le  bourg  du  Port.  C'est  du  Vicus  portus  que  le 
Portus  Namnetum  a  pris  la  place,  et  non  de  la  ville  de 
Condevincum  (»). 

(*)  Le  rideau  du  théâtre  de  la  Renaissance,  à  Nantes,  porte  l'inscription 
Condeviaium  Namnetum . 


170 

En  ce  qui  concerne  la  tradition,  dix-huit  siècles,  c'est 
beaucoup  dire;  cette  tradition  peut  bien  avoir  sommeillé 
pendant  plus  des  trois-quarls  de  ces  dix-huit  siècles;  et  il 
me  semble  que,  pour  l'école  nouvelle,  qui  place  les  Venètes 
au  bord  de  la  Loire  et  veut  absolument  que  leur  grande 
lutte  ait  eu  pour  témoin,  je  ne  dis  pas  les  marais  de  la 
Grande-Brière,  mais  le  petit  Trait  du  Croisic,  il  n'y  a  pas 
lieu  d'invoquer  la  tradition.  Dans  tous  les  cas,  la  tradition 
doit  céder  a  l'évidence. 

La  tradition  aussi  nous  disait  que  le  premier  roi  de 
France  s'appelait  Pharamond  et  qu'il  régnait  dès  l'an  420; 
les  historiens  se  transmettaient  d'âge  en  âge  les  faits  et 
gestes  de  ce  guerrier  franc  ;  nous  apprenions  cela  dans  notre 
enfance.  Mais  une  saine  critique  née  de  nos  jours,  promenant 
la  loupe  sur  les  manuscrits  de  nos  vieux  chroniqueurs,  n'eut 
pas  de  peine  a  renverser  les  fondements  de  la  vieille  tradi- 
tion. 

Au  sujet  des  Samnites  et  de  Gondevincum,  il  me  paraît 
curieux  d'ouvrir  Dom  Lobineau.  Il  commence  par  cette 
affirmation  : 

«  Les  Samnites  ont  occupé  le  mesme  pais  que  lesNantois, 
entre  ceux  de  Vannes  et  la  Loire.  » 

Voila  qui  est  fort  clair. 

11  continue  ensuite  avec  l'expression  d'un  doute  : 

«  11  est  a  croire  que  les  Nantois,  que  d'anciens  géographes 
»  placent  un  peu  plus  loin,  entre  l'Orient  et  le  Septentrion, 
»  s'établirent  depuis  à  Condivic  et  aux  environs  et  chassèrent 
»  les  Samnites  dans  la  Saintonge  (').  » 

Gela  est  moins  clair;  et  il  me  semble  môme  qu'une  contra- 
diction est  échappée  ici  a  la  sagacité  du  savant  bénédictin. 
Ce  passage  prouve  tout  au  moins  l'embarras  de  l'écrivain. 

(')  Histoire  de  Bretagne,  p.  1. 


177 

Condivic  appartenait  aux  Nantais,  comme  les  appelle  Dom 
Lobineau,  et  non  pas  aux  Samnites;  cela  ne  souffre  pas  de 
difficultés.  Les  Nantais  étaient  à  l'Orient  et  au  Septentrion 
des  Samnites,  un  peu  plus  loin  que  ceux-ci,  pense  Dom 
Lobineau,  à  quatre-vingts  lieues  environ,  dit  Plolémée. 
Depuis  Posidonius,  qui  florissait  cent  ans  avant  l'ère  chré- 
tienne, jusqu'à  Marcien  d'Héraclée,  qui  vivait  au  IVe  siècle, 
nous  voyons,  d'après  les  anciens  géographes,  que  les  Samnites 
furent  en  possession  de  nos  contrées  d'une  manière  continue; 
c'est  au  second  siècle  que  Ptolémée  fixe  loin  de  nous  la 
situation  des  Namnètes  et  leur  donne  Condevincum  pour 
capitale  :  lorsque  les  Nantois,  comme  il  est  à  croire, 
vinrent  remplacer  les  Samnites,  ils  durent  donc  laisser  leur 
capitale  derrière  eux  ;  on  ne  peut  donc  pas  dire  qu'ils  la 
rencontrèrent  dans  leur  nouvel  établissement  sur  les  rives 
de  la  Loire. 

Dom  Morice,  qui  a  beaucoup  pris  à  Dom  Lobineau,  semble 
avoir  vu  la  contradiction  de  son  devancier;  aussi  l'a-t-il 
évitée,  mais  en  exprimant  une  affirmation  au  lieu  d'un  doute  : 

«  Les  Nantais,  dit-il,  occupaient  le  territoire  qu'ils  occupent 
»  encore  aujourd'hui,  et  avaient  pour  ville  capitale  Condi- 
»  vigne  (1).  » 

La  vérité  est  que  les  Namnètes  avaient  pour  capitale 
Condivic,  Condivigne  ou  Condevincum,  et  non  pas  le  bourg 
du  Port.  Le  nom  du  Vicus  portus,  qui  nous  a  été  révélé 
par  les  inscriptions  exhumées  du  vieux  Nantes,  n'était  point 
connu  de  ces  deux  historiens  ;  et  le  second  ne  parait  pas 
avoir  étudié  ici  les  vieux  géographes. 

Je  me  permets  de  faire  ici  une  courte  digression  ;  elle 
louche  d'ailleurs  au  sujet  par  un  de  ses  côtés. 

(')  Histoire  de  Bretagne,  [>.'!. 

\1 


178 

Lorsque  j'eus  l'honneur  d'être  admis  à  faire  partie  de  la 
Société  Académique,  dès  le  commencement,  je  rencontrai 
souvent  au  salon  de  lecture  un  de  nos  anciens,  qui  causait 
volontiers,  mais  sans  s'imposer,  et  qui  interrogeait  aussi. 
11  avait  fait  une  longue  élude  de  la  langue  latine  et  de  la 
langue  française.  Je  l'ai  entendu  faire  cette  remarque  :  que 
beaucoup  de  mots  latins  sont  devenus  français  par  la  simple 
suppression  d'une  syllabe  de  la  langue  première,  soit  au 
commencement  du  mot,  soit  à  la  fin,  soit  surtout  au  milieu. 
Il  faut  aussi  quelquefois  doubler  une  consonne  devant  un  e 
muet. 

Si  cette  observation  avait  été  généralement  connue,  que 
de  flots  d'encre  elle  eût  épargnés  dans  la  recherche  de 
l'étymologie  des  noms!  Et,  sans  aller  bien  loin,  en  ce  qui 
concerne  le  nom  de  notre  ville. 

Ainsi,  supprimons  la  syllabe  du  milieu,  ne,  dans  Nannètes, 
et  nous  avons  Nantes;  supprimons  do,  dans  Redones,  et 
nous  avons  Hennés;  te,  dans  Venèles,  et  nous  avons  Vennes, 
qu'on  écrivait  encore  ainsi  au  XVIe  siècle.  On  obtient  Paris, 
en  supprimant  la  fin  du  mot  latin,  et  Le  Mans,  en  en  suppri- 
mant le  commencement. 

C'est  ainsi  que  Condevincutn,  abandonné  par  les  Nannètes, 
a  pu  devenir  Condé  ou  Gandé;  et  je  ne  serais  pas  étonné  que 
le  Corbilon  délaissé  par  le  commerce  fût  devenu  Corbon. 

Tous  les  exemples  ne  sont  pas  malheureusement  aussi 
faciles  que  ceux  que  je  viens  de  citer. 

Pour  en  revenir  à  Yénéda,  on  ne  trouve  donc  aucune 
raison  pour  placer  cette  ville  a  Saille;  tandis  que  la  stanec 
du  poète  Ernold  le  Noir  nous  la  montre,  il  me  semble,  tout 
simplement,  sans  effort,  sur  le  plateau  de  Guérande. 


179 

De  quelques  points  controversés. 

Avant  de  quitter  le  Trait  du  Croisic,  pour  passer  à  l'Empo- 
rium  de  la  Loire,  peut-être  me  sera-t-il  permis  de  revenir 
sur  des  choses  que  notre  collègue  a  traitées  dans  son  second 
chapitre,  que  j'ai  nommées  à  peine  et  qui  peuvent  trouver 
leur  place  aussi  bien  dans  un  chapitre  que  dans  un  autre. 

Il  y  a  surtout  les  caves  de  Kerbouchart,  le  moulin  de 
ïreveday  et  le  trait-d'union  du  Croisic  et  de  Batz,  qui  me  sem- 
blent mériter  une  mention  spéciale.  11  y  a  aussi  la  recherche 
de  Y  Aida  cariuca,  résidence  de  Félix,  évêque  de  Nantes,  au 
sujet  de  laquelle  je  désire  tout  d'abord  appeler  l'attention. 

Je  me  suis  quelquefois  permis  de  faire  de  longues  citations, 
pour  chercher  à  justifier  mon  sentiment.  Une  phrase  entière 
dit  généralement  ce  que  l'auteur  a  voulu  dire  ;  mais  quelques 
lignes  prises  isolément  dans  une  phrase,  peuvent  donner 
toute  autre  chose  que  la  pensée  de  l'auteur.  En  voici  un 
exemple  bien  frappant.  Je  lis  dans  M.  Maître  :. 

«  Je  cherche  YAula  quiriaca,  d'autant  plus  volontiers 
»  du  côté  de  Piriac,  que  cette  paroisse,  non  moins  ancienne 
»  que  Guérande,  est  riche  en  fondations  pieuses.  Dès  le 
»  VIe  siècle  au  moins,  sinon  plus  tôt,  le  promontoire  qui 
»  regarde  l'île  du  Met,  élait  le  siège  d'une  opulente  rési- 
»  dence  dont  Fortunat  fait  mention  dans  le  récit  d'un  voyage 
»  sur  mer,  pendant  lequel  une  tempête  faillit  l'engloutir. 
»  C'est  en  se  rendant  au  monastère  de  Tehillac,  sur  la 
»  Vilaine,  qu'il  dit  s'être  arrêté  dans  un  lieu  nommé 
»  Cariaca  Aula.  Or,  Piriac  est  précisément  le  port  de 
»  relâche  des  bateaux  qui  vont  de  la  Loire  à  la  Vilaine  (•).  » 
A  la  suite  de  cette  citation  et  pour  en  justifier  les  termes, 
il  y  a  en  note  neuf  vers  de  Fortunat. 

(4)  Annales  de  la  Société  Académique,  [>.  280. 


180 

Nous  allons  pouvoir  nous  assurer,  on  les  complétant,  que 
ces  vers  s'appliquent  à  des  lieux  qui  n'ont  de  rapport  ni  avec 
l'Océan,  ni  avec  Piriac,  ni  avec  la  Vilaine,  ni  même  avec  la 
contrée  guérandaisc  (•). 

1°  Au  livre  V,  pièce  7e  de  ses  poésies,  Fortunat  nous 
apprend  que,  sur  l'invitation  de  Félix,  il  alla  le  voir  «  à  sa 
»  campagne  que  la  Loire  baigne  de  ses  eaux  limpides. 
»  Le  riant  domaine  de  Cariacutn  (Cariaci  ager)  descend 
»  par  une  pente  douce  vers  la  rivière  ;  d'un  côté  le  fleuve 
»  réjouit  le  regard,  de  l'autre  la  vigne  étale  ses  pampres, 
»  et  les  pins  dressent  leurs  cimes  chevelues  que  fouette  le 
»  vent  du  nord  ('2).  » 

Voilà  donc  Cariacum  sur  le  bord  de  la  Loire  aux  eaux 
limpides,  c'est-à-dire  loin  de  l'Océan,  loin  de  l'embouchure 
du  fleuve  où  les  eaux  sont  chargées  d'argile. 

2°  Au  livre  XI,  pièce  25,  Fortunat  s'adresse  à  la  reine 
Radegonde,  qui  habitait  Poitiers,  et  lui  dit  : 

«  Quand  j'eus  pris  congé  de  vous,  l'ami  Eomundus  me 
»  recul  avec  sa  bonté  habituelle.  Je  le  quittai  pour  me  rendre 
»  en  toute  hâte  au  palais  de  Cariaca  (Cariacae  aulae),  d'où 
»  je  partis  pour  aller  à  Tincillac.  Ue  là,  l'évêque  Domitien 
•>  m'entraîna  aux  fêtes  célébrées  en  l'honneur  de  saint  Albin. 


(')  Je  n'ignore  pas  que  la  Chronique  de  Nantes  dit  que  «  l'évêque  usur- 
»  pâleur  Gislard  s'était  retiré  a  Aula  Quiriaca,  «  maintenant  appelé 
»  Guérande  ;  »  je  ne  m 'inquiète  pas  de  chercher  si  Y  Aula  Qniriaca,  du 
moine  du  IXe  siècle  fut  distinct  de  Y  Aula  Cariaca  du  poète  Fortunat.  Je  ne 
m'occupe  que  du  texte  de  Fortunat  qui  avait  été  l'hote  de  l'évêque  Félix,  a 
Cariaca,  qui  connaissait  par  conséquent  celte  résidence,  pour  l'avoir  habitée, 
et  qui  la  place  sur  les  bords  de  la  Loire  aux  eaux  limpides.  Le  domaine  de 
l'évêque  Sidoine  Apollinaire  était  appelé  Cuticiaca  ;  il  élait  contigu  au 
faubourg  de  Clermont.  (Lettre  81.) 

(2)  Poésies  de  Fortunat,  p.  141,  (Collection  des  auteurs  latins  publiée 
sous  la  direction  de  M.  JNisard.) 


181 

»  Cola  fait,  je  montai  sur  un  petit  bateau  qui,  emporté,  par 
»  le  courant  et  pendant  qu'il  pleuvait,  me  poussa  déjà 
»  fatigué  et  non  sans  de  nombreux  périls,  vers  un  point  où 
»  un  fort  vent  du  nord  bouleversait  le  fleuve  (').  » 

3°  Enfin,  dans  la  vie  de  saint  Aubin,  évêque  d'Angers, 
Forlunat  nous  fait  connaître  que  Tincillac,  dont  le  saint  était 
abbé,  se  trouvait  placé  «  entre  Voiliers  et  Angers,  plus 
»  près  cependant  de  cette  dernière  ville  que  de  l'autre  (2).  » 

Ajoutons  à  ces  citations  que  Domitien  occupait  alors  a 
Angers  le  siège  qu'avait  occupé  saint  Aubin;  que  Dom 
Lobineau  croit  pouvoir  placer  Tincillac  à  Tilliers,  dans  le 
diocèse  d'Angers,  à  quelques  lieues  de  Clisson,  et  que 
Fortunat,  en  relations  d'amitié  avec  beaucoup  d'évêques, 
avait  un  goût  très  prononcé  pour  les  voyages,  même  pour 
les  petits  bateaux.  Nous  pouvons  maintenant  nous  rendre 
compte  de  l'itinéraire  suivi  par  le  poète. 

11  quitte  Poitiers  pour  aller  saluer  l'ami  Eomundus,  dont 
je  ne  sais  rien  de  plus  que  le  nom  ;  il  se  rend  ensuite  à 
Gariacum,  domaine  de  l'évêque  de  Nantes,  sur  la  rive  droite 
de  la  Loire,  aujourd'hui,  sans  aucun  doute,  Chassais,  dans 
la  commune  de  Sainte-Luce  (3)  ;  puis  il  va  recevoir  l'hospi- 
talité de  l'évêque  d'Angers,  en  ce  moment  dans  son   abbaye 

(<)  Poésies  de  Fortunat,  p.  263.  M.  Charles  Nisard,  traducteur  des 
poésies  de  Fortunat,  nous  dit  que  ce  second  voyage  avait  été  entrepris  pour 
remplir  une  commission  dont  Fortunat  avait  été  chargé  par  Radegonde. 
(Note  de  la  pièce  8  du  liv.  VI.) 

(2)  Dom  Lobineau.  Vie  de  saint  Aubin,  p.  54. 

(3)  Fortunat,  poète  de  la  décadence,  parle  deux  fois  de  Cariacum  ou  de 
Cariaca,  qu'il  écrit  au  génitif  Cariaci  et  Cariacae.  Mais  nous  savons  qu'un 
grand  nombre  de  mots  latins  commençant  par  ca,  commencent  en  français 
par  cha:  Catalaunum,  Chàlons  \  Calena,  chaîne;  Cariacae  a  donc  du  devenir 
Chariacae  ;  or,  en  supprimant  la  syllabe  du  milieu  n'a,  selon  ce  que  nous 
avons  déjà  vu  et  francisant  le  nom,  on  obtient  Chassé  ou  Chassais.  Cette 
élymologic,  que  je  n'ai  vue  nulle  part,  vaut  bien  celle  de  Chefseil. 


182 

de  Tincillac,  de  l'autre  côté  du  fleuve,  entre  Angers  et 
Poitiers  ;  enfin  Domilien  l'entraîne  de  son  abbaye  dans  sa 
ville  épiscopale,  c'est-à-dire  a  Angers,  pour  le  faire  assister 
aux  fêtes  de  saint  Aubin.  Ces  allées  et  venues  ont  eu  lieu 
par  la  voie  de  terre.  Les  fêtés  finies,  Fortunat  monte  en 
bateau  sur  la  Maine  et  il  est  emporté  par  le  courant  vers  la 
Loire,  dont  les  flots  étaient  alors  fort  agités.  Voilà  ce  que  dit 
le  poète. 

Il  y  a  loin  de  là  à  ce  voyage  imaginaire  en  barque,  sur 
cette  partie  de  la  mer  Océane,  si  péniblement  affrontée  par 
la  flotte  de  Brutus  ;  il  n'y  a  point  là  de  raison  pour  faire  de 
Piriac  un  port  de  relâche,  ni  une  opulente  résidence,  ni 
YAula  Cariaca  des  bords  de  la  Loire  ;  il  n'y  en  a  point 
non  plus  pour  placer  le  Tincillac  du  diocèse  d'Angers,  sur 
un  point  quelconque  de  la  Vilaine. 

Nous  allons  maintenant  nous  transporter  à  l'ile  de  Bal/.. 

On  s'est  souvent  demandé  si  Batz  et  Le  Croisic  ont  formé 
deux  îles  distinctes  ou  s'ils  ont  toujours  fait  partie  de  la 
même  île,  comme  aujourd'hui. 

D'aussi  loin  que  l'histoire  rappelle  ces  lieux,  ils  semblent 
avoir  été  classés  dans  une  même  île,  nommée  île  de  Batz. 
Un  procès-verbal  d'enquête  de  1561,  reproduit  par  M.  Caillo 
dans  son  histoire  du  Croisic,  ajoute  souvent  au  nom  de  ville 
du  Croisic  la  qualification  de  «  isle  et  paroisse  de  Batz  (')  ;  » 
et  Alain  Bouchart  parlant,  vers  1500,  des  Normands  qui 
abordèrent  nos  rivages  au  IXe  siècle,  dit  :  «  Le  Croisic  qui 
»  est  située  à  l'un  des  bouts  de  l'ile  de  Bal/  ('2).  » 

.Mais  les  choses  étaient-elles  ainsi,  aux  siècles  antérieurs,  à 


(')    Page  '259. 

(*)   Les  Grandes  Chroniques  de  Bretagne,    liv.    III,  ehap.  III,  feuillet  7'*, 
verso.  (Edition  des  Bibliophiles  bretons.) 


183 

la  limite  de  ces   deux   communes  ?  C'est  ce  qu'il  s'agit  de 
chercher. 

M.  Maître  voit  la  preuve  que  Batz  et  Le  Croisic  formaient 
une  seule  île,  dans  ce  fait  qu'une  couche  de  tourbe  existe,  à 
cette  limite,  au  niveau  des  plus  basses  mers,  au  bas  de  la 
plage  Valentin.  J'admets  volontiers  cette  interprétation  ; 
combien  cependant  elle  aurait  eu  plus  de  force  si,  du  fait 
cité,  on  avait  commencé  par  tirer  cette  conclusion  toute 
naturelle  :  si  les  plantes  terrestres  sont  nées,  ont  vécu  et 
laissé  leurs  traces  sur  un  sol  recouvert  aujourd'hui  par  la 
mer,  c'est  que  ce  sol  a  été  autrefois  plus  élevé  qu'il  a  e"té 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer  et  qu'il  a  subi  un  affaissement 
a  la  suite  duquel  les  plantes  ont  été  submergées'. 

Quoi  qu'il  en  soit,  je  vais  chercher  à  donner  la  preuve 
directe,  recueillie  sur  les  lieux,  que,  depuis  les  temps  les 
plus  reculés,  les  territoires  de  Batz  et  du  Croisic  n'ont  formé 
qu'une  île  unique. 

L'isthme  assez  étroit  qui  sépare  Batz  du  Croisic,  est 
entièrement  couvert  par  des  masses  imposantes  de  sable  que 
le  flot  a  d'abord  déposées  sur  le  rivage,  et  que  les  vents  ont 
ensuite  transportées  grain  à  grain,  couche  par  couche,  sur 
des  terrains  plus  élevés  que  l'Océan.  Ce  phénomène  tout 
naturel  s'est  produit,  se  produit  encore  sur  notre  littoral, 
partout  où  la  côte  est  basse  et  peu  inclinée  ;  aux  Moutiers,  à 
la  Plaine,  à  Saint-Michel,  à  Saint-Brevin,  à  Pornichet,  au 
Pouliguen,  à  Batz,  au  Croisic  et  a  La  Turballe. 

S'il  était  possible  de  faire,  entre  Batz  e't  Le  Croisic,  une 
coupe  géologique  à  travers  ces  sables  jusqu'au  niveau  de  la 
mer,  nous  pourrions  être  fixés  avec  certitude  sur  la  situation, 
la  nature  et  le  relief  du  sol  que  recouvre  la  couche  sablon- 
neuse. Mais  cette  coupe  qu'on  ne  saurait  faire,  à  cause  du 
travail  considérable  qu'elle  exigerait,  nous  pouvons  là  rem- 
placer, dans  une  certaine  mesure,  par  une  étude  des  terrains 


184 

à  la  limite  formée  par  la  base  méridionale  des  dunes  et  la 
terre  argileuse  des  marais  salants. 

Cette  élude,  je  l'ai  Faite  au  mois  de  mai  1887,  et  voici  ce 
que  j'ai  reconnu  en  me  dirigeant  du  Croisic  vers  Batz. 

En  suivant  la  route  départementale  jusqu'au  coude  très 
prononcé  qu'elle  fait  au  droit  de  la  plage  Valentin,  on  reste 
constamment  sur  les  vieilles  terres  que  la  mer  et  les  sables 
ont  respectées.  C'est  à  ce  coude  que  le  doute  peut  commencer, 
mais  il  ne  saurait  persister  devant  l'examen  du  sol  ;  ici  la 
route  atteint  l'extrémité  de  la  pointe  que  font  les  marais 
salants  du  côté  sud  ;  elle  les  longe  sur  une  quarantaine  de 
mètres,  et  dans  cet  intervalle  elle  repose  sur  la  terre»  argi- 
leuse, ayant  à  gauche  les  marais  salants  et  à  droite  les 
vieilles  terres  que  le  sable  a  déjà  envahies  ;  au  delà,  elle 
entre  dans  les  terres  labourables  dont  elle  laisse  une  partie  à 
gauche,  du  côté  du  marais.  Si  la  mer  avait  été  autrefois 
maîtresse  de  ce  passage  bas  et  étroit,  elle  en  aurait  déchiré 
les  bords  et  l'aurait  considérablement  élargi  ;  mais  la  présence 
des  vieilles  terres  prouve  qu'elle  ne  l'a  point  franchi. 

Passé  le  grand  coude,  on  abandonne  la  route 'pour  prendre 
à  gauche  le  bord  des  marais  salants.  On  trouve  d'abord  le 
vieux  sol  entre  les  marais  et  les  sables  cl  on  le  suit  sur  une 
centaine  de  mètres  ;  ensuite,  une  levée  en  terre  qui  sert  de 
limite  aux  marais  et  que  borde  à  droite  une  petite  rigole 
creusée  dans  l'argile.  Cette  rigole  est  à  la  base  des  sables 
•'I  semble  s'opposer  à  leur  marche.  Le  moindre  cours  d'eau 
en  effet  suffît  souvent  pour  les  arrêter  en  les  charriant. 

Jusqu'ici  les  sables  reposent  manifestement  sur  la  terre 
argileuse  donl  le  niveau  est  plus  élevé  que  celui  des  hautes 
marées. 

On  arrive  au  chemin  de  1er  et  on  le  franchit.  La  levée  en 
terre  continue  au  delii  et  elle  prend  parfois  les  proportions 
d'un  chemin  charretier  ;  elle  est  toujours  séparée  des  sables 


185 

par  la  douve  creusée  dans  l'argile,  et  les  sables  reposent 
toujours  sur  la  terre  argileuse  qui  se  montre  de  temps  en 
temps  a  leur  base. 

Après  un  long  parcours,  il  arrive  que  la  petite  douve 
cesse  d'exister  et  que  le  sable  commence  à  envahir  la  levée  ; 
celle-ci  perd  sa  forme  régulière  sur  une  centaine  de  mètres, 
et  dans  cet  intervalle  le  sable  se  mélange  à  la  vieille  terre. 

La  levée  reparaît  de  nouveau  très  tortueuse,  avec  sa  douve 
d'écoulement  toujours  creusée  dans  l'ancien  sol,  mais  gagnée 
ici  et  là  par  les  sables.  On  arrive  ainsi  au  petit  mamelon 
rocheux  de  Tibon,  très  curieux,  placé  a  trois  mètres  environ 
au-dessus  des  marais,  entre  les  dunes  qui  sont  à  sa  droite 
et  les  marais  salants  à  sa  gauche. 

Le  mamelon  est  relié  par  des  dunes  à  la  butte  du  bourg 
de  Batz  ;  mais  au  delà  du  mamelon,  les  sables  se  rapprochent 
encore  des  marais  sans  parvenir  à  cacher  le  sol  argileux,  et 
les  dunes  finissent  par  disparaître  dans  le  voisinage  de  la 
gare,  au  droit  de  l'assiette  du  bourg. 

Entre  Le  Croisic  et  le  bourg  de  Batz,  on  rencontre  donc 
une  couche  continue  de  vieille  terre,  de  terre  argileuse,  que 
la  haute  mer  ne  peut  recouvrir  et  que  les  sables  n'ont  pas 
encore  envahie.  Depuis  la  dernière  commotion  géologique, 
la  mer  n'a  donc  point  passé  là  ;  elle  n'a  point  séparé  les 
rochers  de  Batz  de  ceux  du  Croisic 

Le  bruit  qui  se  fit,  il  y  a  plus  de  vingt  ans,  autour  du 
moulin  ou  de  la  tour  de  ïreveday,  m'engagea  à  l'aller  voir. 
Au  début  de  mes  études  archéologiques  ma  crédulité  fut 
plus  d'une  fois  trompée  :  j'en  étais  devenu  défiant. 

Il  y  a  un  village  du  nom  de  Treveday  à  la  limite  de 
Guérande  et  d'Escoublac,  sur  le  territoire  de  la  première 
commune  et   au    nord  de  la   route   départementale   (•)  ;   le 

(')  Aujourd'hui  chemin  vicinal  de  grande  communication. 


186 

moulin  du  même  nom  est  au  sud  et  à  moins  de  100  mètres 
de  la  route,  sur  la  pente  du  plateau  qui  domine  le  fond  des 
marais  salants  et  d'où  la  vue  s'étend  au  loin  sur  la  mer.  Le 
sommet  du  plateau  est  à  l'altitude  de  50  mètres. 

La  maçonnerie  du  moulin  est  toute  simple  et  elle  est  loin 
d'avoir  l'aspect  de  celle  des  beaux  moulins  du  Groisic  et  de 
Guérande  ;  mais  ce  qu'il  y  a  de  singulier,  c'est  la  projection 
verticale  en  forme  de  bouteille  de  l'intérieur  de  la  construction. 

La  beauté  de  la  situation,  l'énigme  que  renferme  cette  ou- 
verture intérieure  inusitée,  un  peu  de  cette  imagination  dont 
l'archéologue  ne  saurait  se  défendre,  ont  contribué  à  faire 
de  ce  modeste  bâtiment  un  antique  monument  que  le  temps 
a  bien  voulu  respecter  ;  ce  fut,  clit-on,  une  tour  destinée  à 
transmettre  les  signaux  de  la  télégraphie  gallo-romaine. 

Or,  cette  tour  étant  appelée  masse,,  M.  Maître  voit  des 
tours  télégraphiques  romaines  presque  partout  où  il  rencontre 
ce  nom  (*),  quoique  l'auteur  qu'il  invoque  et  qui  ne  connais- 
sait que  deux  constructions  de  ce  genre  dans  notre  départe- 
ment, ait  eu  le  soin  de  prévenir  que  «  toutes  les  vieilles 
»  souches  des  moulins  détruits  portent  dans  la  localité  le 
»  même  nom  de  masses  (2).  » 

On  appelle  masse,  en  effet,  le  tertre  sur  lequel  s'élève  un 
moulin  à  vent.  Il  est  donc  tout  naturel  de  rencontrer  si 
souvent  ce  nom  appliqué  aux  restes  ou  à  l'emplacement  d'un 
moulin  disparu.  D'un  autre  côté,  les  moulins  sont  générale- 
ment construits  sur  des  hauteurs,  bien  au  vent,  bien  en  vue. 
De  la  présence  des  masses  sur  des  mamelons,  sur  des  plateaux, 
il  ne  faut  donc  pas  conclure  à  l'emplacement  de  construc- 
tions antiques  (3). 

(')  Annales  de  la  Société  Académique,  1889,  p.  321. 

(2)  Bulletin  de  la  Société  archéologique,  1869,  p.  149. 

(3)  On  appelle  également  masse,  le  sabot  en  fer  de  l'arbre  vertical  dos 
moulins  a  Pilon,  dans  le  département  du  Nord. 


187 

J'ai  vu  deux  fois  le  moulin  de  Treveday.  Sa  maçonnerie 
est  en  moellons  bruts  garnis  de  mortier  de  chaux  et  de  sable 
et  aucun  caractère  ne  la  distingue  des  maçonneries  ordi- 
naires du  pays  ;  il  a  trois  portes  :  une  porte  principale  à 
l'est  et  deux  portes  secondaires  au  nord  et  au  sud  ;  la 
partie  supérieure  est  démolie. 

Les  pierres  qui  formaient  le  bandeau  de  la  grande  porte 
ont  été  enlevées  ;  mais  la  partie  conservée  derrière  le  bandeau 
a  la  forme  d'un  cintre  en  anse  de  panier  dont  la  flèche  est 
égale  au  tiers  de  la  corde.  Cette  forme,  en  usage  depuis  le 
XVIe  siècle  jusqu'à  nos  jours,  est  venue  après  l'ogive  ;  la 
maçonnerie  du  cintre  est  faite  en  petits  moellons  courts, 
irréguliers,  qui  ne  sont  pas  toujours  posés  suivant  la  normale 
de  la  courbe  (i).  C'est  un  signe  de  décadence. 

Les  jambages  de  la  porte  sont  formés  alternativement  d'une 

grosse  pierre  et  d'une  petite  posées   sur  bout  ;  il  y  a  encore 

là  un  signe  de  décadence.  Cette  manière  de  placer  les  pierres 

.des  jambages,  pour  économiser  la  pierre  de  taille,  est  assez 

commune  dans  les  portes  du  XVIe  siècle  (-). 

Le  linteau  des  deux  portes  de  côté  est  formé  de  pierres 
courtes  placées  en  encorbellement  les  unes  au-dessus  des 
autres  ;  c'est  là  une  mauvaise  imitation  des  linteaux  de  portes 
du  XVe  siècle  formés  d'une  seule  pierre  appuyée  sur  deux 
corbelets. 

Il  y  a,  au  centre  de  la  salle,  une  grande  pierre  de  granit 
rectangulaire  entaillée  de  quelques  centimètres  en  son  milieu  ; 
elle  est  dégrossie  sur  toutes  ses  faces,  et  sa  cavité  semble 
avoir  été  destinée  à  recevoir  un  arbre  vertical. 


(<)  La  ongueur  de  ces  moellons  varie  de  0m,10  à  0"',25  dans  le  sens  du 
bandeau  ;  ils  sont  minces. 

(2)  Les  grosses  pierres  ont  de  0^,00  à  0m,70  de  hauteur  et  de  0m,22  à 
0m,H0  de  largeur  ;  les  petites  de  0«n,16  à  0m,32  et  de  0^,16  à  l)m,18. 


188 

Une  seconde  construction  de  ce  genre  appelée  la  masse  de 
Guy  existe  dans  les  dunes,  à  5  ou  G00  mètres  au  nord  de  la 
gare  de  Pornichet  ;  elle  est  à  20  mètres  d'altitude  (•)• 

Ainsi  que  celle  de  Treveday,  elle  est'  décapitée  et  elle  a 
trois  portes  :  la  grande  porte  est  à  l'est,  en  équerre  sur  les 
deux  autres.  Le  plan  de  la  salle  intérieure  est  bizarre  :  au 
lieu  de  former  un  cercle,  la  salle  va  en  s'élargissant  depuis 
l'entrée  ou  elle  a  0m,52  de  largeur,  jusqu'au  fond  où  elle  a 
lm,15  ;  ce  fond  est  à  peine  arrondi. 

La  maçonnerie  de  la  construction  est  moins  soignée  que 
celle  de  Treveday.  Le  cintre  de  la  grande  porte  est  fait  de 
pierres  brutes  et  forme  une  ogive  sans  caractère  qui  n'est 
point  antérieure  au  XVIe  siècle.  Les  portes  latérales  sont 
couronnées  par  des  linteaux  en  granit,  et  les  dunes  qui  ont 
marché  jusque-là,  atteignent  presque  leur  sommet. 

La  vigne  située  au  nord-est  de  cette  seconde  ruine  con- 
tient un  grand  nombre  de  morceaux  de  briques  dont  on  peut 
suivre  les  traces  jusqu'au  village  de  Guy,  dans  une  étendue 
d'environ  trois  cents  mètres.  J'ai  examiné  un  certain  nombre 
de  ces  débris  et  n'ai  pas  trouvé  de  briques  à  rebords.  On  les 
rencontre  à  la  surface  des  sables,  là  où  ceux-ci  ont  été 
nivelés  :  c'est  une  preuve  qu'ils  y  ont  été.  apportés  depuis 
l'envahissement  des  terres  par  les  dunes,  c'est-à-dire  à  une 
époque  encore  peu  éloignée  de  nous,  et  vraisemblablement 
au  moment  du  nivellement  du  sol  et  de  la  plantation  de  la 
vigne.  Je  crois  qu'ils  proviennent  de  la  démolition  de  maisons 
ruinées  par  la  marche  des  sables  (-). 

(*)  Elle  est  à  3  ou  400  mètres  au  sud-ouest  de  Guy. 

(2)  Pendant  que  j'examinais  un  de  ces  morceaux  du  briques,  dans  le 
chemin  voisin,  une  femme  du  village  me  dit  que  cela  provenait  de  maisons 
démolies. 

Je  ne  veux  pas  affirmer  que  là  il  n'y  a  pas  de  briques  à  rebords,  puisque 
mon  examen  n'a  pas  pu  tout  embrasser;  mais  la  présence  en  ces  lieux  de 


189 

Ainsi,  les  masses  de  Treveday  et  de  Guy  ne  présentent 
pas  de  traces  d'antiquité  et  on  peut  faire  remonter  leur 
construction  tout  au  plus  au  XVIe  siècle.  Il  n'y  a  donc  pas 
lieu  de  les  invoquer  en  faveur  d'une  occupation  gallo- 
romaine  quelconque  sur  ce  point  du  pays  guérandais. 

Les  caves  de  Kerbouchart  n'appartiennent  pas  davantage 
à  l'antiquité.  Elles  sont  situées  à  600  mètres  à  l'est  du  bourg 
de  Batz  et  à  une  centaine  de  mètres  au  nord  de  la  route 
départementale,  dans  une  enceinte  murée  qui  dépendait 
d'une  habitation  disparue  et  dont  il  reste  encore  le  colom- 
bier. Elles  sont  groupées  au  nombre  de  trois;  a  l'intérieur, 
elles  ont  la  forme  circulaire  et  elles  sont  voûtées  en  forme 
de  coupole  ;  le  diamètre  de  chaque  salle  est  de  2m,45  et  la 
hauteur  de  la  demi-sphère  est  de  2  mètres.  Les  centres  des 
trois  caves  représentent  les  sommets  d'un  triangle  isocèle  à 
large  base  ;  la  cave  du  milieu  est  tangente,  aux  deux  autres 
et  placée  en  arrière;  les  caves  des  côtés  sont  séparées  par 
un  espace  d'un  mètre  environ  qui  laisse  à  découvert  la  face 
de  la  troisième. 

Au  sommet  de  chaque  coupole  il  y  a  une  ouverture  circu- 
laire de  0ra,76  de  diamètre,  dont  le  pourtour  est  en  maçon- 
nerie de  briques  plates  de  petites  dimensions  et  très  cuites. 
Les  salles  sont  dallées  de  belles  pierres  de  taille  fort  bien 
conservées.  Toute  la  maçonnerie  est  d'une  bonne  exécution. 
Dans  chaque  cave,  au  niveau  du  dallage,  un  petit  dalot 
creusé  dans  la  pierre  est  établi  sous  le  mur  de  face,  soit 
pour  puiser,   soit  pour   écouler  les    eaux. 

A    ma    première  visite,   au   mois  d'août   1864,  les  trois 


briques  gallo-romaines  ne  prouverait  absolument  rien  en  faveur  de  l'anti- 
quité de  la  tour  de  Cuy,  qui  n'en  est  pas  moins  une  construction  posté- 
rieure au  XVe  siècle. 


190 

caves  étaient  en  bon  état  et  avaient  toute  l'apparence  d'une 
construction  moderne;  trois  petits  tertres  coniques  recou- 
vraient les  ouvertures  du  sommet  de  la  voûte.  A  ma  seconde 
visite,  le  24  septembre  1887,  c'est-à-dire  23  ans  plus  tard, 
elles  étaient  déjà  fort  endommagées  et  le  dallage  disparaissait 
complètement  sous  les  débris. 

Ces  caves  singulières  ont  donné  lieu  à  des  interprétations 
assez  fantaisistes.  Au  temps  de  saint  Félix,  elles  auraient 
servi  à  recevoir  la  vendange  que  les  Bretons  envahisseurs, 
campés  au  nord  de  la  Vilaine,  allaient  piller  sur  le  territoire 
des  Nannètes.  M.  Maître  va  encore  au  delà  ;  il  attribue  leur 
construction  à  l'époque  romaine  :  alors  elles  auraient  servi 
de  silos  à  nos  vainqueurs. 

C'est  aller  bien  loin.  Les  voûtes  en  forme  de  demi-sphère 
ne  sont  pas  chez  nous  un  signe  de  si  haute  antiquité. 

Elles  furent  inaugurées  à  Constantinople,  au  VIe  siècle, 
lors  de  la  reconstruction  de  l'église  de  Sainte-Sophie.  Les 
architectes  de  cette  basilique ,  abandonnant  les  plafonds 
dont  on  s'était  toujours  servi,  créèrent  alors  la  coupole 
byzantine  au  moyen  de  briques  légères  habilement  agen- 
cées (i).  Mais  cette  voûte  de  forme  hémisphérique  semble 
n'avoir  été  introduite  dans  nos  églises  d'Occident ,  à  la 
suite  des  voûtes  ■  d'arêtes  ,  que  vers  le  XIe  ou  le  XIIe 
siècle  (2),  en  même  temps  à  peu  près  que  les  voûtes  du  rez- 
de-chaussée  de  nos  constructions  civiles  destinées  à  supporter 
le  premier  étage  (;5). 

Les  chrétiens  des  premiers  temps  abritèrent  leurs  céré- 
monies au  sein  des  catacombes;  chassés  des  catacombes, 
ils  se  creusèrent  des  abris  dans  le  roc  et  dans  l'argile.  Mais 
les  premières  cryptes  voûtées  sont  de  la  fin  de  l'ère  romane. 

(*)  De  Caumont  :  Abécédaire  d'archéologie,  p.  11  et  12. 
(»)  -  -  p.  123. 

(3)  L'abbé  Corblet  :  Manuel  d'archéologie,  p.  299. 


191 

La  forme  hémisphérique  de  notre  sujet  nous  rapproche 
donc  des  temps  modernes. 

Cependant,  pour  prouver  la  haute  antiquité  des  caves  de 
Kerbouchart,  on  invoque  l'emploi  de  la  brique  autour  des 
ouvertures  circulaires  du  plafond.  Mais  celle-ci  n'a  pas  le 
caractère  de  la  brique  romaine,  et  l'usage  de  la  brique  s'est 
perpétué  jusqu'à  nos  jours  sans  solution  de  continuité.  J'ai 
entendu  contester  cet  usage,  je  dois  donc  chercher  à  justifier 
mon  opinion. 

Au  sujet  des  monuments  religieux,  M.  de  Caumont  nous 
apprend  que  les  carreaux  en  terre  cuite  émaillée  ont  été 
employés  au  pavage  de  nos  églises  du  XIe  au  XVe  siècle; 
au  XIVe  et  au  XVe  siècle,  ils  formaient  une  des  principales 
décorations  des  églises.  Le  célèbre  antiquaire  en  donne  de 
nombreux  dessins  (').  Je  puis  citer,  pour  les  avoir  vues  et 
mesurées,  les  arcades  surhaussées  de  la  vieille  église  de 
Saint-Philbert-de-Grand-Lieu,  voisines  du  XIe  siècle,  et  dont 
les  cintres  sont  en  briques. 

Je  passe  aux  monuments  civils.  Vitruve,  architecte  romain 
du  Ier  siècle,  consacre,  dans  son  traité  d'architecture,  tout 
un  chapitre  à  la  fabrication  de  la  brique,  et  il  nous  apprend 
qu'à  «  Utique,  le  magistrat  ne  permettait  point  qu'on 
»  employât  de  la  brique  qu'il  ne  l'eût  visitée  et  qu'il  n'eût 
»  reconnu  qu'elle  avait  cinq  ans  de  moulage  (2).  »  On  en 
faisait  à  Marseille  dès  ce  temps-là;  mais  elle  ne  parait  avoir 
été  introduite  dans  la  Gaule  que  vers  le  second  siècle. 

»  Quelques  savants,  dit  M.  de  Caumont,  ont  avancé  que 
»  les  chaînes  de  briques  des  constructions'  de  petit  appareil 
»  n'ont  commencé  à  être  usitées  qu'au  IIIe  siècle;  mais  ce 


(*)  Abécédaire  archéologique,  p.  175,  309,  390,  431. 
(J)  Vitruve ,  De  l'Architecture,  liv.   II,  ch.  111.  Les   éditions  de  Vitruve 
furent  très  nombreuses  à  partir  de  la  tin  du  XV<>  siècle. 


»  mode  se  rencontre  dans  des  édifices  beaucoup  plus 
»  anciens...  On  peut  admettre  qu'on  en  faisait  grand  usage 
»  au  IIIe  et  au  IVe  siècle.  Je  pourrais  citer  bon  nombre  de 
»  constructions  présumées  du  IIe  siècle,  en  petit  appareil, 
»  et  dans  lesquelles  on  ne  voit  pas  de  briques...  Je  prou- 
»>  verai  que,  dans  les  VIIe,  VIIIe  et  IXe  siècles,  on  a  quel- 
»  qucfois  employé  dans  les  murailles  des  briques  semblables 
»  à  celles  que  nous  voyons  dans  les  constructions  romaines 
»  (t).  »  C'est  ainsi  que  s'exprime  notre  maître  en  archéologie, 
dont  personne  ne  met  en  doute  la  science  et  la  véracité. 

L'art  du  constructeur,  de  l'architecte,  ne  s'est  pas  perdu, 
et  ceux  qui  ont  écrit  en  cette  matière  se  sont  transmis  ce 
qu'ils  savaient.  Je  trouve  dans  Belidor  tout  un  chapitre  «  où 
»  l'on  considère  les  qualités  de  la  brique  et  la  manière  de  la 
»  fabriquer.  »  J'y  vois  qu'on  en  faisait  une  grande  consom- 
mation au  commencement  du  XVIIIe  siècle.  Après  avoir  cité 
le  passage  de  Vitruve  que  je  viens  de  rappeler,  Belidor 
ajoute  :  «  On  s'aperçoit  bien  que  cette  sage  police  n'est  plus 
»  d'usage  parmi  nous,  puisqu'il  la  confusion  de  la  plupart 
»  des  entrepreneurs  l'on  voit  tous  les  jours  des  bâtiments 
»  menacer   ruine,    avant,   pour  ainsi  dire,   d'être  achevés 

.   (2).  , 

Les  constructeurs  ne  faisaient  donc  plus  guère,  pour  nos 
habitations,  de  celle  excellente  brique  romaine  qui  est 
venue  jusqu'à  nous  à  travers  les  âges;  mais  celle  qu'on 
employait  au  pavage  des  églises  atteignait  la  perfection  ;  et 
nous  savons  par  l'ingénieur  Belidor  que  les  briques  comman- 
dées pour  les  besoins  de  l'Etat  étaient  faites  avec  beaucoup 
de  soin.  Cependant  il  en  était  employé  aussi  de  bonne  qualité 
dans  les  constructions  civiles. 


(')  De  Caumont:   Traité  d'Archéologie,  p.  162,  163. 
(2)   La  Science  des  Ingénieurs,  liv.  111,  eh.  11,  p.  5  à  6. 


193 

Pour  en  donner  de  nombreux  exemples,  je  n'aurais  qu'il 
faire  une  excursion  dans  le  département:  j'y  aurais  vite 
recueilli  les  noms  de  maisons,  de  manoirs,  de  châteaux,  où 
l'emploi  de  la  brique  fut  constant  depuis  le  XVe  siècle  jusqu'à 
nos  jours.  Mais  celle  énuméralion  n'est  pas  nécessaire, 
puisqu'il  suffît  de  regarder  autour  de  nous. 

Dans  nos  vieilles  maisons  en  bois  du  XVI"  et  du  XVIIe 
siècle,  les  intervalles  de  la  charpente  sont  remplis,  le  plus 
souvent,  en  pisé  ou  en  torchis;  mais  on  y  trouve  aussi 
fréquemment  des  remplissages  en  briques  ;  il  y  a  même,  en 
ce  genre,  de  curieuses  maçonneries  dans  les  parements  d'une 
maison  de  la  rue  de  l' Arche-Sèche,  n°  SI,  et  d'une  autre  de 
la  rue  de  Barbin,  n°  1 1  :  entre  les  pièces  de  charpente,  les 
briques  sont  posées  obliquement  en  forme  d'arêtes  de  poisson, 
de  manière  à  imiter  l'appareil  en  épi  des  Romains. 

La  vieille  partie  de  la  maison  de  l'Eveché,  qui  est  du 
commencement  du  XVIe  siècle,  a  conservé  de  ce  temps-la 
trois  ou  quatre  tôles  de  cheminées  en  briques  d'une  belle 
exécution. 

Une  visite  au  château  de  Nantes  nous  mettrait  en  présence, 
je  n'en  saurais  douter,  de  briques  de  la  fin  du  XVe  siècle  ou 
du  commencement  du  XVIe  siècle. 

Ainsi  nous  rencontrons  un  usage  constant  de  la  brique 
dans  nos  habitations  et  nos  monuments.  Il  faut  donc  se  défier 
di  ces  amas  de  briques  qu'on  foule  aux  pieds  dans  les 
champs,  dans  les  chemins,  dans  les  carrefours;  il  ne  faut 
donc  affirme]-  qu'on  est  en  présence  de  la  brique  romaine 
que  si  le  caractère  romain  est  nettement  accusé  ;  et  encore  ce 
caractère  s'esl-il  perpétué  jusqu'au  IXe  siècle. 

Ce  n'est  pas  le  cas  de  la  brique  de  Kcrbouchart,  qui  ne 
présente  rien  d'antique ,  qui  a  le  caractère  de  la  brique 
moderne. 

On  paraît  croire  aussi  que  l'emploi  de  la  brique  pilée,  dans 

13 


194 

la  confection  du  mortier,  est  un  usage  des  Romains  qui  n1a  pas 

persisté  chez  nous  après  leur  départ.  C'est  une  erreur  du  mOme 
genre,  je  pense,  que,  celle  qu'on  a  commise  pour  la  brique. 
Belidor,  après  avoir  comparé  la  tuile  en  poudre  à  la  pouzzo- 
lane ('),  transcrit  un  modèle  de  devis  qu'on  peut  appliquer 
aux  caves  de  Kerboucharl;  en  voici  le  litre  :  «  Devis  de  ce 
»  qui  est  à  faire  et  à  observer  pour  la  construction  d'une 
»  citerne  destinée  à  recevoir  les  eaux  de  pluie  qui  tombent 
»  sur  l'église  paroissiale  de  Calais.  » 

Il  s'agit  d'une  citerne  voûtée. 

Au  chapitre  de  la  qualité  du  mortier,  il  est  dit  :  «  Celui 
»  qui  sera  employé  aux  renduits  et  citemaux,  tant  du  dedans 
»  que  du  dessus,  sera  fait  avec  tuilaux  de  vieilles  tuiles 
»  bien  cuites...;  il  sera  bien  battu,  pulvérisé  et  passé  au 
»  lamis  du  boulanger,  et  le  mortier  sera  fait  avec  deux 
»  cinquièmes  de  chaux  vive  de  Boulogne  et  trois  cinquièmes 
»  du  dit  ciment  (2),  » 

Autour  de  nous,  nous  trouvons  un  vieil  emploi  de  la 
brique  pilée  dans  le  mortier;  je  puis  citer  : 

Les  trois  arches  du  pont  de  Pirmil  démolies  vers  1860; 

Le  pont  de  la  Bourse  démoli  en  18G9  (3); 

Les  ruines  des    vieux  moulins  de   Barbin   démolies    en 

1888  (3a); 

[*)  «  Comme  la  tuile,  qui  est  une  composition  de  terre,  dit  Belidor,  n'a 
»  point  de  vertu  avant  la  cuisson,  pour  agir  avec  la  ebaux,  et  qu'après  être 
»  cuite  et  réduite  en  poudre,  elle  fait  un  mortier  excellent,  de  môme  la  terre 
»  bitumeuse,  qui  se  trouve  au  royaume  de  Naples,  étant  brûlée  par  les  feux 
»  souterrains,  les  petites  parties  qui  en  résultent,  et  qu'on  peut  regarder 
»  comme  une  poudre,  composent  la  poudre  de  pouzzolane,  qui  doit,  par 
»  conséquent,  participer  des  propriétés  du  ciment.  (Liv.  III,  cli.  IX,  p.  11.)  » 

(2)  Belidor,  liv.  VI,  p.  76.  —  Sidoine  Apollinaire  parle  de  l'emploi  de  la 
pouzzolane  dans  les  constructions  au  bord  de  la  mer.  (Poésie  22,  p.  25'/, 
collection  Nisard.) 

(3  et  sa)  Renseignements  donnés  par  M.  A.  Perdriel,  entrepreneur. 


195 

Une  citerne  actuellement  transformée  en  cave,  rue  du  Port- 
Maillard,  n°  9,  dans  une  maison  du  XVIe  siècle  démolie  en 

1883  (')• 

Après  quelques  recherches,  nous  arriverions  à  citer  un 
certain  nombre  d'autres  exemples  de  l'emploi  de  la  brique 
pilée  dans  les  vieilles  constructions. 

Lorsque  nous  rencontrons,  dans  une  construction  d'une 
date  incertaine,  du  mortier  fait  avec  de  la  chaux  et  de  la 
brique  pilée,  nous  ne  devons  donc  pas,  par  cela  seul,  et 
comme  tout  à  l'heure  pour  la  brique,  nous  hâter  d'affirmer 
que  la  construction  remonte  au  temps  des  Romains. 

Ma  seconde  visite  des  caves  de  Kerbouchart  fut  *faite  en 
1887,  en  compagnie  des  hommes  éminenls  qui  sont  à  la 
tète  de  l'Association  bretonne,  —  Association  réunie  alors 
en  Congrès  au  Croisic  ;  —  il  y  avait  la  un  disciple  de  de 
Caumont,  savant  dans  l'art  de  déterminer  l'âge  de  nos 
monuments;  il  y  avait  aussi  deux  membres  de  l'Institut, 
très  connaisseurs  en  archéologie.  Or,  ces  savants,  sans  se 
prononcer,  n'ont  point  reconnu  de  caractère  d'antiquité  aux 
caves  de  Kerbouchart  :  si  bien  que  le  procès-verbal  de 
l'excursion  du  24  septembre  1887  énumère  tout  ce  que  les 
membres  du  Congrès  ont  vu  de  remarquable  dans  la  journée, 
et  qu'il  ne  mentionne  même  pas  le  nom  de  ces  silos  ou  de 
ces  caves  dont  s'est  emparée  la  controverse. 

Peut-être  que  le  vieux  chroniqueur  Alain  Bouchart  savait 
quelque  chose  de  ces  constructions.  Il  avait  possédé  à  Batz 
le  manoir  de  Kerbouchart  qu'il  paraît  avoir  habité  en  1513  (2); 
et  il  aurait  bien  pu  projeter,  édifier  ces  trois  caves,  j'allais 
dire  ces  trois  citernes,  qui  semblent  des  restes  du  manoir  et 
qui  ont  vu  le  jour  a  une  époque  peu  éloignée  de  la  sienne. 

(4)  Renseignement  ilonné  par  M.  Furret,  archilecte. 
{"*)  Introduction  aux  Grandes  Chroniques,  p.  5. 


196 

Au  sujet  de  ce  qu'on  appelait  des  débris  d'antiquités,  j'ai 
été  mal  renseigné  plus  d'une  fois  ;  plus  d'une  fois,  sur  des 
indications  qui  m'étaient  données,  j'ai  reconnu  des  débris 
de  tuiles  ou  de  briques  qui  n'avaient  rien  de  romain  et 
provenaient  de  maisons  ruinées  relativement  modernes.  La 
dernière  fois,  voici  à  quelle  occasion. 

Au  mois  de  septembre  1881,  je  reçus  de  Guérande  une 
lettre  m'annonçanl  qu'on  avait  rencontré  des  dallages  romains 
dans  trois  vasières,  dont  la  situation  était  clairement  indi- 
quée. En  recevant  celle  lettre,  je  ne  songe  qu'à  une  chose,  à 
mon  problème  de  l'affaissement  du  sol,  et  voilà  mon  imagi- 
nation en  marche!  De  beaux  dallages  bien  conservés, 
au-dessous  du  niveau  des  mers,  quelle  preuve  plus  manifeste 
de  l'affaissement  des  marais  salants  I  et  en  présence  d'un 
témoin:  le  travail  du  gallo-romain!  Mais  mon  rêve  devait 
finir  comme  celui  de  Perrclle. 

J'arrive  sur  les  lieux  avec  des  hommes,  des  pelles,  des 
pioches,  des  jalons.  Voilà  bien  la  saline  Douceille!  Je  fais 
sonder  dans  un  endroit  :  rien;  puis  dans  un  autre:  rien 
encore.  Me  serais-je  trompé  ?  Non  ;  il  ne  peut  y  avoir  de 
doute  :  c'est  bien  la  saline  indiquée.  Je  persiste  :  un  jalon 
enfin  rencontre  des  pierres;  je  fais  piocher  sur  ce  point, 
puis  sur  d'autres  points  encore.  Le  dallage  consistait  en 
pierres  cassées,  en  graviers  mêlés  de  mortier  friable,  sans 
cohésion.  Une  brique  y  fut  rencontrée,  qui  devait  provenir 
des  ruines  gallo-romaines  situées  au  bord  de  la  vasière. 

Et  voilà  ce  qu'on  avait  pris  pour  du  dallage,  pour  le 
dallage  d'une  saline  romaine;  et  on  en  concluait  que  les 
salines  romaines  étaient  dallées.  M.  Maître  a  fait  justement 
remarquer  que  de  pareilles  salines  seraient  bien  mauvaises 
pour  révaporalion  des  eaux. 

Eu   matière  de  découvertes  archéologiques,  je  n'ai  cessé 


197 

de  penser  qu'il  ne  faut  passe  hâter  de  conclure.  Il  est  plus 
facile  à  un  auteur  de  revenir  sur  un  doute  que  sur  une 
affirmation. 

Des  savants  croient  cependant  que  le  progrès  ne  marche 
qu'appuyé  sur  des  affirmations.  Fort  bien,  si  elles  ont  une 
base  solide.  Mais  si  elles  ne  sont  pas  fondées!  Si  des  erreurs 
ont  été  semées  cl  ont  pris  racine  dans  les  masses!  que  de 
temps  il  faudra  dépenser,  que  d'arguments  il  faudra  produire 
pour  revenir  souvent  au  point  de  départ. 

Il  me  reste  maintenant  a  prouver  l'affaissement  des  plaines 
de  la  Grande-Brière,  et  à  vous  entretenir  de  Yemporium  de 
Corbilon. 


IV»  PAHTIK. 


CORBILON  .     LA     GRANDE  -  BRIÈRE 


CHAPITRE  V. 
De  l'affaissement  du  sol  de  la  Grande-Brière. 

J'ai  traité,  il  y  a  sept  ou  huit  ans,  le  sujet  de  l'affaisse- 
ment du  sut  de  la  Grande-Brière.  J'ai  répondu  à  ceux  qui 
voulaient  en  faire  une  nier  intérieure  baignant  des  archipels 
et  des  promontoires  où  combattaient  César  et  les  Venètes. 
Les  preuves  que  j'ai  produites  sont  encore  intactes.  Je  me 
propose  de  répondre  à  de  nouveaux  arguments  et  de  produire 
des  preuves  nouvelles. 

Les  descriptions  de  la  Grande-Brière  et  des  marais  de 
Montoir  sont  nombreuses  et  bien  connues,  ,1e  me  bornerai  à 
rappeler  qu'au  sein  de  celte  plaine  basse  et  marécageuse,  il 
existe  un  certain  nombre  d'îlots  dont  les  flancs  ont  des 
rampes  fort  douces  ri  dont  le  plateau  domine  le  marais  de  G 
;i  !)  mètres  généralement,  ri  par  exception  de  13  mètres. 
Les  rives  sinueuses  qui  forment  le  périmètre  de  la  [daine, 
s'élèvent  également  en  pente  douce  et  atteignent  jusqu'à  16 
mètres  d'altitude,  sauf  en  deux  points,  à  Sainte-Reine  et  à 
Besné,  où  cette  hauteur  est  dépassée  (f). 

(')  Les  tourbières  onl  une  surface  d'environ  8,001)  hectares,  et  les  pr<?s- 
marais  de  6,000. 


P. H) 

La  grande  tourbière  est  située  dans  la  partie  du  couchant, 
entre  Saint-Joachim  et  Saint-Lyphard  ;  l'épaisseur  de  la 
couche  de  tourbe  y  atteint  jusqu'il  deux  mètres.  Les  prés- 
înarais  sont  disséminés  à  l'est  et  au  sud,  entourant  les  îlots 
qui  émergent  de  la  plaine,  et  serpentant  entre  les  terres 
labourables,  pareils  à  des  détroits,  des  anses,  des  baies  ou 
des  lacs. 

Des  nivellements  ont  été  faits  avec  soin  sur  les  bords  des 
canaux  qui  desservent  les  marais  ;  ils  ont  pour  points  de 
repères  des  bornes  en  granit  placées  sur  le  bourrelet  en  terre 
qui  sépare  le  canal  du  marais  et  dont  le  nombre  est  d'envi- 
ron cent-vingt. 

La  cote  de  nivellement  qui  correspond  à  chaque  borne 
représente  la  hauteur  de  sa  face  supérieure  au-dessus  du 
zéro  de  l'échelle  de  Saint-Nazaire.  Si  nous  retranchons  de 
cette  cote  la  hauteur  de  la  borne  au-dessus  du  bourrelet  et 
celle  du  bourrelet  au-dessus  du  marais,  soit  environ  0m,60 
pour  les  deux,  nous  aurons  la  hauteur  des  marais  au-dessus 
du  zéro  de  l'échelle  de  Saint-Nazaire. 

D'après  ces  données,  les  marais  seraient  de  3m,80  à  4m,30 
au-dessus  de  ce  zéro  ;  le  radier  du  pont  de  l'île  Oliveau  est 
à  la  cote  de  2™,  15,  et  celui  de  l'écluse  de  Rozé  à  2m,19. 

Toutes  les  tourbières,  tous  les  marais,  sont  en  communi- 
cation avec  la  Loire,  par  le  Brivet  qui  débouche  à  Méan,  ou 
au  moyen  de  canaux  fermés  par  des  écluses  entre  Donges 
et  Lavau. 

Le  zéro  de  l'échelle  de  Saint-Nazaire  représente  le  niveau 
des  plus  basses  mers  observées  ;  les  plus  hautes  mers  s'élè- 
vent à  G  mètres,  et  même  à  Gm,G0  lorsqu'un  vent  violent 
souffle  du  large  ;  le  niveau  moyen  est  représenté  par  la  cote 
de  3  mètres. 

Le  niveau  moyen  est  à  peu  près  le  même  dans  les 
différents  ports   de  mer  ;  mais  le   zéro  dépend  de  Tarn- 


aoo 

plilude  dos  marées  qui  esl  fort  différente  selon  la  situation 

des  lieux. 

La  moyenne  des  basses  mers  est  d'environ  lm,20  à  Saint- 
Nazaire  ;  celle  des  pleines  mers  est  de  4m,95.  Les  plus  faibles 
basses  mers  descendent  rarement  au-dessous  de  0m,40  et  les 
plus  faibles  pleines  mers  au-dessous  de  4™, 00. 

Les  plus  basses  eaux  d'un  fleuve  étant  à  son  embouchure, 
il  s'ensuit  que  les  eaux  de  la  Loire  et  celles  des  ruisseaux  et 
rivières  qu'elle  reçoit,  ont  un  niveau  [dus  élevé  qu'à  Saint- 
Nazaire.  Les  marées  modifient  cette  situation  :  entre  Nantes 
et  Saint-Nazaire  la  pleine  mer  a  lieu  à  des  heures  différentes 
et  elle  ne  s'établit  pas  suivant  une  ligne  de  niveau,  mais  bien 
suivant  une  courbe  convexe  dont  l'extrémité,  à  Nantes,  esl 
plus  basse  d'environ  0ny20  qu'à  Saint-Nazaire,  et  dont  le 
sommet,  vers  la  Martinière,  est  plus  élevé  de  0ra,30  environ. 

Lorsque  la  mer  est  pleine  à  Nantes,  elle  est  en  baisse 
depuis  deux  heures  à  l'embouchure  ;  la  face  des  eaux  du 
fleuve  forme  à  ce  moment  un  plan  incliné  qui,  au  temps  des 
grandes  marées,  suit  cette  progression  en  partant  de  Saint- 
Nazaire  :  le  niveau  esl  plus  élevé  de  0m,25  a  Paimbœuf,  de 
0m,7o  au  Migron ,  de  1nv25  au  Pellerin  el  de  lm,50  à 
Nantes    (<). 

H  résulte  de  ces  faits  que,  sans  le  système  des  écluses 
établies  sur  le  Brivel  et  sur  les  canaux,  les  eaux  seraient 
toujours  plus  hantes  dans  les  marais  de  Donges  et  de  la 
Brière  qu'à  Saint-Nazaire,  et  que  les  marées  recouvriraient 
tous  les  jours  la  plaine  de  Vouloir. 

Un  assez  grand  nombre  d'objets,  île  débris  antiques,  ont 
été  rencontrés  dans  cette  plaine,  sur  les  îlots  et  sur  les  rives. 
Si  les  objets  rencontrés  dans  la  [daine  même  ont  été  recueillis 

.le  tiens  ces  renseiguements  du  service  dos  ponts  et  chaussées. 


-201 

sous  une  couche  plus  ou  moins  profonde  d'alhivions,  c'est  la 
preuve  indéniable  que  les  alluvions  se  sont  formées  depuis  la 
perte  des  objets.  C'est  précisément  ce  qui  a  eu  lieu.  Je  me 
bornerai  à  faire,  dans  cet  ordre  d'idées,  quelques  citations 
empruntées  à  M.  Bizeul. 

Il  a  été  recueilli  : 

Dans  l'été  de  1785,  une  épée  en  bronze  par  six  pieds  de 
profondeur,  dans  les  marais  de  Crossac  ; 

En  1823,  une  épée  également  en  bronze  sous  dix  pieds  de 
tourbe,  dans  un  canal  de  dessèchement  des  marais  de  Donges; 

En  1842,  l\  la  Guesne,  dans  une  vase  mélangée  de  tourbe 
et  a  lm,60  au-dessous  du  lit  du  ruisseau,  deux  épées  en 
bronze,  deux  épées  en  fer,  deux  fers  de  javelots,  1  hachette 
en  bronze,  un  pot  en  cuivre  et  des  objets  en  fer,  tels  que 
coutelas,  cognées,  étriers,  fers  de  chevaux,  etc.  (i)  ; 

De  1835  a  1855,  dans  la  tourbe  d'un  coin  de  la  Grande- 
Brière,  quatre  monnaies  gauloises  en  or,  dont  l'une  à  8  ou 
10  pieds  de  profondeur  à  La  Chapelle-des-Marais  ('-); 

En  fondant  le  pont  du  Gué-d'Assac,  dans  la  commune  de 
Donges,  au  mois  d'août  1882,  le  Service  vicinal  a  traversé, 
sous  2n,,50  d'alhivions,  une  couche  de  tourbe  de  lm,50 
d'épaisseur,  dont  la  base  correspondait  à  la  cote  de  lm,50  de 
l'échelle  de  Saint-Nazaire  ;  une  corne  de  cerf  y  a  été 
recueillie  à  la  cote  de  lm,60  (3)  ; 

Et  sous  la  tourbe  et  sous  les  marais,  on  rencontre  des 
arbres  en  grande  quantité  ;  beaucoup  d'arbres  ont  encore 
leurs  souches,  et  leurs  racines  sont  décomposées..  Il  y  a  des 
débris  de  chênes,  d'ormeaux,  de  châtaigniers,  et  surtout  de 
sapins  ;  ils  sont  couchés  là  depuis  des  siècles  et  leur  tête   est 


(')  Revue  des  l'ruvinces  de  l'Ouest,  t.   il,  p.  822  à  830. 

(2)  Revue  des  Provinces  de  l'Ouest,  t.  III,  p.  731   à   733. 

(3)  César  chez  les   Venètes,  2e  étude,  p.   12. 


'20-2 

généralement  tournée  du  côté  de  Donges  ;  quelques-uns.  ont 

été  trouvés  debout,  brisés  à  un  mètre  environ  de  hauteur. 
Dans  une  étendue  de  moins  de  cent  mètres,  entre  Monloir  et 
le  pont  de  Nyon,  en  creusant  un  canal  en  1881,  il  a  été 
rencontré  quatre-vingts  arbres  environ,  couchés,  la  plupart, 
la  tête  vers  le  midi  ;  ils  étaient  dans  la  partie  inférieure  de  la 
couche  tourbeuse,  à  lm,50  environ  au-dessous  du  sol  du 
marais.  Quelques  chênes  atteignaient  jusqu'à  trois  mètres  de 
circonférence  (i). 

11  faudrait  cependant  à  ce  sujet  nous  garder  de  cette  exagé- 
ration à  laquelle  souvent  nous  sommes  trop  enclins.  11  y 
avait  là  des  arbres,  beaucoup  d'arbres  et  de  toutes  les  gros- 
seurs. Gela  représentait -il  une  forêt?  Je  ne  sais;  mais  la 
plaine  n'en  était  pas  toute  couverte.  On  rencontre  dans  la 
Brière  des  mamelons  sablonneux  fort  pauvres  en  végétation, 
et  toutes  les  fouilles  de  la  plaine  n'ont  pas  donné  des  arbres. 
La  plaine  des  marais  et  de  la  Brière  représente,  avec  ses 
détours  et  ses  enfoncements,  environ  quatorze  mille  hectares  ; 
à  dix  arbres  seulement  par  hectare,  ce  qui  est.  fort  peu  de 
chose  :  une  goutte  d'eau  dans  un  verre,  il  y  aurait  eu  cent 
quarante  mille  arbres,  c'est-à-dire  de  quoi  faire  une  forêt  de 
cent  hectares.  Les  arbres  formaient  peut-êlre  ça  et  là  iW> 
groupes  plus  ou  moins  nombreux,  plus  ou  moins  importants, 
sans  pour  cela  constituer  une  forêt. 

Des  auteurs  prétendent  que  les  arbres  enfouis  en  ces 
lieux,  y  ont  été  charriés  par  les  eaux  de  la  Loire  ;  d'autres 
qu'ils  ont  grandi  sur  les  ilôts  et.  sur  les  rives,  et  qu'ils  ont 
été  entraînés  au  bas  (\c<  pentes  par  des  pluies  torrentielles. 
Je  lis  en  effet  :  «  11  suffit  de   regarder  les  nombreuses  lies 


(')   César  chez  les  Venèles,  2«  étude,  p.  9. 

Cette  tourbe  est   remplie  de  pieds  d'arbres  si   gros  et  si   nombreux,  dit 
M.  Maître  (p.  90),  qu'ils  t'ont  penser  à  une  forêt  renversée. 


203 

»  qui  accidentent  le  bassin  ;  on  voit  qu'elles  pouvaient  être 
»  boisées  comme  la  terre  ferme,  il  y  a  dix-huit  siècles,  puis- 
»  qu'aujourd'hui  encore  les  arbres  de  toute  espèce,  les 
»  chênes  notamment,  y  poussent  avec  vigueur.  Une  tempête 
»  violente  s'est  déchaînée,  une  grande  inondation  s'est 
»  produite  en  même  temps,  et  tous  les  arbres  ont  été 
»  déracinés  et  précipités  dans  les  parties  basses...  Le 
»  VI*  siècle  a  été  troublé  par  des  inondations,  des  tremble- 
»>  meuts  de  terre  et  des  prodiges  nombreux.  C'est  l'historien 
»  Aimoin  qui  nous  le  dit  dans  ses  Annales,  et  il  ajoute  : 
»  Les  inondations  de  la  Loire  ont  été,  en  580,,  snpé- 
»  rieures  aux  précédentes,  et  le  vent  souffla  avec  tant 
»  de  violence  qu'il  renversa  des  forêts  (*).  » 

Je  ferai  remarquer  à  ce  sujet,  d'abord,  que  les  inondations 
de  la  Loire,  quelle  que  soit  leur  importance,  font  a  peine 
sentir  leur  influence  au  bas  du  fleuve  ;  et  ensuite,  que  si 
des  pluies  tombent  en  abondance  sur  un  petit  ilôt,  sur  un 
plateau  de  peu  d'étendue,  elles  n'ont  pas  le  temps  de  s'y 
accumuler  ;  elles  peuvent  y  former  de  larges  mares,  mais 
elles  ont  bientôt  rencontré  la  crête  d'où  elles  débordent  sur 
les  pentes,  pour  s'étendre  dans  la  plaine,  sans  avoir  assez 
de  puissance  pour  entraîner  les  arbres  dans  leur  mouve- 
ment. 

Du  récit  du  vieil  historien,  on  ne  peut  retenir  que  le  l'ait 
de  ces  tempêtes  qui  déracinent  les  forêts. 

Quant  aux  arbres  renversés ,  on  reconnaît  qu'ils  sont 
généralement  couchés  dans  une  même  direction  ('•*).  Si 
celle  situation  était  due  aux  eaux  de  la   Loire,  il   faudrait 


(')   De  ï emplacement  du  port  de  Corbilon,  par  M.  Maître,  p.  91. 

(2)  M.  Maître  le  reconnaît  aussi:  «  Tous  nos  marais,  dit-il ,  sont  remplis 
d'arbres  couchés  dans  la  même  direction  et  brisés.  »  De  l'emplacement  du 
port  de  Corbillon,  p.  03. 


204 

avouer  que  ces  eaux  auraient  été  douées  d'une  certaine  dosç 
d'intelligence  [tour  avoir  amené  les  arbres  en  ces  lieux 
pendant  et  après  la  formation  d'un  barrage  opposé  à  leur 
passage  (')  ;  pour  les  avoir  déposés  ensuite  un  à  un,  côte 
à  côte,  la  tête  tournée  du  même  côté  ;  elles  auraient  encore 
fait  plus  :  elles  auraient  planté  un  certain  nombre  de  ces 
arbres  avec  leurs  racines,  après  avoir  pris  le  soin  de  les 
briser  à  un  mètre  ou  environ  du  collet.  Si  la  situation  était 
due  à  des  pluies  torrentielles  tombées  sur  les  îlots,  ces  pluies 
auraient  montré  une  puissance  dont  personne  ne  pourrait 
justifier  les  effets  :  elles  auraient  soulevé  des  milliers  d'arbres 
brisés  par  la  tempête  ;  elles  les  auraient  fait  flotter  sur  des 
plateaux  où  elles  avaient  à  peine  le  temps  de  s'accumuler  ; 
elles  les  auraient  fait  glisser  sur  les  pentes  douces  des  îlots 
et  des  rives  ;  enfin  elles  les  auraient  promenés  sur  les  marais 
et,  a  l'exemple  des  eaux  de  la  Loire,  elles  auraient  déposé 
ces  arbres  un  à  un,  côte  à  côte,  la  tête  tournée  du  même 
côté  ;  et  encore  elles  en  auraient  planté  quelques-uns  avec 
leurs  racines,  après  avoir  eu  soin  de  les  briser  à  hauteur 
d'homme. 

Ces  systèmes  sont  sans  doute  ingénieux,  mais  ils  ne  sont 
pas  conformes  aux  actes  de  la  nature.  Les  arbres  ne  sont 
pas  descendus  des  mamelons  dans  la  plaine,  les  eaux  île  la 
Loire  ne  les  ont  pas  rangés  symétriquement  au  fond  de 
l'estuaire;  ils  sont  tombés  là  où  ils  étaient  plantés,  à  la  place 
où  nous  les  rencontrons  aujourd'hui  ;  ils  ont  été  renversés 
en  ces  lieux  mêmes,  soit  pendant  un  cataclysme  qui  eut 
pour  effet  l'affaissement  du  sol  ;   soit,  après  le  cataclysme, 

(')  Lus  arbres  n'auraient  pas  eu  le  temps  de  passer  pendant  la  formation 
du  barrage,  laquelle  dut  être  d'une  courle  durée  ;  si  la  durée  fut  longue, 
(■'est  que  l'affaissement  fui  lent  :  dans  ce  cas,  le  barrage  se  formait  à  mesure 
que  l'affaissement  s'opérait,  sans  avoir  jamais  au-dessus  de  lui  une  grande 
hauteur  d'eau. 


-205 

par  une  tempête,  lorsque  la  vie  commençai!  à  abandonner 
leurs  racines  fatiguées  par  un  trop  long  séjour  dans  l'eau  ; 
soit  encore  après  la  mort  des  racines. 

Nous  sommes  ici,  non  pas  sur  des  terrains  élevés  qui  ont 
été  inondés  par  des  eaux  douces  après  la  suppression  des 
drains  d'écoulement,  mais  bien  sur  des  terrains  plus  bas 
que  le  niveau  de  la  mer,  lesquels  n'ont  été  soumis  à  l'action 
des  eaux  douces  que  grâce  aux  alluvions  qui  les  ont 
soustraits  à  celle  des  eaux  salées. 

Parmi  les  auteurs  qui  ne  croient  pas  à  l'affaissement  du 
sol  de  cette  contrée,  l'opinion  que  voici  a  été  exprimée  au 
sujet  du  Trait  du  Groisic  et  de  la  plaine  de  Rrière. 

«  La  mer  les  a  remplis  tous  deux  à  l'origine  du  Globe 
»  et  elle  a  laissé  la  trace  de  son  passage  dans  la  Brièrc 
»  en  déposant  un  sable  blanc  très  fin  et  une  argile  blanche 
»  compacte  qui  composent  entièrement  le  sous-sol,  puis 
»  elle  s'est  retirée ,  laissant  à  découvert  une  immense 
»  dépression  de  terrains  légèrement  vallonnée,  qui  devint 
»  bientôt  l'égout  naturel  de  tous  les  coteaux  environnants 
o  sur  une  étendue  de  quatre  lieues  carrées.  Son  estuaire 
»  placé  au  sud,  d'abord  ouvert  de  Saint-Nazaire  à  Montoir, 
»  fut  fermé  peu  à  peu  par  cette  large  barrière  d'alluvions 
»  qui  forme  le  sous-sol  des  prairies  de  Méan  et  de  Trignac, 
»  et  quand  parut  la  période  quaternaire,  il  ne  lui  restait 
o  que  la  brèche  ouverte  par  l'étier  de  Méan  (•).  » 

11  est  inutile  de  faire  remarquer  qu'entre  l'origine  du 
Globe,  séparée  de  nous  par  un  nombre  inappréciable  d'an- 
nées, et  l'époque  quaternaire,  déjà  dotée  d'une  fort  belle 
antiquité  à  l'apparition  de  l'homme,  il  s'est  produit  des 
révolutions  qui  ont  bien  des  fois  bouleversé  la  terre;  et, 
pour  ne  parler  que  de  l'époque  tertiaire,  on  sait  que  notre 

(')   De  l'emplacement  dit  port  de  Corbilon,  par  M.  Maître,  p.  88. 


206 

pays,  incomplètement  émergé,  reçut  alors  des  dépôts  marins 

qui  forment  les  calcaires  grossiers  des  plaines  de  Machecoul 
et  d'Àrthon,  de  la  Brière  et  de  Gampbon,  de  Saint-Gildas  et 

de  Satire,  et  qu'ensuite  il  subit  à  plusieurs  reprises  des  sou- 
lèvements et  des  affaissements  qui  ont  modifié  sa  surface.  11 
faut  laisser  de  côté  celte  terre  que  l'homme  n'a  point  connue 
et  revenir  au  temps  où  ses  mains  travaillaient  habilement 
toutes  espèces  de  métaux  (i). 

Je  reprends  la  citation  :  après  que  la  mer  se  fût  retirée, 
après  que  l'estuaire  de  la  Brière  eût  été  fermé  du  côté  de  la 
Loire  par  un  barrage  d'alluvions,  il  se  forma  :  «  entre  les  îles 
»  d'Aisne,  de  Trignac,  de  Crossac,  de  la  Chapelle- des-Marais 
»  et  de  Saint-Lypharrî,  un  immense  réservoir  d'eau  douce 
»  stagnante ,  de  peu  de  profondeur ,  dans  laquelle  la 
»  piaule  aquatique  qu'on  nomme  la  sphaigne,  prit  naissance, 
»  se  développa,  mourut  et  reparut  tour  à  tour  pendant  des 
»  centaines  d'années,  pour  se  transformer  en  combustible 
»  ligneux,   compact  et  riche  en  calorique  (-).  » 

Oui,  le  barrage  doit   son   existence  à  des  alluvions  ;  il  a 

(4)  «  Il  a  bien  fallu  que  le  fond  du  lac  ou  de  l'estuaire  s'affais>àt 
»  lentement  d'abord,  après  la  formation  du  calcaire  grossier,  pour  permettre 
»  le  dépôt,  en  couches  assez  épaisses,  des  marnes  qui  continuent  la  série  ; 
»  et  puisque  des  végétaux  terrestres  ont  ensuite  pu  prendre  racine  dans 
»  des  vases  émergées  ou  prés  de  l'être,  il  faut  bien  admettre  un  exhausse - 
»  ment  du  fond,  exhaussement  que  Faction  geysérienne  manifestée  par  la 
»  couche  à  silex  ne  permet  pas  d'attribuer  simplement  au  comblement  par 
»  voie  de  sédimentation.  Quant  au  soulèvement  défini! il'  qui  y  donné  à  la 
i>  butte  Pancaud  (à  Cambon)  son  relief  actuel,  il  a  dû  être  assez  brusque 
»  et  s'être  effectué  alors  que  les  dépôts  précédents  étaient  déjà  consolidés.  « 
(Des  terrains  tertiaires  de  Campbon,  par  M.  Dufour,  p.   10  et  11.) 

C2)  De  l'emplacement  du  port  île  Corbilon,  par  M.  Maître,  p.  89.  Les 
prairies  de  Montoire...  sont  composées  de  sables  mêlés  de  vases  charriées 
par  la  Loire  ;  ce  sont  des  dépôts  d'alluvions.  (Des  Gaulois  Venètes  de  la 
Grande-Brièrc,  par  Pitre  de  Lisle  du  Dréneuc,  p.  S.) 


207 

empêché,  dans  une  certaine  mesure,  les  eaux  des  marées 
d'entrer  dans  le  bassin  intérieur  ;  les  eaux  douces  de  l'amont, 
s'y  sont  accumulées  et  la  tourbe  s'y  est  formée.  Cependant, 
quoiqu'on  affirme  que  ce  barrage  soit  antérieur  à  l'époque 
quaternaire,  ce  qui  nous  reporterait  bien  loin,  bien  loin  de 
l'homme,  on  admet  qu'il  a  eu  son  commencement,  qu'il 
a  été  formé  successivement  par  des  alluvions  venues  de  la 
Loire  et  déposées,  par  conséquent,  sur  un  sol  plus  bas 
que  le  niveau  des  marées  du  fleuve.  C'est  la  tout  ce  que 
je  veux  retenir,  en  ce  moment,  de  ces  deux  citations. 

Pour  nous  rendre  compte  de  la  formation  du  barrage, 
laissons  là  l'époque  tertiaire  et  ses  nombreuses  révolutions 
qui  n'ont  rien  à  voir  ici  ;  transportons-nous  par  la  pensée  à 
l'époque  inconnue  où  il  fut  formé,  mais  n'oublions  pas, 
sachant  la  nature  des  arbres  qui  sont  enfouis  là,  qu'il  s'agit 
de  notre  époque  végétale  et,  nous  rappelant  les  œuvres  de 
l'homme  enfouies  sous  la  tourbe,  qu'il  s'agit  d'une  époque 
relativement  civilisée. 

Nous  voici  au  moment  où  le  barrage  n'existe  pas  encore  ; 
les  eaux  de  la  Loire  communiquent  sans  obstacle  avec  le 
bassin  de  la  Brière  ;  la  tourbe  n'y  a  pas  fait  son  apparition, 
de  sorte  que  le  sol  du  bassin,  celui  que  recouvrent  les  allu- 
vions, est  à  deux  mètres  environ  plus  bas  que  le  sol  actuel, 
c'est-à-dire  qu'il  correspond  à  peu  près  à  la  cote  de  lm,80 
de  l'échelle  de  Saint-Nazaire;  les  marées  y  entrent  libre- 
ment, et  voici  comment  elles  doivent  s'y  comporter  (i): 

Six  jours  par  mois,  le  sol  reste  entièrement  recouvert  par 
les  eaux,  depuis  une  couche  mince  jusqu'à  près  de  5  mètres 
de  hauteur  ; 

Huit  jours  par  mois,  les  plus  basses  eaux  effleurent  le  sol 

(')  Je  prends  des  moyennes  en  me  servant  des  observations  sur  les 
hauteurs  des  marées  faites  par  le  service  des  ponts  et  chaussées. 


208 

et  se   tiennent   quelquefois    pendant   une  heure  ou  deux  a 
0m,20   au-dessous;   mais,    pendant    vingt-deux    heures  au 

moins,  elles  le  recouvrent  chaque  jour; 

Huit  jours  par  mois  encore,  elles  se  tiennent  pendant  trois 
ou  quatre  heures  par  jour  de  0m,40  à  0m,70  au-dessous,  et, 
pendant  plus  de  vingt  heures,  elles  sont  au-dessus; 

Enfui,  pendant  huit  autres  jours,  elles  sont  plus  basses  de 
lm,00  à  lm,30  que  le  sol,  à  raison  de  cinq  à  six  heures  par 
jour,  et  elles  le  recouvrent  pendant  dix-huit  heures. 

Pour  un  mois  entier,  le  sol  est  donc  recouvert  pendant 
vingt-sept  jours  et,  si  rien  n'y  retenait  les  eaux,  il  émerge- 
rait pendant  trois  jours  seulement;  mais  l'écoulement  complet 
des  eaux  ne  pouvant  s'opérer  en  quelques  heures  d'un  vaste- 
terrain  plat  et  spongieux,  on  peut  affirmer  avec  assurance 
que  le  sol  serait  toujours  inondé. 

Telle  aurait  été  la  situation  de  la  plaine  avant  la  formation 
du  barrage. 

Eh  bien,  comment  ces  chênes,  ces  châtaigniers,  ces 
ormeaux,  ces  sapins,  ont-ils  pu  naître  ?  Comment  ont-ils  pu 
grandir,  se  développer,  sur  un  sol  que  l'eau  n'abandonne 
pas  pendant  vingt-sept  jours  de  chaque  mois,  qu'elle  n'aban- 
donne môme  jamais  et  qu'elle  recouvre  souvent  de  quatre 
mètres  de  hauteur?  Gomment  ont-ils  vécu  ayant  leurs  racines 
constamment  au-dessous  du  niveau  de  l'eau?  Quelle  Corel  peut 
se  former  et  prospérer  dans  ces  conditions  (')? 

Mais,  dans  ces  conditions,  les  arbres  n'auraient  pas  pu 
naître.  Seraient-ils  nés  après  la  formation  du  barrage?  Non, 
car  ils  auraient  poussé  ou  dans  un  lac,  ou  dans  la  tourbe, 

(')  «  Ces  amas  d'arbres,  dit  Demlan,  aujourd'hui  cachas  au  fond  des 
»  tourbières  et  donnant  l'idée  d'anciennes  forêts  renversées  sur  place, 
»  entraînent  nécessairement  l'existence  d'un  terrain  primitivement  à  sec 
»  qui,  plus  tard,  a  du  s'enfoncer  pour  recevoir  et  conserver  les  eaux.  >i 
{Géologie,  p.  93.) 


209 

ou  dans  le  marécage.  D'ailleurs  ils  sont  sous  les  alluvions 
(i);  ils  existaient  donc  avant  les  alluvions. 

Quant  à  la  tourbe,  à  qui  des  eaux  calmes  et  peu  profondes 
sont  nécessaires,  l'agitation  des  flots,  la  hauteur  des  marées 
et  la  nature  de  l'eau  ne  pouvant  lui  convenir,  elle  n'a  pu 
naître  sur  le  sol  affaissé  qu'après  la  formation  du  barrage 
qui  est  venu  lui  servir  d'abri. 

Dans  l'impossibilité  où  étaient  les  arbres  de  naître,  de 
vivre  sous  l'eau,  ils  ont  donc  poussé  sur  un  sol  plus  élevé 
que  le  niveau  de  la  mer  ;  mais  nous  les  rencontrons  aujour- 
d'hui sur  un  sol  plus  bas  que  ce  niveau:  il  s'est  donc  opéré 
un  changement  dans  la  nature  des  choses. 

Pour  nous  rendre  compte  de  ce  changement,  revenons  au 
moment  où  le  barrage  n'est  pas  encore  commencé,  où  les 
eaux  de  la  Loire  communiquent  sans  obstacle  avec  le  bassin 
de  la  Brière.  Les  marées  vont-elles  attendre  un  an,  vont- 
elles  attendre  un  mois,  un  jour,  pour  commencer  à  déposer 
leur  limon  sur  le  sol  qu'elles  envahissent?  Non.  Peut-on 
concevoir  qu'elles  aient  recouvert  pendant  des  siècles,  pen- 
dant des  années,  même  pendant  des  mois,  cet  immense 
estuaire  sans  y  déposer  d'argile?  Non:  elles  ont  déposé 
l'argile  à  leur  premier  passage.  Et  la  veille  de  cette  première 
marée  que  faisaient-elles?  Elles  n'arrivaient  pas  à  la  hauteur 
de  la  plaine.  Un  jour  donc  les  marées  n'atteignaient  pas  la 
plaine,  et  le  lendemain  elles  la  recouvraient  en  entier.  Dira- 
t-on  que  c'est  la  mer  qui  a  gagné  la  plaine?  Mais  nous 
savons  ce  qu'il  faut  entendre  de  ces  sortes  d'images.  L'affais- 
sement du  terrain  peut  seul  rendre  compte  de  ce  change- 
ment. Il  s'est  donc  produit  en  ce  moment  un  de  ces  mouve- 


(')  D'après  M.  Kerviler,  les  arbres  auraient  pousse  après  la  tourbe  : 
«  ....  La  grande  forêt,  dit-il,  qui  avait  réussi  à  croître  sur  la  tourbe  de 
»  la  Grande-Brière.  »  {Notice  sur  le  port  de  Saint-Nazaire,  p.  6.) 

14 


210 

mcnts  du  sol  qui  sont  une  exception  de  nos  jours,  mais  qui 
n'ont  rien  encore  d'extraordinaire  :  la  plaine  a  subi  un  tasse- 
ment géologique  et  les  arbres  qui,  la  veille,  étaient  au-dessus 
des  eaux,  ont  été  envahis  par  les  eaux. 

Après  cet  affaissement,  qui  fut  le  dernier,  les  marées  sont 
venues  chaque  jour,  deux  fois  par  un  peu  plus  de  vingt- 
quatre  heures  (<),  recouvrir  les  terrains  de  la  Brière.  Les 
eaux  des  marées  étaient,  comme  aujourd'hui,  avec  autant 
d'abondance  qu'aujourd'hui,  chargées  d'argile,  de  sable,  de 
débris  végétaux;  et  dans  le  ralentissement  de  leur  vitesse, 
surtout  dans  le  moment  de  repos  qui  précède  et  suit  la  pleine 
mer,  elles  laissaient  tomber  une  partie  de  leurs  matières 
solides  sur  le  sol  submergé  :  le  sable,  plus  lourd,  se  déposait 
le  premier,  l'argile  ensuite  et,  en  dernier  lieu,  se  déposaient 
les  débris  plus  légers. 

Pour  apprécier  ces  dépôts,  je  ne  me  servirai  pas  du  chro- 
nomètre préhistorique  qui  me  parait  avoir  de  grands  défauts, 
car  son  auteur  admet  que  les  marées  déposent  peu  ou  point 
de  sable  du  printemps  à  l'automne,  peu  ou  point  d'argile  de 
l'automne  au  printemps  et  qu'il  leur  faut  une  année  entière 
pour  former  un  dépôt  de  trois  a  quatre  millimètres  (-).  Je 
m'en  rapporterai  tout  simplement  aux  causes  actuelles,  à  ce 
qui  se  passe  tous  les  jours  sous  nos  yeux. 

Or,  certaines  iles  de  la  Basse-Loire  ont  été  formées  avec 
une  rapidité  surprenante:  au  sein  des  roseaux  qu'on  plante 

(')  24  h.  48  m.  en  moyenne  par  deux  marées. 

(2)  D'après  M.  Kerviler  (L'Age  de  Bronze,  p.  30),  le  sable  se  serait 
déposé  pendant  l'hiver,  l'argile  pendant  l'été  j  les  débris  végétaux  seraient 
tombés  à  l'automne  ;  de  sorte  que  les  marées  n'auraient  point  déposé  de 
sable  pendant  G  à  8  mois  de  l'année,  point  d'argile  également  pendant  G  à 
8  mois,  point  de  débris  végétaux  pendant  plus  de  8  mois.  En  réalité,  les 
marées  déposent  du  sable  et  de  l'argile  tous  les  jours  et  pendant  les  12  mois 
de  l'année.  Le  dépôt  d'une  marée  a  été  pris   pour  celui  d'une  année. 


211 

à  l'aval  de  ces  îles  ou  sur  leurs  flancs,  on  peut  remarquer  la 
formation  de  dépôts  de  trois  centimètres  dans  une  marée. 

Entre  le  Pellerin  et  Couëron,  depuis  la  construction,  en 
1861,  de  la  digue  du  nord,  barrage  artificiel  longeant  le 
fleuve,  des  alluvions  se  sont  élevées  à  l'abri  de  la  digue  de 
manière  a  rendre  sensible  à  la  vue,  après  quelques  marées, 
la  surélévation  du  colmatage.  Là  où  la  sonc\e  trouvait,  la 
veille  de  l'endiguement,  des  hauteurs  d'eau  de  lm,50  à  5m,00 
au  moment  des  marées  moyennes,  le  lit  du  fleuve  a  fait  place 
à  un  terrain  fertile  :  entre  le  Paradis  et  l'île  Thérèse,  la 
partie  endiguée  en  1861  était  déjà  livrée  comme  prairie  vers 
1865. 

Si  nous  visitons  le  littoral,  nous  ne  serons  pas  moins 
étonnés  de  rencontrer  ces  immenses  alluvions  qui  se  sont 
formées  de  nos  jours  au  fond  de  la  baie  de  Bourgneuf  et 
qui,  en  peu  de  temps,  ont  agrandi  et  transformé  cette 
contrée. 

Quant  à  la  plaine  de  la  Brière,  elle  n'était  pas  dans  une 
situation  moins  favorable  pour  recevoir  les  alluvions  de  la 
Loire.  Comment  donc  justifier  l'application  du  chronomètre 
préhistorique  d'après  lequel  la  surélévation  causée  par  les 
alluvions  n'atteindrait  que  trois  ou  quatre  millimètres  par  an? 

Nous  voilà  donc  en  présence  de  la  plaine  affaissée  de 
Montoir  et  placée  à  trois  ou  quatre  mètres  en  contrebas  du 
niveau  des  marées:  celles-ci  peuvent  s'y  répandre  sans 
obstacle;  les  matières  qu'elles  tiennent  en  suspension  com- 
mencent à  se  déposer  sur  le  sol  affaissé  de  la  même  manière 
que  sur  nos  îles  en  formation  et  avec  non  moins  de  rapidité. 

Pour  un  même  lieu,  le  volume  d'argile  contenue  dans 
l'eau  est  en  raison  de  la  hauteur  de  l'eau  :  une  marée  qui 
s'élève  de  deux  mètres  sur  un  terrain,  y  dépose  presque 
deux  fois  plus  d'argile  que  lorsqu'elle  le  recouvre  d'un  mètre 


212 

seulement,  de  sorte  que  l'épaisseur  de  chaque  dépôt  allait  en 
diminuant  à  mesure  que  le  barrage  s'élevait,  jusqu'à  se 
réduire  a  fort  peu  de  chose  dans  les  derniers  moments. 

D'un  autre  côté,  le  fleuve  bordant  l'estuaire  dans  une 
étendue  de  trois  kilomètres,  et  l'estuaire  n'ayant  qu'une 
faible  ouverture  à  la  Guesne  pour  le  passage  du  flot  vers 
l'amont,  le  flot  ne  pouvait  être  animé  sur  le  sol  affaissé  de 
la  même  vitesse  qu'au  sein  du  fleuve:  les  eaux  devaient  donc 
laisser  tomber  rapidement  les  matières  qu'elles  tenaient  en 
suspension.  Au  bout  de  peu  de  jours,  surtout  pendant 
l'hiver,  à  mesure  qu'elles  avançaient,  elles  se  heurtaient  aux 
eaux  du  Brivet  qui  s'accumulaient  dans  leur  lit,  et  lorsqu'elles 
arrivaient  au  fond  de  l'estuaire,  elles  contenaient  beaucoup 
moins  de  matière,  de  sorte  que  le  côté  vers  la  Loire  s'éle- 
vait plus  rapidement  que  le  fond  delà  Brière.  Peut-être  aussi 
que  la  vallée  du  Brivet  était,  avant  l'affaissement,  plus  élevée 
du  côté  de  la  Loire  qu'entre  Crossac,  Saint-Joachim  et 
Saint-Lyphard. 

Enfui  au  bout  de  peu  de  temps  —  temps  dont  la  durée 
dépendit  d'ailleurs  de  la  vitesse,  de  la  durée  de  l'affaissement 
—  les  alluvions  avaient  atteint  une  certaine  hauteur  du  côté 
du  fleuve,  dans  une  large  zone;  les  eaux  des  marées  qui 
dépassaient  cette  zone  ou  ce  barrage,  restaient  en  partie  au 
delà;  elles  s'y  mêlaient  aux  eaux  du  Brivet  qui  sont  très 
abondantes  dans  la  saison  des  pluies,  et  celles-ci,  étant 
arrêtées  dans  leur  écoulement,  s'élevaient  de  plus  en  plus.  La 
proportion  des  eaux  douces  allait  donc  en  augmentant  au 
fond  de  l'estuaire. 

On  peut  juger,  par  des  faits  nombreux,  de  la  rapidité  avec 
laquelle  elles  s'y  sont  accumulées,  .le  citerai  celui-ci. 

La  levée  de  la  Divate  protège  des  inondations  de  la  Loire 
une  vallée  de  18  kilomètres  de  longueur,  entre  Bassc-Goulaine 
et  la  Boire  d'Anjou.  Les  eaux  du  bassin  de  Goulaine  s'écou- 


$18 

lent  dans  la  Loire  par  l'écluse  de  la  Rivière  établie  à  travers 
la  levée.  Mais  l'écluse  étant  fermée  lorsqu'il  y  a  des  crues  en 
Loire,  les  eaux  des  ruisseaux  se  réunissent  et  s'élèvent  dans 
le  bassin  intérieur,  derrière  la  levée;  et  si  l'inondation  se 
prolonge,  sans  laisser  la  possibilité  d'ouvrir  l'écluse,  elles  s'y 
accumulent  et  elles  y  ont  bientôt  atteint  un  mètre  de  hauteur 
auprès  de  Basse-Goulaine. 

Les  eaux  du  Brivet  n'auraient  pas  une  action  moins 
prompte.  Si  je  considère  ce  ruisseau  par  la  plus  longue  de 
ses  branches,  il  a  sa  source  à  Bouvron  (<),  et  il  reçoit  les 
cours  d'eau  de  Grâce,  de  Campbon,  de  Saint-Gildas,  de 
Missillac  et  de  la  Chapclle-des-Marais;  son  bassin  s'étend 
près  de  Savenay,  de  Guenrouet  et  de  La  Roche-Bernard.  Il 
eût  suffi  de  moins  d'un  hiver,  après  la  demi-formation  du 
barrage  du  côté  de  la  Loire,  pour  permettre  aux  eaux  du 
Brivet  de  remplir  toute  la  plaine  de  la  Brière  et  des  marais. 

Il  vint  cependant  un  moment  où  les  petites  marées  ne 
passèrent  plus  sur  le  dépôt;  où  celui-ci  ne  put  s'élever, 
d'une  façon  peu  sensible,  qu'aux  époques'  des  marées 
moyennes  et  des  grandes  marées;  puis  il  arriva  que  les 
marées  moyennes  mêmes  ne  purent  l'atteindre.  Mais  déjà 
les  eaux  douces  accumulées  dans  la  vallée  laissaient  leur 
trop  plein  déborder  par  dessus  le  barrage.  Ce  fut  évidem- 
ment dans  ce  temps-là  que  fut  comblé  l'ancien  lit  du  Brivet 
vers  son  embouchure  à  Saint-Nazaire,  et  que  les  eaux  se 
frayèrent  un  nouveau  canal  vers  la  Loire,  par  Méan  ('2).  Ce 
canal  fut  lui-même  souvent  obstrué  par  les  alluvions,  pendant 
les  siècles  qui  suivirent,  jusqu'à  l'établissement  des  écluses, 

(')   M.  Maître  le  fait  naître  ;t  Drcfféac, 

(2)  M.  Kerviler  a  réellement  découvert  l'ancienne  embouchure  du  Brivet. 
Avant  l'affaissement  du  sol,  l'écoulement  des  eaux  était  impossible  par  Méan 
«  où  le  Brivet  actuel  coule  sur  un  lit  rocheux  dont  le  niveau  est  à  peu  près 
■'  celui  des  basses-mers.  »  (L'âge  du  Bronze,  par  M.  Kerviler,  p.  0.) 


214 

jusqu'à  l'entretien  méthodique  de  son  plafond  et  de  ses 
berges. 

J'estime  que  la  chute  des  arbres  s'est  produite  pendant  le 
cataclysme  qui  a  entraîné  l'effondrement  du  sol.  Si  elle  a  eu 
lieu  après,  voici  l'explication  que  je  crois  pouvoir  en  donner  : 
les  arbres  envahis  par  l'inondation,  ayant  leurs  racines 
noyées,  sans  vie,  sous  les  eaux  accumulées,  finirent  par  se 
briser  en  grand  nombre  sous  l'action  d'une  tempête,  et  se 
couchèrent  clans  la  direction  du  vent,  qui  devait  alors 
souffler  du  nord-ouest. 

Si  ce  n'est  pas  le  cataclysme  qui  est  la  cause  de  leur  chute, 
la  première  tempête  ne  les  a  pas  brisés  tous  à  la  fois;  elle 
a  brisé  ceux  qui,  par  leurs  branches,  et  peut-être  aussi  par 
leur  feuillage  desséché,  présentaient  le  plus  de  prise  au  vent. 
Lorsque  le  bois  est  exposé  tour  à  tour  à  l'action  de  l'air  et  a 
celle  de  l'eau,  la  partie  qui  est  tour  a  tour  émergée  et  sub- 
mergée se  décompose  très  vite;  un  arbre  mort  placé  dans 
ces  conditions  peut  être  renversé  sans  trop  d'efforts. 

Pour  cette  raison,  ceux  qui  avaient  résisté  à  la  tempête 
ont  été  entraînés  à  leur  tour  par  une  tempête  nouvelle,  et  ils 
ont  pu  se  coucher  dans  une  autre  direction  ('). 

Si  l'affaissement  ne  s'était  pas  produit,  c'est-a-dire  si  le 
niveau  de  la  plaine  avait  été  ce  qu'il  est  aujourd'hui  sous  la 
tourbe,  sous  les  alluvions,  la  plaine  de  Montoir  aurait  toujours 
été  inondée  :  avant  la  formation  du  barrage,  inondée  par  les 
eaux  de  la  Loire;  [tendant  la  formation,  inondée  par  les  eaux 
du  fleuve  mêlées  à  celles  du  BriVet ;  enfin,  après  la  formation, 
inondée  par  les  eaux  pluviales  du  bassin  tout  entier.  A  aucun 


(')  Au  moment  de  la  chute  des  arbres  causée  par  une  tempête,  les  marées 
de  la  Loire  avaient  eu  le  temps  de  déposer  une  couche  d'allusion  à  leurs 
pieds;  de  sorte  qu'entre  l'humus  produit  par  les  feuilles  et  le  dessous  de  la 
tourbe,  il  pourrait  bien  exister  une  couche  d'argile. 


215 

moment,  les  arbres  n'auraient  pu  y  naître.  L'affaissement  du 
terrain  donne  seule  l'explication  de  leur  existence. 

Je  crois  que  l'affaissement  s'est  effectué  lentement  :  la 
dépression  de  l'estuaire  est  très  grande  dans  la  Brière,  sous 
les  alluvions  ou  sous  la  tourbe  :  si  l'affaissement  avait  été 
subit,  les  eaux  de  la  Loire  y  auraient  porté  plus  tôt  leur 
limon  et  avec  plus  d'abondance. 

Ainsi,  la  formation  de  la  tourbe  résulte  d'actes  successifs 
de  la  nature.  Si  le  barrage  d'argile  avait  été  formé  avant 
l'apparition  de  l'homme,  on  ne  trouverait  pas  sous  la  tourbe 
les  œuvres  de  ses  mains;  on  ne  trouverait  pas  en  pleine 
Brière  ce  témoin  irrécusable  de  l'affaissement,  le  menhir  de 
Bréca,  que  les  eaux  du  bassin  recouvrent  tout  entier,  ni 
des  monuments  celtiques  importants  baignés  par  les  eaux 
d'hiver  (i)  :  les  arbres,  les  monnaies,  les  ustensiles  de  ménage 
étaient  là  sur  le  sol  avant  la  formation  de  la  tourbe,  avant 
la  formation  du  barrage;  ils  ont  été  témoins  de  l'affaissement 
du  sol;  ils  ont  vu  les  alluvions  les  entourer;  ils  ont  vu  la 
tourbe  se  refermer  sur  eux. 

De  sorte  que  si  nous  connaissions  l'époque  à  laquelle  on 
se  servait  de  ces  objets,  nous  saurions  qu'en  ce  temps-là 
l'affaissement  n'avait  pas  encore  eu  lieu.  Si  l'on  était  en 
présence  d'objets  romains,  on  ne  pourrait  pas  dire  que  les 
alluvions  ont  été  formées  avant  la  conquête  romaine.  Pour 
arriver  à  connaître  la  date  approximative  de  cet  événement, 
il  faudrait  donc  pouvoir  déterminer  l'âge  des  objets  enfouis 
sous  la  tourbe  ou  sous  les  alluvions. 

Je  vais  chercher  parmi  le   peu  que  je  sais  ;  mais  c'est  le 

(,')  Ce  menhir  a  3  mètres  de  hauteur  au-dessus  du  sol  argileux  de  la 
Brière,  et  les  hautes  marées  pourraient  encore  le  recouvrir  de  plus  d'un 
mètre.  M.  Maitre  prétend  que  sa  présence,  que  sa  situation  en  ces  lieux,  ne 
prouvent  rien  en  faveur  de  l'affaissement  du  sol  ;  c'est  comme  si  l'on  déclarait 
que  nos  ancêtres  plaçaient  leurs  menhirs  au  sein  des  eaux. 


C21G 

cas  de  regretter  ces  richesses  perdues,  dispersées  par  l'igno- 
rance, depuis  des  siècles  qu'on  extrait  de  la  tourbe  dans 
celte  contrée,  depuis  qu'on  y  creuse  des  fossés  et  des  canaux  : 
car  ce  n'est  guère  que  de  nos  jours  qu'on  s'occupe  de 
recueillir  les  objets  amassés  par  les  travailleurs. 

On  invoque  quelquefois  Polybe  pour  affirmer  que  les 
Gaulois  de  son  temps  se  servaient  d'épées  en  fer,  et  pour 
conclure  que  l'usage  des  épées  en  bronze  était  antérieur. 
Polybe  raconte,  en  effet,  que  dans  la  bataille  qui  se  livra  en 
Italie  entre  les  Romains  et  les  Gaulois,  l'an  532  de  Rome 
(2'21  av.  J.-C),  ces  derniers  furent  vaincus  surtout  à  cause 
de  l'infériorité  de  leurs  épées  :  celles-ci  n'avaient  pas  de 
pointe,  elles  frappaient  de  taille  et  pliaient,  à  chaque  coup; 
de  sorte  que,  si  le  soldat  n'avait  pus  le  temps  de  redresser 
son  épée  après  le  premier  coup,  le  second  n'était  plus  d'aucun 
effet  (i). 

Mais  il  s'agit  ici  des  Gaulois  de  la  Haute-Italie,  dont  les 
intérêts  n'avaient  rien  de  commun  avec  ceux  de  la  Gaule, 
et  surtout  avec  les  Celles  du  nord-ouest  ;  quant  à  leur  espère 
de  sabres  longs,  sans  pointe,  ils  furent  remplacés  par  dis 
épées  eu  bronze  et  en  fer.  On  ne  garde  .pas  une  arme  qu'on 
sait  inférieure  à  celle  de  l'ennemi,  lorsqu'on  peut  s'en  pro- 
curer une  meilleure. 

Au  temps  de  la  conquête,  les  Gaulois  se  servaient  d'armes 
en  fer  aussi  bien  (pie  d'armes  en  bronze;  et,  selon  Diodore 
de  Sicile,  ils  travaillaient  habilement  l'or,  le  fer,  le  cuivre  et 
l'étain;  sur  leurs  boucliers,  ils  faisaient  graver  eu  bosse  des 
figures  île  bronze  travaillées  avec  beaucoup  d'art;  leurs 
casques  étaient  d'airain  (2). 

(')  Polybe,  liv.  Il,  th.  VI,  |>.  tiu. 

(a)   Diodore  de  Sicile,  liv.  Y,  ch.  XXX. 


217 

Nous  sommes  revenus  de  celte  qualification  absolue  :  l'âge 
du  fer  succédant  à  l'âge  du  bronze  (').  Aucun  de  nous 
n'ignore  que  le  fer,  le  cuivre  et  rétain  sont  des  corps  simples 
qui  sont  facilement  attaqués  par  l'oxygène  ;  que  le  bronze, 
appelé  airain  parles  anciens,  est  un  alliage  composé  de  cuivre 
et  d'étain  qui  peut  passer  sans  se  corrompre  à  travers  les 
âges  :  de  sorte  que  le  bronze  peut  survivre  là  où  le  fer  est 
rongé  par  le  temps. 

L'Orient,  d'où  nous  viennent  toutes  nos  connaissances  sur 
le  travail  et  l'emploi  des  métaux,  a  connu  le  fer  et  le  bronze 
dès  la  plus  haute  antiquité  :  «  Tubalcaïn,  dit  la  Genèse,  fut 
»  habile  en  toutes  sortes  d'ouvrages  d'airain  et  de  fer  (-)  -,  » 
et  nous  n'avons  pas  oublié  que  ce  Tubalcaïn  vivait  environ 
3000  ans  avant  Jésus-Christ,  dans  le  temps  où  la  Chine 
fabriquait  des  poteries  admirables  à  pâte  dure  et  lustrée  que 
le  fer  ne  pouvait  rayer  (3). 

L'usage  du  bronze  en  Gaule  est  bien  loin  d'avoir  une  telle 
antiquité  ;  il  a  bien  pu  nous  être  transmis  de  l'Asie  avant 
celui  du  fer  ;  mais  cet  usage  n'a  point  cessé  :  les  deux 
métaux  ont  été  employés  simultanément,  côte  a  côte,  jusqu'à 
nos  jours  ;  et  on  les  trouve  fort  bien  mariés  dans  les  armes 
dont  se  servaient  les  Gaulois  au  commencement  de  l'ère 
chrétienne.  En  fouillant  des'sépultures  gauloises  et  romaines, 


(')  «  M.  Bertrand  affirme  qu'il  n'y  a  pas  eu  en  Gaule  d'âge  du  bronze, 
"  et  il  adjure  les  savants  d'abandonner  définitivement  cette  malheureuse 
»  expression  d'âge,  qui  dépasse  presque  toujours,  par  les  idées  accessoires 
»  qu'elle  entraîne  avec  elle,  la  portée  des  laits.  •>  (Les  Splendeurs  de  la  Foi, 
par  l'abbé  Moigno  —  Appendice  H,  p.  84,   tome  II.) 

('-)  Genèse,  ch.  IV,  v.  22.  ==  «  Thobcl  trouva  l'art  de  forger,  »  dit  l'his- 
torien Josephe,  liv.  1er,  cb.  11.  =  Je  pense  volontiers,  comme  l'auteur  du 
/' réliminaire  apologétique,  que  «  la  l'orge  a  précédé  toutes  les  sciences  pour 
»  les  créer.  »  (L'Exposition  de  Paris,  p.  262.) 

(3)   L'Exposition  dt  Paris,  p.  282. 


-218 

l'abbé  Cochet  a  rencontré  des  épées  en  fer  avec  des  garni- 
tures en  bronze  ;  et  pendant  qu'il  découvrait  en  Normandie 
des  pointes  de  lances  en  fer,  il  signalait  des  découvertes  de 
lances  en  bronze,  d'un  modèle  semblable,  dans  l'Allier,  a 
Vire,  à  Compiègue.  En  parlant  d'une  des  épées  qu'il  venait 
de  recueillir,  il  dit  :  «  Elle  tranchait  des  deux  cotés  comme 
»  les  épées  franques,  comme  les  épées  romaines,  comme  les 
»  épées  gauloises  en  bronze,  ou  au  moins  qu'on  appelle  de 
»  ce  nom  (i).  »  Le  savant  abbé,  enfin,  a  trouvé  l'emploi  du 
bronze  jusque  dans  les  épées  à  deux  tranchants  de  l'époque 
mérovingienne  (2). 

En  ce  qui  concerne  notre  Armorique,  les  découvertes 
d'épées  en  fer  sont  très  rares.  J'ai  signalé  plus  haut  les  deux 
épées  de  ce  genre  qui  ont  été  recueillies  à  la  Guesne. 

Les  monnaies  d'or,  les  objets  en  fer,  en  cuivre,  en  bronze, 
rencontrés  sous  les  alluvions,  peuvent  donc  avoir  été  en 
usage  au  temps  de  la  conquête,  et  dans  ce  cas-là,  l'affaisse- 
ment ne  l'aurait  pas  précédée.  Mais  la  preuve  en  est  difficile 
à  faire,  puisqu'on  employait  ces  métaux  avant  et  après  César. 
Nous  n'avons  la  que  des  présomptions  et  non  des  preuves.  Il 
faut  donc  chercher  d'un  autre  côté. 

M.  Maître  signale  la  présence,  en  ce  pays,  d'un  assez  grand 
nombre  de  ruines  gallo-romaines  ;  malheureusement  les 
indications  ne  sont  pas  toujours  assez  précises  pour  servir 
en  notre  sujet  (3). 

On  voit  bien  que  les  habitants  de  l'île  des  Eaux,  en  creu- 
sant des  fusses  pour  enclore  leurs  prés,  ont  découvert  des 
débris  de  murs  en  briques  ;  que  l'enclos  du  prieuré  d'Er  a 
fourni  tant  de  monnaies  romaines,  qu'il  pourrait  bien  passer 


(')  Des  sépultures,  p.  17. 

(a)  Des  sépultures,  p.  171. 

(3)   De  remplacement  du  port  de  Corbilon,  p.  101   à  104. 


219 

pour  le  siège  d'une  riche  villa  ;  qu'un  propriétaire  transfor- 
mant en  prairie  un  petit  marécage,  découvrit  un  atelier  de 
fondeur  ;  et  que  tous  les  dépôts  signalés  sont  voisins  d'amas 
de  tuiles  à  rebords.  Mais  on  ne  voit  pas  avec  assez  de  pré- 
cision la  situation  de  ces  monnaies,  de  ces  murs  en  briques, 
de  ces  amas  de  tuiles  à  rebords,  par  rapport  a  la  hauteur 
des  marées  du  fleuve.  Il  est  évident  que  s'ils  sont  dans  la 
zone  des  alluvions,  plus  bas  que  la  face  du  colmatage,  c'est 
que  les  apports  d'argile  se  sont  fermés  sur  eux  et  que  l'affais- 
sement leur  est  postérieur.  Il  s'agit  de  savoir  s'ils  sont  plus 
bas  que  le  plan  supérieur  du  colmatage. 

Je  ne  connais  guère  en  ce  moment  que  deux  ou  trois  faits 
qui  permettent  de  tirer  une  conclusion  dans  le  sens  de  la 
date  de  l'affaissement  ;  savoir  : 

De  M.  Maître  qui  signale  :  au  Rio-dcs-Mortiers,  en  Saint- 
Gildas,  les  fondations  d'un  four  trouvées  sous  une  couche 
d'alluvions  de  0"\30  d'épaisseur  et  entourées  d'une  immense 
quantité  de  briques  à  rebords  (*)  ;  en  Crossac,  les  fondations 
d'un  four  de  l'époque  gauloise,  rétabli  par  les  Romains  et 
autour  desquelles  les  alluvions  avaient  monté  de  deux  pieds  ; 
un  chêne  avait  poussé  au-dessus  (2). 

De  M.  Kerviler  qui  a  découvert  dans  les  terrains  de  Pen- 
houét,  ii  lm,50  au-dessous  des  basses  mers,  un  certain 
nombre  de  débris  gallo-romains  :  de  la  poterie  rouge,  de  la 
poterie  brune  et  des  anses  d'amphore,  puis  parmi  ces  débris, 
un  bronze  de  l'empereur  Tetricus  (3). 

La  régularité  des  couches  d'alluvions  observées  par 
M.  Kerviler  nous  prouve  que,  pendant  leur  formation,  il  n'y 


(*)  De  L'emplacement  du  port  de  Corbilon,  p.  95. 

(a)   De  iemplucemcul  du  port  de  Corbilon,  p.  89,  90  et  103  et  note  de   la 
page  90. 

(3)  L'Age  du  Bronze,  et  les  Gallo-Romains,  p.  '21. 


a  point  eu  de  ces  bouleversements  qui  font  quelquefois  tics- 
cendre  dans  la  partie  inférieure  des  dépôts  appartenant  à  la 
couche  supérieure  -,  là,  il  n'y  a  rien  qui  indique  des  déplace- 
ments,, des  entraînements,  des  retours  d'alluvions. 

D'après  la  planche  V  qui  accompagne  Y  Age  de  Bronze, 
de  M.  Kerviler,  nous  voyons  que  ces  objets  ont  été  recueillis, 
les  uns,  au  bas  du  dolmen  de  Saint-Nazaire,  sur  la  rive 
droite  du  vieux  Brivet,  les  autres,  dans  une  anse  en  forme 
de  cirque,  au  fond  de  la  baie  de  Pcnhouët,  sur  la  rive  gauche 
et  hors  du  cours  de  ce  ruisseau.  Ils  étaient  dans  une  couche 
sableuse  recouverte  d'une  couche  de  vase  de  6  mètres 
d'épaisseur  (i). 

La  couche  de  sable  dut  être  apportée  la  par  le  vent,  lors- 
que le  sol  était  hors  des  eaux,  et  elle  devait  représenter  la 
surface  du  terrain  au  IIIe  siècle,  puisque  l'usurpateur  Tetricus 
a  régné  de  268  à  274.  Les  alluvions,  suite  de  l'affaissement 
du  sol,  se  sont  évidemment  formées  en  ces  lieux  après  la 
perte  des  poteries  antiques  et  du  bronze  romain  :  l'affaisse- 
ment est  donc  postérieur  à  l'an  267. 

On  invoque  cependant  la  voie  dite  romaine  conduisant  de 
la  Mossardière  a  Méan,  pour  affirmer  que  le  terrain  n'a  pas 
changé  depuis  dix-huit  siècles,  et  que  la  barre  des  alluvions 
qui  ferme,  au  sud,  le  golfe  de  la  Grandc-Brière,  est  anté- 
rieure a  l'ère  chrétienne  (-). 

Je  crois  qu'on  a  plus  d'une  fois  abusé  des  voies  romaines, 
comme  on  l'a  fait  de  la  brique  romaine  :  on  en  trouve  de 
tous  les  côtés  et  on  leur  donne  toujours  dix-huit  siècles  d'exis- 
tence.  Cependant,    de   même  que   les  routes  françaises,  les 


(')  M.  Kerviler  croit  que  cette  couche  de  6  mètres  a  mis  IliOO  ans  ii  se 
former  ;  je  pense  qu'elle  a  mis  moins  de  '6  ans,  sauf  la  face  supérieure  qu 
s'est  colmatée  lentement. 

(2)  !><■  l'emplacement  <lu  port  de  Corbilon,,  p.  lis. 


221 

voies  romaines  iront  pas  été  établies  en  un  jour  :  on  ne 
construisit,  en  France,  que  des  routes  de  premier  ordre  au 
XVII"  et  au  XVIIIe  siècle  ;  en  1811,  on  commença  la  cons- 
truction d'un  réseau  moins  important,  qui  fut  celui  des 
routes  départementales;  et  de  nos  jours,  en  183H,  furent 
créées  les  voies  vicinales  qui,  depuis  vingt  ans  surtout,  ont 
pris  un  si  grand  développement  dans  la  France  entière  (<)• 

C'est  ainsi  que  furent  établies  les  voies  romaines  :  il  n'a 
pas  été  employé  moins  de  quatre  siècles  et  demi  pour  les 
exécuter  dans  la  Gaule  ;  et  une  petite  partie  seulement  remonte 
au  temps  d'Auguste  (2). 

On  commença  évidemment  par  les  plus  importantes  ;  on 
établit  ensuite  des  voies  secondaires,  puis  on  finit  par  les 
voies  que  l'appellerai  vicinales. 

Or,  la  voie  de  la  Mossardière,  qu'on  invoque  en  ce  sujet, 
n'a  même  pas  l'importance  d'une  voie  vicinale  :  elle  a  son 
origine  au  pied  du  village  de  ce  nom,  au  bord  même  des 
marais  ;  elle  se  dirige  vers  le  levant,  sur  l'îlot  le  plus  voisin, 
la  Ravine,  pour  suivre  ensuite  un  petit  plateau  jusqu'à  Méan, 
où  elle  dut  s'embrancher  dans  une  voie  plus  grande  condui- 
sant de  Sainl-Nazairc  à  Montoir.  Elle  est  sans  prolongement 
vers  le  couchant  sur  les  terres  labourables  de  Saint-Nazaire  ; 


(')  Les  voies  romaines  ont  dû  s'arrêter  aux  temps  mérovingiens,  a  qui 
elles  ont  suffi.  Charlemagne  a  fait  exécuter  des  voies  militaires  ;  Philippe- 
Auguste  a  fait  faire  des  routes  nouvelles  ;  et  sous  la  Féodalité,  au  Moyen-Age, 
les  seigneurs  que  cela  intéressait,  se  sont  servi  de  la  Corvée  dans  l'intérêt 
de  la  viabilité  de  leurs  chemins.  C'est  sous  Henri  IV  que  l'Etat  s'occupa 
sérieusement  de  l'entretien  des  voies  de  communication;  et  on  peut  dire  que 
nos  grandes  routes,  les  routes  royales,  ne  furent  exécutées  d'une  façon 
régulière  qu'à  partir  de  la  création  du  corps  des  ponts  et  chaussées,  en 
1720. 

(2)  Géographie  de  la  Gaule,  par  Desjardins  :  Introduction  à  la  Table  de 
Peutinger,  p.  lxxxix. 


2&2 

et  il  me  parait  évident  que  l'auteur  de  la  voie  n'a  pas  eu  la 
pensée  de  la  prolonger  en  ligne  droite,  dans  cette  direction, 
en  dehors  des  marais  :  car  son  origine ,  à  la  Mossardière , 
est  au  bas  d'une  butte  qu'il  eût  fallu  déblayer  pour  aller  au 
delà  ;  un  ingénieur  qui  aurait  eu  en  vue  ce  prolongement , 
aurait  choisi  un  autre  point  de  départ. 

La  voie  a  11  mètres  de  largeur  dont  5  à  7  mètres  pour  la 
chaussée  ;  elle  est  établie  en  relief  au-dessus  des  marais  ; 
son  empierrement  a  une  faible  épaisseur,  0m,10  environ,  et 
il  est  formé  de  pierres  cassées  plus  grosses  que  celles  de  nos 
chemins  vicinaux  ;  ces  pierres  sont  couchées  immédiatement 
sur  le  sol,  sans  fondations  de  grosses  pierres,  comme  cela  a 
lieu  dans  les  voies  romaines  de  quelque  importance  (•). 

Je  n'ai  pas  remarqué  de  traces  de  roulage  sur  l'empierre- 
ment de  celte  voie. 

Si  les  Romains  l'ont  construite,  s'ils  ont  eu  l'intention 
d'en  faire  une  voie  très  secondaire,  je  suppose  qu'ils  ont 
été  interrompus  dans  leur  œuvre  par  le  soulèvement  des 
peuples  de  l'Armorique.  Ce  serait,  dans  ce  cas,  un  travail 
du  IVe  ou  du  Ve  siècle.  Elle  a  été  établie  après  l'affaissement 
des  marais,  après  le  colmatage  qui  en  fut  la  suite,  après  le 
comblement  du  vieux  Brivet;  et  son  niveau  est  encore 
au-dessous  des  hautes  marées. 

Je  ne  crois  guère  à  l'antiquité  de  ce  chemin,  et  ne  serais 
pas  étonné  qu'un  puissant  propriétaire  des  environs  ne  l'eût 
fait  exécuter  dans  son  intérêt,  à  une  époque  encore  peu 
éloignée  de  nous,  soit  pour  raccourcir  son  parcours  en 
évitant  la  pointe  de  Saint-Nazaire,  soit  pour  arriver  direetc- 

(<)  Je  (lois  les  dimensions  de  la  voie  à  l'obligeance  de  mon  ancien  collabo- 
rateur, M.  Ollive,  agent-voyer  d'arrondissement  :  il  estime  que  la  chaussée 
est  recouverte  d'une  couche  de  terre  d'environ  0^,25  ;  qu'elle  est  à  0^,30 
au  moins  au-dessus  des  prés  voisins  ;  et  que  les  grandes  marées  peuvent 
recouvrir  ceux-ci  de  0m,80  à  lm,20. 


223 

ment  au  petit  port  de  Méan  qui,  après  1690,  remplaça  celui 
de  Montoir  ('). 

Extension  de  V affaissement. 

L'affaissement  de  la  Brière  ne  fut  pas  un  fait  isolé  ni  local. 
Dans  le  même  temps  et  de  la  même  manière  devait  s'opérer 
l'affaissement  du  Trait  du  Groisic.  Le  mouvement  du  sol 
devait  s'étendre,  d'un  côté,  au  litloral  armoricain,  et  affecter 
la  mer  intérieure  du  Morbihan  ;  d'un  autre  côté,  au  littoral 
vendéen,  et  entraîner  Noirmoutier  :  ici,  le  dolmen  ruiné,  de 
la  pointe  de  l'Herbaudière,  que  les  vagues  viennent  souvent 
recouvrir,  et  celui  de  la  Table,  reconnu  par  M.  Charier- 
Fillon  au-dessous  du  niveau  de  la  mer,  sont  des  témoins 
dont  l'autorité  ne  saurait  être  mise  en  doute  (2). 

Gomme  preuve  de  l'affaissement  du  Grand-Trait,    nous 


(')  D'après  Ogée,  le  port  du  Brivet  était  à  Montoir  avant  le  XVUIe  siècle, 
et  il  fut  obstrué  par  un  ouragan  en  1690. 

(J)  «  Charier-Filton,  dans  trois  remarquables  mémoires,  a  démontré  que 
»  Noirmoutier  subit  un  affaissement  lent.  Des  dolmens  ont  été  reconnus  par 
»  lui  sous  les  flots.  11  ne  peut  y  avoir  d'erreur  pour  celui  de  la  Table, 
»  puisqu'il  diffère  des  roebés  calcaires  sur  lesquelles  il  repose  (grès  du  bois 
»  de  la  Chaise),  et  que  près  de  lui  gisent  ses  supports.  »  {Noirmoutier, 
par  le  Dr  Viaud-Grand-Marais,  p.  3.) 

«  Sur  les  Chevaux,  faisant  autrefois  partie  du  Pilier,  le  même  auteur  a 
»  découvert  dans  une  dépression  chargée  de  varech,  des  débris  considérables 
»  de  terre  cuite,  de  carrelage  et  de  vases  vernissés.  A  ces  preuves  de  sub- 
»  sidence,  on  pourrait  ajouter  les  restes  de  construction  qui  se  voient 
»  sur  l'Hommée,  dans  l'anse  de  Luzéronde,  aux  marées  d'équinoxe.  »  {ld., 
p.  3.) 

Des  restes  de  construction  en  place  peuvent  être  invoqués  comme  preuve 
de  l'affaissement  du  sol;  mais  il  n'en  est  pas  ainsi  des  débris  de  construc- 
tion que  les  flots  ont  pu  entraîner  après  avoir  affouillé  et  bouleversé  le 
sol  qui   les   portait. 


avons  les  couches  de  tourbe  rencontrées  dans  l'anse  de 
l'Enclis,  à  2  mètres  en  contre-bas  des  grandes  marées; 
dans  la  baie  de  La  ïurballe,  a  3  mètres  ;  au  bas  de  la  plage 
Valentin,  à  5  ou  6  mètres.  Ici,  des  causes  semblables  a  celles 
dont  j'ai  parlé  au  sujet  de  la  Brière,  ont  produit  des  effets 
semblables  ('). 

Il  serait  fort  intéressant  pour  la  science  de  constater  avec 
soin,  par  des  fouilles  bien,  conduites,  la  situation  et  le  niveau 
de  la  forêt  enfouie  dans  les  sables  de  Penbron,  entre  la  baie 
du  Croisic  et  les  terres  de  l'Enclis.  Celte  opération  nous 
donnerait,  je  n'en  doute  pas,  des  renseignements  précieux. 

Gomme  marque  de  l'affaissement,  je  citerai  également 
l'atelier  du  potier  rencontré  à  1  mètre  en  contre-bas  d'une 
chaussée  établie  au  niveau  des  hautes  mers  (2). 

(')  «  On  observe,  dit  encore  Beudan,  sur  plusieurs  points  des  cotes  de 
»  France  et  d'Angleterre,  à  marée  basse,  des  dépôts  très  étendus  de  végétaux 
»  semblables  à  ceux  qui  vivent  dans  nos  climats,  et  que  tout  annonce  être 
»  encore  à  la  place  où  ils  ont  vécu;  d'autant  plus  qu'on  y  voit  des  artfres 
»  debout  et  des  racines  fixées  au  sol.  Ces  dépôts  imposent  sur  des  matières 
»  terreuses  jonebées  de  feuilles  entassées  les  unes  sur  les  autres,  et  sont 
>»  recouverts  par  des  argiles  l'emplies  de  coquilles  d'eau  douce;  ils  renferment 
»  des  bouleaux,  des  noisetiers,  des  chênes,  des  sapins,  des  débris  de  diverses 
»  espèces  de  cerfs,  comme  les  tourbières.  Or,  ces  forêts  sous-marines, 
»  ainsi  qu'on  les  a  nommées,  n'ont  pu  végéter  que  sur  un  sol  découvert, 
»  plus  ou  moins  élevé  au-dessus  des  mers;  et  comme  elles  se  trouvent 
»  aujourd'hui  placées  au-dessous,  et  ne  sont  découvertes  que  dans  les  grandes 
»  marées,  il  faut  bien  que  le  terrain  se  soit  affaissé  depuis  l'époque  de  la 
»  végétation  actuelle.  »  (Géologie,  p.  124-125.) 

(')  Annales  de  la  Société  Académique,   1889,  p.  304. 

Les  ruines  gallo-romaines  du  Diaulet,  à  Kerbrenezé,  ont  dû  avoir  été 
témoins  de  l'affaissement  du  sol,  et  le  puits  qu'on  y  a  rencontré  pourrait 
bien  être  une  preuve  de  cet  affaissement.  Ces  ruines  sont  placées  à  2  mètres 
au-dessus  des  hautes  marées;  le  puits  a  été  fouillé  jusqu'à  3  mètres  de 
profondeur  :  les  eaux  d'infiltration  n'ont  pas  permis  de  descendre  davantage. 
[ld.,  p.  345.) 


22S 

Je  crois  pouvoir  citer  aussi  une  pierre  debout,  dont  j'ai 
constaté  la  présence  dans  les  marais  salants,  il  y  a  c25  ans, 
et  que  je  n'ai  plus  retrouvée  dans  ces  dernières  années.  Elle 
était  dans  une  vasière  bordant  le  chemin  vicinal  qui  dessert 
le  côté  nord  des  marais. 

Je  n'ai  pu  en  approcher,  mais  j'ai  estimé  qu'elle  avait 
1  mètre  de  hauteur  au-dessus  de  la  vasière;  je  l'ai  prise 
pour  un  menhir  de  modestes  dimensions.  Elle  était  un  peu 
moins  épaisse  et  un  peu  moins  haute  que  le  menhir  du 
champ  de  la  Pierre,  situé  au  couchant  de  la  route  de  Saille 
à  Guérande,  et  dont  la  base  est  à  moins  de  2  mètres  au- 
dessus  du  niveau  des  grandes  marées  («). 

Voici  une  autre  marque  qui  s'applique  au  versant  nord 
du  plateau  de  Guérande  :  «  Quand  on  parcourt  le  palus  de 
»  Pont-d'Armes,  dit  M.  Maître,  on  constate  l'existence  d'une 
»  voie  romaine  absolument  certaine  au-dessous  du  niveau 
»  des  marées.  J'en  ai  vu  de  mes  yeux  l'empierrement  plein 
o  de  tuiles  à  rebords  dans  les  marais  et  dans  les  flancs 
»  d'une  vasière  (2).  » 

Du  moment  où  la  voie  est  au-dessous  du  niveau  des  marées 
et  qu'elle  n'a  pu  être  construite  dans  ces  conditions,  c'est 
qu'elle  est  placée  sur  mi  sol  qui  s'est  affaissé  depuis  son 
établissement. 

Cette  voie,  qui  devait  conduire  de  Guérande  à  La  Roche- 
Bernard,  n'était  évidemment  qu'une  voie  secondaire  et  n'a 
pu  être  construite  que  dans  la  dernière  période  de  l'occupa- 
tion, soit  vers  le  IIIe  ou  le  IVe  siècle.  Mais  nous  avons  déjà 
vu,  par  le  bronze  de  Tetricus,  que  l'affaissement  du  sol  n'a 


(*)  Le  propriétaire  de  la  vasière  déclarait,  d'après  son  grand-père,  que 
ses  ancêtres  avaient  toujours  connu  cette  pierre.  Le  menhir  du  champ  de  la 
Pierre  a  1  m , 5 0  de  hauteur  au-dessus  du  champ. 

(2)  Annales  de  la  Société  Académique,  p.  311. 

15 


2Û2G 

pu  avoir  lieu  avant  l'an  268.  La  voie  affaissée  de  Pont- 
ci' Armes  viendrait  confirmer  la  conclusion  tirée  de  la  présence 
de  la  monnaie  romaine  sous  les  alluvions  de  Pcnhouèt. 

Nous  pouvons  tirer  plusieurs  conséquences  de  cet  événe- 
ment extraordinaire. 

Avant  le  IIIe  siècle  de  l'ère  chrétienne,  la  plaine  de  Montoir 
était  une  vallée  fertile  parsemée  d'arbres,  ondulée  au  levant, 
plate  au  couchant;  le  Biïvet  recevait  la  plupart  de  ses  petits 
ruisseaux,  notamment  celui  de  la  Brière,  et  se  jetait  dans  la 
Loire  près  de  Saint-Nazaire,  entre  les  mamelons  de  la 
Dermurie  et  de  Penhouët. 

Le  niveau  de  la  plaine  dépassait  alors  de  plus  de  7  mètres 
celui  des  basses  mers  (»);  le  niveau  des  marais  salants  du 
Croisic  et  de  Mesquer  était  encore  plus  élevé  :  de  sorte  que 
tout  ce  qui  forme  le  sol  actuel  des  marais  salants  était 
beaucoup  au-dessus  des  eaux.  m 

L'entrée  actuelle  du  port  du  Croisic  présente  un  fond  de 
rocher  qui  découvre  dans  les  plus  basses  mers  :  la  passe  de 
la  Mézec  ou  des  Rouzins  est  à  moins  d'un  mètre  au-dessous 
du  zéro  de  Saint-Nazaire;  on  peut  en  conclure  qu'avant 
l'affaissement,  celte  passe,  comprise  entre  la  naissance  de 
la   jetée    et    les    sables    de   Penbron,    était    complètement 

(1)  Je  me  base  sur  ce  fait  que  le  bronze  de  Tetricus,  recueilli  à  1m, 50 
au-dessous  du  zéro  de  Saint-Nazaire  et  tombé  sur  le  sol  sablonneux  et  non 
encore  affaissé  du  rivage,  était  au-dessus  des  plus  hautes  mers  de  ce  temps-là  : 
G  mètres  pour  les  hautes  mers,  plus  lm,50  au-dessous,  cela  fait  700,50. 
Je  suppose  le  cas  le  plus  naturel,  c'est-à-dire  que  le  tetricus  est  tombé  sur 
le  sable  au-dessus  des  eaux:  s'il  était  tombé  dans  l'eau,  il  aurait  été  enfoui 
dans  l'argile. 

Sur  la  plage  située  à  l'aval  du  môle  do  Saint-Nazaire,  où  s'agitent  les 
vagues  chargées  de  vase  et  de  sable,  l'argile  entraînée  par  leur  mouvement 
ne  se  forme  en  dépôt  qu'au  bas  de  la  pente;  quant  au  sable,  il  s'use  dans 
ce  mouvement  de  va-et-vient,  et  lorsqu'il  a  atteint  assez  de  finesse,  il  est 
soulevé  par  le  vent  et  entraîné  au  sommet  de  la  plage  à  l'abri  des  eaux. 


227 

au-dessus  des  eaux.  Au  sein  du  Grand-Trait,  on  rencontre 
dos  rochers  qui  correspondent  à  la  cote  de  3ra,40  de  Saint- 
Nazaire;  la  grève  est  à  la  cote  de  3  mètres  :  de  sorte  qu'une 
partie,  sinon  le  tout  de  cette  petite  mer  intérieure,  était 
également  au-dessus  des  eaux. 

L'affaissement  n'ayant  eu  lieu  qu'après  l'an  268,  les 
éléments  d'un  grand  port  dans  le  Trait  du  Groisic  n'existaient 
donc  pas  au  commencement  de  l'ère  chrétienne;  alors  il  n'y 
avait  pas  de  place  pour  abriter  les  deux  cent  vingt  vaisseaux 
qui,  prétend-on,  attendaient  la  flotte  de  Brutus  (<). 

En  ce  temps-là,  le  territoire  du  Croisic  pouvait  s'étendre 
de  deux  kilomètres  au  couchant  dans  la  direction  du  Four, 
car  la  sonde  rencontre  des  roches  peu  profondes  dans  cet 
intervalle  ;  entre  celte  ligne  de  deux  kilomètres  et  le  plateau 
du  Four,  il  y  a  des  fonds  d'argile  sous  13  à  16  mètres  d'eau, 
à  la  basse  mer. 

Entre  le  plateau  de  Piriac  et  l'île  du  Met,  l'argile  se 
présente  sous  13  mèlres  d'eau  (?). 

Avant  l'affaissement,  les  rochers  des  Evens,  de  Bagucnaud, 
de  Pierre-Percée  devaient  faire  partie  du  rivage  de  Pouliguen, 
de  Pornichet  et  de  Ghemoulin,  du  moins  au  moment  des 
eaux  moyennes. 

En  ce  qui  concerne  l'île  des  femmes  Samnites,  le  texte 
de  Strabon  ne  me  paraît  pas  applicable  à  l'île  du  Met,  trop 
éloignée  de  la  Loire.  L'île  mystérieuse  devait  être  dans  les 
{tarages  de  la  poinle  de  Chemoulin,  vers  le  Grand-Charpentier, 
alors  au-dessus  des  hautes  mers,  et  même  en  communication 

(')  Si  l'on  faisait  une  fouille  dans  la  grève  du  Grand-Trait,  qui  a?sèche  à 
toutes  les  marées,  je  pense  qu'on  trouverait  à  moins  de  1  mètres,  sous  la 
couche  de  sable,  peut-être  à  moins  d'un  mètre,  une  couche  d'argile  repré- 
sentant  le  sol  qui  était  aii-dcssus  des  eaux,  il  y  a  quinze  ou  seize  siècles. 

(,2)  Le  plateau  de  Piriac  est  un  fond  de  rocher  qui  s'étend  à  3  kilomètres 
en  mer  dans  la  direction  de  l'Ile  du  Met. 


228 

avec  le  rivage  au  moment  des  liasses  eaux;  si  elle  n'était  pas 
là,  elle  pouvait  être  à  la  Banche,  peut-être  au  Four.  Sinon,  il 
faut  renoncer  à  la  chercher  :  la  puissance  des  vagues  en  a 
l'ait  disparaître  les  traces  (•). 

De  l'emporium  de  Corbilon. 

J'arrive  enfin  a  Corbilon  par  cpii  je  termine  mon  étude. 

11  a  été  fait  d'habiles  exposés  de  la  situation  de  Sainl- 
Nazaire  et  des  lieux  environnants,  pour  chercher  à  prouver, 
d'un  côté,  que  l'anse  de  Saint-Nazaire  abritait  le  port 
Brivales;  d'un  autre  côté,  qu'elle  abritait  Corbilon.  J'ai 
répondu,  il  y  9  une  huitaine  d'années,  au  premier  point;  je 
nié  propose  d'examiner  maintenant  les  trois  raisons  impor- 
tantes qui  ont  déterminé  le  choix  de  Corbilon,  et  que  voici: 

1°  «  Strabon  nous  dit  que,  pour  passer  du  continent  dans 
»  la  Bretagne,  les  voyageurs  avaient  l'habitude  de  s'embar- 
»  quer  à  l'embouchure  des  quatre  grands  fleuves  qu'on 
»  nomme  le  Rhin,  la  Seine,  la  Loire  et  la  Garonne  ('-).  » 

2°  «  Une  agglomération  industrielle  ne  va  jamais  sans  un 
»  port;  »  tout  le  bassin  de  la  Brière  annonce  une  richesse 
antique  considérable;  «  la  rivière  du  Brivet...  était  le  seul 
»  débouché,  la  seule  voie  par  laquelle  l'industrie  put  com- 
»  muniquer  avec  la  Loire  et  l'Océan.  »  Un  port  notable 
doit  se  trouver  à  son  embouchure. 

3°  «  La  Loire  y  amène  tous  les  chalands  de  l'intérieur  de 
»  la  Gaule,  tous  les  bateaux  de  l'Allier,  de  l'Indre  et  du 
»  Cher,  et  la  mer  y  donne  accès  aux  Phéniciens  et  à  tous 
u  les  négociants  de  la  Méditerranée  (3).  *> 


(•)  Dans  ces  appréciations,  je  nie  suis  servi  des  cartes  marines. 
(3)  De  l'emplacement  du  port  de  Corbilon.  par  M.  Maître,  p.  112. 
(3)  ld.  Id.  Id.  p.   108. 


229 

«  Un  port  comme  Gorbilon...  devait  être  près  de  la 
»  route  parcourue  par  les  Phéniciens. . .  et  non  pas  dans 
»  l'intérieur  des  terres  (•).  » 

Pour  une  contrée  aussi  riche,  il  faut  un  marché  important. 
«  Quel  sera  ce  port  de  commerce,  si  ce  n'est  l'emporium  de 
»  Corbilon,  et  où  le  placerons-nous,  si  ce  n'est  à  Saint- 
»  Nazaire  (*)?  » 

Je  vais  passer  en  revue  ces  diverses  raisons  dont  je  n'ai 
pas  cherché  à  affaiblir  la  valeur. 

En  parlant  du  port  Brivates  dans  un  chapitre  précédent, 
j'ai  fait  remarquer  qu'on  s'est  servi  de  quatre  lignes  de 
Slrabon  pour  affirmer  que  le  port  d'embarquement  des 
bouches  de  la  Loire  était  dans  le  port  du  Croisic.  Ici  on 
invoque  ce  même  passage  du  géographe  pour  déclarer 
«  que  la  navigation  maritime  du  Ier  siècle  avait  tous 
»  ses  points  d'attache  a  l'embouchure  de  nos  plus  grands 
»  fleuves  (3).  » 

J'ai  combattu  cette  opinion  au  chapitre  du  port  Brivates. 
Ici  je  me  bornerai  à  constater  que  Yemporium  de  la 
Garonne  était  à  Bordeaux  (*);  que  nous  cherchons  celui  de 
la  Loire  et  que  nous  pourrions  bien  trouver  des  raisons 
pour  le  placer  dans  les  environs  de  Nantes;  que  les  Tables 
de  Ptolémée  et  de  Peutinger  nous  montrent,  sur  la  Basse- 
Seine,  deux  villes  :  Rouen  loin  de  la  mer  et  Lillebonne  a  8 
ou  10  lieues  de  la  Manche.  Je  n'ai  pas  étudié  le  Rhin,  mais 
cela  nous  suffit  bien  pour  nous  permettre  d'affirmer  que  le 
passage  de  Slrabon  ne  peut  pas,  ne  doit  pas  être  invoqué 

(')  De  l'emplacement  du  port  de  Corbilon,  par  M.  Maître,  p.  111. 

(2)  Id.  kl.  ld.  p.  118. 

(3)  ld.  kl.  Id.  p.   112. 

(;)  Géographie  de  Strabon,  liv.  IV,  ch.  II.  Arles,  située  à  dix  lieues  des 
Bouches-du-Rliûnc,  est  également  citée  par  Strabon  comme  le  marche 
important  du  fleuve,  liv.  IV,  ch.  l°r(  §  0. 


250 

en  faveur  de  l'existence,  à  l'embouchure  même  de  la  Loire, 
d'un  port  d'embarquement  pour  l'île  de  Bretagne. 

Voici  maintenant  la  seconde  raison. 

Une  agglomération  industrielle,  dit-on,  ne  va  pas  sans  un 
port,  sans  un  port  notable.  11  s'agit  de  s'entendre,  car  c'est 
une  affaire  de  mesure.  On  a  fait  un  grand  tableau  de  la 
richesse  industrielle  de  cette  contrée,  comme  on  l'a  fait 
aussi  pour  les  environs  de  Guérande.  Mais  ce  tableau  embrasse 
des  siècles,  il  ne  faut  pas  l'oublier,  et  l'industrie  annuelle 
pouvait  bien  n'être  que  fort  peu  de  chose.  Tout  bien  consi- 
déré, je  ne  vois  là  qu'une  industrie  locale  dont  l'importance 
n'est  pas  démontrée;  et  ce  n'est  pas  pour  une  industrie 
locale  qu'on  crée  de  grands  ports.  Ici,  Corbilon  ayant  été 
le  marché  de  la  Loire,  il  n'y  aurait  pas  eu  de  proportion 
entre  la  cause  et  l'effet. 

Nous  avons  dans  notre  déparlement  un  grand  nombre 
d'industries  aussi  intéressantes,  je  pense,  que  pouvait  l'être 
l'industrie  antique  des  bords  de  la  Brière;  elles  se  conten- 
tent toutes  de  petits  ports  et  n'ont  pour  centre  que  de 
petits  villages.  Je  pourrais  en  citer  vingt;  je  me  bornerai  à 
nommer  le  port  de  Messan  où  s'embarquent  les  bois  abon- 
dants de  la  forêt  de  Prince,  el  les  briques  1res  répandues  de 
Vue  et  de  la  Feuillardais. 

11  faut  autre  chose  pour  le  commerce  général.  H  sullisail 
d'un  faible  espace  vers  l'embouchure  du  Brivet  pour  le 
commerce  de  la  contrée.  Aussi  est-ce  à  Monloir,  non  pas  à 
Saint-Nazaire,  qu'on  trouve  encore  au  XVIIe  siècle  le  port 
de  la  Brière,  [tort  transféré  à  Méan  après  l'ouragan  de  1690 
qui  rendit  fort  difficile  la  navigation  du  Bas-Brivet  (*). 

La  troisième  raison  a-t-elle  plus  de  valeur?  Est-il  donc  vrai 
que  les  chalands,  les  bateaux  de  la   Haute-Loire,  de  l'Allier, 

(')  Dictionnaire  dO^ée,  urliclc  Monloir. 


231 

de  l'Indre  et  du  Cher  allaient  jusqu'à  Saint-Nazaire  porter 
leurs  marchandises  ? 

En  réalité,  au  siècle  dernier  comme  à  la  fin  de  la  Restau- 
ration, Saint-Nazaire  était  une  station  dangereuse  pour  les 
bateaux-pilotes  de  l'entrée  de  la  Loire  ;  il  n'y  avait  pas  d'abri 
pour  les  bâtiments  de  commerce  mouillés  en  rade  au  moment 
de  la  débâcle  des  glaces  du  fleuve  ;  tout  au  plus  y  voyait-on 
des  barges  attendant  les  voyageurs  du  Croisic  et  de  Guérande 
pour  les  transporter  à  Nantes  («).  Quant  à  la  navigation 
fluviale,  elle  n'a  commencé  à  se  servir  de  Saint-Nazaire 
qu'en  1860,  deux  ans  après  l'ouverture  du  bassin. 
.  Ce  sont  des  gabares  du  port  de  Nantes,  -appelées  allèges, 
qui  faisaient  le  transport  des  marchandises  entre  Nantes  et 
la  Basse-Loire:  elles  étaient  construites  assez  solidement 
pour  affronter  les  vagues  de  l'embouchure  du  fleuve;  mais 
elles  n'allaient  pas  jusqu'à  Saint-Nazaire:  elles  s'arrêtaient 
en  rade  de  Paimbœuf  où  elles  allégeaient  le  grand  navire, 
de  manière  à  lui  permettre  la  montée  de  la  Loire  avec  une 
partie  de  son  chargement  C2). 

Quant  aux  rares  bateaux  des  Phéniciens,  ils  avaient  autre 
chose  en  vue  que  le  commerce  avec  l'embouchure  de  la 
Loire;  ils  allaient  surtout  chercher  l'étain  des  îles  Cassité- 
rides  ,  et  je  ne  crois  pas  qu'il  fût  bien  nécessaire  qu'un 
emporium  de  l'importance  de  Corbilon  fût  placé  exprès  à 
leur  portée  à  l'embouchure  de  notre  grand  fleuve. 

Avec  ces  deux  lignes  de  Strabon,  tant  de  fois  reproduites, 
qu'il  y  avait  avant  lui,  sur  la  Loire,  un  emporium  du   nom 


(')  Dictionnaire  d'Ogée,  article  Saint-Nazaire. 

(5)  «  Il  ne  tut  jamais  question  pendant  toute  cette  période  ,  dit 
»  M.  Kerviler,  d'un  établissement  maritime  à  Saint-Nazaire;  et  Paimbœuf. . . 
»  garda  jusqu'au  XIXe  siècle  sa  situation  d'avant-port  de  Nantes.  »  (Notice 
sur  le  port  de  Saint-Nazaire,  p.  (î.) 


232 

de  Corbiloo  ('),  j'ai  toujours  pensé,  et  je  pense  encore,  qu'il 
est  bien  difficile  de  reconnaître  la  situation  de  cette  ville 
gauloise  disparue.  Cependant  plus  le  problème  présentait  de 
difficultés,  plus  les  chercheurs  se  montraient,  nombreux  pour 
essayer  de  déterminer  cette  situation,  c'est  comme  pour  la 
quadrature  du  cercle;  et  depuis  Blois  —  sur  le  haut  du 
fleuve  —  jusqu'à  Blain  —  dans  les  terres  —  jusqu'auprès 
de  Guérande  —  sur  la  mer  —  bien  des  lieux  se  sont  pré- 
sentés aux  regards  des  savants  comme  des  emplacements  de 
l'antique  Corbilon. 

Malgré  certains  rapports  de  noms,  malgré  la  grosse  somme 
de  science  dépensée  dans  ces  dissertations,  je  n'étais  point 
satisfait:  c'étaient  des  assauts  de  savoir  et  non  de  logique. 
Les  preuves  manquaient  absolument;  elles  manquent  encore 
et  je  crains  bien  qu'elles  ne  manquent  toujours- 

J'avais  mis  timidement  en  avant,  sans  chercher  a  en  tirer 
le  moindre  profit,  un  lieu  auquel  personne  n'a  jamais  songé^ 
on  .l'a  regardé  d'autant  plus  haut  que  l'indication  était 
modeste.  Je  demande  à  la  Société  Académique  la  permission 
de  revenir  sur  ce  lieu-là,  en  la  [niant  de  bien  se  rappeler 
que  je  ne  donne  pas  mes  raisons  pour  des  preuves. 

Lorsque  le  commerce  a  établi  un  centre  d'affaires,  il  ne 
s'en  éloigne  pas  sms*de  1res  graves  motifs,  et  pour  le 
remplacer  il  \\r  va  pas  chercher  le  bout  du  inonde.  Si  vous 
brûlez  une  ville,  elle  renaît  de  ses  cendres.  11  n'a  pas  fallu 
moins  (pie  l'application  de  la  vapeur  pour  obliger  Nantes  à 
partager  ses  grandes  opérations  avec  Saint-Nazaire. 

Il  y  a  bien  des  siècles,  1600  ans  peut-être,  que  Nantes 
i'st  Vemporium  de  la  Loire  ;  l'emporium  qu'il  a  remplacé 
ne  pouvait  être  loin  de  là. 

(')  M.  Kervilcr  traduit:  «  à  l'embouchure  de  la  Loire  {Notice  sur  le  port 
»  de  Saint-Nazaire,  p.  \).  >>  Malheureusement  Strabon  n'a  pas  cette 
précision. 


Si  les  habitants  de  Blois  ou  du  pays  de  Guérande  avaient 
été,  ainsi  qu'un  l'a  dit,  en  possession  du  commerce  de  la 
Loire,  au  temps  de  Scipion,  est-ce  qu'après  la  ruine  de  leur 
place,  ils  seraient  allés  à  Nantes  rétablir  leurs  maisons  et 
continuer  leur  commerce?  Non.  Corbilon  ruiné,  ses  habitants 
ont  cherché  un  abri  dans  son  voisinage. 

Il  lui.  un  temps,  quelques  centaines  d'années  avant  l'épis- 
copat  de  saint  Félix,  où  Nantes  n'était  qu'un  vicus,  un  port 
naissant,  et  dans  ce  même  temps,  il  y  avait  tout  près  de  la, 
un  lieu  commerçant,  Ratiale,  que  Ptolémée  qualifie  de  ville 
et  qui  fut  un  port  de  la  Loire,  d'après  un  écrivain  du 
IXe  siècle,  l'abbé  Hermantaire. 

Si  l'on  en  juge  d'après  l'importance,  au  second  siècle,  de 
Nantes,  un  village,  et  de  Rezé,  une  ville,  le  port  de  la  Loire 
devait  être  alors  et  antérieurement  à  Rezé.  Ptolémée  ne 
donne  pas  le  nom  de  port  aux  villes  qui,  de  son  temps, 
étaient  eu  possession  du  commerce,  comme  Vannes,  Rouen, 
Bordeaux,  Marseille,  et  comme  devait  l'être  Ratiate,  et  nous 
savons  qu'il  ne  parle  pas  plus  de  Nantes  que  si  notre  ville 
n'eût  pas  alors  existé. 

Nous  pouvons  donc,  sans  trop  de  hardiesse,  conjecturer 
que  Rezé  était,  avant  Nantes,  en  possession  du  commerce 
de  la  Loire. 

Mais  avant  Rezé,  il  y  avait  l'emporium  de  Corbilon  qui  fut 
ruiné,  on  ne  sait  comment,  avant  l'ère  chrétienne.  J'estime, 
toujours  par  cette  raison  que  si  le  commerce  est  obligé,  pour 
de  graves  motifs,  de  quitter  son  centre  d'affaires,  il  va  le 
moins  loin  possible  chercher  une  place  nouvelle  ;  j'estime 
que  ce  Corbilon  ne  pouvait  être  éloigné  de  Ratiale  et  que  ses 
habitants,  entravés  dans  leur  commerce  par  une  cause  peut- 
être  toute  naturelle,  l'ensablement  du  port,  cherchèrent 
autour  d'eux  une  situation  a  leur  convenance. 

Me  voilà  conduit  à  chercher  Corbilon,  non  pas  à  Blois   ou 


234 

à  Poniieliel,  mais  dans  le  voisinage  de  llezé  et  à  portée  des 
marées  dn  fleuve.  Dans  ce  voisinage,  un  nom  attire  mon 
attention,  celui  de  Corbon,  qui  est  tout  fait  pour  dériver  de 
Gorbilon,  comme  Nantes  des  Nannètes  et  Rennes  des  Rcdones. 
La  contraction  des  noms  est  exactement  la  même.  Qu'est-ce 
que  Corbon  ? 

Sur  la  rive  gauche  de  la  Loire ,  au  nord  et  à  Test 
du  bourg  de  Basse-Goulaine  ,  il  y  a  des  prairies  que 
recouvraient  toutes  les  crues  de  printemps ,  avant  l'exé- 
cution de  la  levéede  la  Divate ,  et  que  recouvrent  encore 
les  eaux  pluviales  accumulées  dans  le  bassin ,  lorsque 
les  inondations  du  fleuve  ont  quelque  durée.  Ces  prairies 
ont  toutes  été  formées  par  des  alluvions  de  la  Loire,  et 
elles  faisaient  sûrement  partie  de  son  lit  à  une  époque  que 
je  ne  saurais  déterminer,  mais  qui  n'est  pas  aussi  vieille, 
que  notre  ère. 

Au  fond  de  l'estuaire  dont  ces  prairies  dépendent,  on 
rencontre  un  abri  remarquable  bordé  de  trois  côtés  par  des 
terrains  élevés  :  au  couchant,  le  plateau  de  Basse-Goulaine 
qui  s'élève  a  35  mètres  d'altitude  ;  au  midi,  celui  du  Carlron 
qui  atteint  23  mètres,  et  au  levant,  l'île  Chaland  qui  atteint 
19  mètres.  Cet  abri  a  encore  des  parties  marécageuses,  et 
il  a  son  ouverture  du  côté  nord,  sur  le  fleuve.  C'est  sur  la 
pente  du  plateau  du  couchant,  presqu'au  bas,  que  se  trouve 
le  hameau  de  Corbon,  à  un  kilomètre  au  sud-est  du  bourg 
de  Basse-Goulaine. 

Je  ne  connais  pas  de  ruines  gallo-romaines  à  Corbon  ;  il 
ne  pourrait  y  en  avoir  que  si  Corbilon  avait  continué  à  être 
un  centre  important,  pendant  les  siècles  qui  ont  suivi  la 
conquête  ;  mais  celte  place  n'existait  plus  au  temps  de  Slrabon, 
et  on  sait  que  les  ruines  gauloises  ont  à  peine  laissé  des 
traces  parmi  nous  ;  les  ruines  des  maisons  en  pisé  cl  en 
chaume  se  confondent    bientôt  avec  le   sol  sur  lequel  elles 


•255 

sont  tombées.  L'absence  de  ruines  antiques  à  Corbon  n'a 
donc  point  d'importance  dans  mon  sujet. 

Si  je  pars  maintenant  de  l'inconnue  considérée  comme 
résolue,  c'est-à-dire  si  je  pars  du  vieil  emporium  pour 
remonter  à  l'emporium  de  nos  jours,  je  retrouverai  Nantes 
sans  effort  par  un  raisonnement  de  la  plus  grande  simplicité. 

Au  fond  de  son  estuaire,  Gorbilon  est  envahi  par  les  sables 
du  fleuve ,  comme  on  a  la  certitude  que  l'a  été  Corbon  ;  les 
moyens  d'entretien  sont  insuffisants  ;  un  jour  arrive  où  l'accès 
du  port,  de  difficile  qu'il  était,  devient  impossible  pour  les 
barques  de  la  Loire.  11  faut  [«rendre  un  parti  radical,  —  le 
mot  n'était  pas  encore  inventé,  —  il  faut  remplacer  le  port 
ensablé  par  un  port  d'un  accès  facile  et  qui  ne  soit  pas 
éloigné.  Du  côté  de  l'aval,  —  car  les  peuples  descendent  les 
fleuves  plutôt  qu'ils  ne  les  remontent,  —  on  cherche  un  lieu 
qui  puisse  remplacer  Corbilon  ;  on  trouve  un  peu  plus  bas, 
sur  la  même  rive,  un  bel  emplacement  au  confluent  de  la 
Loire  et  de  la  Sèvre.  Les  commerçants  de  Gorbilon  ne 
pouvaient  rencontrer  sur  la  rive  des  Piétons  un  lieu  qui  fût 
plus  à  leur  portée  et  à  leur  convenance.  Ptolémée  appelle  ce 
lieu-la  Ratiale. 

Au  second  siècle  de  l'ère  chrétienne,  Ratiate  était  une 
ville  assez  importante  pour  attirer  l'attention  du  géographe 
d'Alexandrie.  11  parle  bien  du  port  Sicor,  situé  à  Pornic  ou 
dans  le  voisinage  ;  il  parle  aussi  du  port  Brivates  abrité 
peut-être  dans  l'estuaire  de  Penestin  ;  mais  il  ne  dit  rien  du 
viens  portas  qui  devait  devenir  Nantes  :  ce  village,  au  nom 
latin,  n'était  pas  encore  éloigné  de  sa  naissance  ;  il  était  en 
voie  de  progrès  et  devait  bientôt  remplacer  Ratiate,  comme 
Ratiate  avait  remplacé  Corbilon  ;  mais  ce  n'était  pas  encore 
une  ville. 

Devant  Rezé-Ratiale,  il  existe  une  ile  de  trois  kilomètres 
de  long,  qui  est  formée  depuis  bien  des  siècles  ;  sa  formation 


236 

a  favorisé  le  dépôt  des  alluvions   dans  le  port   môme  de 
Ratiale  et  a  nui  certainement  au  développement  de  ce  port. 

Pendant  quatre  ou  cinq  siècles,  le  port  de  Ratiale  a  pu 
remplacer  celui  de  Corbilon  ;  mais  gêné  dans  son  développe- 
ment par  les  alluvions  du  fleuve  plus  abondantes,  je  crois, 
qu'aujourd'hui,  il  a  vu  sa  prospérité  décroître  et  le  commerce 
l'abandonner.  C'est  dans  ce  temps-là  que  Nantes,  sa  voisine, 
grandissait,  qu'elle  édifiait  son  Tribunal  de  Commerce,  et 
qu'elle  commença  à  devenir  Yemponum  de  la  Loire. 

Le  nouvel  emporium  fut  menacé,  lui  aussi,  par  les  allu- 
vions, et  si  un  génie  prévoyant  n'était  venu  de  bonne  heure 
à  son  secours,  c'est  peut-être  encore  plus  bas,  vers  les  îles 
d'Indre,  que'  serait  descendu  le  centre  commercial  de  la 
Loire  ;  au  point  de  vue  du  commerce  maritime,  il  se  borna 
ii  descendre  du  Port-Maillard  à  la  Fosse.  Peut-être  doit-on 
la  conjuration  du  péril  à  saint  Félix,  par  des  travaux  destinés 
à  ramener  les  eaux  courantes  devant  la  petite  ville  qui  n'occu- 
pait alors,  le  long  du  fleuve,  que  la  rive  comprise  entre  le 
château  et  le  Bouffa  y. 

En  résumé,  en  trois  époques  successives,  nous  rencontrons 
trois  ports  distincts,  un  pour  chaque  époque,  dans  la  même 
région  du  fleuve.  Au  temps  de  Posidonius  et  de  Scipiou, 
l'emporium  de  la  Loire  s'appelle  Corbilon  ;  Corbilon  dispa- 
rait, et  au  temps  de  Ptolétnée,  il  y  a  dans  la  même  région, 
un  port  auquel  le  géographe  donne  le  nom  de  Ratiale;  enfin, 
pendant  que  Ratiale  est  encore  une  ville,  vïs-;:-vi>  d'elle,  sur 
l'autre  rive,  un  village  naît,  grandit,  remplace  le  port  des 
Piclons  et  devient  à  son  tour  Yemporium  de  la  Loire.  Grâce 
à  des  travaux  entrepris  avec  intelligence  et  continués  avec 
ténacité,  Nantes  passe  avec  ce  titre  à  travers  les  siècles  et  il 
le  conserve  jusqu'à  nous. 

.le  ne  veux  pas  pousser  la  témérité  jusqu'à  affirmer  que 
les  choses  se  sont  passées  de  cette  manière  -,   et   je  pense. 


237 

comme  Dom  Lobineau,  qu'il  «  n'est  pas  donné  à  huit  le 
»  monde...  de  prendre  pour  des  découvertes  solides  de 
»  simples  rapports  de  noms  et  d'élimologies  (').  »  Cepen- 
dant ce  système  a  pour  lui  la  vraisemblance,  la  nature 
des  choses,  l'enchaînement  des  faits  et  la  proximité  des 
situations. 

Mais  l'archéologie  ne  doit  pas  vivre  d'hypothèses  ;  elle 
ne  doit  pas  s'inspirer  de  renseignements  qui  n'ont  pas  reçu 
la  sanction  des  faits  ou  de  la  science  ;  et  quand  elle  va 
puiser  a  une  source,  elle  doit  s'assurer  de  la  pureté  des 
eaux. 

Malheureusement  nous  nous  laissons  volontiers  tenter  par 
l'inconnu  ;  volontiers  nous  faisons  un  pas  vers  lui,  sans 
nous  assurer  de  la  solidité  du  terrain  sur  lequel  nous 
mettons  les  pieds  ;  et  puis  la  nécessité  nous  oblige  à  revenir 
sur  nos  pas,  car  au  delà  c'est  l'abîme. 

Je  n'ai  eu  d'autre  dessein,  en  entreprenant  cette  étude 
concernant  la  géographie  et  l'histoire  anciennes  de  notre 
département,  que  de  chercher  à  attirer  l'attention  sur  un 
certain  nombre  de  points  controversés  relatifs  soit  à  des 
appréciations  sur  l'âge  de  constructions  anciennes,  soit  à 
des  indications  d'emplacements  de  lieux  antiques  disparus, 
soit  a  des  événements  remarquables  tirés  des  vieux  historiens, 
soit  à  des  faits  extraordinaires  dont  la  cause  semble  nous 
échapper.  Je  l'ai  fait  sans  parti  pris,  dans  le  seul  intérêt  de 
ce  que  je  crois  la  vérité,  n'épargnant  pas  les  citations,  et 
les  reproduisant  fidèlement. 

Je  vais,  pour  terminer,  résumer  mon  travail  en  quelques 
lignes. 

Je  crois  qu'il   faut   renoncer  a  placer  sur   le   plateau   et 

(')  Histoire  de  Bretagne,  p.  7. 


238 

au  pied  du  plateau  de  Guérande,   les  trois   villes  antiques 
coexistantes  :   Grannone,  Brivates  et  Vénéda. 

Je  trouve  que  Vénéda  convient  a  Guérande  et  ne  convient 
pas  à  Saille. 

Grannone  était  entourée  de  Saxons  l'an  400,  les  Saxons 
d'Odoacre  n'ont  pu  venir  sur  la  Loire  —  s'ils  y  vinrent  — 
qu'environ  70  ans  plus  tard  :  ou  ne  peut  donc  pas  les 
invoquer  en  faveur  de  Guérande  ;  Baveux  répond  à  la 
première  indication,  ce  qui  est  absolument  nécessaire,  et 
Guérande  n'y  répond  pas. 

11  faut  de  nouvelles  recherches  pour  trouver  la  situation 
du  port  Brivates  :  celui-ci  me  parait  devoir  être  cherché 
sur  la  Vilaine. 

Je  crois  qu'on  étudiera  longtemps  encore  l'emplacement 
de  Corbilon  ;  je  n'ai  pas  donné  mes  arguments  pour  des 
preuves  ;  mais  la  logique  des  faits  nous  dit  que  cette  place 
de  commerce  devait  être  dans  le  voisinage  de  Nantes. 

La  capitale  des  Namnètes,  Condevincum,  ne  doit  pas 
être  confondue  avec  le  village  du  port  qui  devint  Nantes 
en  passant  par  le  Portus  JSamnetum. 

Le  domaine  de  Cariaca,  résidence  de  l'évêque  Félix,  était 
près  de  Nantes,  à  Chassais  sans  aucun  doute,  et  non  à 
Piriac. 

L'abbaye  de  Tincillac  était  dans  le  diocèse  d'Angers,  sur 
la  rive  gauche  de  la  Loire,  et  non  sur  la  Vilaine. 

Les  tours  de.  Cuy  et  de  Treveday  sont  des  constructions 
postérieures  au  XVe  siècle,  et  ne  peuvent  pas  être  assimilées 
a  des  monuments  gallo-romains. 

11  en  est  ainsi  des  citernes  de  Kerboucharl. 

La  brique  n'a  pas  cessé  d'être  en  usage  dans  notre  pays 
depuis  l'époque  gallo-romaine,  et  il  n'a  pu  en  être  autrement 
de  la  brique  pilée  employée  dans  la  confection  du  mortier 
destiné  aux  travaux  de  quelque  importance. 


239 

La  plaine  de  Montoir  et  les  marais  salants  de  Guérande 
ont  subi  un  affaissement  qui  a  dû  se  produire  au  IIIe  ou  au 
IVe  siècle  de  notre  ère  :  avant  ce  cataclysme,  ces  lieux 
devaient  être  élevés  de  plus  de  7  mètres  au-dessus  du 
niveau  actuel,  et  le  Trait  du  Croisic  ne  devait  pas  être 
encore  une  petite  mer  intérieure. 

Les  Samnites,  puis  les  Namnètes,  s'étendaient  de  la  Loire 
à  la  Vilaine,  de  l'Anjou  à  l'Océan  ;  et  c'est  au  nord  de  la 
Vilaine  qu'eut  lieu  la  grande  lutte  de  César  et  des  Venètes, 
laquelle  se  termina  par  la  destruction  de  la  flotte  des 
Venètes  et  de  leurs  alliés  de  la  Manche. 


• 


DU  RÈGLEMENT 


SOCIETE  ACADEMIQUE. 


La  Société  public  un  journal  de  ses  travaux ,  sous  le  titre 
d'Annales  de  la  Société  Académique  de  Nantes  et  du  département  de 
la  Loire -Inférieure.  Ces  Annales  se  composent  des  divers  écrits  lus  à 
la  Société  ou  à  l'une  des  Sections.  —  La  Société  a  le  droit,  après  qu'une 
des  Sections  a  publié  un  travail,  de  se  l'approprier,  avec  le  consente- 
ment de  l'auteur.  —  Les  Annales  paraissent  tous  les  six  mois,  de  manière 
à  former,  a  la  fin  de  l'année  ,  un  volume  de  500  pages  in-8°. 

Les  Annales  de  la  Société  sont  publiées  par  séries  de  dix  années.  — 
Le  Règlement  de  la  Société  est  imprimé  à  la  tète  du  volume  de  ebaque 
série ,  ainsi  que  la  liste  des  membres  résidants ,  classés  par  ordre  de 
réception. 


Le  choix  des  matières  et  la  rédaction  sont  exclusivement  l'ouvrage  de 
la  Société  Académique. 

Le  prix  de  la  souscription  annuelle  est  de  -. 
5  francs  pour  Nantes  5 
7  francs  hors  Nantes  ,  par  la  poste. 

Les  demandes  de  souscriptions  peuvent  être  adressées  franco  à  M""  V 
Melliuet,  éditeur  cl  'imprimeur  des  Annales,  place  du  Pilori,  5. 


ANNALES 


DE   LA 


SOCIETE  ACADEMIQUE 

DE    NANTES 
ET  DU  DÉPARTEMENT  DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE 

DÉCLARÉE 

ÉTABLISSEMENT  D'UTILITÉ  PUBLIQUE 

Par  Décret  du  27  décembre  1877. 


Volume    1er    de    la  7e  Série. 


1890 


DEUXIEME    SEMESTKE. 


NANTES, 

Mme  \ve  CAMILLE  MELLINET,  IMPRIMEUR  DE  LA  SOCIÉTÉ  ACADÉMIQUE, 

Place  du  Pilori,  5. 
L.  MELLINET  et  O,  sucrs. 


— WK 


$ÊM/ 


V 


LA  DOULEUR  v 


p1 


SA  NATURE  CHEZ  L'INDIVIDU  ET  DANS  LA  SOCIÉTÉ 

SON  INFLUENCE  SUR  LES  IDÉES  SOCIALISTES 

ET  SUR  LES  DIVERS  GOUVERNEMENTS. 


Vivre,  c'est  se  mouvoir.  —  L'inertie  de  la  non  existence, 
que  ce  mouvement  doit  vaincre,  dans  un  effort  continu  et 
incessant,  est  l'obstacle  contre  lequel  l'action  de  vivre  vient 
continuellement  se  buter. 

Cet  effort  de  la  puissance  vitale  ,  dont  l'essence  nous 
échappe,  mais  dont  nous  connaissons  les  diverses  et  multi- 
ples manifestations,  cet  effort,  dis-je,  dans  sa  généralité  et 
dans  ses  innombrables  variétés,  constitue  la  nature  même  de 
la  douleur,  qui  devient  ainsi  la  corrélation  forcée  de  la  vie 
elle-même. 

Quelques  philosophes  ont  prétendu  que  les  plantes  souf- 
fraient parce  qu'elles  possèdent  une  sorte  de  vie  végétale, 
une  sorte  de  mouvement  qui  les  fait  croître  et  vieillir  ;  tant 
la  plus  imparfaite  existence  leur  semblait  avoir  pour  corol- 
laire obligé,  la  douleur,  suivant  le  vieux  principe  philosophique 
qui  dit  que  :  tout  être  possédant  une  vie,  si  imparfaite  qu'elle 
soit,  tend  à  la  conserver  et  est  affecté  de  la  voir  diminuer. 
Admettons  que  la  chose  soit  discutable;  au  surplus,  ce  sont 
des  questions  qui  admettent  toutes  les  solutions,  même  les 

16 


-242 

plus  absurdes,  car,  dès  qu'il  s'agit  de  l'essence  des  choses  el 
des  êtres,  les  plus  hautes  intellignces  humaines  ne  voient 
devant  leurs  regards  que  chaos  et  néant. 

A  partir  d'un  certain  degré  de  l'échelle  animale,  les  êtres 
sont  organisés  pour  manifester  à  nos  sens  les  souffrances 
qu'ils  endurent.  Rien  ne  peut  prouver  cependant  que  ceux 
moins  doués  par  la  nature  pour  frapper  notre  oreille  de  leurs 
cris,  n'aient  pas  une  sensibilité  égale  ou  supérieure  à  celle 
des  privilégiés  dotés  de  poumons  el  de  cordes  vocales.  Qui 
sait  si,  entre  la  sensation  d'un  mollusque  qu'on  détruit  et 
celle  d'un  vertébré  qu'on  tue,  il  n'y  a  pas,  pour  toute  diffé- 
rence, que  la  façon  d'exprimer  cette  sensation  ;  incomprise 
chez  le  premier,  elle  serait  comprise  chez  le  second,  la 
souffrance  ressentie  étant  la  même.  On  a  soutenu  beaucoup 
d'opinions  plus  irrationnelles  que  celle-là. 

Chez  les  animaux  d'ordre  supérieur,  la  douleur  a  déjà  une 
gamme  du  moins  au  plus  très  facile  à  constater  pour  nous. 
Cette  gamme  se  continue  chez  l'homme  ;  elle  monte  et 
grandit  toujours  au  fur  à  mesure  qu'elle  s'applique  à  des 
parties  plus  parfaites,  plus  spirituelles  de  nous-mêmes  ;  enfin 
elle  atteint  presque  l'infini  dans  notre  être  moral  pur  ;  c'est 
par  l'être  moral,  en  effet,  par  la  raison  que  nous  touchons 
l'Infini  idéal,  le  Tout  parfait,  Dieu. 

El  ainsi  nous  voyons  celte  corrélation  absolue  s'établir 
entre  la  douleur  el  la  vie  de  telle  sorte  que,  plus  la  vie  est 
parfaite,  plus  la  douleur  est  affinée,  grandie,  multipliée.  Si 
bien  que  nous  voyons  sur  les  mêmes  sommets  les  grandes 
souffrances  frapper  les  grandes  intelligences  et,  de  ce  choc, 
jaillir  les  hauts  faits  des  héros  ou  les  chefs-d'œuvre  sublimes 
de  la  littérature  et  de  l'art. 

Si  l'on  examine  les  œuvres  qui  nous  restent  des  siècles 
passés,  œuvres  qui  sont  comme  la  synthèse  de  millions 
d'intelligences  et  qui  n'apparaissent  que   de  loin   en  loin, 


243 

comme  si  l'effort  de  leur  production  stérilisait  pour  long- 
temps l'intelligence  humaine,  on  voit  toujours  la  douleur 
être  l'occasion  de  leur  création  ou  le  sujet  dont  elles  nous 
parlent. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  rappeler  que  les  deux  chefs-d'œuvre 
poétiques  de  l'antiquité  nous  racontent  les  malheurs  des 
Grecs  et  ceux  d'Ulysse  et  que  ces  épopées  ont  été  faites  par 
un  aveugle.  Il  allait  chanter  de  porte  en  porte  pour  un  mor- 
ceau de  pain  ces  vers  qui  devaient  faire  les  délices  des  plus 
fins  lettrés  de  vingt  et  quelques  siècles. 

Virgile  nous  chante  les  malheurs  d'Enée  ou  de  Didon. 
Shakespeare  n'a-t-il  pas  écrit  des  chefs-d'œuvre  d'une  poi- 
gnante douleur  et  ne  s'écriait-il  pas  :  «  0  homme  !  ton  nom 
est  douleur  !  »  Cette  exclamation,  c'est  son  œuvre  entière 
synthétisée  en  quelques  mots.  Le  Dante  a  cherché  dans  la  des- 
cription du  purgatoire  et  de  l'enfer  un  chef-d'œuvre  qu'il  a 
trouvé  sans  peine.  Milton,  cet  auire  aveugle,  nous  a  parlé 
lui  aussi,  dans  son  Paradis  perdu,  de  la  douleur.  Gœthe, 
Schiller,  Lamartine,  Chateaubriand,  ont  eu  des  chants 
superbes  et  toujours  leurs  plus  beaux  cris  ont  été  ceux  arra- 
chés par  la  souffrance  vue  en  eux-mêmes  ou  vue  chez  ceux 
qu'ils  aimaient.  Chez  nous,  Racine  et  Corneille,  nos  deux 
grands  poètes  n'ont  besoin  dans  leur  Cid-  ou  leur  Alhalie, 
leur  Phèdre  ou  leur  Horace,  ni  de  moyens  factices,  ni  de 
style  naturaliste,  pour  intéresser  et  captiver  leurs  auditeurs. 
Ils  laissent  parler  à  la  douleur  sa  grande  parole,  si  claire, 
si  précise,  si  profonde,  que  nous  nous  regardons  nous-mêmes 
jusqu'au  fond  de  notre  être  et  que  nous  sommes  tout  surpris 
et  tout  heureux,  au  contact  lumineux  de  ces  chefs-d'œuvre, 
de  voir,  de  retrouver  dans  toute  leur  netteté,  les  beaux 
sentiments  que,  l'instant  d'avant,  nous  sentions  confus, 
indécis  et  sans  forme. 

Victor  Hugo,  pour  parler  d'un  grand  poète  plus  rapproché 


244 

de  nous,  a,  lui  aussi,  parlé  de  la  douleur  quand  la  douleur 
ne  l'a  pas  fait  parler.  Sa  préoccupation  constante  du  misé- 
rable, du  gueux  à  qui  il  fait  crier  si  éloqueminent  sa  souf- 
france, ne  lui  aura  pas  fait  seulement  trouver  des  vers 
admirables.  Elle  sera  aussi  comme  le  cachet  de  son  œuvre 
et  contribuera  à  le  faire  placer  au  premier  rang  des  génies 
de  son  siècle. 

Si  nous  examinons  la  nature  de  la  douleur  dans  l'individu, 
nous  trouvons  qu'elle  est  physique  ou  morale. 

Physique  ,  elle  a  pour  application  la  partie  animale  de 
notre  être,  s'arrête  a  une  limite  au  delà  de  laquelle  la  sensa- 
tion disparaît,  et  atteint  tous  les  êtres  humains  dans  des 
proportions  diverses.  La  médecine  a  la  mission  de  combattre 
cette  douleur  physique,  elle  le  fait  avec  succès  quand  la  vie 
du  patient  n'exige  pas  que  ses  douleurs  lui  soient  laissées.  Je 
ne  parle  pas  des  morphinomanes  qui  suppriment  un  instant 
la  souffrance  physique  pour  en  arriver  à  la  souffrance  morale 
bien  plus  terrible,  sans  préjudice  de  la  fin  prompte  et  épou- 
vantable qu'ils  se  donnent  et  qu'ils  savent  les  attendre. 
L'aneslhésic  a  supprimé  bien  des  douleurs,  et  ce,  d'une 
façon  absolue  ;  mais  elle  est  réellement  trop  dans  l'exception 
pour  entrer  en  ligne  de  compte. 

On  peut  donc  conclure  que  la  souffrance  que  nous  éprou- 
vons dans  notre  être  physique  est  le  corollaire  de  notre  vie 
matérielle  tout  de  second  ordre  qu'elle  soit  ;  qu'elle  est 
inévitable  et  que  si  nos  frères  médecins  nous  l'atténuent 
quelquefois,  ils  nous  en  laissent  cependant  suffisamment 
pour  nous  rappeler  souvent  a  nous-mêmes  que  nous  existons. 
Je  souffre,  donc  je  suis,  c'est  un  axiome  qui  console  un  peu 
de  souffrir. 

Mais  esl-il  besoin  de  s'en  consoler  ?  Non,  certes,  puisqu'il 
est  prouvé  que  si  l'homme  pouvait  ne  pas  souffrir,  il  lui 
serait  funeste  de  le  faire.  Cette  loi  de  douleur  nous  a  si  bien 


$45 

été  incorporée  dès  le  premier  instant  de  noire  existence, 
elle  est  si  bien  une  loi  naturelle,  que  vivre  sans  souffrir  ne 
serait  pas  vivre,  l'absence  de  souffrance  amollissant  le 
caractère  et  l'intelligence  et  anéantissant  par  suite  notre 
action  d'exister,  de  vivre.  Gomme  l'Anthée  de  la  fable  au 
contact  de  la  terre,  nos  facultés,  sous  le  fouet  de  la  douleur, 
se  décuplent,  se  revivifient  ;  ne  cherchez  pas  le  génie  dans 
l'opulence  inactive  —  je  dis  inaclive  -  vous  ne  l'y  trouverez 
jamais.  S'il  eut  eu  celle  recherche  à  faire,  Diogène  n'eut 
même  pas  allumé  sa  lanterne  et  n'eut  pas  quitté  son  fameux 
tonneau.  C'est  la  dure  nécessité  le  plus  souvent  qui  enfante 
les  hommes  supérieurs,  comme  c'est  la  vie  rude  et  pénible 
qui  fait  les  grands  peuples  et  les  grandes  époques.  La 
décadence  arrive,  au  contraire,  avec  la  vie  douce,  facile  ; 
on  ne  veut  plus  mourir  aux  Thcrmopiles  ;  on  ne  désire  que 
deux  choses  :  manger  et  voir  les  jeux  du  cirque.  Quand  un 
peuple  méconnaît  la  grande  loi  :  souffrir  pour  vivre,  c'est 
l'anéantissement  qui  arrive  l'en  punir. 

La  douleur  morale,  elle,  est  un  sentiment  —  et  non  plus 
une  sensation  —  par  lequel  l'âme  comparant  son  état  présent 
avec  son  état  passé  ou  avec  son  état  désiré,  le  trouve  inférieur 
et  a  la  notion  pénible  d'une  diminution  dans  sa  vie  et  dans 
ses  facultés. 

Elle  varie  à  l'infini  dans  son  objet  et  sa  cause,-  suivant  les 
caractères,  suivant  les  milieux  sociaux,  suivant  les  besoins 
spéciaux  et  raffinés  que  se  créent  certaines  natures  d'élite 
devenues  plus  délicates  et  plus  sensibles.  Sa  forme  la  plus 
générale  est  celle  de  la  souffrance,  que  nous  éprouvons  par 
la  disparition  de  tous  ceux  qui  nous  sont  chers,  autant  parce 
que  la  privation  de  leur  présence  —  pour  toujours  —  nous 
affecte,  diminue  notre  être  aimant,  que  parce  que  celle 
disparition  nous  rappelle  à  nous-mêmes  celle  qui  nous  attend. 
Dans  cette   forme,  la  douleur  atteint  tous  les  êtres  humains 


24G 

raisonnables  et  devient  une  loi  aussi  générale  que  la  mort 
qui  la  cause.  Moins  répandues  sont  ses  formes  plus  factices 
résultant  de  raffinement  des  intelligences  et  du  développe- 
ment des  relations  sociales  dans  ce  qu'elles  ont  de  plus  élevé 
comme  sentiments  et  comme  intellect.  Telle  esl,  par  exemple, 
la  douleur  du  poète,  de  l'écrivain  ou  de  l'artiste  qui  sait, 
qui  sent  son  œuvre  bonne,  belle,  grande,  et  qui  la  voit 
incomprise  ou  bafouée.  Pour  être  créées  par  des  besoins  de 
convention,  de  civilisation,  d'affinement  intellectuel,  ces 
souffrances  n'en  sont  pas  moins  vives  ;  elles  touchent  à  l'âme, 
à  l'être  moral  et  sont  au  sommet  de  l'échelle. 

C'est  la  religion  qui  s'est  donné  pour  mission  la  guérison 
de  la  douleur  morale.  Guérison  est  un  terme  impropre,  c'est 
plutôt  l'art  d'endurer  patiemment  la  douleur  que  je  devrais 
dire.  La  religion,  en  effet,  résout  le  problème  en  le  tournant, 
c'est-à-dire  en  faisant  intervenir  comme  palliatif  de  la  douleur, 
un  fadeur  nouveau,  le  mérite  de  souffrir,  aboutissant  à  une 
vie  future  sans  souffrance.  Elle  ne  l'a  pas  trop  mal  résolu, 
puisque,  depuis  nos  sublimes  martyrs  chrétiens  jusqu'aux 
fidèles  croyants  de  Boudha,  elle  a  donné  à  tous  le  courage 
de  souffrir  avec  joie  et  de  choisir  même  la  souffrance  au 
lieu  du  plaisir. 

La  religion  chrétienne,  particulièrement,  enseigne  à  ses 
fidèles  que.  la  douleur  leur  est  donnée  par  Dieu,  comme 
moyen  de  régénérer  leur  nature  déchue  et  d'acquérir  des 
droits  à  celte  vie  future  et  éternellement  heureuse  ;  si  bien 
que  de  cette  même  douleur  qui  est  en  soi  une  diminution 
d'existence,  un  mal,  par  conséquent,  elle  fait  ainsi  un  bien 
désirable  par  le  résultat  qu'elle  lui  donne  comme  objectif. 
Elle  a  ainsi  créé  une  vertu  admirable  :  la  résignation, 
inconnue  dans  le  paganisme  et  dans  les  autres  religions.  Le 
fatalisme,  le  stoïcisme,  la  morale  épicurienne  sont  des 
systèmes  philosophiques  incomplets,  mauvais  ;  le  peu  de  bon 


247 

épars  dans  leurs  maximes,  est  devenu  avec  cette  idée  de 
régénération  qui  en  fait  toute  la  valeur  morale,  notre  rési- 
gnation chrétienne. 

Telle  est  la  douleur  dans  sa  double  nature  chez  l'individu. 

Dans  la  société,  dans  la  collectivité  des  individus,  bien 
qu'elle  les  atteigne  Ions,  elle  s'appesantit  parculièrement  sur 
ceux  que  le  manque  de  fortune  oblige  à  une  lutte  journa- 
lière et  constante  pour  s'assurer  l'existence.  Celte  lutte 
terrible,  jamais  finie,  avec  ses  victoires  inquiètes  pour  le 
lendemain  et  ses  '  défaites  sans  pain  pour  le  vaincu  et  pour 
ceux  que  celui-ci  s'est  donne  mission  et  charge  de  nourrir, 
cette  lutte  pour  la  vie,  fait  oublier  les  autres  douleurs  dans  la 
collectivité  ;  de  sorte  que  les  «  malheureux  »  sont  formés 
de  tous  ces  lutteurs  au  jour  le  jour  et  les  «  heureux  »  de 
tous  ceux  qui  ont  vaincu  pour  longtemps  le  besoin,  ayant 
acquis  par  eux-mêmes  ou  ayant  reçu  de  leurs  ancêtres  la 
fortune.  Qu'elle  provienne  d'une  possession  territoriale  datant 
d'une  époque  indéterminée  ;  qu'elle  ait  été  la  récompense 
d'œuvres  géniales  ou  de  hauts  faits  ou  qu'elle  ait  pris 
naissance  dans  l'industrie,  le  négoce  ou  le  jeu  naturel  du 
rapport  et  de  l'accroissement  de  l'argent,  ce  que  la  fortune 
représente  essentiellement,  c'est  une  réserve  de  vie,  une 
provision  de  satisfactions."  Les  classes  malheureuses,  labo- 
rieuses, ouvrières,  n'ont  pas  cette  réserve  ;  chaque  jour 
amène  sa  faim  à  assouvir  et  son  pain  à  créer.  Aussi 
envient-elles  ces  heureux,  ces  classes  dirigeantes  qui  sont 
délivrées  du  souci  quotidien  qui  possèdent  la  fortune. 
Cette  envie  devient  trop  souvent  de  la  haine  quand  la  lutte 
est  trop  pénible  ou  quand  ceux  qui  possèdent  se  désin- 
téressent trop  de  ceux  qui  souffrent.  Comment  arriver  à  ce 
que  les  malheureux  n'envient  ni  ne  haïssent  les  heureux,  et 
à  ce  que  ceux-ci  secourent  ceux-là  en  temps  propice,  de 
façon  suffisante,  tout  en  restant  riches,  tout  en  gardant  leur 


ï248 

réserve,  leurs  privilèges  qu'ils  jugent  bien  acquis  et  possédés 
selon  l'équité  ?  Telle  est  la  fameuse  question  sociale  dont  on 
parle  tant  en  cette  fin  de  siècle,  qui  dure  depuis  que  les 
hommes  existent  et  sont  plus  ou  moins  misérables  et  qui 
existera  tant  qu'il  restera  ici-bas  deux  êtres  humains  dont  l'un 
sera  plus  heureux  que  l'autre. 

Il  semble  donc  que  la  question  soit  insoluble.  Biais,  si  la 
solution  parfaite  est  reconnue  impossible,  les  solutions  impar- 
faites ou  partielles  ont  été  proposées  ou  essayées  par  tous  les 
gouvernements  dont  c'est,  du  reste,  la  raison  d'être,  et  par 
tous  les  partis  qui  ont  essayé  de  devenir  gouvernements,  en 
raison  de  la  solution  toujours  et  chaque  fois  la  meilleure 
qu'ils  offrent  ou  ont  offerte  tour  à  tour. 

En  commençant  par  les  expériences  en  cours  nous 
trouvons  :  1°  le  pouvoir  personnel  absolu  ;  2°  le  pouvoir 
personnel  avec  un  Parlement  ;  3°  le  pouvoir  électif  avec 
Parlement  ou  Conseil  similaire,  cela  va  sans  dire. 

Le  pouvoir  personnel  absolu,  selon  l'homme  qui  l'incarne, 
peut  faire  peu  ou  beaucoup  pour  les  déshérités  ;  l'obstacle 
pour  lui  réside  dans  son  unité,  dans  sa  personnalité  :  s'il 
fait  beaucoup  pour  les  déshérités,  c'est  un  peu  au  léger,  très 
léger  détriment  des  heureux  qui  lui  font  de  l'opposition  et  le 
suppriment  s'ils  le  peuvent  ;  s'il  fait  peu,  il  s'aliène  ces 
mêmes  malheureux  et  ravive  les  haines  de  sectes  contre  les 
hautes  classes;  entre  ces  deux  partis  la  situation  est  difficile 
et  il  ne  peut  marcher  qu'à  tout  petits  pas.  La  Russie  peut 
nous  donner  le  type  de  ce  gouvernement  :  la  question 
sociale  y  est  aussi  vive,  aussi  aigre  que  dans  notre  France 
révolutionnaire  ;  les  idées  subversives  de  destruction,  de 
nihilisme,  de  socialisme,  dans  la  mauvaise  acception  du 
mot,  y  sont  aussi  répandues,  sinon  [dus,  que  chez  nous. 

Ces  difficultés ,  le  pouvoir  personnel  avec  Parlement 
comme    le    pouvoir  électif,    les  rencontrent  eux  aussi  ;  ils 


249 

ont  en  pins  rimpédimentum  d'une  assemblée  délibérante 
derrière  l'anonymat  de  laquelle  ils  disparaissent  le  plus 
souvent  dans  les  questions  embarrassantes,  et  devant  la 
lenteur  et  la  très  sage  minutie  de  laquelle  disparaît  éga- 
lement leur  bon  vouloir  socialiste  quand  il  y  en  a.  L'Alle- 
magne, l'Angleterre,  la  France,  les  Etats-Unis,  la  Suisse, 
ces  puissances  ont-elles  même  apaisé  les  revendications 
utopistes  des  classes  malheureuses  ?  Non,  puisque  la  question 
sociale  est  plus  que  jamais  à  l'ordre  du  jour  et  plus  que 
jamais  irritante. 

Les  systèmes  non  expérimentés  jusqu'ici  et  dont  ceux  qui 
aspirent  à  en  faire  l'expérience  nous  promettent  une  perfec- 
tion qui  n'aurait  rien  d'humain,  ces  systèmes  sont-ils  réelle- 
ment la  solution  attendue?  Evidemment  non,  précisément,  en 
raison  de  la  perfection  impossible  qu'ils  se  proposent  d'at- 
teindre. Du  socialisme  coopératif  chrétien  avec  jurandes  et 
maîtrises,  jusqu'au  socialisme  a  dynamite  générale,  en 
passant  par  le  socialisme  communiste,  tous  sont  trop  parfaits 
—  dans  leurs  genres  relatifs  —  j'entends  :  tous  sont  des 
utopies  dangereuses  qui  bouleverseraient  toute  notre  société 
de  fond  en  comble  si  elles  étaient  essayées. 

Or,  ces  utopies  promettent  toutes  un  bonheur,  une  absence 
de  douleurs  et  de  souffrances  contraires  au  possible  et  con- 
traires à  la  loi  naturelle  qui  fait  de  la  douleur  un  corollaire 
obligé  de  la  vie.  Et  c'est  surtout  en  allant  contre  celte  loi 
et  en  la  niant  qu'elles  sont  pernicieuses.  Les  conditions  de 
l'existence  sociale  et  politique  sont  changées  dans  le  plus 
grand  nombre  des  grands  Etats  civilisés.  Le  bulletin  de  vote 
a  donné  le  pouvoir  au  nombre  et  le  nombre,  hélas  !  ce  sont 
les  malheureux.  Devant  ces  appâts  de  bonheur  chimérique, 
ne  tenteront-ils  pas  de  mettre  à  exécution  ces  utopies 
insensées  et  de  le  faire  sur  une  vaste  échelle,  dans  cinq, 
dans  dix  nations  à  la  fois.  La    Révolution  d'Angleterre,  la 


250 

grande  Révolution  française,  étaient  des  mouvements  locali- 
sés. On  se  demande  ce  que  serait  un  mouvement  révolution- 
naire plus  général,  déjà  maintes  fois  annoncé,  du  reste.  11  y 
a  cent  ans  il  fallait,  pour  traverser  la  France,  le  temps  qu'il 
nous  faut  aujourd'hui  pour  traverser  l'Europe  !  A  ces  moyens 
de  transport  des  êtres,  dix  fois  plus  rapides,  ajoutez  le 
transport  instantané  de  la  pensée,  sur  tous  les  points  de  notre 
globe  devenu  bien  petit  sous  la  main  d'un  simple  télégra- 
phiste, et,  dans  quelques  années,  le  transport  instantané  de 
la  parole  dans  la  plupart  des  nations  civilisées;  vous  aurez 
la  conscience  qu'une  force  colossale,  répandue  sur  toute  la 
terre,  éparpillée  entre  des  millions  de  malheureux,  peut  être 
coordonnée,  organisée,  gouvernée  et  dirigée.  Toutes  ces 
forces  peuvent  être  reliées  à  un  centre,  en  recevoir  univer- 
sellement et  instantanément  le  môme  mot  d'ordre  et  agir 
avec  ensemble  sur  tous  les  points  du  globe  à  la  fois  —  tel 
le  corps  humain,  dans  toutes  ses  parties,  est  en  communica- 
tion avec  le  cerveau,  lui  transmet  ses  sensations,  en  reçoit 
les  volontés  et  les  exécute  avec  ensemble  et  coordination. 

Le  cerveau  qui  commanderait  ainsi  à  cette  somme  de  tous 
les  malheureux  existant  dans  le  monde  civilisé  ne  serait-il 
pas  la  plus  formidable  puissance  humaine  qui  ait  existé  ?  Si 
elle  existe  demain  cette  puissance,  quelles  utopies  n'essaicra- 
t-elle  pas,  ayant  pareilles  forces  a  son  service.  Quel  idéal 
proposera-t-elle  à  ses  membres?  Scra-t-elle  sans  idées  de 
destruction  et  de  haine,  cette  résultante  de  toutes  les  priva- 
tions et  de  toutes  les  souffrances  du  genre  humain  entier  ? 

Lui  direz-vous  alors,  moralistes  sociaux,  que  la  douleur 
est  évilable?  Lui  montrerez-vous  le  bien-être  matériel  général 
comme  une  chose  possible,  facile,  raisonnable,  due,  nécessaire? 
Et  où  le  prendrez-vous  ce  bien-être  que  des  millions  voudront, 
consommer  et  que  pas  un  seul  ne  voudra  produire  ?  Ce  sera 
donc  la  destruction  totale,  le  retour  à  l'état  sauvage  qu'au 


251 

vont    provoqués  vos    utopies  et  votre   négation  de  la  loi 
naturelle  de  la  douleur. 

En  me  basant  sur  l'existence  réelle  de  cette  grande  loi,  je 
conclus  en  souhaitant  un  socialisme  qui  la  reconnût  comme 
un  principe,  s'interdit,  par  conséquent,  des  utopies  d'état 
idéal,  parfait,  sans  misères  journalières,  sans  souffrances, 
sans  luttes,  sans  travail  pénible  et  enfin  moralisât  les  masses  ; 
d'abord  par  l'enseignement  d'une  existence  future,  sanction 
de  notre  vie  actuelle,  ensuite  par  sa  propagande  en  faveur 
des  goûts  simples,  des  mœurs  familiales.  Ses  adeptes  trou- 
veraient dans  l'application  de  ces  principes  le  courage  de 
lutter  vaillamment,  la  résignation  dans  l'adversité  et  atten- 
draient plus  patiemment  l'évolution  naturelle  et  sagement 
progressive  que  notre  société  fait  et  continuera  forcément  de 
faire  vers  un  état  de  plus  en  plus  parfait,  de  plus  en  plus 
équitable. 

V.  LOISEAU. 


LE     PARTHÉNON 


Par  M.  Alcide  LEROUX. 


A  M.  Olivier  de  GÛURCUFF. 

Quand  un  fils  de  la  Gaule  ou  de  la  Germanie, 

Avide  de  soleil,  d'azur  et  d'harmonie, 

Pénètre  tout  ému  dans  les  antiques  mers 

Dont  tant  de  lieux  sacrés  bordent  les  flots  amers  ; 

Quand  il  entre  ébloui  dans  le  golfe  d'Athènes 

Et  qu'il  voit  poindre  enfin  les  falaises  lointaines 

De  ce  sol  parsemé  de  sommets  radieux, 

Blocs  immenses  de  nacre  émergeant  vers  les  cieux  ; 

Parmi  ces  caps  riants  dont  l'éclat  l'environne, 

S'il  distingue  d'en  bas  les  hauteurs  de  Colonne 

Et  demande  le  nom  du  temple,  éblouissant 

Qui  se  dresse  là  haut  et  sourit  au  passant  : 

«  Là  !  ce  sont  les  débris  d'un  temple  de  Minerve,  » 

Lui  dit-on  ;  et  tandis  qu'il  vogue  et  qu'il  observe, 

Qu'il  admire  éperdu  cet  accord  merveilleux, 

Des  teintes  de  la  mer  et  des  horizons  bleus, 

Soudain,  entre  le  ciel,  l'Hymette  et  Salaminc, 

Debout  sur  un  sommet  qu'un  mont  plus  grand  domine, 

Il  voit  comme,  un  rempart  rayonnant  de  blancheur, 

Projeter  son  éclat,  sa  forme  et  sa  hauteur 

Sur  le  Phalère,  puis  sur  la  voûte  azurée. 

Et  tous,  et  les  marins  à  la  face  cuivrée 


258 

Et  l'homme  au  front  pâli  disent  :  «  Le  Parthénon  !  » 
Et  le  recueillement  se  répand  à  ce  nom  ; 
Sur  le  pont,  sur  les  eaux,  c'est  presque  le  silence 
Pendant  que  le  vaisseau  s'engage  au  fond  de  l'anse. 

Et  lorsque  le  vaisseau,  joyeux  arrive  au  port, 

Qu'il  s'arrête  au  Pirée  et  que  l'enfant  du  Nord, 

Rejetant  le  manteau  qui  couvre  son  épaule, 

Le  cœur  tout  palpitant  s'élance  à  l'Acropole, 

S'il  demande  à  quels  dieux  tous  ces  temples,  hélas  ! 

Brisés,  appartenaient,  on  lui  dit  :  À  Pal'as  ! 

A  Pallas  TEreclhée  !  à  Pallas,  le  Pandrose  ! 

Le  temple  où  la  Victoire,  oisive,  se  repose  ! 

Enfin  le  Parthénon,  source  de  la  beauté 

Où  depuis  deux  mille  ans  puise  l'humanité  ! 

A  Pallas  Athênê,  ce  travail  du  génie 

Où  perce  en  longs  reflets  la  sagesse  infinie  ! 

A  la  vierge  Pallas,  ce  divin  monument, 

Qui  de  l'idéal  môme  est  un  rayonnement  ! 

Et  l'étranger  ne  sait  s'il  prie  ou  s'il  admire  ; 
De  la  mer  bleuissante  où  l'Hymette  se  mire, 
Il  porte  ses  regards  aux  champs  de  Marathon, 
Puis  aux  rochers  fameux  où  discourut  Platon, 
Où  Démosthène  tint  les  foules  enchaînées, 
Où  la  Grèce  accourait  voir  les  Panathénées. 
A  gauche  il  aperçoit,  en  deçà  du  Parnès, 
Le  lieu  qui  retentit  des  sanglots  de  Gérés, 
Réclamant  aux  échos  la  triste  Proserpine  ; 
Où  Minerve  elle-même ,  avec  sa  main  divine, 
L'emportant  sur  Neptune,  a  planté  l'olivier, 
Gage  plus  précieux  que  le  plus  fier  coursier. 
En  bas,  presque  ses  pieds,  il  aperçoit  le  temple 


254 

De  Jupiter  ;  son  œil  un  instant  le  contemple, 

Mais,  invinciblement,  il  reporte  ses  yeux 

Vers  celui  de  Minerve,  à  qui  les  autres  dieux 

Semblent  former  cortège  et  rendre  un  long  hommage. 

Il  frémit  comme  s'il  eût  entrevu  l'image 

De  la  vierge  Pallas,  le  casque  sur  le  front, 

Et  brandissant  sa  lance  au  sein  du  ciel  profond. 

Approche,  enfant  du  Nord,  altéré  de  lumière  ; 
Approche  avec  respect  ;  louche  du  doigt  la  pierre 
Où  s'est  réalisé  le  Beau,  splendeur  du  Vrai, 
Fixé  par  Ictinus  dans  un  sublime  essai. 
Observe  de  plus  près  les  merveilleuses  lignes  ; 
Touche  du  doigt  :  les  fils  des  barbares  sont  dignes 
De  toucher  de  leurs  mains  l'auguste  Parthénon, 
Depuis  qu'ils  ont  sauvé  ses  restes  et  son  nom. 
Mais  gémis  en  voyant  la  frise  ravagée, 
Par  le  brutal  Elgin  la  déesse  outragée. 
Te  voici  sur  le  seuil  :  entre  dans  la  Cclla, 
C'est  la  qu'à  Phidias  le  Beau  se  révéla. 
Viens,  regarde  en  pleurant  cette  immense  blessure 
Par  le  temps  et  les  Turcs  agrandie  à  mesure. 
C'est  bien  là ,  n'est-ce  pas  ?  c'est  bien  là  le  tombeau 
Que  dut  rêver  un  peuple  enflammé  pour  le  Beau. 
Oui,  ne  dirait-on  pas  qu'Athènes  tout  entière 
Dort  là,  dans  son  sourire  et  sa  grâce  si  iière. 
Voici  le  piédestal  qui  longtemps  a  porté 
Celle  œuvre  où  s'incarnait  la  force,  la  beauté 
Unie  à  la  sagesse,  illuminant  l'ivoire 
Et  l'or  tout  palpitants  et  de  vie  et  de  gloire. 
C'est  là  que  rayonnait  dans  la  sérénité 
Minerve  étince.lante  en  sa  virginité. 


255 

Qui  donc  es-tu,  Pallas  ?  N'es-tu  qu'une  déesse 
A  peine  supérieure  à  l'humaine  faiblesse  ? 
Qu'une  divinité  soumise  aux  passions 
Gomme  les  dieux  communs  aux  vieilles  nations  ? 
Non,  lu  n'es  pas  cela  :  mystérieux  emblème, 
Image  sans  défaut  de  la  splendeur  suprême, 
Tu  résumes  en  toi  les  attributs  divins 
Qu'Athène  entrevoyait  par  ses  grands  écrivains  ; 
Tu  résumes  en  toi  l'éternelle  sagesse, 
L'éternelle  clarté  dont  le  regard  s'abaisse 
Jusqu'à  l'homme  et  l'éclairé  en  son  épaisse  nuit. 
Au  milieu  des  éclats  du  plaisir  qui  s'enfuit, 
Tu  règnes  triomphante,  impassible,  immortelle  ; 
Même  après  deux  mille  ans,  tu  nous  apparais  telle 
Que  t'honoraient  les  Grecs  inclinant  leurs  cimiers, 
Au  milieu  de  leurs  dieux  tous  rangés  à  tes  pieds. 
Aussi  nous,  nous  à  qui  s'est  enfin  révélée 
La  divine  pensée  à  nos  yeux  dévoilée , 
Nous  t'aimons,  ô  Pallas,  comme  un  premier  rayon 
Annonçant  le  soleil  caché  sous  l'horizon. 

Septembre  1890. 


UN  AN  AUX  ILES  DU  SALUT 


Par   M.    DELTEIL. 


MŒURS  DE  LÀ  TRANSPORTATION  DANS  UNE  DE  NOS  COLONIES 

PÉNITENTIAIRES 

ANNÉE      1863-64 

Pendant  mon  séjour  à  Gayenne,  en  1863,  j'eus  l'occasion 
d'aller  aux  Iles  du  Salut,  où  se  trouvait  alors  le  dépôt  de  la 
transportation.  Je  vécus,  pendant  un  an,  au  milieu  des 
forçats  ;  j'ai  recueilli,  sur  les  mœurs  et  l'existence  de  ces 
êtres  dégradés,  quelques  notes  qui  me  paraissent  avoir  un 
certain  intérêt,  bien  qu'elles  datent  de  près  de  trente  ans. 

La  traversée  de  Caycnne  aux  lies  du  Salut  ne  dure  que 
quelques  heures,  car  ces  îles  sont  distantes  de  douze  lieues 
environ  de  cette  dernière  ville  ;  mais  elle  est  presque  toujours 
des  plus  pénibles  tant  la  mer  de  ces  parages  est  dure  et 
agitée.  J'avais  pris  passage  avec  plusieurs  autres  compagnons 
d'infortune  sur  l'aviso  de  l'Etat  le  Casablanca.  A  peine 
avions-nous  quitté  la  rade  de  Çayenne  que  nous  fûmes 
assaillis  par  un  raz  de  marée,  dont  les  lames  en  volute 
balayaient  le  pont  du  navire  de  bout  en  bout.  Les  estomacs 
les  plus  solides  ne  résistèrent  point  à  un  aussi  effroyable 
tangage,  et  il  est  peu  de  passagers  qui  ne  payèrent  leur 
tribut   au   terrible  mal    de  mer.    Ce   n'est   qu'après  avoir 


257 

dépassé  Y  Enfant  perdu,  petit  rocher  isolé  au  milieu  des 
flots  et  surmonté  d'un  phare,  que  nous  eûmes  un  peu  de 
calme.  Bientôt  la  vue  des  trois  îlots  verdoyants  qui  portent 
les  noms  (Vile  Royale,  Ile  Saint-Joseph  et  Ile  du  Diable, 
formant  le  petit  archipel  des  Iles  du  Salut,  nous  inspira  des 
idées  plus  gaies  et  rasséréna  les  visages.  Il  me  parut  que 
la  prison  que  j'allais  habiter  ne  serait  pas  trop  triste  au 
moins  comme  aspect.  En  effet,  bien  que  les  deux  premiers 
îlots  ne  soient  que  deux  rochers  élevés  au-dessus  des  flots, 
la  végétation  ne  laisse  pas  que  d'y  être  luxuriante  comme 
sur  les  terres  basses  et  hautes  du  continent.  Il  a  fallu, 
quand  on  s'est  décidé  à  y  faire  un  premier  établissement, 
y  porter  la  hache  et  la  torche  pour  se  frayer  un  passage 
au  milieu  d'une  inextricable  foret  qui  descendait  jusqu'au 
littoral.  Tout  en  conservant  les  arbres  nécessaires  pour 
constituer  de  pittoresques  abris  et  de  ravissantes  prome- 
nades, on  a  su  disposer  avec  goût  les  différents  bâtiments 
nécessaires  au  logement  de  la  transportation  et  des  fonc- 
tionnaires chargés  de  leur  surveillance. 
-  Nous  jetons  l'ancre  dans  une  belle  et  profonde  rade  bien 
protégée  des  vents  et  de  la  mer  du  large  où  peuvent 
mouiller  les  navires  de  guerre  du  plus  fort  tonnage.  Une 
baleinière  montée  par  des  forçats  vient  nous  chercher  et 
nous  descendre  a  terre.  Nous  jetons  en  passant  un  coup 
d'œil  sur  la  maison  du  commandant  et  du  commissaire  située 
tout  près  du  débarcadère,  puis  nous  prenons  une  très  belle 
route  de  ceinture  ombragée  par  de  grands  arbres  qui  nous 
conduit  par  une  pente  douce  sur  un  vaste  plateau  élevé  de 
60  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  On  y  jouit  d'une 
vue  superbe  ;  on  aperçoit  les  côtes  de  Kourou  bordées  de 
palétuviers  et,  par  des  temps  clairs,  la  ville  de  Gaycnne. 
L'île  du  Diable,  vue  de  ce  promontoire,  ressemble  à  une 
carte  de  géographie  toute  en  relief.  Elle  apparaît  triste  et 

17 


258 

désolée ,  sans  aucun  arbre.  Les  malheureux  condamnés 
politiques  qu'on  y  a  internés  à  plusieurs  reprises,  sous  le 
second  empire,  ne  devaient  point  y  mener  une  existence 
agréable.  L'ile  Saint-Joseph,  au  contraire,  où  Ton  gardait 
les  condamnés  ayant  fini  leur  temps,  mais  astreints  au 
séjour  forcé  à  la  Guyane,  semblaient  être  dans  un  véritable 
Eden,  tant  cet  îlot  offrait  à  l'œil  de  charmantes  pers- 
pectives. 

C'est  sur  le  plateau  où  nous  étions  arrivés  que  se  trouvent 
les  cases  en  bois  de  la  transporlation,  l'hôpital,  la  maison 
des  sœurs  et  des  pères  jésuites,  puis  un  peu  plus  loin,  la 
citadelle  entourée  d'un  mur  d'enceinte  et  renfermant  le 
logement  des  officiers  et  un  poste  de  soldats  d'infanterie 
de  marine.  A  la  partie  Est,  nous  apercevions  une  jolie 
caserne  et  un  très  beau  jardin  disposé  en  amphithéâtre  servant 
au  personnel  libre. 

Le  logement  dans  lequel  on  me  conduisit  et  que  je  devais 
occuper  pendant  un  an,  se  composait  de  trois  petites  pièces 
ornées  d'un  mobilier  des  plus  sommaires  dû  à  la  libéralité 
du  Gouvernement.  11  faisait  partie  d'une  grande  longèrc  en 
bois  montée  sur  patin,  dans  les  divers  compartiments  de 
laquelle  on  empilait  le  plus  possible  d'officiers.  Les  plus 
hauts  gradés  jouissaient  d'un  nombre  de  compartiments  en 
rapport  avec  leurs  galons.  Ces  cases  démontables  avaient 
été  envoyées  aux  Iles  du  Salut,  dès  le  début  de  la  transpor- 
tait, pour  ne  servir  que  provisoirement.  11  y  avait  déjà 
10  ans  que  ce  provisoire  durait  et  je  ne  serais  pas  étonné 
qu'au  bout  de  30  ans,  il  durât  encore.  Le  plus  grand  incon- 
vénient qu'offraient  ces  vieilles  cases,  à  l'époque  où  je  passai 
aux  lies  du  Salut,  c'était  de  receler  dans  leurs  planches 
pourries  des  légions  de  cancrelas,  mille-pattes  et  fourmis  qui 
venaient  vous  visiter  pendant  la  nuit  et  troublaient  souvent 
votre  sommeil  par  de  dégoûtantes  promiscuités. 


259 

Noire  vie  sur  cet  îlot  de  quelques  centaines  de  mètres  de 
tour,  rappelait  un  peu  l'existence  à  bord  d'un  navire.  Nous 
prenions  nos  repas  en  commun,  installés  ce  qu'on  appelle 
en  gamelle,  c'est-à-dire  qu'un  de  nous  était  chargé  chaque 
mois  à  tour  de  rôle  de  faire  vivre  ses  camarades  au  moyen 
de  leurs  versements  mensuels  individuels.  Notre  cuisinier, 
nos  domestiques  appartenaient  tous  à  la  transporta  lion  et 
nous  n'en  étions  pas  moins  bien  servis  pour  cela.  Bien  au 
contraire  !  car  ces  gens-là,  qui  ne  sont  pas  bêtes,  jouissant 
d'un  bien-être  relatif  et  d'une  certaine  liberté  à  noire  service, 
faisaient  tout  leur  possible  pour  nous  plaire  afin  de  conserver 
des  fondions  aussi  avantageuses  sous  tous  les  rapports. 
Ils  savaient,  du  reste,  que  la  moindre  peccadille  étail  punie 
par  le  renvoi  immédiat  et  la  prison,  lorsque  le  commandant 
des  pénitenciers  n'y  ajoutait  pas  des  coups  de  corde  sur  les 
reins,  ou  le  peloton  de  correction. 

Nous  avions  une  basse-cour  bien  garnie,  du  bon  vin 
dans  nos  caves,  d'excellents  poissons  de  mer,  des  légumes 
variés  provenant  de  notre  jardin.  Rien  ne  nous  manquait 
donc  sous  le  rapport  du  confortable.  Aussi  ne  négligions- 
nous  aucune  occasion  de  recevoir  et  de  donner  des  dîners  ! 
C'est  surtout  quand  arrivaient  sur  rade  des  navires  de  guerre 
que  nous  invitions  en  masse  les  états-majors  qui  ne  deman- 
daient pas  mieux  que  de  se  décarêmer  un  peu  de  la  vie 
de  bord.  Enseignes,  midships,  médecins  de  marine  deve- 
naient nos  hôles  pendant  huit  jours,  étaient  accueillis  comme 
des  frères  et  trouvaient  au  milieu  de  nous,  je  ne  dirai  pas 
les  joies  de  la  famille,  mais  l'expansion  affectueuse  et 
bruyante,  la  cordialité  sincère  de  bons  camarades  heureux 
de  se  retrouver  avec  ceux  qui  leur  apportaient  comme  une 
émanation  de  la  patrie  absente. 

Nous  profilions  de  la  présence  de  ces  hôtes  de  passage 
pour  les  faire  jouir  des  distractions  que   l'esprit  inventif  de 


260 

quelques-uns  de  nous  avait  su  organiser.  Nous  trouvions,  à 
cet  effet,  des  éléments  précieux  dans  le  personnel  de  la 
transportait,  qui  nous  offrait  des  sujets  remarquables  à 
plus  d'un  titre.  C'est  ainsi  que  nous  avions  trouvé  le  moyen, 
en  nous  cotisant,  de  constituer  une  excellente  musique  com- 
posée de  40  ou  50  exécutants  bien  dressés  et  ayant  toutes 
les  allures  d'une  musique  militaire.  Elle  jouait  non  seulement 
le  jeudi  et  le  dimanche,  dans  l'après-midi,  sur  le  plateau  de 
la  citadelle,  mais  encore  le  soir  à  l'heure  de  notre  diner, 
toutes  les  fois  que  nous  avions  un  banquet  important.  Notre 
chef  de  musique  sortait  de  la  garde  impériale  ;  dans  un 
moment  de  colère  et  de  jalousie,  il  avait  assassiné  un  de  ses 
rivaux  qui  lui  avait  été  préféré  dans  un  Concours.  Gredinerie 
à  part,  c'était  un  musicien  de  grande  valeur  et  un  piston  de 
première  force.  Il  y  avait  aussi,  comme  soliste,  un  trombone 
qui  était  d'une  force  étonnante  sur  cet  ingrat  instrument.  11 
exécutait  les  variations  de  Guillaume  Tell  avec  une  perfec- 
tion difficile  à  dépasser. 

Mais  ce  n'était  pas  tout  :  nous  avions  formé  une  troupe 
d'acteurs  de  talents  très  variés,  qui  nous  jouaient  des  vau- 
devilles désopilants.  Un  spécialiste  avait  monté  un  Guignol 
très  réussi,  et  un  autre  chantait  des  tyroliennes  avec  un  coup 
de  gosier  dont  j'ai  rarement  vu  l'équivalent.  Enfin,  pour 
compléter  la  troupe  de  nos  artistes,  un  vieux  forçat,- con- 
damné pour  de  nombreuses  piperies  au  jeu,  ancien  grec 
émérile,  nous  faisait  des  tours  de  carte  à  faire  pâlir  la  répu- 
tation de  Bosco.  Comme  il  n'avait  plus  de  ménagements  à 
garder,  il  poussait  la  complaisance  au  point  de  nous  initier 
aux  filouteries  employées  par  les  gens  de  sa  profession. 
Heureusement  que  ses  leçons  tombaient  sur  une  terre  ingrate  ! 

Si  l'on  joint  à  tous  ces  plaisirs,  les  promenades  en  mer  à 
l'ile  Saint-Joseph,  à  l'île  du  Diable  et  à  Ronron,  et  les 
grandes  pèches  au   filet  dans  le  canal  compris  entre  l'île 


Royale  et  Saint- Joseph  et  où  l'on  prenait  souvent  d'énormes 
requins  et  de  gigantesques  espadons,  on  voit  que  nos  hôtes 
n'étaient  pas  trop  à  plaindre  pendant  leur  relâche  aux  lies  du 
Salut,  et  que  nous-mêmes  possédions  des  agréments  qui 
nous  permettaient  de  ne  pas  trop  nous  ennuyer. 

Mais  il  est  temps  de  parler  de  la  transportation  et  de 
donner  un  aperçu  de  la-  façon  dont  les  forçais  étaient  traités 
aux  lies  du  Salut,  des  travaux  et  du  régime  auxquels  ils 
étaient  soumis  et  des  résultais  moraux  que  le  système  appli- 
qué à  ces  rebuts  de  la  civilisation  avait  produits  après  quel- 
ques années. 

Les  forçais,  à  leur  départ  de  France,  étaient  débarrassés 
de  leur  chaîne,  au  moment  de  leur  embarquement  sur  les 
deux  grands  transports,  la  Cérès  et  Y  Amazone,  qui  les 
amenaient  plusieurs  fois  par  an  à  la  Guyane.  On  ne  leur 
laissait  que  l'anneau  de  fer  rivé  à  leur  cheville,  portant  le 
nom  de  manille.  Ce  n'est  qu'à  leur  arrivée  aux  Iles  du 
Salut  qu'on  les  débarrassait  complètement  de  cette  marque 
infamante.  On  leur  donnait  aussi  un  costume  différent  de 
celui  en  usage  dans  les  bagnes  de  France.  Us  recevaient, 
en  effet,  un  pantalon  de  toile  grise,  une  vareuse  de  laine 
grossière  et  un  chapeau  de  paille.  Les  forçats  quittaient  donc 
leur  ignoble  livrée  et  devenaient  des  transportés.  S'ils  avaient 
eu  le  droit  de  laisser  pousser  leurs  barbes  et  leurs  cheveux, 
on  les  aurait  pris  plutôt  pour  des  paysans  que  pour  des 
condamnés.  Malheureusement  pour  eux,  leur  face  glabre  et 
vicieuse  sur  laquelle  on  lisait  le  crime  écrit  en  caractères 
ineffaçables  .ne  permettait  pas  de  les  confondre  avec  des 
honnêtes  gens. 

La  traversée  de  France  aux  lies  du  Salut  durait  30  à  40 
jours.  Les  transports  étaient  armés  et  aménagés  de  façon  à 
éviter  toute  révolte  et  à  la  comprimer  sûrement  et  impitoya- 
blement si  elle   avait  éclaté,  malgré  les  précautions  prises. 


262 

Les  forçats  étaient  parqués  dans  l'entrepont  fermé  de  bout 
en  bout  par  des  grilles  en  fer.  A  chaque  extrémité  se  trou- 
vait un  détachement  bien  armé  et  une  pièce  de  canon 
chargée  à  mitraille.  Les  hublots  étaient  aussi  garnis  de 
barreaux  en  fer.  Chaque  jour  on  faisait  monter  sur  le  pont, 
a  tour  de  rôle,  une  douzaine  de  condamnés  pour  leur  faire 
prendre  l'air.  Le  voyage  se  passait  habituellement  sans 
incidents,  et  les  nombreux  passagers  civils  et  militaires  qui 
se  trouvaient  à  bord  n'étaient  nullement  incommodés  du 
voisinage  des  forçats,  tant  est  sévère  et  rigoureuse  sur  un 
navire  de  guerre  la  consigne  limitant  a  chacun  l'espace  qu'il 
doit  occuper  ou  sur  lequel  il  a' droit  de  circuler. 

Aussitôt  débarqués  à  l'île  Royale  les  transportés  étaient 
conduits  a  la  forge  et  débarrassés  de  leur  manille.  On  les 
répartissait  ensuite  dans  les  différents  services  ou  ateliers  de 
la  transportation,  en  ayant  égard  aux  aptitudes  de  chacun 
d'eux.  C'est  ainsi  que  les  plus  intelligents  et  les  plus  lettrés 
étaient  placés  dans  les  bureaux  comme  écrivains  ;  d'autres 
étaient  employés  en  qualité  de  domestiques,  cuisiniers,  infir- 
miers, jardiniers  ;  d'autres  enfin  comme  menuisiers,  maçons, 
tailleurs,  cordonniers,  terrassiers,  etc.,  car  tous  les  corps 
de  métiers  étaient  représentés  aux  Iles  du  Salut  et  la  trans- 
portation se  suffisait  à  elle-même.  Cela  n'était  pas  toujours 
économique,  par  exemple  ;  mais  il  fallait  bien  trouver  des 
occupations  a  tous  ces  hommes  que  l'oisiveté  et  la  paresse 
auraient  complètement  abrutis. 

Les  heures  de  travail  étaient  établies  de  façon  a  éviter  la 
trop  grande  ardeur  du  soleil,  de  6  heures  à  10  heures  du 
matin  et  de  2  heures  a  5  heures  du  soir.  Le  reste  du  temps 
jusqu'au  coucher,  qui  avait  lieu  à  8  heures,  appartenait  au 
transporté,  lequel  en  disposait  comme  bon  lui  semblait,  soit  à 
se  reposer,  soit  à  pêcher,  soit  à  toutes  sortes  de  petites 
industries  qui  augmentaient  un  peu  sou  maigre  pécule.  Lors- 


203 

qu'on  avait  un  travail  un  peu  dur  I»  leur  faire  faire  ou  une 
corvée  un  peu  rude  a  exiger  d'eux,  on  les  faisait  accompagner 
par  la  musique  qui  leur  jouait  des  airs  gais  et  sautillants 
dans  le  but  de  leur  donner  plus  de  courage.  C'était  une 
attention  délicate  duc  à  un  ancien  Gouverneur  de  la 
Guyane,  M.  Sarda-Garriga,  fortement  imbu  des  idées  Saint- 
Simoniennes. 

C'est  pendant  leurs  heures  de  repos  et  principalement  le 
dimanche  qu'on  pouvait  observer  le  transporté  sur  le  vif  et  se 
livrer  sur  lui  a  d'intéressantes  éludes  de  mœurs.  Les  uns 
armés  de  filets  ou  de  lignes  de  pèche  s'éparpillaient  sur  les 
rochers  le  long  de  la  côte  et  cherchaient  à  attraper  du  poisson 
pour  le  vendre  au  personnel  libre.  Des  groupes  isolés,  munis 
de  guitares  construites  par  des  luthiers  d'occasion,  chantaient 
des  chœurs  ou  des  romances  sentimentales.  D'autres  se 
faisaient  restaurateurs  en  plein  vent  ;  ils  cuisinaient  des  mets 
inénarrables,  des  arlequins  composés  de  tous  les  déchets  et 
rogatons  de  nos  cuisines,  et  des  fritures  qui  avaient  souvent 
pour  élément  la  chair  de  requin  coupée  en  tranches  minces. 
Des  cafetiers  établis  sous  des  tentes  garnies  de  bancs  et  de 
tables  débitaient,  sous  le  nom  de  café,  un  liquide  pâle  et 
jaunâtre  fabriqué  avec  le  mnre  de  café  des  états-majors 
soigneusement  recueilli  et  vendu  à  ces  industriels.  La  foule 
de  consommateurs  s'y  portait  toujours  en  grand  nombre. 
La  tasse  de  café  toute  sucrée  s'y  vendait  un  sou.  Les  gour- 
mets y  ajoutaient  un  petit  verre  de  tafia. 

Le  soir,  entre  5  et  6  heures,  presque  tous  les  petits 
métiers  si  répandus  dans  les  grandes  villes  étaient  représentés 
dans  les  rues  fréquentées  par  les  transportés  ;  on  y  voyait 
des  marchands  de  cigarettes,  d'objets  de  curiosité,  tels  que  : 
boîtes,  noix  de  coco  sculptées,  des  décrotteurs.  Car  là, 
comme  ailleurs,  il  existait  des  pauvres  et  des  riches  ;  ces 
derniers   appartenaient    principalement  à   la    catégorie  des 


264 

employés  de  bureau,  lesquels  recevant  une  petite  solde  et 
fort  souvent  de  l'argent  de  leurs  familles,  employaient  leurs 
ressources  à  se  donner  le  plus  de  bien-être  possible  et  à  se 
faire  servir  au  besoin  par  leurs  camarades  moins  fortunés. 
Aussi  cherchaient-ils  à  se  distinguer  de  la  plèbe  par  un 
costume  plus  recherché  et  un  air  plus  propre  et  plus  coquet. 
C'était  la  fine  fleur  des  pois,  l'aristocratie  du  bagne. 

Le  dimanche,  il  y  avait  aussi  des  jeux  de  loto  très  courus 
par  de  nombreux  amateurs.  C'était,  du  reste,  le  seul  jeu  de 
hasard  qui  fût  permis  sur  le  camp.  Un  croupier  recevait  les 
enjeux  et  se  réservait  une  petite  commission  sur  le  gain 
total  ;  c'était  lui  qui  fournissait  les  cartons  et  les  numéros. 
Un  loustic,  connaissant  à  fond  les  qualificatifs  désopilants 
dont  on  affuble  chaque  numéro  sortant,  était  chargé  de  faire 
le  tirage  et  d'amuser  la  société.  C'était  toujours  le  même 
qui  occupait  ces  importantes  fonctions  ducs  à  une  verve  et 
à  un  esprit  inventif  difficiles  à  égaler.  Les  assistants  passaient 
des  après-midi  tout  entières  accroupis  sur  le  gazon,  passionnés 
pour  ce  jeu  où  les  plus  heureux  ne  pouvaient  gagner  que 
quelques  sous. 

Malgré  la  grande  liberté  dont  jouissaient  les  transportés, 
la  discipline  à  laquelle  ils  étaient  soumis  était  néanmoins  des 
plus  dures  et  des  plus  draconiennes.  La  moindre  faute 
était  punie  de  la  prison  avec  fers  aux  pieds,  du  fouet  et, 
pour  les  récidivistes,  du  peloton  de  correction  où  l'on  était 
astreint  aux  plus  rudes  corvées,  la  chaîne  aux  pieds  et  le 
bonnet  du  bagne  sur  la  léle.  Une  menace  ou  un  refus  de 
travail  faite  a  un  surveillant  pouvait  être  suivie  de  mort  ;  en 
pareil  cas,  leurs  gardiens  avaient  le  dr.oit  de  faire  usage  de 
leur  revolver  et  de  leur  brûler  la  cervelle.  El  le  fait  sVst 
passé  plus  d'une  fois  pendant  mon  court  séjour  aux  Iles  du 
Salut. 

Ceux  qui  les  traitaient   le  mieux  et  qui  en  avaient  le  plus 


205 

pitié,  c'étaient  les  officiers  de  santé,  les  pères  jésuites  et  les 
sœurs  de  charité.  Ils  ne  voyaient  en  eux  que  de  pauvres 
êtres  déclassés  dont  les  maladies  morales  et  physiques  leur 
inspiraient  une  immense  commisération.  Avec  de  la  douceur 
et  de  bons  traitements,  nous  en  obtenions  tout  ce  que  nous 
voulions,  môme  de  rattachement  et  de  la  reconnaissance. 
Je  me  rappelle  un  infirmier  major  de  .la  pharmacie,  nommé 
Malinge,  qui  faisait  son  service  avec  tant  de  zèle,  de  ponc- 
tualité et  d'intelligence  que,  pendant  plus  de  dix  ans,  sa 
conduite  ne  donna  lieu  a  aucune  observation.  Et  cependant 
le  dossier  antérieur  de  ce  gaillard-là  était  loin  d'être  d'une 
blancheur  immaculée.  Il  avait  été  condamné  au  bagne  pour 
avoir  assommé  des  marchands  de  bœufs  revenant  sur  le 
tard,  dans  les  environs  de  Paris. 

J'ai  même  été  témoin  d'actes  de  dévouement  qui  prouvent 
que  tout  sentiment  humain  n'est  pas  éteint  dans  ces  cœurs 
de  sauvages.  Un  de  mes  amis,  médecin  de  la  marine,  jeune 
père  de  famille,  eut  la  douleur  de  perdre  son  premier  né, 
pendant  qu'il  était  aux  Iles  du  Salut.  Ses  domestiques  et  ses 
infirmiers,  tous  forçats,  réclamèrent  l'honneur  de  porter  eux- 
mêmes  sur  leurs  épaules  le  petit  cercueil  de  l'enfant  au 
cimetière.  Ils  semblaient  ainsi  vouloir  donner  à  celui  qui  les 
soignait  à  l'hôpital  et  qui  les  traitait  chez  lui  avec  humanité, 
une  marque  ostensible  de  leur  reconnaissance.  L'un  d'eux, 
artiste  un  peu  primitif,  sculpta  dans  la  pierre  un  enfant 
couché,  tenant  un  rameau  brisé  dans  sa  main,  pour  le 
tombeau  du  pauvre  petit  mort. 

Les  pères  jésuites  se  donnaient  beaucoup  de  peine  pour 
les  améliorer,  mais  ils  n'obtenaient  en  général  que  de 
médiocres  résultats.  Ils  exigeaient  d'eux  des  pratiques  reli- 
gieuses très  suivies,  qui  n'en  faisaient  que  de  purs  hypocrites. 
Gomme  ils  étaient^  à  celte  époque,  les  grands  dispensateurs 
des  grâces,  les  transportés,  gens  doués  de  peu  de  préjugés, 


266 

prenaient  avec  eux  des  airs  de  petits  saints  qui  en  imposaient 
aux  bons  religieux.  Et  c'était  presque  toujours  les  plus  tristes 
chenapans,  mais  les  plus  habiles  comédiens  sur  lesquels 
pleuvaient  les  faveurs  et  les  avantages.  Je  fus  témoin  d'un 
fait  assez  scandaleux  qui  en  dit  long  sur  les  sentiments 
religieux  dont  les  transportés  pratiquants  étaient  imprégnés. 
C'était  pendant  la  célébration  de  la  fêle  de  Pâques.  Le  vicaire 
apostolique  de  Cayenne,  personnage  fort  important  et  qui 
avait,  sinon  le  titre,  du  moins  les  attributions  d'un  évéque, 
était  venu,  aux  Iles  du  Salut,  présider  la  cérémonie  et  donner, 
de  sa  propre  main,  la  communion  a  tous  les  gibiers  de 
potence  que  les  pères  jésuites  avaient  signalés  d'une  façon 
particulière  au  prélat,  comme  dignes  d'entrer  tout  droit  en 
paradis.  On  avait,  pour  la  circonstance,  orné  l'église  le  plus 
pompeusement  qu'on  avait  pu.  La  sainte  table  était  garnie 
de  glands  d'or.  Après  la  cérémonie,  on  s'aperçut  qu'ils 
avaient  tous  disparu  ;  les  néophytes  les  avaient  coupés 
pendant  qu'ils  recevaient  la  sainte  hostie. 

Les  transportés  semblaient  en  général  et  d'une  façon 
superficielle  assez  satisfaits  de  leur  sort  et  résignés  à  la  vie 
qu'ils  menaient,  si  différente  de  celle  du  bagne.  Mais,  au 
fond  du  cœur,  tous  nourrissaient  une  idée  fixe,  compagne 
fidèle  de  leurs  jours  et  de  leurs  nuits,  espérance  plus  forte 
que  toutes  les  barrières  qui  se  dressaient  devant  eux.  Celle 
pensée  qu'ils  dissimulaient  avec  un  art  profond,  que  leur 
visage  ou  leurs  paroles  savaient  si  bien  cacher,  que  seuls 
connaissaient  deux  ou  trois  fidèles  initiés,  c'était  l'évasion  ! 
Sortir  de  l'île,  gagner  la  cote,  puis  la  colonie  voisine  de 
Démérary  ou  de  Surinam  était  pour  eux  le  salut,  la  liberté 
possibles.  Aussi,  leur  pensée  était-elle  constamment  tendue 
vers  les  moyens  si  limités  cependant  qu'ils  pouvaient 
employer  pour  arriver  au  but  tant  désiré.  El  Dieu  sait  cepen- 
dant si    la    chose  était    facile  dans   cette    ile    éloignée    du 


continent,  entourée  d'une  mer  remplie  de  voraces  requins  et 
avec  une  surveillance  aussi  vigilante  que  celle  qu'on  exerçait 
sur  tous  les  points  et  sur  les  embarcations  ! 

Malgré  tout,  il  ne  se  passait  pas  d'année  sans  qu'il  y  eût 
quelques  tentatives  d'évasion,  dont  quelques-unes  réussis- 
saient. Il  en  est  une  surtout  qui  est  restée  légendaire.  Un 
pauvre  diable  d'infirmier  n'avait  rien  trouvé  de  mieux  que 
de  s'introduire  dans  la  grande  bière  en  bois  qui  servait  a 
transporter  les  cadavres  des  transportés  h  la  mer.  Il  avait 
mis  quelques  provisions  dans  sa  boîte,  percé  des  trous 
au-dessus  du  couvercle  pour  avoir  un  peu  d'air  et  s'était 
lancé,  la  nuit  dans  les  flots  à  la  grâce  de  Dieu.  On  le 
recueillit  le  lendemain  près  des  côtes,  à  moitié  asphyxié  et 
heureux  d'être  repêché  après  les  terribles  sensations  qu'il 
avait  dû  éprouver.  Car  il  a  raconté,  après  son  sauvetage, 
qu'il  était  suivi  par  des  bandes  de  requin  qui,  de  leurs 
robustes  mâchoires,  cherchaient  a  démolir  sa  prison  flottante. 

D'autres  partirent  sur  un  radeau  fait  avec  des  troncs  de 
bananiers  liés  ensemble:  ils  purent  gagner  les  rives  de 
Kourou  ;  mais,  perdus  au  milieu  des  forets  de  palétuviers, 
sans  vivres,  sans  boussole,  ils  succombèrent  après  avoir 
souffert  les  tourments  de  la  soif,  de  la  faim  et  devinrent  la 
proie  des  nombreux  crabes  qui  hantent  ces  régions  vaseuses. 

Une  fois,  en  plein  midi,  au  moment  où  chacun  allait  faire 
sa  sieste  et  s'enfermer  chez  soi,  trois  transportés  profitèrent 
du  relâchement  de  surveillance  causé  par  l'extrême  chaleur, 
décrochèrent  une  baleinière  sur  le  port  et  la  mirent  à  l'eau. 
Avant  qu'on  ne  se  fût  aperçu  de  cette  fugue,  accomplie  avec 
un  sang-froid  superbe,  ils  avaient  déjà  gagné  du  large  et 
pris  une  certaine  avance.  Mais  l'alarme  fut  donnée,  les  soldais 
arrivant  en  toute  hâte  s'échelonnèrent  le  long  de  la  cote  et 
fusillèrent  les  fugitifs  qui  faisaient  force  de  rames  et  essayaient 
de  se  mettre   à  l'abri   des  projectiles   qui  tombaient  autour 


268 

d'eux.  Ils  allaient  y  parvenir,  quand  ils  furent  atteints  de 
plusieurs  halles.  On  les  ramena  quelque  temps  après,  cou- 
verts de  blessures,  la  tète  basse,  sachant  le  triste  sort  qui 
les  attendait. 

Une  évasion  moins  dramatique,  et  qui  se  termina  d'une 
façon  presque  burlesque,  fut  celle  qui  eut  lieu  à  Cayenne. 
Deux  transportés  s'échappèrent  une  nuit  d'un  des  pénitenciers 
flottants  ancrés  sur  la  rade  et  se  dirigèrent  vers  les  grands 
bois  qui  entourent  la  ville.  Ignorant  absolument  que  la  ville 
de  Cayenne  était  située  dans  une  île  entourée  d'eau  de  tous 
côtés,  ils  s'imaginèrent  qu'en  allant  droit  devant  eux,  ils 
traverseraient  toute  la  Guyane  et  arriveraient  au  Brésil. 
Dénués  de  boussole  et  de  guide,  ils  errèrent  pendant 
20  jours,  croyant  aller  toujours  en  ligne  droite,  tandis  qu'ils 
piétinaient  pour  ainsi  dire  sur  place  sans  s'en  rendre  compte, 
ainsi  que  cela  arrive  à  tous  ceux  qui  s'égarent  dans  la 
solitude  des  grands  bois.  Enfin,  un  jour,  lassés,  fourbus  et 
mourant  de  faim,  ils  aperçoivent  une  lumière;  ils  se  croient 
sauvés,  ils  se  dirigent  vers  une  maisonnette,  frappent  à  la 
porte  et  tombent  au  milieu  d'un  poste  de  gendarmerie  fran- 
çaise, situé  à  une  lieue  et  demie  de  Cayenne  tout  au  plus,  à 
l'extrémité  du  Tour-dc-l'Ilc.  Ils  ne  pouvaient  en  croire  leurs 
yeux  et  se  figuraient  être  le  jouet  d'une  mystification.  11  fallut 
bien  se  rendre  à  l'évidence  quand  on  les  ramena  le  lendemain 
à  leur  pénitencier.. 

J'eus  l'occasion,  pendant  mon  séjour  aux  lies  du  Salut, 
de  faire  connaissance  avec  des  forçats  d'une  certaine  noto- 
riété. Je  vis  arriver  le  fameux  Gâte-Bourse,  nom  prédestiné, 
qui  s'était  fait  condamner  pour  fabrication  de  faux  billets  de 
banque;  un  hercule  de  foire,  nommé  Audouit,  qui  s'était 
rendu  célèbre  par  plusieurs  assassinats.  Parmi  les  condamnés 
politiques,  je  me  rappelle  surtout  un  capitaine  piémontais  du 
nom   de   Tibaldi,  accusé  d'avoir   trempé  dans  le  complot 


269 

d'Orsini.  C'était  un  homme  instruit,  à  physionomie  distinguée, 
où  dominaient  la  douceur  et  la  tristesse.  On  le  tenait  enfermé 
dans  une  sorte  de  hasse-fosse  située  sous  la  case  de  la 
caserne.  Nous  le  visitions  bien  souvent  et  nous  lui  portions 
du  vin  et  du  tabac  ;  nous  le  trouvions  le  plus  souvent  lisant 
les  vers  du  Tasse,  et  un  chat  familier  auprès  de  lui,  son 
fidèle  compagnon  de  captivité.  Il  a  été  gracié  depuis,  mais 
après  avoir  subi  une  longue  détention,  cent  fois  plus  pénible 
que  celle  du  bagne. 

Quant  au  menu  fretin  de  la  transportalion,  il  se  composait 
principalement  de  voleurs,  de  faux-monnayeurs,  d'incen- 
diaires, de  notaires,  de  prêtres.  Il  s'y  trouvait  môme  un 
ex-capitaine  de  gendarmerie  et  un  vrai  marquis,  le  Mis  de 
Ségueville,  qui  me  servait  de  secrétaire  à  l'hôpital.  Le  plus 
intelligent  de  tous  ces  escarpes  était  un  ancien  notaire, 
Gévaudan,  employé  dans  les  bureaux  du  commandant  des 
lies  du  Salut.  C'était  un  homme  d'une  capacité  hors  ligne  et 
qui  occupait  une  situation  prépondérante  parmi  ses  collègues 
de  la  transportation.  Il  fut  gracié  peu  de  temps  après  mon 
départ  et  passa  en  Amérique  où  il  fit  rapidement  fortune. 

Les  crimes,  tant  entre  transportés  que  commis  sur  le 
personnel  libre,  étaient  très  rares.  Le  mobile  le  plus  fréquent 
des  meurtres  qui  se  perpétraient  de  temps  en  temps  était  dû 
à  la  jalousie.  Les  mœurs  intimes  de  ce  rebut  de  la  popula- 
tion, absolument  privé  de  femmes,  étaient  forcément  peu 
édifiantes. 

La  transportation  à  la  Guyane  n'a  produit  que  de  médiocres 
effets  à  tous  les  points  de  vue.  Elle  a  occasionné  à  l'Etat 
des  dépenses  considérables  et  donné  à  la  Guyane  un  sinistre 
renom.  Les  transportés  n'ont  produit  aucun  de  ces  grands 
travaux  qui  transforment  un  pays,  tels  que  routes,  canaux, 
défrichements,  etc.  Les  essais  de  rénovation  par  le  travail 
et  de  fondation  de  centres  de  population  par  l'élément  de  la 


270 

transporlation  ont  presque  entièrement  échoué.  De  plus,  le 
climat  était  tellement  défavorable  au  travail  européen,  même 
réduit  à  quelques  heures  par  jour,  qu'on  a  dû  renoncer, 
pendant  plusieurs  années,  à  envoyer  à  la  Guyane  des  forçais 
venus  des  baffnes  de  France.  On  s'en  tenait  sagement  aux 
condamnés  d'Algérie  et  des  colonies  françaises. 

Depuis  deux  ans,  on  reprend  à  nouveaux  frais  l'envoi  de 
relégués  européens  à  la  Guyane.  C'est  recommencer  les 
fautes  et  les  errements  du  passé,  sans  aucune  chance  de 
réussite.  On  a  déjà  dépensé  des  millions  de  francs  et  des 
milliers  de  vie  en  pure  perle,  à  la  Guyane  !  Ce  ne  sont  pas 
les  tristes  témoins  des  essais  homicides  et  infructueux  qui 
ont  eu  lieu  autrefois  qui  auraient  donné  le  conseil  de  les 
renouveler. 


ROUTE    DÉSERTE 


CONFESSION. 


A  M.  Julien  Merland. 

Je  n'ai  pas  vingt-cinq  ans.  Bien  loin  d'être  un  dévot, 
J'ai  des  baptisés  presque  oublié  la  promesse  ; 
De  mon  Pater,  hélas  !  je  ne  sais  plus  un  mot, 
Et  je  reste  debout,  bras  croisés,  a  la  messe. 

Oh  !  certes,  ce  n'est  pas  pour  faire  l'esprit  fort. 
Au  temple,  plus  qu'ailleurs,  je  hais  la  crûnerie, 
D'autant  que  les  plus  droits  devant  la  galerie 
Seront  les  plus  courbés  demain  devant  la  mort  ! 

Moi  donc,  qui  désapprends  de  plus  en  plus  de  croire, 
Lorsque  je  suis  las  d'âme  et  que  la  rue  est  noire, 
J'entre  en  une  chapelle  où,  seul,  le  feu  veilleur 

Vit  sous  la  nef  obscure,  où,  derrière  les  grilles 
Du  cloître,  monte  à  Dieu  le  chant  des  saintes  filles  : 
—  Je  me  sens,  en  sortant,  et  moins  triste  et  meilleur. 


ROUTE    DÉSERTE. 


A  M.  Joseph  Rousse. 

Amis,  le  siècle  porte  une  plaie  élargie 
D'heure  en  heure,  mortelle.  Irons-nous  sur  ses  pas 
Nous  traîner  des  tripots  sans  nom  aux  lieux  d'orgie  ! 
Et  l'on  m'a  dit,  railleur  :  —  Pourquoi  n'irions-nous  pas 

Mais  le  feu  sacré  brûle  en  nous  des  mêmes  flammes  ! 
La  main  qui  tient  l'épée  attend  sans  un  frisson, 
Et  la  lyre  toujours  sait  vibrer  en  nos  âmes  ! 
Et  l'on  m'a  dit,  railleur:  —  Chanson,  vieille  chanson! 

Et  qui  remplacera  l'espoir  brisé  des  mères, 

Vos  songes  d'idéal  où  la  beauté  luit 

Si  vous  dites  le  bien  et  le  vrai  des  chimères  ? 

Et  l'on  m'a  dit,  railleur  :  —  Les  amours  de  minuit. 

Où  vos  regards  vont-ils  s'ils  ont  quitté  les  astres  ? 

Avouez-le,  viveurs  sans  foi,  railleurs  blasés 

Oui  prétendez  progrès  ce  que  je  sais  désastres  ! 

Et  l'on  m'a  dit,  railleur  :  —  A  l'absinthe  !  aux  baisers  ! 

N'aimerez-vous  jamais  la  chaste  tiancée 
Au  front  pur  comme  un  lys,  aux  yeux  profonds  et  doux, 
Oubliant  dans  vos  mains  sa  blanche  main  pressée? 
Et  l'on  m'a  dit,  railleur:  —  Serions-nous  assez  fous  ! 


-273 

Grands  hommes  de  vingt  ans,  dédaigneux  de  la  vie, 
Déjà  vieillards  aux  sens  usés  par  le  plaisir, 
N'est-il  plus  rien  de  bon  que  votre  esprit  envie? 
Et  l'on  m'a  dit,  railleur  :  —  L'argent  qui  fait  jouir  ! 


Ainsi,  l'on  va  sa  route,  et  la  route  déserte 

N'a  plus  le  moindre  chant,  la  moindre  branche  verte  ! 

Foi  sainte,  où  sont  les  fils  ?  Idéal,  tes  amis  ? 

Toi  qui  croyais  en  nous,  qu'espères-tu  poète? 

Comme  elle  doit  pleurer  ta  belle  âme  inquiète, 

Ces  fils  de  Roméo  pour  toujours  endormis  ! 


18 


PAUVRETTE. 


A  M.  Dupré  de  la  Roussière. 
I. 

Quatre  heures  ont  sonné.  Certes,  il  était  temps 

Que  la  classe  finit,  que  Ton  quittât  les  bancs. 

Les  fillettes,  dehors,  se  sont  vite  groupées  : 

Les  livres  sous  le  bras  et  bien  enveloppées, 

—  En  décembre,  les  vents  sont  terriblement  froids,  — 

Elles  jasaient,  jasaient  et  toutes  a  la  fois. 

On  causait  de  sabots  mis  dans  la  cheminée, 

Des  bonbons  recueillis  à  la  dernière  année, 

Et  de  ceux  espérés  pour  le  cher  lendemain. 

Le  lendemain,  c'était  Noël,  grand  jour!  —  Soudain, 

La  neige  vint,  épaisse,  aveuglante,  maussade 

Dans  ces  groupes  rieurs  mettre  la  débandade. 

Une  seule  resta.  Demeurée  a  l'écart, 

Songeuse,  elle  a  suivi  les  autres  du  regard  : 

Les  autres,  voyez-vous,  c'étaient  des  demoiselles  ! 

Tandis  qu'elle Pauvrette  ! Elle  fera  comme  elles, 

Quand  même,  placera  ses  sabots  au  foyer: 

Car  pourquoi  son  Jésus  voudrait-il  l'oublier  ? 

II. 

La  fillette,  en  rentrant,  vit  sa  mère  couchée. 

—  «  Maman,  es-tu  malade? Et  tu  t'en  es  cachée? 

»  El  tu  m'en  as  rien  dit,  ce  matin  :  Pourquoi  ?  » 


c275 
La  mère,  que  gênait  l'enfant  : 

«  Embrasse-moi 
»  Mignonne,  reprit-elle,  essayant  un  sourire. 
»  Pour  me  mettre  sur  pieds,  une  nuit  va  suffire  : 
»  Rien  de  grave Veux-tu  me  faire  grand  plaisir  ?  » 

—  «  Maman  !  » 

—  «  Ecoule  :  Ici,  tu  ne  saurais  dormir. 

»  Tu  ne  peux  m'être  utile  en  rien.  Madame  Andrée 

«  T'attend.  Tu  vas  passer  chez  elle  la  soirée  : 

»  Elle  te  gardera,  celte  nuit,  à  coucher. 

»  Ton  père  ira  demain,  au  matin,  te  chercher. 

»  A  Ion  retour,  bien  sûr,  tu  me  verras  guérie. 

»  Sois  gentille  surtout.  Va,  bonsoir,  ma  chérie.  » 

—  «  Bonsoir,  petite  mère.  A  demain  !  » 

III. 

Le  cœur  gros, 
La  pauvre  enfant  partit  dévorant  ses  sanglots. 
Aussi,  pourquoi  l'avoir  de  sa  mère  éloignée? 
Car,  enfin,  de  son  mieux  elle  l'aurait  soignée  : 
Pendant  toute  la  nuit,  vaillante  jusqu'au  bout, 
Elle  aurait  su  Tester  à  son  chevet,  debout. 

Madame  Andrée  eut  beau  se  montrer  douce  et  bonne, 
L'embrasser  sur  le  front,  l'appeler  sa  mignonne, 
L'enfant  demeura,  triste,  assise  dans  un  coin, 
Les  yeux  toujours  fixés,  comme  voyant  au  loin. 
11  fallut  se  coucher.  Elle  fit  sa  prière, 
Priant  Jésus  pour  tous,  avant  tous  pour  sa  mère, 
Et  sans  pleurer  jamais,  —  son  cœur  était  vaillant. 
L'espérance  revint.  En  se  déshabillant, 


27C 

Un  peu  plus  confiante,  un  peu  moins  chagrinée, 
Elle  mit  ses  sabots  devant  la  cheminée. 
Puis  les  doigts  du  sommeil,  si  doux  aux  malheureux, 
Dans  l'ombre  tendrement  vinrent  clore  ses  yeux. 

IV. 

Quand  la  nuit  recula  devant  la  grise  aurore, 
L'aurore  de  l'hiver,  l'enfant  dormait  encore. 
Sur  ses  genoux  berceurs,  dans  un  linge  très  blanc, 
Près  d'un  grand  feu,  mettant  son  cœur  et  son  talent, 
Tendre  comme  une  mère  et  douce  comme  un  prêtre, 
La  dame  enveloppait  un  mignon  petit  être.  — 
Souffrit-il?  Eut-il  soif?  Le  nouveau-né  pleura. 

La  fillette  aussitôt  s'agite  sous  son  drap, 
Et  lentement  regarde,  anxieuse,  étonnée  : 

—  Oh!  ce  bébé  qui  pleure? et,  dans  la  cheminée 

Ce  feu  clair  allumé  bien  avant  le  réveil  ? 

Qu'est-il  donc  arrivé  pendant  son  court  sommeil  ? 
Elle  veut  demander 

Un  homme  ouvre  la  porte, 
Tout  en  larmes,  très  pâle,  à  peine  s'il  se  porte, 
Va  droit  au  lit,  le  corps  brisé  par  les  sanglots  : 

—  «  Hier, -ma  pauvre  enfant,  tu  mis  la  tes  sabots, 

»  Tiens  !  vois! Mais  ton  Jésus  qui  donne  un  petit  frère 

»  Est  reparti,  bien  loin,  là-haut,  avec ta  mère 

»  Tu  sais,  fillette,  où  vont  les  anges dans  le  ciel  !  » 

Et  les  clochers  vibrants  chantaient  :  Noël  !  Noël  ! 


COIN  D'HOPITAL 


A  M.  Olivier  de  Gourcuff. 


La  veille,  du  côté  de  Wœrlh,  de  Frœschwiller, 
Par-delà  les  grands  bois,  rouge,  s'embrasait  l'air. 
L'écho  lent  répétait  le  bruit  de  la  mitraille. 
Nos  cuirassiers  géants  chargeaient  dans  la  bataille. 

Le  lendemain,  les  bruits  s'étaient  tus.  Hagueneau 
Recueillait  les  martyrs,  —  obscur  et  bon  hameau. 

Les  voilà  !  Malgré  tant  de  sublime  vaillance, 
Tant  d'héroïsme,  ils  sont  vaincus  les  fils  de  France  ! 
Les  boulets  ont  tracé  de  meurtriers  sillons  : 
Tombés,  les  colonels  !  Tombés,  les  escadrons  ! 
Et,  pour  ce  qui  survit  c'est  l'affreuse  déroute  : 
Et  les  blessés  fuyant  se  traînent  sur  la  route, 
Maudissant,  affolés,  leur  ennemi  fatal  ! . . . 

Pour  eux,  dans  Hagueneau,  s'ouvrait  un  hôpital. 

Bientôt,  on  amputa  dans  les  étroites  salles  ; 

Le  temps  manquait,  hélas  !  pour  extraire  les  balles. 

Ce  n'est  plus  partout  que  mutilés  affreux, 

Aux  râles  de  mourants,  aux  appels  douloureux  ! . . . 

Et  là,  cependant,  passe  et  repasse  une  femme, 

Jeune  et  belle  héroïne  à  tous  donnant  son  âme. 


278 

La  large  coiffe  est  blanche  et  blanc  son  large  col  : 
Elle  porte  l'habit  de  Saint- Vincent-de-Paul. 

Comme  noire,  la  nuit  ombrait  les  murs  des  salles, 

Et  rendait  moins  distincts  les  membres  sur  les  dalles, 

La  sœur  fit  lentement  sa  ronde  de  blessés. 

. .  .Elle  s'est  arrêtée  ! . . .  Un  lit,  rideaux  baissés, 

Disparaît  dans  ce  coin,  plus  obscur.  Familière, 

Elle  écarte  les  plis.  Est-ce  plainte  ou  prière, 

Que  c'es  mots  soupires,  gémis  :  «  Mon  Dieu  !  mon  Dieu  !  » 

Elle  veut  voir  de  près. . .  elle  pâlit  un  peu. . . 

Sur  un  front  de  vingt-ans,  le  sang  trace  des  rides  : 

L'homme  a  les  yeux  bandés,  les  orbites  sont  vides  ! 

Au  cœur  la  prend  alors  une  immense  pitié. 

Elle  s'appuie  au  lit  et,  penchée  à  moitié, 

Entrelient  le  soldat  de  son  Dieu,  de  la  France, 

De  l'honneur  saintement  conquis,  de  l'espérance, 

De  son  retour  prochain  au  maternel  foyer. . . 

Elle  était  là,  toujours,  quand  lui,  sur  l'oreiller, 

Levant  avec  effort  une  tête  sanglante, 

A  qui  le  consolait  lendit  sa  main  tremblante  : 

—  «  Madame,  écoutez-moi,  dit-il.  Je  vais  mourir. 

»  Vous  pourrez  leur  porter,  plus  tard,  mon  souvenir. 

»  A  toutes  deux,  là-bas  ! . . .  Pauvre  sœur  ! . . .  Pauvre  mère  ! . . .  » 

Mais,  elle,  s'efforçant  à  paraître  sévère, 
L'interrompit  : 

«  Monsieur  ne  vous  fatiguez  pas. 
»  Si  vous  voulez  parler,  parlez  du  moins  tout  bas.  » 

L'homme  continua  d'une  voix  altérée  : 

«  Qui  n'a  connu  ce  cri  :  La  guerre  est  déclarée  ? 


$79 

»  Un  matin,  il  vibra  devant  le  vieux  château  : 
»  Mon  père,  un  colonel  qui,  sous  notre  drapeau, 
»  Avait  vu,  tant  de  fois,  la  Patrie  et  la  Gloire 
»  S'embrasser,  affirmait  sans  crainte  la  victoire. 
»  Dans  la  même  journée,  il  manda  ses  trois  fils  : 

—  »  Enfants,  la  France  attend  :  Le  devoir  est  compris  ? 

»  Au  régiment,  demain,  n'est-ce  pas?  »  —  «  Oui,  mon  père.  » 

—  «  Seulement,  vous  saurez  tout  cacher,  je  l'espère, 
»  Et  devant  votre  mère  et  devant  votre  sœur.  » 

—  «  Jeanne  ! . . .  lui  dérober  ce  secret  de  mon  cœur, 
»  Quand  elle  m'avait  fait  la  sainte  confidence 

»  Que  ça  l'ennuyait  trop  les  visites,  la  danse, 

»  Tous  nos  plaisirs,  qu'enfin  elle  avait  souhaité 

»  De  revêtir  l'habit  brun  de  la  charité  ? 

»  Non  ! . . .  J'ai  dit  mon  secret  :  j'en  avais  dit  tant  d'autres  ! 

»  Jeanne  m'a  répondu  :  —  «  C'est  bien  :  Je  suis  des  vôtres.  » 


La  religieuse  eut  un  tremblement  nerveux 
Et  passa  le  revers  de  sa  main  sur  ses  yeux. 


Et  notre  mère  allait  et  venait,  inquiète  : 

Sur  le  château  planait  une  douleur  secrète. .. 

Vint  l'heure  des  adieux.  Nous  nous  tenons  tous  prêts  ; 

Seule,  ma  sœur,  se  fait  attendre  comme  exprès  ; 

Elle  avait  obtenu  promettant  d'être  forte, 

Jusqu'au  départ  du  train  de  nous  servir  d'escorte. 

...  La  porte  du  salon,  soudain,  s'ouvre  avec  bruit, 

Madame  ! . . .  Je  restai  muet,  pâle,  interdit  ; 

Ma  mère  allait  au  bras  d'une  religieuse 

De  Saint-Vincent-de-Paul  :  C'était  ma  sœur  ! . . .  Pieuse, 

Tu  l'as  toujours  été,  brave,  tu  le  seras, 

Digne  enfant  d'officier,  digne  sœur  de  soldats  ! . . . 

Et  ma  mère  très  calme,  une  sublime  femme, 


280 

»  Refoulant  son  chagrin  au  fond  de  sa  grande  âme, 

»  Murmura  comme  un  prêtre  aux  autels  du  saint  lieu  : 

—  «  Je  vous  bénis.  Allez  :  pour  la  France  et  pour  Dieu  !  » 

La  religieuse  est  à  genoux,  elle  pleure. 

Le  mutilé  reprit  : 

«  Je  ne  connais  pas  l'heure. 

»  Je  vous  retiens  longtemps  ;  peut-être  qu'il  est  nuit  ? 

»  Toutefois,  écoutez.  Je  finis  mon  récit. 

»  A  Frœchwillcr,  la  même  où  l'on  a  dû  combattre 

»  Sans  l'espoir  du  succès,  nous  étions  tous  les  quatre. 

»  Mon  père  regarda  ses  escadrons,  puis  nous  : 

»  Et,j, fièrement,  il  fit  sonner  le  garde  à  vans. 

»  

»  Sabrant  les  Prussiens,  dans  l'épaisse  fumée 

»  Emportés,  nous  chargeons,  phalange  décimée 

»  Qui  mourait,  elle  aussi,  mais  ne  se  rendait  pas  ! 

»  Et  nous  courions  toujours,  sans  rien  voir,  dans  l'amas 

»  De  canons,  de  fusils,  de  maisons  embrasées, 

»  De  nos  amis  râlant,  de  cuirasses  brisées. . . 

»  »  ...  Les  balles,  les  boulets  couchent  des  rangs  entiers  : 

»  Il  le  faut  !  Nous  devons  tomber  jusqu'aux  derniers  !. . . 

»  Une  forte  hauteur  venait  d'être  occupée. 

»  Notre  père,  en  avant,  tenant  très  haut  Pépée, 

»  A  ses  cavaliers  crie  :  —  «  Amis,  délogeons-les  !  » 

»  Ce  fut  tout.  Un  obus  éclata  tout  auprès, 

»  Le  tua.  Nous,  ses  lils,  et  nous,  ses  capitaines, 

»  Nous  répétons  :  «  Vengeance  !  »  —  Alors,  ivres  de  haines, 

»  Nous  chargeons  de  nouveau,  plus  forts,  plus  furieux  ; 

»  Mes  frères,  sur  le  sol,  ont  roulé  tous  les  deux, 

o  Frappés  à  mort  !  Moi  seul 


281 

Or,  la  religieuse, 
Depuis  longtemps,  les  yeux  hagards,  silencieuse, 
Serrait  son  crucifix  entre  ses  doigts  crispés  : 
De  son  cœur  des  sanglots  montaient,  entrecoupés. 
Quand  l'homme  eut  ajouté  :    «  Moi  seul  î . . .  »  l'âme  tordue 
D'une  douleur  sans  nom,  épuisée,  éperdue, 
Elle  se  redressa,  toute,  au  chevet  du  lit, 
Battit  l'air  de  ses  bras,  au  milieu  de  la  nuit, 
Jetant  un  cri  poignant  et  terrible  :  «  Mon  frère  !  » 
Puis,  retomba — Son  front,  d'une  pâleur  sévère, 
Près  du  front  du  soldat  glissa  sur  l'oreiller. 

Etonné,  pris  de  crainte,  accourut  l'infirmier. 

Le  bandeau  du  blessé  s'est  défait.  Tout  est  rouge. 

Le  sang  court.  Ni  la  sœur,  ni  le  frère  ne  bouge  : 

Ils  sont  morts  !. . .  N'est-ce  pas  que  ces  martyrs  sont  beaux? 

Hagucneau  depuis  lors  éleva  deux  tombeaux  : 

L'enfant  d'Alsace  y  vient  apprendre  l'espérance  ; 

Il  lit  sur  l'un  :  «  Pour  Dieu  !  »•  sur  l'autre  :  «  Pour  la  France  !  » 

Emile  OGER. 


CES,  A*TS,\\ 

ÏÏSJ 


L'EAU    DE   LA 


FILTRÉE  D'APRÈS  LE  SYSTÈME  DE   M.   LEFORT 

Par  A.   ANDOUARD, 
Directeur  de  la  Station  agronomique  de  la  Loire-Inférieure. 


Depuis  quelques  années,  les  progrès  de  l'hygiène  ont  donné 
à  la  question  de  l'eau  potable  une  importance  pleinement 
justifiée.  Les  avantages  que  retirent  les  populations  de  l'usage 
d'une  eau  salubre,  les  dangers  qui  résultent  de  la  consom- 
mation d'une  eau  impure  sont  aujourd'hui  des  vérités  banales, 
et  il  n'est  personne  qui  se  désintéresse  de  la  solution  du 
problème  soulevé  par  l'alimentation  des  grandes  villes  en  eau 
de  bonne  qualité. 

Sans  vouloir  formuler  de  critique  malveillante,  il  est 
impossible  de  ne  pas  dire  que  la  ville  de  Nantes  est  mal 
partagée,  sous  le  rapport  de  l'eau  alimentaire.  La  plupart  .dé 
ses  puits  sont  fortement  souillés  par  les  liquides  putrescibles 
dont  son  sol  est  imprégné.  La  Compagnie  industrielle  qui  a, 
depuis  longtemps,  assumé  la  responsabilité  de  son  approvi- 
sionnement, a  toujours  sa  prise  d'eau  dans  la  ville,  au 
voisinage  des  égouts,  et  n'a  pas  encore  découvert  le  moyen 
de  filtrer  l'eau  qu'elle  lance  dans  sa  canalisation.  Elle  dispense 
l'eau  du  fleuve  à  peine  dépouillée  de  ses  impuretés  les  plus 
grossières,  c'est-à-dire  un  breuvage  trop  souvent  limoneux 


283 

et,  il  faut  bien  l'avouer,  absolument  insalubre  pour  tous 
ceux  qui  n'ont  pas  la  précaution  de  le  filtrer  chez  eux 
avec  soin. 

Aussi  l'opinion*  publique  a-t-elle  applaudi  aux  expériences 
que  se  proposait  de  faire  M.  l'ingénieur  en  chef  Leforl,  sur  la 
demande  officielle  de  la  municipalité,  dans  l'espoir  de  doter  la 
ville  d'une  distribution  d'eau  véritablement  potable.  Les  essais 
étaient  à  peine  commencés  que  le  Conseil  municipal  et  le 
Conseil  d'hygiène  de  Nantes,  accompagnés  de  l'élite  de  nos 
concitoyens,  se  pressaient  au  puits  de  l'île  Beaulieu  et  cons- 
tataient son  excellent  fonctionnement.  Le  succès  de  l'entre- 
prise fut  promptement  connu  au  dehors.  La  presse  de  Paris 
tout  entière  l'a  célébré  a  plusieurs  fois  et  n'a  pas  ménagé  les 
encouragements  a  son  promoteur.  Le  Sénat,  les  Sociétés  de 
médecine  pratique,  de  médecine  publique  et  d'hygiène  pro- 
fessionnelle de  Paris  ont  confié  à  leurs  membres  les  plus 
compétents  le  soin  de  visiter  les  travaux  de  M.  Lefort  et  de 
leur  en  rendre  compte.  En  un  mot,  la  tentative  de  réminent 
Ingénieur  a  excité  un  intérêt  général  bien  en  harmonie  avec 
l'importance  du  but  qu'il  poursuivait,  Actuellement,  la  période 
des  expériences  est  close.  J'ai  pensé  qu'il  était  d'autant  plus 
utile  d'en  dire  les  résultats,  qu'au  milieu  du  concert  d'éloges 
que  je  viens  de  signaler  une  note  discordante  a  résonné, 
complaisamment  colportée  ensuite  par  des  personnes  qui 
n'ont  pas  visité  l'appareil  de  filtration  et  dont,  par  consé- 
quent, le  jugement  est  aussi  peu  explicable  que  l'hostilité. 

Avant  de  pénétrer  dans  le  détail  des  faits,  il  est  néces- 
saire de  remarquer,  tout  d'abord,  que  la  seule  eau  dont  la 
ville  de  Nantes  puisse  disposer,  en  faveur  de  ses  habitants, 
est  l'eau  de  la  Loire  ;  en  second  lieu,  que,  pour  les  grandes 
masses  d'eau,  il  n'existe  pas  d'autres  agents  de  filtration  que 
la  terre  et  le  sable.  De  ces  deux  agents,  la  terre  est  certai- 
nement le  plus  parfait.  Mais   son   emploi  a  des  exigences 


284 

toutes  spéciales,  et  c'est  le  sable  qui  est  le  purificateur  vrai- 
ment pratique  dans  l'espèce. 

Partant  de  ces  données,  M.  Lefort  a  cherché  a  clarifier 
l'eau  de  la  Loire  au  moyen  du  sable  qu'elle  charrie  en  si 
grande  abondance.  11  a,  sans  hésiter,  écarté  pour  cette  opéra- 
tion le  système  des  galeries  filtrantes,  creusées  dans  les 
berges  des  rivières  ou  dans  leur  voisinage,  système  appliqué 
depuis  longtemps  à  Toulouse,  à  Nîmes,  à  Lyon,  en  Angle- 
terre, en  Ecosse,  etc.  Les  filtres  de  cette  nature  ont  trois 
inconvénients:  1°  leur  plan  inférieur,  étant  seul  perméable, 
est  bientôt  le  siège  de  fissures  plus  ou  moins  étendues  qui 
livrent  directement  passage  à  l'eau  du  fleuve,  sans  l'épurer  ; 
2°  ils  s'encrassent  assez  promplement,  et  comme  on  ne  peut 
les  nettoyer  sans  nuire  a  leur  solidité,  on  est  conduit  à  les 
abandonner  et  à  les  remplacer  par  des  galeries  nouvelles  ; 
3°  le  plus  souvent,  Belgrand  l'a  démontré,  ils  ne  donnent 
pas  l'eau  du  fleuve,  mais  celle  d'une  nappe  souterraine,  dont 
le  niveau  est  différent  et  dont  la  richesse  en  sels  minéraux 
et  en  matières  organiques  est  plus  élevée  que  celle  des  eaux 
courantes. 

Le  régime  des  filtres  à  sable  horizontaux,  sous  voûte  ou  à 
ciel  ouvert,  utilisés  à  Londres,  à  Nancy,  à  Berlin,  a  Francfort, 
etc.,  est  un  peu  moins  défectueux,  en  ce  sens  qu'on  peut 
facilement  y  vérifier  la  surface  filtrante  et  la  réparer  au 
besoin.  Toutefois,  ces  filtres  ne  fonctionnent  convenablement 
que  si  on  règle  leur  débit  à  °2  mètres  cubes  au  maximum  par 
mètre  carré  et  par  24  heures.  Dès  qu'on  veut  accélérer  le 
passage  de  l'eau,  le  sable  se  crevasse  et  ne  retient  plus  les 
impuretés  ;  on  retombe  dans'  les  défauts  des  galeries 
filtrantes.  M.  Lefort  a  cherché  à  faire  mieux  et  il  y  a  r'ussi; 
voici  l'économie  de  son  système. 

La  première  question  à  résoudre  était  celle  de  l'emplace- 
ment à  choisir  pour  les  expériences'.  Il  fallait,  autant   que 


285 

possible,  établir  la  prise  d'eau  en  un  point  tel  que  le  courant 
ne  pût  y  porter  le  flot  impur  sortant  des  égouts  de  la  ville. 
Or,  lorsque  la  Loire  est  à  l'étiage  et  la  mer  en  vives  eaux, 
le  relèvement  de  son  plan  est  sensible  à  15  kilomètres  en 
amont  de  Nantes,  en  face  de  Mauves.  La  limite  de  ce  relè- 
vement descend  ensuite  progressivement  vers  L'aval,  à  mesure 
que  se  gonfle  le  fleuve.  Mais  il  ne  faut  pas  confondre  ces 
mouvements  de  niveau  avec  le  renversement  du  courant,  qui 
seul  est  à  redouter.  Le  renversement  suit  la  même  loi  que 
le  soulèvement  du  plan  d'eau,  sans  atteindre  le  môme  point 
extrême  ;  faible  en  temps  de  crue,  il  peut  aller  jusqu'à  9 
kilomètres  en  amont  de  la  prise  d'eau  de  Nantes  au  moment 
de  l'étiage. 

C'est  donc  en  ce  dernier  point  qu'il  semblait  désirable 
d'opérer  la  captation  de  l'eau  à  filtrer.  Malheureusement,  bien 
avant  ce  terme,  on  tombe  au  milieu  des  rouloirs  organisés 
chaque  année  par  les  riverains  ;  autre  inconvénient,  aussi 
grave  peut-être  que  le  premier,  quoiqu'il  soit  temporaire. 

Pour  ces  motifs,  M.  Leforl  s'est  arrêté  à  la  grève  de  l'île 
Beaulieu,  située  à  2,640  mètres  en  amont  de  la  prise  d'eau 
actuelle  de  la  ville,  sur  le  bord  du  bras  navigable  de  la 
Loire,  où  passe,  même  en  temps  d'étiage,  un  courant  très 
rapide.  Il  a  trouvé  là,  sur  une  hauteur  de  1  mètre  environ, 
du  sable  jaune  très  pur  et  d'un  grain  convenable  à  l'opération 
projetée,  reposant  sur  une  couche  de  sable  vert  de  moins 
d'un  mètre,  superposée  elle-même  à  une  épaisse  couche  de 
jalle  (vase  compacte). 

Son  appareil  filtrant  est  composé  d'un  puits  cylindrique 
en  maçonnerie,  de  2  mètres  de  diamètre  intérieur,  parfai- 
tement étanche  de  toutes  parts  et  dont  les  parois  latérales 
sont  percées  de  huit  rangs  de  six  barbacanes  chacun,  espacés 
de  50  centimètres  entre  eux.  11  a  été  enfoncé  à  2™, 47  en 
contre-bas  de  l'étiage.  Sa  profondeur  est  de  7m,44. 


-286 

Chaque,  barbacane  est  un  cube  creux,  en  ciment,  dont  la 
cavité,  en  forme  de  tronc  de  pyramide  rectangulaire,  est 
remplie  de  menus  fragments  de  granité,  maintenus  par  deux 
toiles  de  laiton  encastrées  dans  la  barbacane,  Un  tube 
cylindrique,  de  10  centimètres  de  diamètre,  fait  suite  au  tronc 
de  pyramide  et  sert  d'orifice  d'écoulement  dans  le  puits  ; 
il  est  fermé  par  un  bouchon  métallique  à  vis.  Les  barbacanes 
sont  logées  dans  l'épaisseur  de  la  maçonnerie  ;  elles  peuvent 
en  être  facilement  retirées,  lorsqu'il  est  nécessaire  soit  de 
les  nettoyer,  soit  de  les  remplacer.  Elles  ont  été  disposées, 
pour  le  plus  grand  nombre,  du  côté  du  chenal  ;  sur  la  paroi 
opposée  il  n'y  a  qu'une  ouverture  à  chaque  rang. 

Autour  du  puits  a  été  amoncelée  une  couche  tronconique  de 
sable,  dont  la  plateforme  supérieure  a  10  mètres  de  rayon, 
la  base,  15  mètres,  puits  non  compris.  Cette  masse  de 
sable  est  protégée  contre  l'action  du  courant  par  un 
perré  de  pierres  sèches  recouvert  par  des  enrochements. 
Enfin,  un  escalier  intérieur  permet  de  descendre  au  fond 
du  puits. 

Voilà  l'instrument,  simple  et  ingénieux,  qui  sert  à  M.  Lcfort 
à  épurer  l'eau  de  la  Loire.  Voyons  maintenant  ce  que  vaut 
l'eau  qu'il  fournit. 

Au  sortir  des  barbacanes,  elle  est  d'une  limpidité  parfaite, 
quelle  que  soit  la#  hauteur  où  on  la  puise.  Celle  qui  vient 
du  sable  jaune  reste  telle  indéfiniment;  j'en  ai  conservé 
pendant  plusieurs  semaines,  sans  qu'elle  ail  éprouvé  la 
moindre  altération.  M.  Lefort  a  même  prolongé  l'expérience 
pendant  plusieurs  mois  :  l'eau  n'a  manifesté  ni  trouble,  ni 
odeur.  Il  n'eu  est  pas  de  même  de  celle  qui  a  traversé  les 
sables  verts  ;  elle  devient  opalescente,  eu  quelques  heures, 
puis  elle  dépose  un  faible  sédiment  ferrugineux,  que 
M.  Gautrelet,  chimiste  à  Paris,  suppose  être  un  mélange  de 
crénate  et  d'apocrénale  de   1er.  Les  analyses  auxquelles  je 


287 

me  suis  livré  ne  m'ont  pas  donné  la  confirmation  de  cette 
hypothèse,  assez  délicate  à  contrôler,  du  reste  ;  les  voici, 
pour  les  eaux  sortant  des  deux  espèces  de  sable  : 

Eau  puisée  le  20  mai  1890. 


Composition  chimique  rapportée  à  1 

Sable  jaune. 
Gr. 

Matières  organiques 0,00400 

Ammoniaque 0,00011 

Soude 0,03300 

Chaux 0,02020 

Magnésie 0,00556 

Alumine 0,00395 

Oxyde' de  fer 0,00280 

Chlore 0,01093 

Acide  azotique 0,00384 

—  sulfurique... 0,00590 

—  carbonique 0,03940 

—  silicique 0,02502 

Non  dosé 0,00919 

Total 0,10390 


litre. 

Sable  vert. 
Gr. 

0,00410 
0,00012 
0,03414 
0,02067 
0,00570 
0,00420 
0,00290 
0,01120 
0,00392 
0,00640 
0,03860 
0,02510 
0,01095 

0,16800 


11  est  probable  qu'en  prolongeant  le  lavage  des  sables 
verts,  on  finirait  par  leur  soustraire  intégralement  l'élément 
ferrugineux  si  préjudiciable  à  l'aspect  de  l'eau.  Mais,  en 
l'absence  d'expériences  précises,  il  est  impossible  de  prévoir 
quelle  serait  la  durée  de  ce  lavage.  Mieux  vaut,  par  consé- 
quent, se  tenir  au  filtrage  par  le  sable  jaune,  qui  n'offre 
pas  le  même  inconvénient.  C'est  l'eau  provenant  de  cet 
étage  qui  a  été  presque  exclusivement  recueillie  pendant  les 
expériences  de  M.  Lcforl.  Elle  a  été  trouvée  irréprochable, 


288 

sous  le  rapport  des  propriétés  organoleptiques,  par  tous  ceux 
qui  l'ont  examinée.  Sa  composition  a  été  déterminée  simulta- 
menl  à  FEcolc  des  ponts  et  chaussées  et"  à  la  Station 
agronomique  de  la  Loire-Inférieure  ;  les  résultats  témoignent 
de  son  excellente  qualité  : 

Ponts  et 
Dates.  chaussées.        Station. 

1889  6  décembre.  Titre  hydrotimélrique  total..  11°         — 

1890  8  janvier...  —  —  10°, 5  — 

20  mai —  —  —  11»,7 

29  — —  -  —         8M 

—  persistant.     —         7°, 3 

Eau  puisée   dans  le   deuxième  rang   de  bar- 
bacanes,  les  6,  7  et  8  janvier  1890. 

Composition     cliimiqtie    rapportée    à    1    litre. 

Gr.  Gr. 

Matières  organiques ■ -  0,00390 

—      volatiles  ou  combustibles.  0,005  — 

Ammoniaque —  0,00014 

Soude 0,012  0,02830 

Chaux 0,048  0,01960 

Magnésie 0,005  0,00540 

Alumine j  i  0,00370 

Peroxyde  de  fer ) 1  races*  0,00250 

Chlore 0,010  0,01180 

Acide  azotique 0,001  0,00405 

—  sulfuriquc 0,006  0,00500 

—  carbonique 0,040  0,04215 

silicique 0,016  0,02240 

Non  dosé 0,002        0,00820 

Totaux 0,140        0,15780 


289 
♦  Azote  combiné,  dans  1  litre. 

Gr. 

Azote  albuminoïdc —  0,00008 

—  ammoniacal —  0,00011 

—  nitrique ' —  0,00009 


Azote  total —  0,00028 

Air  dissous,  dans   1  litre. 

Oxygène —  6CC,8 

Acide  carbonique —  4,5 

Azote —  17   ,2 


Total —  28cc,5 

C'est  bien  l'eau  de  la  Loire  qui  pénètre  dans  le  puits  et 
non  pas  celle  d'une  nappe  souterraine,  ainsi  qu'il  arrive 
dans  certaines  galeries  filtrantes.  Sous  le  rapport  des  éléments 
minéraux  et  des  substances  organiques  dissous,  elle  est 
irréprochable  :  légère,  aérée,  agréable  au  goût,  elle  a  tous 
les  caractères  des  eaux  potables  du  meilleur  aloi. 

Mais  l'analyse  chimique  ne  suffit  pas  pour  accorder  à 
l'eau  destinée  à  la  consommation  des  lettres  de  crédit. 
L'examen  bactériologique  est  indispensable,  pour  qu'elle 
soit  admise  au  titre  d'eau  réellement  potable.  M.  Lcfort 
n'avait  garde  de  négliger  celte  épreuve.  Il  l'a  confiée  aux 
savants  les  plus  autorisés  et  les  appréciations  ont  présenté 
toute  la  concordance  désirable  en  pareille  matière  : 

Echantillons  prélevés  le  1er  mars  1890. 

LABORATOIKE   DU   Dr   CHANTEMESSE. 

Très  peu  de  germes  aérobies. 

50  mucédinécs  par  centimètre  cube. 

19 


290 

LABORATOIRE    DU    Dr   MIQUEL.         * 

Eau  de  la  Loire  non  filtrée. 

lre  analyse 9.000  bactéries  par  cent.  cube. 

2me    —     9.120              —               — 

3rae    —     10.300                                — 

4me     —     10.800 

Moyenne 9.530    bactéries  par  cent.  cube. 

Eau  du  puits  de  M.  Le  fort. 

lre  analyse 60  bactéries  par  cent.  cube. 

2me    --    50  —  — 

3me    —     95  —  — 

4me     —     70  —  — 

Moyenne 73    bactéries  par  cent.  cube. 

LABORATOIRE  DU  Dr  VAILLARD. 

Eau   de   la    Loire  non  filtrée. 
Pas  d'analyse,  les  tubes  ont  été  brisés  en  route. 
Eau  du  puits  de  M.  Lefort. 

lre   analyse.  300    niicrogermes  aérobies  par  cent.  cube. 

150    moisissures. 
2me  analyse.    50    microbes  aérobies. 

Espèces  banales,  peu  variées. 

Échantillons  prélevés  le  13  septembre  1890. 

LABORATOIRE    DU    Dr  MIQUEL. 

Eau  de  la  Loire,  non  filtrée. 

lrc  analyse 25,250  bactéries  par  cent.  cube. 

2"1C     —       22,750         —  — 

Moyenne 24,000  bactéries  par  cent.  cube. 


291 

Eau  du  puits  de  M.  Le  for  t. 

lre  analyse 124  bactéries  par  cent.  cube. 

2me    —       140        —  — 

Moyenne 132  bactéries  par  cent.  cube. 

LABORATOIRE  DU  Dr  VA1LLARD. 

Eau    de    la    Loire,    non    filtrée. 

«  La  liquéfaction  de  la  gélatine,  par  les  organismes  de 
l'eau  n'a  pas  permis  la  numération  des  colonies  au  delà  du 
4me  jour.  Il  y  en  avait  alors  950.  Il  y  a  lieu  d'affirmer  que  ce 
chiffre  n'exprime  qu'une  part  très  minime  de  la  vérité.  » 

Eau  du  puits  de  M.  Le  fort. 

Moyenne  des  résultats  :  150  bactéries  par  cent.  cube. 
Espèces  toutes  banales. 

Tous  les  relevés  qui  précèdent  sont  un  éloquent  plaidoyer 
en  faveur  de  l'eau  filtrée  du  puits  de  Beaulieu.  Au  point  de 
vue  chimique,  elle  est  excellente  ;  elle  offre  de  plus  l'avantage 
d'une  épuration  parfaite.  Elle  n'est  pas  moins  bonne  sous  le 
rapport  bactériologique.  x\u  mois  de  mars,  d'après  ce  qui 
précède,  elle  renfermait  130  fois  moins  de  microbes  que 
l'eau  du  fleuve  ;  en  septembre,  elle  en  contenait  182  fois 
moins.  Il  me  semble  qu'il  y  a  là  de  quoi  satisfaire  les  plus 
exigeants.  D'autant  mieux  que  l'appareil  filtrant  est  demeuré 
jusqu'ici  dans  les  plus  mauvaises  conditions  à  l'égard  de 
l'infection  bactérienne.  Les  sables  dont  il  est  constitué 
n'ont  subi  aucune  purification  avant  leur  mise  en  place. 
D'autre  part,  le  puits  est  resté  ouvert  depuis  sa  construction. 
L'escalier  central  qu'on  y  a  installé  est  en  bois  et  il  a  été 
constamment  parcouru  par  des  hommes  dont  les  pieds  et  les 
mains  ont  certainement  contribué  à  le  souiller.  Lorsque  le 


292 

puils  sera  fermé,  lorsque  les  poussières  atmosphériques  et 
les  détritus  humains  n'y  pourront  plus  entrer,  il  est  vraisem- 
blable que  l'eau  recèlera  encore  moins  de  micro-organismes 
qu'aujourd'hui. 

Telle  qu'elle  est  actuellement,  celte  eau  soutient  facilement 
la  comparaison  avec  celles  qui  alimentent  Paris  ;  elle  est 
plus  légère  et  moins  chargée  de  bactéries  que  la  plupart 
d'entre  elles,  et  je  ne  parle  que  des  meilleures  : 

Moyennes  saisonnières ,  en  188S. 

Saison.  Vanne  (réservoir).  Dhuis  (réservoir). 

Hiver 1,256  bactéries.  2,486  bactéries  par  cent.  cube. 

Printemps.      938      —  4,101      —  — 

Eté 368      —  530      —  - 

Automne  .      393      —  513      —  — 

Moyenne.    739  bactéries.      1,907  bactéries  par  cent.  cube. 

Moyennes  annuelles,  de  1887  à  1890  (Dr  Miquel). 

Vanne  réservoir 705  bactéries  par  cent.  cube. 

—  canalisation 2,305      —  — 

Dhuis  réservoir 1,890      —  — 

—  canalisation 1,610      —  — 

Si  Ton  veut  que  la  comparaison  soit  plus  frappante  encore, 
il  n'y  a  qu'à  rapprocher  les  recherches  bactériologiques 
exécutées  celte  année,  aux  mêmes  époques,  sur  l'eau  de  la 
Vanne  et  sur  celle  du  puits  de  Beaulieu. 

Dotes.  Vanne.  Puils  Lefort. 

1er  mars  1890 275bactéries.  73  bactéries  par  cent.  cube. 

13  septembre  1890.  550      —      132  — 

Et  si,  au  lieu  de  prendre  les  moyennes,  je  citais  les 
maxima  atteints    par   les  sources  précitées,  je  montrerais 


Température 

Température 

de  la  Loire. 

du  puits. 

+    0°,3 

+     8° 

+     3°,0 

+     70 

+  21°,0 

4-  17° 

+  20°,0 

-f  17° 

293 

qu'à   certains   moments,   elles   renferment  10,000  et  môme 
20,000  bactéries  par  centimètre  cube. 

Les  chiffres  ci-dessus  n'ont  pas  besoin  de  commentaire. 
Aux  avantages  précédemment  énumérés,  l'eau  du  puits  de 
Reaulieu  joint  celui  d'avoir  une  température  plus  favorable 
que  celle  du  fleuve;  les  observations  de  M.  Lefort  ne  laissent 
aucun  doute  à  cet  égard  : 

Température 
Dates.  de  l'ait. 

1889  9  décembre  ...     +     1° 
lt       -         ...     +    5° 

1890  12  septembre.  ..     +24° 
13      —         ...     +  24° 

En  moyenne,  c'est  une  différence  de  4°  en  plus,  pendant 
l'hiver,  et  de  4°  en  moins  dans  la  saison  chaude.  Notons  que 
cette  différence  deviendra  plus  sensible  encore  dans  le  puits 
définitif  et  fermé. 

Mais  si  la  supériorité  de  l'eau  en  question  n'est  pas  niable, 
elle  ne  la  met  pas  cependant  à  l'abri  de  critiques  dont  il  est 
nécessaire  d'examiner  le  bien  fondé. 

L'une  des  plus  importantes  est  relative  aux  microbes  que 
l'eau  tient  en  suspension.  Si  réduit  que  soit  leur  nombre, 
il  n'est  pas  négligeable.  En  outre,  du  moment  où  le  filtre  de 
M.  Lefort  en  laisse  passer,  comme  il  ne  peut  exercer  d'action 
sélective,  ceux  que  l'on  redoute  avec  raison  le  traverseront 
aussi  bien  que  les  plus  inoffensifs. 

Rien  n'est  plus  vrai  ;  mais  quelle  est  donc  la  source  à 
l'abri  de  ce  reproche  ?  Assurément,  ce  n'est  ni  la  Dhuis,  ni 
la  Vanne.  Ce  ne  sera  pas  davantage  l'Avre  ou  la  Vigne,  que 
la  capitale  va  prochainement  dériver  à  son  profit.  L'eau  de 
la  source  la  plus  pure  sera  toujours  plus  ou  moins  conta- 
minée, quand  elle  aura  circulé  dans  une  canalisation 
quelconque  ou  séjourné  dans  un  réservoir.  Et  n'est-ce  donc 


294 

rien  que  l'atténuation  qui,  dans  l'espèce,  abaisse  le  nombre 
des  bactéries  de  130  et  même  de  182  à  l'unité?  Celui  qui, 
docile  aux  enseignements  de  l'hygiène,  veut  boire  de  l'eau 
absolument  exempte  de  microbes  doit  nécessairement,  d'où 
qu'elle  vienne,  la  filtrer  à  travers  un  des  appareils  perfec- 
tionnés que  l'art  moderne  a  inventés  dans  ce  but.  Nous 
ferons,  a  cet  égard,  comme  tout  le  monde  ;  l'objection  n'a 
pas  une  très  grande  portée. 

On  a  dit  aussi  que  l'expérience  de  Beaulieu  n'a  pas  été 
suffisamment  prolongée  pour  inspirer  une  confiance  aveugle 
dans  ses  résultats.  Je  suis  loin  de  méconnaître  la  valeur  de 
cette  observation.  Je  dois  dire  seulement,  à  la  décharge  de 
M.  Lcfort,  que  son  puits  a  fonctionné  aussi  longtemps  que 
l'a  permis  le  crédit  mis  à  sa  disposition.  D'un  autre  côté,  il 
ne  faut  pas  exagérer  les  inquiétudes  que  peut  faire  concevoir 
la  continuité  de  la  filtration  dans  son  appareil.  Que  peut-on 
craindre  ici,  en  effet  ?  On  peut  craindre  le  colmatage  et  la 
formation  de  drains  supprimant  l'épuration  de  l'eau. 

Le  colmatage  ne  semble  pas  devoir  être  beaucoup  à 
redouter,  pour  les  raisons  que  voici  :  Le  puits  est  placé  au 
milieu  du  courant  le  plus  rapide,  qui  le  nettoie  d'une  manière 
permanente.  La  vitesse  de  pénétration  de  l'eau  dans  l'ilot 
filtrant  est  toujours  inférieure  à  celle  du  fleuve.  Pour  fonc- 
tionner de  manière  satisfaisante,  le  puits  n'a  pas  besoin 
qu'on  ouvre  toutes  ses  barbacanes  ;  dès  lors,  on  pourra 
toujours  ne  déboucher  que  celles  des  rangs  le  plus  élevés, 
c'est-a-dire  celles  qui  correspondent  à  l'eau  la  moins  impure. 
La  partie  inférieure,  plus  exposée  que  les  autres  à  l'engor- 
gement, ne  sera  mise  en  service  qu'en  temps  d'éliage, 
autrement  dit  au  moment  où  la  Loire  est  trop  limpide  pour 
déposer  un  sédiment  notable.  En  admettant  que  la  partie 
supérieure  s'encrasse  néanmoins,  elle  se  desséchera  lorsque 
les  eaux  baisseront   et   la  vase,    déposée  à   sa    surlace,  ne 


'295 

résistera  probablement  pas  au  premier  flot  qui  viendra  la 
heurter.  Pour  tous  ces  motifs,  le  puits  de  Beaulieu  me  parait 
offrir  des  garanties  de  durée  bien  supérieures  à  celles  des 
galeries  filtrantes  d'Angers,  de  Lyon,  de  Toulouse,  etc.,  qui 
cependant  fonctionnent  depuis  un  temps  relativement  très 
long.  Si,  par  hasard,  quelque  cause  impossible  à  prévoir  dès 
ce  jour  vient  en  compromettre  le  service,  l'accident  aura 
pour  toutes  conséquences  de  conduire  à  enlever  une 
couche  de  sable  à  la  périphérie,  pour  la  remplacer  par  du 
sable  neuf.  Il  n'y  a  là  rien  qui  soit  d  e  nature  à  effrayer  pour 
l'avenir. 

La  formation  des  drains  et,  par  suite,  leur  influence 
nuisible,  est  encore  bien  moins  à  supposer  dans  le  système 
de  M.  Lefort.  Effectivement,  le  milieu  filtrant  est  ici  beau- 
coup plus  homogène  que  celui  des  anciennes  galeries,  qui 
sont  formées  de  dépôts  superposés  par  ordre  de  densité. 
Dans  ces  dépôts,  toutes  les  couches  ne  sont  pas  également 
propres  au  filtrage.  Celles  dont  les  éléments  sont  le  plus 
grossiers  deviennent  toujours  le  siège  principal  du  courant 
et  le  clarifient  d'une  manière  très  imparfaite.  11  importe  donc 
beaucoup  de  mélanger  les  différentes  strates  dont  est  com- 
posé le  lit  du  fleuve,  et  ce  résultat  est  complètement  atteint 
dans  le  mode  de  construction  adopté  par  M.  Lefort. 

Supposons  pourtant  que,  malgré  les  précautions  excep- 
tionnelles prises  par  l'inventeur,  le  massif  soit  exposé  à  être 
sillonné  de  ces  drains  auxquels  on  donne  communément  le 
nom  de  renards.  L'inspection  du  liquide  fourni  par  les 
diverses  barbacanes  en  avertira  de  suite  le  surveillant  du 
filtre  et  la  fermeture  de  l'orifice,  dont  l'eau  est  défectueuse, 
coupera  court  immédiatement  au  mal.  Aucun  autre  système 
de  filtre  ne  donne  pareille  faculté. 

Je  dois  citer  encore,  bien  qu'elles  soient  peu  importantes, 
deux  autres  critiques  adressées  au   puits  de  Beaulieu  :  Dans 


296 

l'ilot  de  sable,  dont  il  est  formé,  on  ne  peut,  dit-on,  voir 
ni  régler  aucune  des  conditions  de  la  filtration;  on  apprécie 
seulement  l'eau  filtrée.  En  second  lieu,  l'obligation  d'affecter 
aux  puits  les  parties  profondes  des  rivières,  sera  nuisible  à 
la  navigation. 

S'il  est  vrai  que  le  système  des  filtres  horizontaux  permette 
de  vérifier  à  la  fois  l'état  de  la  surface  filtrante  et  celui  de 
l'eau  épurée,  cet  avantage  n'est  qu'une  conséquence  de  son 
imperfection.  Ce  genre  de  filtre  a  le  défaut  de  retenir  inté- 
gralement le  limon  semi-vivant  disséminé  dans  l'eau  a 
clarifier;  il  faut  bien,  dès  lors,  qu'on  puisse  enlever  pério- 
diquement la  couche  superficielle,  à  peine  de  voir  cesser  la 
filtration;  de  là  la  nécessité  de  laisser  celte  couche  a 
découvert  ou  facilement  accessible.  Dans  le  filtre  de  M.Leforf, 
on  ne  règle  pas  directement  l'arrivée  de  l'eau,  comme  dans 
le  cas  précédent,  mais  on  y  parvient  en  modérant  sa  sortie. 
Le  résultat  est  absolument  le  même.  La  première  objection 
ne  tient  pas. 

La  seconde  est  moins  soulenable  encore,  du  moins  à 
Nantes.  Le  bras  du  fleuve  qui  touche  le  puits  d'expériences 
mesure  environ  250  mètres,  en  largeur.  Alors  même  qu'on 
ne  conserverait  pas  l'alignement  du  puits  actuel  et  qu'on 
empiéterait  de  50  mètres  ou  plus  sur  le  chenal,  pour  l'ins- 
tallation d'une  série  de  puits  filtrants,  il  resterait  assez 
d'espace  pour  assurer  le  service  de  la  navigation  de  manière 
a  ne  préoccuper  aucun  de  ceux  qu'elle  intéresse. 

Après  avoir  bien  impartialement  étudié  la  question,  il  me 
semble  incontestable  que  l'eau  filtrée  par  le  système  de 
M.  Lefort  l'emporte  sur  celles  dont  on  se  contente  à  Paris  et 
ailleurs.  L'appareil  qui  la  fournil  est,  sous  lous  les  rapports, 
supérieur  à  ses  congénères,  et  rien  n'autorise  à  craindre 
que  sa  durée  ne  soit  pas  au  moins  égale  à  la  leur.  11  ne 
veste  plus  qu'à  déterminer  si  les  conditions  matérielles  de  sa 


297 

construction  en  font  une  solution  pratique  de  l'alimentation 
delà  ville  de  Nantes. 

Avec  un  diamètre  de  deux  mètres,  et  6  barbacanes  à 
chaque  rang',  le  puits  d'expériences  a  fourni  régulièrement 
1,500  mètres  cubes  d'eau  par  24  heures,  la  Loire  étant  a 
la  cote  de  2ra,05.  M.  Lefort  a  calculé  qu'un  puits  de  trois 
mètres  de  diamètre,  muni  de  10  barbacanes  par  rang  et 
entouré  d'un  massif  filtrant  complètement  baigné  par  le 
fleuve,  on  atteindrait  un  débit  moyen  de  2,500  mètres  cubes 
par  24  heures. 

A  ce  compte,  et  la  population  de  Nantes  étant  de 
127,000  habitants,  une  série  de  douze  puits  suffirait  à 
filtrer  30,000  mètres  cubes  d'eau  par  jour,  soit  environ 
250  litres  par  habitant.  C'est  là  le  minimum  que  l'on  doive 
demander.  Pour  assurer  une  consommation  individuelle  de 
400  litres  par  jour,  assurément  désirable,  il  faudrait  vingt 
puits.  Nous  nagerions  alors  dans  l'abondance  et  pourtant 
nous  serions  encore  loin  du  luxe  des  Romains  d'autrefois, 
qui  disposaient  d'une  distribution  quotidienne  de  1,500  litres 
par  tête. 

M.  Lefort  propose  de  ranger  ses  filtres  en  file  linéaire, 
devant  le  banc  de  Beaulieu,  et  de  les  englober  dans  un 
unique  massif  de  sable,  élevé  de  1  mètre  au-dessus  des  plus 
hautes  eaux  observées. 

Chaque  filtre,  entièrement  terminé,  coûterait  approximati- 
vement 40,000  fr.  En  ajoutant  h  la  dépense  motivée  par 
l'érection  de  douze  appareils  semblables,  celle  qui  résulterait 
de  la  mise  en  place  des  collecteurs  et  de  leur  raccordement 
à  une  citerne  de  puisage,  creusée  sur  la  rive  du  fleuve,  on 
arrive  à  un  total  de  737,194  fr.  40  c.  Mettons  en  chiffres 
ronds  800,000  fr.,  avec  l'imprévu.  Celte  somme  devrait  être 
portée  a  1,250,000  fr.,  si  l'on  voulait  mettre  a  la  disposition 
de  chaque  habitant  400  lîtres  d'eau  par  jour. 


MX 

Ni  Tune  ni  l'autre  de  ces  dépenses  ne  sont,  à  mon  avis, 
de  nature  à  faire  abandonner  le  projet  de  M.  Lefort.  Quand 
on  songe  à  la  grandeur  du  service  que  rendrait  à  la  popu- 
lation nantaise  une  large  distribution  d'eau  véritablement 
filtrée,  la  question  financière  perd  de  son  importance;  il  faut 
la  reléguer  au  second  plan.  A  bien  examiner  les  choses, 
d'ailleurs,  toutes  les  villes  privées  comme  la  nôtre  de  sources 
salubres  à  leur  portée,  ont  été  obligées,  pour  s'approvisionner 
d'eau  potable,  de  consentir  des  sacrifices  autrement  con- 
sidérables que  celui  dont  on  nous  menace.  On  peut ,  au 
surplus,  faire  sans  regret  une  grosse  dépense,  lorsqu'il  s'agit 
d'acheter  la  sécurité  de  la  vie,  qui  nous  manque  aujourd'hui 
complètement. 

En  résumé,  les  avantages  du  puits  filtrant  de  M.  Lefort 
sont  les  suivants  : 

1°  11  donne  l'eau  du  fleuve  lui-même  et  non  celle  de 
nappes  souterraines  qui  lui  seraient  inférieures  en   qualité; 

<2°  Cette  eau  est  merveilleusement  limpide,  agréable  a 
boire  et  très  peu  chargée  de  micro-organismes  ; 

3°  Il  débite  plus  d'eau  filtrée  que  tous  ses  congénères; 

4°  Il  s'engorgera  vraisemblablement  beaucoup  moins  vite 
que  les  puits  et  les  galeries  analogues  antérieurement 
aménagés  ; 

5°  Il  est  facile  de  le  nettoyer  à  l'intérieur  et  à  l'extérieur, 
de  vérifier  la  qualité  de  l'eau  fournie  par  chaque  barbacane 
et  d'obturer  les  ouvertures  qui  laisseraient  couler  de  l'eau 
mal  purifiée,  cela  sans  interrompre  la  distribution  de  l'eau 
dans  la  ville,  puisque  chaque  puits  peut  être  isolé  des  autres, 
en  cas  de  besoin  ; 

G0  En  admettant  qu'il  vienne  à  s'engorger,  il  peut  être 
aisément  régénéré  par  le  remplacement  de  tout  ou  partie  du 
massif  de  sable  qui  le  constitue; 

7°  Il  fonctionne  avec  une  pression    faible  et  variable    a 


TYPE  DE  PUn 

SYSTÈME    DE     M.  L'INGÉÏ 


Section  Iiorixonfak  AB . 


."T^c.titv^cwu^tt  cftwjieM  9cU"oC  .à4*tiwttf2wtoa£(t 


^it-uw.*   ffffW/faw*'fc  &£cdt  9îib|*èCU 


tlfAU 


Oc  ^.-i.vkU^vOeO.CoOtOiaui^w 


FILTRANT 

JR  EN  CHEF  LEFORT 


ts.ss 
jWph ...,./.  ~~Jfj>o 


,i?...t.îj>Am. irs.. 


jaîi-?'oiuU**HV . 


J3**aiui_ï)ç  yxu&QAxvUA 


^De'tkix.6 


A^Xawi  !X 


1    \^ft£^5ft?3^/^;Wt^^ 


.ftsKEl. 


Détails    dune    barbacane  . 

Section  hrigùfudmal&  Élévation 

[Xa/  tcite  4vw<ta.u.uiu.e,  £xtèï-uu/L£-  c^  Cad 


I  ;  »ct£  *M.  Grttvt* 


-tllillll^jj 

*..  -  V     .     ■     ■■  <■   ii.i 


««-.» 


pp&WeSi  oaq  .,°.°$L°fi\°.e$ 


299 

volonté  et  il  permet  de  puiser  l'eau  dans  les  couches  les 
plus  favorables,  grâce  à  ses  barbacancs  multiples,  que  l'on 
ouvre  ou  que  l'on  ferme  suivant  la  hauteur  du  fleuve; 

8°  Son  installation  est  moins  onéreuse  que  celle  des 
galeries  filtrantes,  bien  moins  encore  que  l'adduction  de 
sources  éloignées  qui,  du  reste,  font  ici  défaut,  dans  un 
rayon  abordable. 

Dans  un  sujet  aussi  délicat  que  celui-ci,  il  est  assurément 
logique  de  faire  une  part  a  l'inconnu.  Cependant,  plus 
j'analyse  les  conditions  de  fonctionnement  du  puits  de 
Beaulieu,  plus  je  prends  confiance  en  son  avenir.  J'espère 
que  ma  conviction  deviendra  prochainement  celle  de  tous 
et  que  la  ville  de  Nantes  aura  bientôt  contracté,  envers 
l'ingénieux  et  désintéressé  inventeur  du  filtre  nouveau,  une 
de  ces  dettes  que  l'on  n'acquitte  jamais. 


LEAU    DE    LA    LOIRE 

PENDANT  LE  ROUISSAGE  DU  LIN  ET  DU  CHANVRE 
AU  POINT   DE   VUE    DES   MATIÈRES  ORGANIQUES   DISSOUTES 

Par  A.   Andouard. 


La  période  autorisée  du  rouissage  en  Loire  commence  vers 
le  15  août  et  finit  le  15  octobre  chaque  année.  Les  routoirs 
sont  échelonnés  tout  le  long  du  fleuve,  jusqu'à  la  tête  de 
Hic  Héron,  qui  est  la  station  la  plus  voisine  de  Nantes 
(5  kilomètres  environ). 

L'Administration  départementale  ayant  désiré  connaître 
l'influence  que  peut  exercer  la  présence  du  lin  et  du  chanvre, 
sur  la  proportion  des  principes  organiques  dissous  dans  l'eau 
de  la  Loire,  a  fait  prélever  par  les  soins  de  l'Administration 
municipale,  de  nombreux  échantillons  de  cette  eau,  du 
21  juillet  au  7  octobre  de  cette  année. 

Sept  stations  avaient  été  choisies  pour  le  puisage  : 

1°  Bellevue,  en  face  le  chemin  conduisant  à  Sainte-Luce  ; 

2°  A  800  mètres  en  aval  de  la  première  station,  en  face 
le  chemin  communal  conduisant  à  la  Divate  ; 

3°  Tête  de  File  Héron,  780  mètres  en  aval  de  la  deuxième 
station  ; 

4°  Milieu  de  l'île  Héron,  740  mètres  en  aval  de  la  troisième 
station  ; 


301 

5°  Au  bas  de  l'île  Héron,  900  mètres  en  aval  de  la  station 
précédente  ; 

G0  A  la  hauteur  du  puits  d'expériences  de  M.  Lefort, 
800  mètres  en  aval  de  la  cinquième  station  ; 

7°  A  100  mètres  en  aval  du  pont  de  la  Vendée,  470  mètres 
au-dessous  du  puits  de  M.  Lefort. 

Le  tableau  qui  suit  relate  l'état  du  fleuve  pendant  la  durée 
des  opérations  : 

Echelle  Saint-Félix. 

Dates.         Courant.       Epoque  de  la  marée.  Basse  mer.  Pleine  mer. 

Heures.  Cotes.  Heures.  Cotes. 

21  juillet.. .  Jusant.  Fin  du  gros  de  l'eau.. .     7,00  0m,3l  9,25  0«n,92 

29  —     ..     —  ..  Commt  du  gros  de  l'eau.     2,00  0    ,18  5,55  0    ,95 
5  août Flot  ..  Moite  eau 7,15  0,18  10,10  0,88 

12     —     ..  Jusant.          —       2,18  0  ,02  4,55  0  ,70 

19     —     ..  —   ..  Fin  du  gros  de  l'eau...  7,12  0  ,01  9,00  1  ,05 

26     —     ..  —  ..   Morte  eau 12,33  0  ,02  4,08  1  ,35 

2sept Flot  ..   Gros  de  l'eau 6,20  0  ,14  9,35  0  ,95 

9     —     ..  Jusant.  Morte  eau 12,50  0  ,06  3,25  0  ,33 

16     —     ..  —   ..   Gros  de  l'eau 5,30  0  ,02  8,35  1  ,02 

23     —      ,.  —   ..    Morte  eau 10.40  0  ,04  1,45  0  ,37 

30  —     ..  —    ..   Gros  de  l'eau 5,30  0  ,78  7,40  1  ,98 

7  octobre.  —   ..   Morte  eau 10,50  0  ,35  12,50  0  ,41 

14     —     ..     —..  Gros  de  l'eau 5,00     0    ,19     7,00     1     ,20 

21     —     ..  Flot..   Morte  eau 9,15     0    ,14   11,50     0    ,30 

28     —     ..  Jusant.  Gros  de  l'eau 4,28     0    ,18     6,40     1     ,28 

Les  prélèvements  ont  été  effectués  de  semaine  en  semaine, 
entre  huit  et  dix  heures  du  matin  et  remis  aussitôt  au 
laboratoire  de  la  Station.  A  compter  du  n°  3  de  chaque  date, 
le  fleuve  se  trouve  partagé  par  l'île  Héron  en  deux  parties 
désignées  sous  les  noms  de  bras  de  Pirmil  et  de  bras  de 
la  Madeleine.  Le  bras  de  Pirmil  représente  ici  toujours  la 
rive  gauche.  Dans  le  bras  de  la  Madeleine,  trois  échantillons 
ont  été  pris  :  sur  la  rive  droite,   au  milieu  et  sur  la  rive 


302 

gauche.  Pour  ne  pas  rompre  l'unité  du  relevé  général  des 
analyses ,  les  échantillons  rive  gauche  du  bras  de  la 
Madeleine  sont  enregistrés  à  part. 

L'analyse  a  été  pratiquée  d'après  la  méthode  de  Kubel- 
Tiemann,  au  moyen  du  permanganate  de  potassium,  agis- 
sant en  liqueur  acide.  L'eau  était  préalablement  filtrée  au 
papier.  La  durée,  de  rébullition  était  de  cinq  minutes.  Les 
résultats  sont  exprimés  par  les  poids  d'oxygène  employé  à 
la  combustion  des  matières  organiques  contenues  dans  un 
litre  d'eau. 

Dates.  ! 

21  juillet 


29  juillet, 


4  août, 


12  août. 


ions. 

Rive  droite. 

Milieu. 

Rive  gauche. 

Gr. 

Gr. 

Gr. 

1 

0,0030 

0,0024 

0,0026 

2 

0,0025 

0,0024 

0,0025 

3 

0,0029 

0,0025 

0,0024 

4 

0,0026 

0,0022 

0,0025 

5 

0,0029 

0,0022 

0,0024 

6 

0,0026 

0,0024 

0,0022 

1 

0,0020 

0,0018 

0,0017 

2 

0,0023 

0,0020 

0,0022 

3 

0,0021 

0,0017 

0,0020 

4 

0,0019 

0,0016 

0,0016 

5 

0,0017 

0,0017 

0,0020 

6 

0,0016 

0,0015 

0,0017 

7 

0,0018 

0,0016 

0,0015 

1 

0,0016 

0,0018 

0,0016 

2 

0,0022 

0,0018 

0,0015 

3 

0.0022 

0,0018 

0,0019 

4 

0,0022 

0,0018 

0,0019 

5 

0,0019 

0,0018 

0,0024 

6 

0,0017 

0,0019 

0,0018 

7 

0,0019 

0,0018 

0,0019 

1 

0,0019 

0,0018 

0,0015 

303 

Dates.  Stations.  Rive  droite.  Milieu.  Rive  gauche. 

Gr.  Gr.  Gr 

(CrTuSgeTnt     ^  ^  0,0°23  °'0016  0,°016 

12  août 3  0,0018  0,0021  0,0016 

— 4  0,0020  0,0016  0,0017 

— 5  0,0016  0,0016  .0,0017 

—  6  0,0019  0,0018  0,0019 

—  7  0,0020  0,0017  0,0017 

19  août 1  0,0020  0,0016  0,0016 

—    2  0,0015  0,0013  0,0014 

—    3  0,0017  0,0014  0,0013 

—    4  0,0019  0,0014  0,0014 

—   5  0,0014  0,0014  0,0015 

—    6  0,0015  0,0014  0,0017 

—    7  0,0014  0,0013  0,0014 

26  août 1  0,0049  0,0021  0,0038 

—    2  0,0020  0,0021  0,0020 

—    3  0,0032  0,0030  0,0033 

—    4  0,0018  0,0017  0,0020 

—    5  0,0019  0,0022  0,0020 

—    6  0,0016  0,0016  0,0016 

—    7  0,0021  0,0016  0,0017 

2  septembre.  1  0,0026  0,0025  0,0026 

—    2  0,0028  0,0022  0,0020 

—    3  0,0026  0,0024  0,0022 

—    4  0,0024  0,0023  0,0020 

—    5  0,0020  0,0029  0,0025 

—    6  0,0020  0,0019  0,0022 

—    7  0,0018  0,0023  0,0021 

9  septembre.  1  0,0017  0,0017  0,0017 

—    2  0,0018  0,0018  0,0022 

—    3  0,0016  0,0017  0,0017 

—    4  0,0026  0,0019  0,0017 


304 

Dates.                  Stations.  Rive  droite.  Milieu.  Rive  gauche. 

Gr.  Gr.  Gr. 

9  septembre.          5  0,0018  0,0020  0,0017 

—    6  0,0020  0,0020  0,0019 

—    7  0,0018  0,0018  0,0019 

16  septembre.          1  0,0014  0,0012  0,0024 

—    2  0,0014  0,0017  0,0020 

—    3  0,0015  0,0022  0,0016 

—    4  0,0012  0,0013  0,0012 

—    5  0,0014  0,0013  0,0012 

—    6  0,0011  0,0012  0,0012 

—    7  0,0012  0,0011  0,0012 

23  septembre.          1  0,0017  0,0015  0,0018 

—    2  0,0016  0,0013  0,0015 

—    3  0,0014  0,0015  0,0015 

—    4  0,0017  0,0015  0,0014 

—    5  0,0015  0,0018  0,0016 

—    6  0,0014  0,0014  0,0013 

—    7  0,0014  0,0014  0,0013 

30  septembre .           1  0,0032  0,0052  0,0026 

—    2  0,0026  0,0050  0,0024 

—    3  0,0033  0,0022  0,00'29 

—  4  0,0025  0,0044  0,0022 

—  5  0,0026  0,0035  0.0028 

—  6  0,0024  0,0025  0,0026 

—  7  0,0026  0,0031  0,0024 

7  octobre...    1  0,0028  0,0026  0.0025 

2  0,0025  0,0023  0,0025 

3  0,0023  0,0024  0,0021 

4  0,0025  0,0023  0,0024 

5  0,0020  0,0022  0,0024 

6  0,0021  0,0019  0,0028 

7  0,0022  0,0021  0,0021 


•  m     •  •  • 


305 


Bras  de  la  Madeleine,  rive  gauche. 


Dates. 

21  juillet 

— >  »  '  ■         •  •   •  • 

Ji\j    •"—        •  •  •  i 
2iô    ■""■        *  •  «  # 

4  août 

4  — 

4  -   

12  — 

1  M       ~~ *        •     •    .    .    . 

12  —   

19  —  

19  —   

19  — 

26  -   

26  — 

26  — 

2  septembre. 

2    —       .. 


Matières 
Statious.  organiques. 


3 
3 
5 
6 
3 
5 
6 
3 
5 
6 
3 
5 
6 
3 
5 
6 
3 
5 


Gr. 

0,0025 
0,0017 
0,0017 
0,0018 
0,0017 
0,0017 
0,0017 
0,0017 
0,0016 
0,0019 
0,0013 
0,0013 
0,0015 
0,002i 
0,0017 
0,0017 
0,0025 
0,0019 


Dates. 

2  septembre 

9 

9 

9 

10 
16 
16 
16 
23 
23 
23 
30 
30 
30 
30 

7 

7 

7 


Matières 
Stations,  organiques. 


octobre. 


6 
3 
5 
6 
3 
4 
5 
6 
3 
5 
6 
3 
4 
5 
6 
3 
4 
o 


Gr. 

0,0018 
0,0021 
0,0020 
0,0018 
0,0012 
0,0012 
0,0010 
0,0011 
0,0013 
0,0015 
0,0014 
0,0023 
0,0021 
0,0024 
0,0021 
0,0023 
0,0024 
0,0022 


Plusieurs  faits  se  dégagent  des  analyses  ci-dessus. 

En  premier  lieu,  le  rouissage  a  augmenté  la  souillure  de 
la  Loire,  en  matériaux  organiques,  d'une  manière  intermit- 
tente, marquée  principalement  à  la  fin  d'avril  et  à  la  fin  de 
septembre.  L'augmentation  atteignait  parfois  le  quadruple 
de  la  quantité  correspondant  au  minimum  observé  ;  elle 
décroissait,  habituellement,  à  mesure  qu'on  s'avançait  vers 
les  stations  d'aval. 

L'eau  qui  longe  la  rive   droite  est  généralement  un  peu 

20 


306 

plus  chargée  d'éléments  organiques  que  celle  de  la  rive 
gauche  et  que  celle  du  milieu  du  fleuve. 

La  même  remarque  résulte  de  la  comparaison  des  chiffres 
correspondant  aux  prélèvements  faits  au  milieu  et  sur  la  rive 
gauche  du  bras  de  la  Madeleine.  Les  derniers  accusent 
presque  toujours  moins  de  matières  organiques  que  les 
premiers,  à  fortiori  moins  encore  que  les  eaux  de  la  rive 
droite.  Il  semble  que  la  pollution  du  fleuve  ait  lieu  surtout 
de  ce  côté  et  que  les  eaux  souillées  se  mélangent  imparfai- 
tement aux  autres.  Le  fait  est  sensible  en  juillet  et  en  août  ; 
en  septembre  il  est  moins  constant.  Je  ne  le  donne  pas 
comme  l'expression  d'une  loi  ;  je  constate  seulement  qu'il 
coïncide  avec  la  position  géographique  des  principales  agglo- 
mérations urbaines  assises  au  bord  de  la  Loire.  Il  a  du  reste 
son  intérêt,  pour  le  cas  où  un  système  de  filtrage  serait 
établi  dans  le  bras  de  la  Madeleine.  S'il  se  maintient,  c'est 
bien  vers  la  grève  de  Beaulicu  qu'il  sera  utile  de  placer  le 
système  en  question. 

L'examen  bactériologique  de  l'eau  n'a  pas  pu  cire  fait 
pendant  la  période  du  rouissage.  Des  réparations,  exécutées 
au  laboratoire  de  la  Station  agronomique,  à  cette  époque, 
n'ont  permis  que  les  recherches  chimiques  seules  suscep- 
tibles d'être  poursuivies  avec  une  installation  provisoire. 


SITUATION    DU    VIGNOBLE 

DE     LA     LOIRE-INFÉRIEURE     EN     1890 
Par  A.  Andouard, 

Directeur  de  la  Slalion  agronomique. 


A  ne  consulter  que  les  apparences,  on  serait  tenté  de 
croire  que  le  vignoble  du  département  s'est  relevé,  en  1890, 
des  chocs  répétés  qui  l'avaient  affaibli  pendant  les  précédentes 
années.  L'ensemble  de  la  végétation  est  meilleur  qu'au 
dernier  exercice  ;  la  maturation  des  sarments  s'accomplit 
d'une  manière  normale  -,  la  récolte,  sans  être  rémunératrice, 
n'est  pas  nulle  et  la  région  vilicole  est  en  ce  moment  le 
siège  d'une  activité  à  laquelle  nous  n'étions  malheureuse- 
ment plus  accoutumés.  Gardons-nous  cependant  de  concevoir 
trop  de  sécurité.  Nous  recueillons  présentement  le  bénéfice 
de  conditions  climalologiques  moins  défavorables  qu'en 
18b9;  mais  le  péril  ne  s'est  pas  éloigné,  il  nous  environne 
au  contraire  de  plus  en  plus  et  l'examen  attentif  de  nos 
plantations  n'est  rien  moins  que  rassurant.  Une  me  sera  que 
trop  facile  de  justifier  cette  appréciation,  en  faisant  le  recen- 
sement des  ennemis  mulliples  qui  déciment  notre  vignoble.  . 

Parasites  végétaux.  —  Le  mildiou  a  fait  tardivement  son 
apparition  cette  année.  Les  pluies  du  printemps  lui  avaient 
cependant  prêté  un  appui  prolongé;  mais  elles  étaient  froides 
et  la  persistance   des  basses  températures  a  duré  jusqu'au 


308 

milieu  de  juillet.  A  ce  moment,  le  soleil  est  devenu  plus 
chaud  et  le  parasite  a  commencé  à  paraître  dans  les  vignes 
non  sulfatées.  Gomme  il  fallait  s'y  attendre,  il  s'est  révélé  à 
peu  près  partout  en  même  temps.  Vers  le  15  août,  quelques 
vignes  perdaient  déjà  des  feuilles  et  l'inquiétude  d'une  invasion 
grave  devenait  légitime.  Le  hasard  a  voulu  que  ce  malheur 
nous  fût  épargné.  Les  vents  du  nord  et  de  Test  ont  régné 
presque  exclusivement  pendant  les  mois  d'août  et  de  septem- 
bre, en  même  temps  que  le  soleil  prodiguait  généreusement 
ses  rayons.  De  ce  concert  heureux  est  résulté  un  ralentis- 
sement marqué  dans  le  développement  du  peronospora.  Le 
champignon  n'a  pas  moins  continué  à  vivre,  mais  il  vivait 
misérablement  et  il  n'a  pu  affermir  que  lentement  la  prise 
de  possession  du  feuillage  tout  entier.  Par  suite  de  celte 
marche  retardée,  plusieurs  vignes  non  soignées  avaient 
encore  quelques  feuilles  à  la  iîn  de  septembre,  mais  quelles 
feuilles  ?  La  sève  les  abandonnait  à  grands  pas  et  leur  chute 
s'accentuait  chaque  jour  davantage. 

A  côté  de  ces  clos  désolés,  où  le  raisin  n'a  pas  mûri,  l'œil 
se  reposait  agréablement  sur  des  vignes  de  parfaite  conser- 
vation. L'élan  a  été  considérable  cette  année  vers  le  traite- 
ment préventif  et  la  bouillie  bordelaise  a  1  ou  3%  de  sulfate 
de  cuivre  a  été  pour  ainsi  dire  le  seul  remède  ubiiisé.  Elle  a 
complètement  réussi  partout  où  elle  a  été  bien  faite  et  bien 
appliquée  ;  mnis  combien  souvent  n'a-t-clle  pas  été  mal  ou 
trop  tard  employée  !  A  cet  égard,  l'instruction  du  vigneron 
est  loin  d'être  suffisante.  11  n'a,  trop  souvent,  ni  le  respect 
des  proportions  à  conserver  aux  divers  éléments  de  la 
bouillie,  ni  l'empressement  nécessaire  pour  devancer  le 
parasite,  ni  le  soin  minutieux,  ni  l'exactitude  qu'exige  la 
distribution  régulière  du  mélange  préservateur.  Parfois  même 
il  lui  manque  aussi  la  confiance  en  l'opération  qu'il  exécute. 

Avec  de   tels  éléments,  les  insuccès  ne  doivent  pas  faire 


309 

défaut.  Ils  étaient  encore  nombreux  cette  fois  ;  les  circons- 
tances favorables  rappelées  plus  haut  les  ont  dissimulés,  mais 
il  ne  fallait  pas  beaucoup  chercher  pour  les  apercevoir. 
Dans  les  clos  négligemment  traités,  presque  toutes  les  feuilles 
étaient  tigrées  de  petites  taches  de  mildiou.  Evidemment,  le 
cuivre  était  intervenu  trop  tard,  ou  n'avait  pas  été  assez 
abondamment  ou  assez  également  réparti  sur  les  feuilles. 

Malgré  ces  accidents  inévitables,  plus  de  la  moitié  du 
vignoble  offrait  et  offre,  même  à  l'heure  actuelle,  une  végé- 
tation très  satisfaisante.  Les  feuilles  sont  encore  toutes 
attachées  aux  rameaux  ;  par  suite,  le  raisin  a  mûri  dans  de 
bonnes  conditions  et  le  bois  aura  toute  la  qualité  désirable.  On 
peut  donc  dire  que  le  mildiou  n'a  pas  causé  de  grands  ravages. 

Le  résultat  serait  meilleur  encore  et  conduirait  plus  sûre- 
ment à  l'extinction  du  mal,  si  tous  les  possesseurs  de  vigne 
se  mêlaient  du  combat.  A  cet  effet,  M.  Fontaine,  par 
dévouement  à  la  chose  publique,  a  émis  le  vœu  que  la  loi 
de  1888  sur  la  destruction  des  parasites  de  toute  nature 
fût  rigoureusement  mise  en  vigueur.  Il  n'a  pas  semblé 
possible  de  donner  une  sanction  efficace  à  cette  loi,  qui 
demeure,  hélas  !  purement  platonique. 

Anthracnose,  pourridié,  etc.s—  Les  dommages  causés 
par  Yanthracnose  ont  été  très  restreints  ;  ils  sont  presque 
négligeables.  Toutefois,  dans  la  crainte  de  les  voir  augmenter, 
on  ne  saurait  trop  recommander  d'en  prévenir  le  retour  par 
des  badigeonnages  au  sulfate  de  fer,  effectués  pendant  la 
saison  froide. 

Le  pourridié  ne  s'est  pas  montré  aussi  anodin  ;  il  exerce 
toujours  une  funeste  influence,  sur  nombre  de  points  de  la 
rive  gauche  de  la  Loire.  Bien  que  le  mal  ne  soit  ni  foudroyant, 
ni  trop  généralisé,  il  mérite  qu'on  lui  accorde  une  attention 
sérieuse.  Des  drainages  bien  compris  faciliteraient  beaucoup 
sa  disparition. 


310 

M.  Fontaine  a  remarqué  de  plus  an   peu  (Yoïdiurh,  sur 

des  raisins  de  pinot  el  de  (p-os-plant,  qui  n'onl  pas  été 
sérieusement  atteints.  Il  pense  avoir  aussi  rencontré  des 
traces  de  coniothyrium  et  de  rot  gris,  mais  si  peu  impor- 
tantes, qu'elles  n'ont  amené  aucune  préoccupation. 

Parasites  animaux.  —  La  situation  est  moins  belle,  en  ce 
qui  regarde  les  destructeurs  appartenant  au  règne  animal. 

La  cochylis  abondait  encore  au  printemps  dernier,  princi- 
palement dans  tout  le  sud  de  notre  région  viticole  et,  sans 
les  intempéries  que  j'ai  déjà  signalées,  elle  y  aurait  porté 
de  nouveau  la  dévastation.  Elle  s'est  évanouie  sous  l'influence 
des  pluies  el  des  orages  du  mois  de  juin.  On  ne  rencontrait 
que  des  sujets  isolés,  à  l'époque  de  sa  deuxième  éclosion. 

Le  phylloxéra  a  suivi  une  marche  inverse.  Jusqu'à  la  fin 
de  juillet,  sa  multiplication  est  restée  faible  partout,  entravée 
qu'elle  était  par  la  froidure  du  sol.  Les  chaleurs  des  deux 
derniers  mois  lui  ont  donné  un  essor  considérable  et  les 
insectes  sont  très  nombreux  actuellement. 

Ce  n'est  pas  seulement  leur  nombre  qui  s'est  accru,  c'est 
aussi  la  superficie  du  territoire  sur  lequel  ils  accumulent 
sourdement  les  ruines.  Les  anciennes  taches  se  sont  agrandies 
de  près  de  400  hectares,  et  six  communes  nouvelles,  dont 
deux  appartiennent  aux  arrondissements  de  Paimbœuf  el  de 
Chàtcaubriant,  sont  venues  y  joindre  l'apport  que  voici,  dans 
lequel  se  trouve  comprise  la  zone  suspecte  : 

Commune  de  Ligné °2  hectares. 

—  Saint-Mars-du-Désert.  1        — 
Treillières 4        — 

—  Saint-Léger c2        — 

Bouguenais 1        — 

Port-Saint-Père S       — 

Total 13  hectares. 


311 

Ces  découvertes  ne  sont  pas  pour  nous  surprendre  ;  elles 
étaient  prévues  et,  vraisemblablement,  elles  ne  résument  pas 
toute  l'extension  du  fléau. 

Une  augmentation  parallèle  se  manifeste  sur  les  parcelles 
détruites,  qui,  de  78  bectares  en  1889,  s'élèvent  a  251  bec- 
tares  50  ares  en  1890.  De  telle  sorte  qu'aujourd'hui,  nous 
comptons  au  minimum  900  bectares  contaminés,  plus  une 
zone  suspecte,  que  M.  Fontaine  évalue  à  250  bectares. 

Dans  le  total  des  vignes  anéanties  et  portées  présentement 
au  passif  du  phylloxéra,  il  y  a  certainement  une  part  à  faire 
a  l'œuvre  du  mildiou,  mais  il  est  difficile  de  dire  quelle  en 
est  l'importance.  Le  vigneron  arrache  silencieusement  les 
victimes  du  peronospora  ;  on  ne  saura  que  très  approxima- 
tivement ce  qu'il  faut  imputer  à  l'un  et  à  l'autre  parasite. 
Examinons  maintenant  la  résistance  qui  a  été  opposée  aux 
fléaux  dont  il  vient  d'-êlre  parlé. 

Défense.  —  Syndicats.  —  Les  avantages  offerts  aux 
syndiqués,  pour  le  traitement  de  leurs  vignes,  sont  tellement 
grands,  qu'on  a  peine  a  croire  que  tous  les  viticulteurs  ne 
se  soient  pas  bâtés  d'en  profiter.  11  en  est  pourtant  ainsi. 
Des  14  Syndicats  qui  fonctionnaient  en  1888,  il  ne  reste 
présentement  que  12.  Celui  de  Thouaré,  qui  n'avait  pas  fait 
acte  de  vitalité  l'an  dernier,  a  prolongé  sa  léthargie  en  1890. 
Celui  du  Loroux-Boltereau,  bien  plus  intéressé  à  la  lutte 
cependant,  a  également  suspendu  ses  opérations.  Parmi  ceux 
qui  agissent  encore,  la  plupart  sont  en  voie  de  prospérité, 
ou  tout  au  moins  dans  le  statu  quo  originel.  Par  contre, 
ceux  de  Mauves,  d'Oudon  et  de  Vertou  ont  enregistré  la 
retraite  regrettable  d'une  partie  de  leurs  adhérents,  soit  en 
raison  de  l'arrachage  des  vignes,  soit  pour  cause  de  décou- 
ragement. Voici  l'état  de  ces  Syndicats  : 


312 

Surfaces 
Communes.  syndiquée?.  Adhérent?.  Budget. 

H.         A.       C. 

Ancenis 56  95  55  20  341  f  73 

Barbectiat 03  03  00  12  377  58 

Bignon  (Le) 1G7  00  00  95  1.002  00 

Cellier  (Le) 39  00  00  5  234  00 

Clisson 180  70  20  03  1.020  21 

Couffé 143  78  00  116  882  4G 

Mauves 39  63  51  21  237  81 

OudOD 72  54  50  109  .     435  27 

Sàint-Jean-de-Corcoué.  40  02  00  43  240  12 

Vallet 172  07  00  25  1 .030  02 

Varades  . . . . '. 110  48  73  159  063  02 

Verlou 171  41  00  97  342  82 

Faisons  des  vœux  pour  que,  Tan  prochain,  cette  nomen- 
clature soit  grossie  par  les  communes  où  le  phylloxéra  vient 
d'être  trouvé  ;  elles  auront  tout  intérêt  à  organiser  sans 
retard  la  défense. 

Traitements.  —  Le  service  phylloxérique  a  poursuivi  avec 
le  zèle  habituel  la  sulfuration  des  surfaces  phylloxériques 
déjà  délimitées.  La  tâche  commence  à  devenir  pesante,  en 
raison  de  l'agrandissement  du  territoire  infesté.  Notre  dévoué 
délégué  départemental  y  suffît  toujours,  mais  il  regrette  que 
les  allocations  attribuées  à  son  service  ne  suivent  pas  la 
même  progression  que  la  zone  maladi .  Si  des  ressources 
nouvelles  ne  sont  pas  affectées  à  cette  œuvre,  il  faudra  cesser 
de  tenir  les  promesses  failes  aux  Syndicats,  ce  qui  entraînera 
plus  d'une  conséquence  fâcheuse. 

Déjà  M.  Fontaine  a  dû  réduire  le  nombre  des  hectares 
précédemment  sulfurés  par  ses  équipes  et  le  tolal  traité,  celle 
année,  est  un  peu  inférieur  à  celui  de  1889.  Celle  nécessilé 
est  douloureuse,  car  l'efficacité   du   sulfure   de  carbone  est 


313 

indéniable  dans  les  vignobles  de  la  rive  droite,  où  il  est 
régulièrement  appliqué  depuis  plusieurs  années.  La  Commis- 
sion départementale  l'a  reconnu  dans  une  visite  récente  ;  il 
serait  bien  fâcheux  de  ne  pas  soutenir  vigoureusement  la 
lutte.  • 

Pépinières.  —  Mais  s'il  est  logique  de  travailler  sans 
faiblesse  a  la  conservation  de  nos  vieilles  vignes,  il  est  utile 
également  de  prévoir  les  besoins  qui  naîtront  le  jour  où  la 
coalition  des  indifférents,  des  incrédules  et  des  découragés 
avec  le  phylloxéra  aura  tellement  étendu  l'empire  de  celui-ci, 
qu'il  deviendra  presque  impossible  de  continuer  à  lui  dispu- 
ter le  terrain.  Ce  jour-là,  le  viticulteur  demandera  la  résur- 
rection de  son  vignoble  à  des  cépages  capables  de  braver 
impunément  la  piqûre  de  l'insecte.  C'est  pour  être  prêt  à 
cette  éventualité  que,  de  tous  côtés,  on  se  livre  à  la  culture 
de  la  vigne  américaine.  A  l'heure  présente,  il  n'est  proba- 
blement pas,  dans  la  Loire-Inférieure,  de  commune  qui  ne 
compte  plusieurs  plantations  de  ce  genre.  Un  nombre  consi- 
dérable de  propriétaires- en  possèdent,  depuis  plusieurs  années, 
et  quelques-uns  ont  obtenu  des  résultats  dignes  d'intérêt. 

Mais  ces  efforts  individuels  ne  sont  pas  un  enseignement  à 
la  portée  du  public  et  pourraient  parfois  manquer  de  méthode. 
Les  Sociétés  d'agriculture  et  l'Administration  du  département 
elle-même,  ont  admis  qu'il  était  bon  de  créer  des  pépinières- 
spéciales,  où  l'on  réunirait  les  variétés  de  cépages  améri- 
cains les  plus  recommandées,  afin  de  déterminer  quelles  sont 
celles  qui  s'adapteront  le  mieux  aux  terres  de  la  région. 

En  exécution  de  cette  pensée,  quatre  pépinières  ont  été 
successivement  établies  :  à  La  Persagotière,  à  Vallet,  à 
Oudon  et  à  La  Turballe. 

Celle  de  La  Persagotière,  à  Nantes,  occupe  15  à  20  ares. 
On  y  cultive  12  variétés  américaines,  dans  les  meilleures 
conditions  possibles. 


314 

À  Vallct,  la  pépinière  mesure  environ  30  ares.  Elle  est 
sous  la  surveillance  de  Y  Administration  et  actuellement  en 
très  bon  état.  Elle  renseignera  bientôt  sur  les  espèces  appe- 
lées à  se  plaire  dans  notre  principal  cenltc  vilicole. 

La  pépinière  d'Oudon  a  déjà*  été  l'objet  de  l'examen  du 
Comité  de  vigilance.  Habilement  dirigée,  elle  nous  dira,  dans 
quelques  années,  quels  sont  les  cépages  d'Amérique  présen- 
tant le  plus  de  garanties  d'avenir  sur  la  rive  droite.  Alors,  la 
pépinière  d'études  sera  transformée  en  pépinière  d'approvi- 
sionnement et  pourra  fournir  une  très  grande  quantité  de 
boutures  à  toute  la  contrée. 

Quant  à  la  dernière,  elle  a  été  confiée  aux  sables  marins  de 
La  Turballe,  dans  le  dessein  de  soustraire  aux  atteintes  du 
phylloxéra  les  plants  de  vigne  et  les  rejetons  qu'ils  sont 
appelés  a  fournir.  C'est  exclusivement  une  pépinière  d'appro- 
visionnement, organisée  grâce  à  une  subvention  spéciale  du 
Conseil  général.  Les  boutures  qui  s'y  trouvent  plantées  ont 
été  un  peu  éprouvées  par  la  sécheresse  des  dernières  semai- 
nes. Mais  il  convient  de  laisser  écouler  le  temps  avant  de 
juger  d'une  tentative  faite  dans  des  conditions  de  culture  qui 
paraissent  difficiles,  il  faut  le  reconnaître. 

Expériences.  —  Quelques  expériences  ont  été  tentées  dans 
le  courant  de  l'année,  avec  le  bienveillant  concours  de  plu- 
sieurs propriétaires.  Elles  ont  été  dirigées  contre  le  mildiou 
et  contre  le  phylloxéra. 

Bouillie  bordelaise  céleste.  —  Notre  honorable  collègue, 
M.  de  Fleuriot,  a  bien  voulu  se  charger  de  contrôler  la 
valeur  parasiticide  du  sulfosaccharate  de  cuivre,  préconisé 
par  M.  Pons,  comme  succédané  de  la  bouillie  bordelaise. 
L'essai  a  été  fait  sur  des  parcelles  disséminées  dans  un  clos 
de  quatre  hectares.  11  a  comporté  trois  applications,  de  500 
litres  chacune,  du  mélange  obtenu  suivant  les  indications  de 
l'auteur,  en  délayant  °2  kil.  de  sulfosaccharate  dans  100  litres 


315 

d'eau.  Le  reste  du  clos  a  reçu  aux  mêmes  époques,  c'esl-à- 
dire  aux  mois  de  juin,  juillet  et  août,  à  raison  de  600  litres 
par  hectare,  le  liquide  cuprique  ci-dessous  : 

Sulfate  de  cuivre c2  kil. 

Chaux  vive 2  — 

Eau 100  litres. 

Les  résultats  ont  été  absolument  identiques  dans  les  deux 
cas. 

J'ai  fait,  de  mon  côté,  des  expériences  analogues,  avec  de 
la  bouillie  céleste  gracieusement  mise  a  ma  disposition  par 
M.  Pons.  J'avais  choisi  pour  cela  ,  dans  la  commune  de 
Bouguenais,  deux  parcelles  mesurant  chacune  environ  20 
ares,  distantes  l'une  de  l'autre  d'un  kilomètre  et  com- 
plètement entourées  de  vignes  non  soignées.  Les  trois  asper- 
sions avec  le  mélange  sus-indiqué  ont  eu  lieu  le  6  et 
le  c29  juin  ,  puis  le  25  juillet.  Les  deux  premières  ont  été 
suivies  de  pluies  abondantes,  moins  de  24  heures  après  leur 
terminaison.  Malgré  cet  accident  la  poudre  cuprique  est 
restée  adhérente  à  la  feuille  et  paraissait  encore  au 
moment  de  l'aspersion  suivante.  L'effet  a  été  très  satisfaisant. 
A  de  rares  exceptions  près,  les  feuilles  sont  encore  intactes 
aujourd'hui ,  alors  que  les  vignes  voisines  sont  fortement 
dépouillées. 

Le  sulfosaccharate  de  cuivre  s'est  donc  montré  aussi 
efficace  que  la  bouillie  bordelaise  ;  il  semble  n'avoir  d'autre 
défaut  que  son  prix  trop  élevé. 

Dans  une  autre  vigne,  commune  de  Verlou,  située  au 
milieu  d'un  clos  sulfaté  à  plusieurs  reprises  avec  beaucoup 
de  soins,  on  a  pratiqué  le  traitement  préventif,  vers  les  mêmes 
dates,  avec  une  bouillie  bordelaise  sucrée  de  la  composition 
que  voici  : 


316 

Sulfate  de  cuivre 1.000  gramm. 

Chaux  vive 500      — 

Sucre  cristallisé 350      — 

Eau 100  litres. 

Ici,  le  cuivre  n'était  pas  combiné  d'avance  avec  le  sucre, 
comme  dans  le  produit  de  M.  Pons  ;  les  deux  substances 
avaient  été  mélangées  seulement  à  l'état  de  dissolution.  Cepen- 
dant, l'adhérence  du  dépôt  cuprique  aux  feuilles  et  la  pré- 
servation de  celles-ci  ont  été  complètes.  L'union  chimique 
préalable  des  deux  éléments  n'est  donc  peut-être  pas  in- 
dispensable à  l'efficacité  delà  bouillie.  Ce  point  de  la  question 
ne  manque  pas  d'intérêt,  attendu  qu'il  a  pour  conséquence 
immédiate  une  réduction  notable  du  prix  de  revient  de  la 
bouillie   céleste. 

Eydrocarbonate  de  cuivre.  —  La  bouillie  bourguignonne 
à  l'hydrocarbonate  de  cuivre  additionné  de  mélasse  a  fait 
l'objet  d'une  troisième  expérience,  effectuée  dans  la  commune 
de  Bouguenais.  40  arcs  lui  avaient  été  consacrés.  Le  liquide 
préservateur  avait  pour  composition  : 

Sulfate  de  cuivre 2.000  gramm. 

Carbonate  de  soude  cristallisé 2.300    — 

Mélasse. 500    — 

Eau 100  litres. 

11  a  été  répandu,  à  la  dose  de  5  hectolitres  par  hectare, 
les  mêmes  jours  que  la  bouillie  céleste,  ce  qui  revient  à  dire 
qu'il  a  essuyé  les  mêmes  pluies  abondantes  et  prolongées 
que  celle-ci.  Sa  persistance  sur  les  feuilles  n'a  rien  laissé  à 
désirer,  non  plus  son  action,  car  le  10  octobre  les  feuilles 
étaient  toutes  intactes. 

La  proportion  du  cuivre  était  ici  double  de  celle  de  la 
bouillie  céleste,  mais  inférieure  d'un  tiers  à  celle  de  presque 
tous    les  mélanges  analogues  préparés  dans    les  diverses 


317 

communes  du  département.  L'effet  ayant  été  au  moins  aussi 
satisfaisant  dans  les  deux  premiers  cas  que  dans  le  troisième, 
il  faut  admettre,  qu'en  le  dissolvant,  le  sucre  et  la  mélasse 
rendent  le  métal  beaucoup  plus  actif,  d'où  la  possibilité 
d'atteindre  le  môme  but  avec  une  dose  deux  ou  trois  fois 
moindre  de  sulfate  de  cuivre. 

Insecticide  Aima  mater.  —  Deux  essais  de  cette  subs- 
tance ont  été  faits,  l'un  par  M.  de  Flcuriot,  l'autre  par  moi, 
dans  des  conditions  différentes. 

M.  de  Fleuriot  a  opéré  sur  des  vignes  pbylloxérées  traitées 
au  sulfure  de  carbone.  Il  a  employé  l'insecticide  à  la  dose 
de  250  grammes  par  cep.  L'expérience  n'a  pas  donné  de 
résultat  à  l'égard  du  phylloxéra,  dont  il  n'a  pas  diminué  la 
densité  ;  mais  la  végétation  n'en  est  pas  moins  restée  très 
belle. 

Mon  essai  a  été  fait  dans  la  commune  de  la  Chapelle- 
Basse-Mer,  avec  l'insecticide  offert  par  la  Compagnie  qui 
l'exploite.  Le  20  juillet,  j'ai  pris  dans  deux  taches  pbyl- 
loxérées 50  pieds  de  vigne  un  peu  fatigués,  mais  encore 
presque  tous  résistants.  Ils  portaient,  à  cette  époque,  très  peu 
de  phylloxéras  et  ils  n'ont  jamais  été  sulfurés.  Après  les 
avoir  fait  déchausser  sous  mes  yeux,  comme  il  est  prescrit 
dans  les  instructions  délivrées  avec  le  produit,  j'ai  fait 
répandre  autour  de  chacun  d'eux  250  grammes  d'insecticide 
préalablement  mêlés  à  une  quantité  convenable  de  terre.  Le 
tout  a /Hé  recouvert  immédiatement  avec  le  reste  de  la  terre 
et  abandonné  en  cet  état  pendant  deux  mois  et  demi.  Le 
8  octobre,  j'ai  procédé  a  un  nouvel  examen  des  racines  ; 
j'ai  trouvé  sur  toutes,  indistinctement,  un  nombre  d'insectes 
•bien  supérieur  à  celui  du  mois  de  juillet.  L'influence  de 
l'insecticide  avait  été  nulle.  Quant  à  la  végétation,  elle  n'avait 
aucunement  bénéficié  de  la  présence  de  l'Aima  mater;  rien  ne 
distinguait  les  ceps  traités  de  ceux  qui  les  environnaient. 


318 

De  ce  qui  précède,  il  résulte  que  si  le  mildiou  a  laissé, 
en  1890,  un  répit  très  relatif  à  la  vigne,  le  phylloxéra  lui  a, 
par  contre,  livré  un  assaut  plus  redoutable  que  ceux  du 
passé.  Est-ce  à  dire  qu'il  faille  pour  cela  désespérer  de 
l'avenir?  Le  Comité  de  vigilance  ne  le  pense  pas.  Si  pénible 
et  si  décevante  que  soit  la  lutte  contre  un  ennemi  insaisis- 
sable et  sans  cesse  renaissant,  il  est  nécessaire  de  la  mener 
courageusement.  Pour  nous  y  engager,  nous  avons  l'exemple 
de  la  Bourgogne  et  du  Bordelais,  qui  soutiennent  depuis 
longtemps  leurs  vignobles  au  moyen  des  insecticides.  En 
agissant  ainsi  nous  gagnons  du  temps  ;  et  qui  sait  si  les 
recherches  qui  surgissent  ardentes  de  tous  côtés  n'amèneront 
pas  une  découverte  dont  nous  pourrons  recueillir  les  fruits  ? 
Et  si  le  sort  persiste  à  trahir  nos  efforts,  la  partie  ne  sera 
pas  encore  perdue,  puisque  nous  pourrons  toujours  recourir 
aux  cépages  exotiques  dont  l'étude  se  poursuit  maintenant 
sous  nos  yeux. 

J'annexe  à  cet  exposé  le  relevé  de  la  surface  actuelle  du 
vignoble,  dressé  par  M.  Fontaine,  délégué  départemental.  On 
y  remarque  avec  satisfaction  160  hectares  nouvellement 
plantés  : 

ÉTAT  DU  VIGNOBLE  EN  1890. 

Vignes  malades  mais  résistant  encore. 

ARRONDISSEMENT  d'aNCEMS. 

Commune  d'Ancenis 35  hectares. 

—  Anetz 12      — 

—  Le  Cellier 70 

—  Couiï'é 80      — 

—  Joué-sur-Erdre 10      — 

—  Mésanger 8      — 


'rr 


A  reporter G215      — 


319 

Report 215  hectares. 

Commune  de  Montrelais 69  — 

Oudon 120  - 

—  Pannecé 2 

La  Rouxière 5  — 

—  Saint-Gércon 45  — 

—  Saint-Herblon 30  - 

Saint-Mars-la-Jaille 2  — 

—  Teille 1  — 

Varades 30  — 

—  Ligné 2  — 

Total 521  hectares. 

ARRONDISSEMENT  DE  CHATEAUBRIANT. 

Commune  de  Saint-Mars-du-Désert 1  hectare. 

ARRONDISSEMENT  DE  NANTES. 

Commune  de  Barbechat fiO  hectares. 

—  Le  Bignon 25  — 

La  Boissière 10  — 

—  Bouguenais 1  — 

—  Carquefou 10  — 

La  Chapelle-Basse-Mer 25  — 

—  Gorges 3 

—  La  Haye-Fouassicre 3  — 

—  Le  Landreau 25  — 

—  Le  Loroux-Botlereau 25  — 

—  Mauves 100-  — 

—  Mouzillon 5 

—  LePallet 1  — 

A  reporter 293  — 


320 

Report 293  hectares. 

Commune  de  La  Remaudièrc 3      — 

Remouillé 1 

—  Rezé 2      — 

—  Saint-Colombin 4      — 

—  Saint-Eticnnc-de-Corcoué ...  G      — 
Saint-Herblain 2      — 

—  Saint-  Jean-de-Corcoué 15 

—  Saint-Julien-de-Concelles 15      — 

—  Saint-Léger 2      — 

—  Sainte-Luce 6      — 

Thouaré 10      — 

—  Treillières 4      — 

—  Vallet 10      — 

Total......  373  hectares. 

ARRONDISSEMENT  DE   PAIMBŒUF. 

Commune  de  Port-Sain t-Père 3  hectares. 

Récapitulation. 

VIGNES    MALADES. 

Arrondissementd'Ancenis 521  hectares. 

—  Chàleaubiïant 1      — 

—  Nantes 373      — 

—  Paimbœuf 3      — 

Total 898  hectares. 

Surface  totale  du  vignoble  au  31  décem- 
bre 1890 30.453  hectares. 

Vignes  nouvellement  plantées 1G0 

Total 30. Cl 3  hectares. 


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321 

D'autre  part 30. 61 3 h  » 

A  déduire  :  vignes  détruites 251  50 

Vignes  existantes  en  1890 30.361h50 

Vignes  malades . . .     898  hectares.  / 
—    suspectes  . .     250      —        j 

Vignes  paraissant  indemnes °29.213h50 

Sur  la  carte  ci-contre ,  les  communes  viticoles  infestées 
par  le  phylloxéra  sont  teintées  en  rouge  ;  celles  qui  semblent 
encore  indemnes  sont  colorées  en  vert. 


!21 


CHAMP  D'EXPÉRIENCES 
DE  LA  STATION  AGRONOMIQUE  DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE 

pendant    l'exercice    1889-1890 
Par   A.  Andouard. 


Il  n'y  a  pas  encore  beaucoup  à  se  louer,  dans  la  Loire- 
Inférieure,  de  l'année  agricole  qui  vient  de  finir.  Le  mois 
d'octobre  1889  a  été  tellement  pluvieux,  qu'à  grand'peine  il 
a  permis  les  semailles  du  seigle  et  de  l'avoine.  Celles  du 
froment  ont  dû  presque  toutes  être  reportées  à  novembre, 
dont  fort  heureusement  la  constitution  climatologique  a  été 
bonne. 

Un  mouvement  de  sève  général  s'est  dessiné  en  janvier 
1890,  un  peu  exagéré  peut-être  par  suite  de  l'élévation  de  la 
température.  11  a  été  réprimé,  dès  le  commencement  de 
février,  par  un  refroidissement  notable,  qui  a  persisté  jusqu'à 
la  fin  de  mai,  pour  faire  place  a  une  humidité  excessive, 
dont  on  se  plaignait  encore  aux  derniers  jours  d'août.  Par 
surcroît,  plusieurs  tempêtes  et  même  un  véritable  ouragan, 
survenu  le  17  juillet  et  accompagné  d'une  trombe  d'eau 
désastreuse,  ont  fait  sentir  leur  funeste  influence  sur  les 
cultures  du  département  el,  en  particulier,  sur  celles  de  la 
Station. 

La  chaleur,  à   part  quelques   périodes  sans  durée,  n'est 


323 

réellement  venue  qu'en  septembre.  Alors  a  commencé  une 
phase  de  sécheresse  compromettante  pour  la  végétation  et 
pour  les  ensemencements  d'automne.  Avec  de  semblables 
conditions,  il  était  interdit  de  compter  sur  de  brillantes 
récolles.  Presque  toutes,  en  effet,  ont  été  modestes,  sans 
pourtant  cesser  de  porter  en  elles  un  enseignement  relatif. 

Aucun  changement  n'a  été  apporté  au  plan  de  culture 
antérieurement  suivi.  Mais,  en  ce  qui  concerne  les  engrais, 
le  plâtre  a  été  réintégré  dans  les  mélanges,  a  la  place  du 
carbonate  de  chaux,  et  les  produits  solubles  (nitrate  de 
soude,  sulfate  de  potasse)  ont  été  semés  en  couverture,  au 
printemps,  au  lieu  d'être  enfouis  a  l'automne.  La  nature  des 
engrais  était  d'ailleurs  la  même  qu'en  1888-1889,  sur  les 
cinq  planches  de  chaque  série  : 

1:  Phosphate  fossile,  nitrate  de  soude,  plâtre. 

2:        —  —  —    suif,  dépotasse. 

3:  Superphosphate,  —  — 

4:  Fumier,  plâtre. 

5:  Scories  phosphoreuses,  nitrate  de  soude,  plâtre. 

Chaque  parcelle  (10  ares)  a  reçu  le  dixième  des  quantités 
d'éléments  fertilisants  calculées  ici  pour  1  hectare  : 

12  3  4  5 

Azote c25kil.  25.-kil.  25kil.  126 kil.  25  kil. 

Acide  phosphorique. .  186  -  186—  178—  84—  150  — 

Potasse —       100 108 

Chaux  totale 480—480—480—  500—510  — 

Par  suite  d'une,  erreur,  la  parcelle  n°  4  a  reçu,  en  couver- 
ture, du  nitrate  de  soude  qui  ne  devait  pas  lui  être  donné. 

lre  Série:    Parcelles  1  à  5. 
Froment. 
Pour  compléter  l'expérience  commencée  Tannée  dernière, 


3-24 

au  sujet  de  la  meilleure  disposition  à  donner  à  la  lerre  pour 
obvier  à  la  stagnation  de  Tenu  pendant  la  saison  pluvieuse, 
j'ai  divisé  chaque  parcelle  en  deux  bandes  égales,  dans  le 
sens  de  la  longueur.  L'une  des  deux  bandes  a  été  ensemencée 
à  plat,  au  semoir  ;  l'autre,  façonnée  en  cinq  billons,  a  été 
ensemencée  à  la  volée. 

Les  semailles  ont  eu  lieu  les  25  et  26  octobre  1889,  pour 
les  sillons,  et  le  13  novembre  suivant  pour  les  parties  à  plat. 

Chacune  des  moitiés  des  quatre  premières  parcelles  a  reçu 
7kil.  de  blé  de  pays,  récolté  a  la  Station  l'année  précédente. 
Les  deux  parties  de  la  cinquième  parcelle  ont  été  emblavées 
avec  du  Victoria,  également  récolté  à  la  Station  et  employé 
en  même  proportion  que  le  blé  indigène.  Celte  quantité  était 
trop  forte  pour  les  bandes  semées  en  ligne  ;  elle  a  servi  à 
cette  démonstration. 

La  germination  a  commencé  le  16  novembre,  sur  les 
sillons,  le  29  seulement  sur  les  parties  plates.  Dans  les  deux 
cas,  la  levée  s'est  montrée  un  peu  plus  précoce  sur  les 
parcelles  2  et  4  que  sur  les  autres. 

Toutes  les  bandes  se  sont  bien  comportées  pendant  le  mois 
de  décembre,  qui  a  été  sec  et  froid.  Cependant,  vers  la  fin, 
les  parcelles  2  et  4  présentaient  une  nuance  verte  plus 
prononcée  que  celle  des  aulrcs.  La  même  apparence  s'est 
maintenue  jusqu'en  février;  en  outre,  les  blés  des  mêmes 
parcelles  avaient,  comme  développement,  une  réelle  avance 
sur  les  autres.  Au  mois  de  mars,  un  relèvement  se  produit  sur 
les  parcelles  1  et  3  ;  la  parcelle  5  est  toujours  la  moins  belle; 
par  contre,  le  n°  4  offre  un  développement  plus  grand  que 
les  autres.  Cette  gradation  va  subsister  jusqu'à   la  maturité. 

L'influence  du  façonnement  de  la  terre  est  également  a 
noter.  Au  début  d'avril,  le  n°  1  excepté,  tous  les  autres  blés 
sont  plus  beaux  sur  sillon  que  sur  planche.  Eu  mai,  le  n°  1 
est  toujours  sensiblement  plus  vigoureux  et  plus  serré  sur 


325  • 

planche  que  sur  sillon.  La  différence  inverse,  présentée  par 
les  moitiés  des  autres  parcelles,  est  visiblement  atténuée, 
mais  encore  a  l'avantage  des  sillons. 

L'épiage  a  commencé  le  29  mai  sur  les  sillons  et  deux  ou 
trois  jours  plus  lard  sur  les  planches.  Il  s'est  généralisé  vers 
le  5  juin  et  il  était  terminé  le  12.  La  floraison  a  été  simul- 
tanée sur  toutes  les  parcelles.  Elle  a  duré  du  15  au  27  juin. 
A  ce  moment,  le  blé  de  la  parcelle  4  atteint  une  hauteur 
inquiétante,  en  raison  de  l'excès  d'azote  qu'il  a  reçu  ;  il  est 
évidemment  moins  robuste  que  les  autres. 

Le  29  du  même  mois,  une  pluie  abondante  couche  tous 
les  blés  du  champ  d'expériences.  Ils  se  relèvent  assez  bien, 
deux  jours  après,  pour  tomber  de  nouveau  pendant  l'orage 
du  4  juillet.  Le  mal  n'était  encore  que  partiels  celte  époque; 
presque  lous  les  blés  s'étaient  redressés.  La  trombe  du 
17  juillet  les  a  tous  versés  d'une  manière  définitive. 

Malgré  cet  accident,  malgré  des  pluies  fréquentes  et  un 
ciel  généralement  sombre,  ils  ont  mûri  assez  promptement. 
On  les  a  coupés  le  28  juillet;  peu  de  jours  après,  ils  étaient 
en  meule.  Sur  la  parcelle  3,  la  paille  et  les  épis  étaient 
notablement  plus  courts  que  partout  ailleurs.  Le  produit 
total  des  planches  et  des  sillons  est  indiqué  ci-après  : 

Planches.  Sillons. 

Parcelle  n<M 410  kil.        435  kil. 

—      n°  2 515  —  540  — 

n°  3 290  —  375  — 

n°  4 465  —  530  — 

n°  5 327  —  380  — 

Il  est  manifeste  que  les  sillons  ont  donné  plus  que  les 
planches.  Toutefois,  l'avantage  n'est  pas  très  grand  et  il  peut 
être  dû,  en  partie,  à  l'excès  des  semences  disposées  en  lignes, 
excès  qui  s'est  opposé  au  tallage  sur  les  planches.  L'expé- 
rience sera  renouvelée. 


326 

J'ai  procédé  au  battage  de  la  récolte  le  23  août.  Les  blés 
ont  été  pesés  avec  soin  et  versés  à  la  trémie,  pour  l'apprécia- 
tion du  poids  de  l'hectolitre.  Voici  les  résultats  : 

Rendements  à  Vhcclare. 


Poids 

Parcelle. 

Espèce. 

Paille. 

Grain. 

Hectol. 

del'hectol 

1. 

Blé  du  pays. . 

6. 180  kil. 

2.270  kil. 

30,2 

75  kil. 

2. 

•   • 

8.310  — 

2.240  — 

28,0 

80  - 

3. 

•  • 

4.400  — 

2.250  — 

30,0 

75  - 

4. 

•  • 

7.8G0  — 

2.190  — 

27,3 

80  - 

5. 

4.950  - 

2.120  — 

28,2 

75  - 

Sauf  sur  les  parcelles  3  et  5,  la  paille  était  abondante  et 
longue;  le  fait  était  prévu,  en  raison  de  l'humidité  du  prin- 
temps et  de  l'été.  Il  est  juste  d'ajouter  qu'une  certaine 
quantité  d'herbes  folles,  développées  après  la  chute  du  blé, 
est  venue  peut-être  en  grossir  le  poids,  bien  que,  pour  cette 
cause,  j'aie  réduit  celui-ci  d'un  peu  plus  d'un  dixième. 

Moins  satisfaisante  était  la  proportion  du  grain,  amoindrie 
qu'elle  a  été  par  les  conditions  fâcheuses  au  milieu  desquelles 
s'est  accomplie  la  maturation.  Le  rendement  est  cependant 
moyen;  les  grains  étaient  petits,  mais  assez  ronds  et  plus 
riches  en  principes  nutritifs  que  je  ne  m'y  attendais  : 

Composition  centésimale  du  grain. 


Acide 

Parcelle. 

Espèce. 

Azote. 

phosphorique. 

Potasse. 

Chaux. 

N°  1. 

Blé  indigène. . 

1,89 

0,99 

0,462 

0,04 

N°  2. 

•  • 

2,05 

0,97 

0,498 

0,04 

N°  3. 

— 

1,90 

0,94 

0,463 

0,03 

N°  4. 

— 

1,92 

0,82 

0,500 

0,03 

N°  5.     Blé  Victoria..     1,90        0,99        0,482        0,04 


827 

Composition  centésimale  de  la  paille. 

Acide 
Parcelle.  Espèce.  Azote,       pbospborique.      Potasse.  Chaux. 

N°  1.  Blé  indigène..  0,50  0,16  0,743  0,25 

N°  2.  —         ..  0,60  0,16  0,856  0,20 

N°  3.  —          ..  0,65  0,20  0,824  0,17 

N°  4.  —         ..  0,70  0,20  0,830  0,20 

N°  5.  Blé  Victoria..  0,70  0,15  0,570  0,20 

Les  données  favorables  du  premier  tableau  sont  confirmées 
par  le  dosage  du  gluten,  dont  le  quantum  est  normal,  à 
l'exception  du  n°  3  : 

Parcelle.  Espèce.  Gluten  °/0. 

N°  1.     Blé  indigène 10,70 

N°  2.            —          11,48 

N°  3.                         8,47 

N°  4.            —          9,60 

N°  5.     Blé  Victoria 10,88 

11  ne  faut  pas  cependant  accorder  à  cette  apparence  plus 
qu'il  ne  convient.  Les  blés  étaient  maigres,  partant  pauvres 
en  matière  amylacée.  De  là  leur  titre  en  azote  et,  par  suite, 
en  gluten.  Il  eût  mieux  valu,  pour  la  qualité  de  la  farine, 
un  équilibre  plus  parfait  entre  les  divers  éléments  qui  cons- 
tituent le  grain  de  blé. 

Les  fumures  appliquées  aux  cinq  parcelles  de  froment 
ont  coûté  cette  fois  un  peu  moins  que  les  années  précé- 
dentes : 

Fumure  de  la  parcelle  n°  1  :  115  francs  par  hectare. 

—  —        n°  2  :  170      — 

n°  3  :  168     —  —     ' 

—  —        n°  4  :  160     —  — 
—        n°  5 :  127      —  — 


328 

Le  calcul  du  produit  brut  de  chaque  parcelle  donne  les 
résultats  que  voici  ;  j'ai  réduit  encore  un  peu  les  poids  de 
paille  portés  au  tableau  du   rendement,  pour  la  raison  déjà 

donnée.  La  paille  a  été  comptée  à  3  fr.,  le  grain  à  24   fr. 
les  100  kil.,  cours  de  l'époque. 

Produit  brut,  par  hectare. 

N°  1 .  Blé  de  pays  :  6,000  kil.  paille 180 f    » 

2,270  —  ffrain 544    80 

Total 724 f  80 

N°  2.                         8,000  kil.  paille 240  f     » 

2,240  —  grain 537     60 

Total 777  f  GO 


r 


N°  3.  4,000  kil.  paille 120 

2,250  —  grain 540 

Total 660 f     » 

N°  4.  —  7,500  kil.  paille 225 f    » 

2,190  —  grain 525    60 

Total 750  f  50 

N°  5.  Blé  Victoria  :  4,700  kil.  paille 141 f    » 

2,120  —  grain 508    80 

Total 649 f  80 

Le  produit  brut  le  plus  élevé  appartient  à  la  parcelle  2. 
Mais  si  on  lient  compte  du  prix  de  l'engrais  complet  donné 
à  cette  parcelle,  on  voit  que  l'excédent ,  nul  vis-à-vis  du 
n°  1,  se  réduit  à  115  fr.  sur  le  n°  3,  à  17  fr.  sur  le  n°  4  et 
à  85  fr.  sur  le  n°  5,  en  négligeant  les  centimes. 


329 

L'engrais  de  la  parcelle  1  coûte  moins  que  les  autres, 
c'est  lui  qui  a  l'avantage  sur  tous,  au  point  de  vue  de  la 
production  ;  il  donne  2  fr.  de  plus  que  l'engrais  complet, 
117  fr.  de  plus  que  le  superphosphate  azoté,  19  fr.  de  plus 
que  le  fumier,  87  fr.  de  plus  que  les  scories  azotées. 

Malgré  la  valeur  de  la  récolte  qu'il  a  excitée,  le  fumier 
n'a  manifesté  de  supériorité  productive  que  sur  le  super- 
phosphate et  sur  les  scories  azotés  ;  il  l'emporte  de  98  fr. 
dans  le  premier  cas  et  de  68  fr.  dans  le  deuxième. 

Les  scories  azotées  n'ont  d'avantage  que  sur  le  super- 
phosphate. 

Ce  dernier  engrais  est  le  moins  favorisé  de  tous  ;  il  met 
la  parcelle  qui  lui  correspond  en  perle  sur  toutes  les 
autres.    : 

Il  était  nécessaire  d'établir  ce  parallèle  entre  les  diverses 
fumures  employées  ;  mais  il  y  a  lieu  de  remarquer  que, 
dans  une  année  comme  celle-ci,  les  comparaisons  n'ont  pas 
la  même  valeur  que  dans  une  année  favorable  :  elles  exigent 
des  réserves. 

2e  Série.  —  Parcelles  6  à  10. 

Fourrages  verts. 

Le  trèfle  incarnat  tardif  occupait  la  parcelle  6  ;  la 
variété  hâtive  avait  été  semée  sur  la  parcelle  7.  Les  deux 
espèces  ont  été  semées  le  20  septembre  1889.  Les  limaces 
n'ont  pas  tardé  à  leur  faire  une  guerre  acharnée,  qui  a 
été  funeste  à  la  première  plus  qu'à  la  seconde  ;  on  peut 
en  juger  par  le   calcul  des  récoltes,  fait  pour  1  hectare. 

Trèfle  incarnat  hâtif 39 .  500  kil . 

—  -       tardif 26.700 

Huit  jours  après  le  trèfle,  on  semait  jarosse  hâtive,  sur 
la  parcelle  8,  jarosse  tardive  sur  la  parcelle  9.  Les  limaces 


330 

ont  respecté  la  variété  hâtive,  devenue  fort  belle  malgré 
l'intempérie  de  la  saison  ;  elles  ont  décimé  la  variété 
tardive. 

Jarosse  hâtive 51 .000  kil.    a  l'hectare. 

—  tardive 20.500—  — 

Le  froid  et  la  [il aie  de  l'hiver  et  du  printemps  ont  été  très 
préjudiciables  an  seigle  et  à  Yavoine  semés  comme  fourrage 
sur  la  parcelle  10,  au  commencement  d'octobre. 

Le  seigle  n'a  pas  pu  germer.  Il  était  tellement  clair,  au 
mois  d'avril  1890,  que  je  l'ai  fait  labourer  et  remplacer 
par  de  l'avoine  de  printemps,  qui  n'a  pas  mieux  prospéré. 
Il  n'y  a  pas  lieu  d'enregistrer  cette  maigre  récolte. 

L'avoine  a  été  un  peu  moins  éprouvée  à  l'automne;  mais 
elle  a  périclité  pendant  l'hiver  et  n'a  donné  que  19,000  kil. 
à  l'hectare  d'un  fourrage  assez  bien  nourri  mais  très 
court. 

La  composition  de  ces  divers  fourrages  a  été,  sous  le 
rapport  alimentaire,  meilleure  que  le  temps  ne  l'avait  fait 
espérer  : 

Acide 
Azote.  phosphorique. 

Trèfle  incarnat  hâtif 0,270  %        0,172  % 

—  —      tardif...     0,304  0,186 
Jarosse  hâtive 0,255  0,168 

—  tardive 0,280  0,175 

Avoine 0,300  0,165 

L'avoine  avait  reçu  la  fumure  ordinaire  à  la  parcelle  10  : 
scories  phosphoreuses  et  nitrate  de  soude.  Aux  légumineuses 
on  n'avait  donné  que  du  phosphale  fossile  ou  du  super- 
phosphate et  du  plaire,  plus  du  sulfate  de  potasse  au  trèfle 
tardif. 


331 

3e  Série.  —   Parcelles  11  à  15. 

Choux  fourrages. 

Le  15  juin  1889,  on  a  planté  sur  la  parcelle  15,  en 
surface  égale,  des  choux  moelliers  blancs  et  rouges. 

Des  choux  à  mille  têtes  ont  été  piqués,  le  15  juillet,  sur 
les  parcelles  11  h.  14. 

Le  temps  peu  favorable  de:>  mois  de  juillet  et  d'août  a 
ralenti  leur  développement.  Les  choux  moelliers  surtout  ont 
souffert  et  n'ont  acquis  ni  la  taille,  ni  la  force  qu'ils  ont 
dans  les  bonnes  années.  Ils  ont  été  récoltés  le  29  novembre. 

Les  choux  à  mille  têtes  se  sont  en  partie  mieux  comportés. 
Les  plus  beaux  étaient  ceux  des  parcelles  12  et  14.  Toutefois, 
ceux  de  la  planche  14  ont  décliné  vers  le  milieu  de  février 
1890,  tandis  que  les  autres  sont  restés  très  verts  jusqu'à  la 
fin  de  leur  végétation. 

Tous  ont  fleuri  le  23  mars  1890.  On  les  a  coupés  succes- 
sivement du  12  au  28  avril.  Leur  production  totale  a  été 
la  suivante  : 

Parcelle  11.  Chou  mille  têtes  :  28.700  kil.  à  l'hectare. 

—  12.      —     36.080  —     — 

—  13.      —      28.460  —     — 

—  14.      —      34.340  —     — 

Feuilles.  Tiges. 

—  15.  Chou  moellier  blanc.  20.000  kil.     15.215  kil. 

—  rouge.  21.200  —      17.670  — 

La  supériorité  des  parcelles  12  et  14  est  sans  aucun  doute 
le  fruit  de  la  potasse  contenue  dans  l'engrais  complet  (12) 
et  dans  le  fumier  (14).  La  récolte  des  choux  moelliers  est 
médiocre,  connue  tronc  et  surtout  comme  feuille.  Voyons 
la    qualité  : 


332 

Composition  centésimale,  à  l'état  vert- 

Acide 
Parcelles.  Espèce.  Azote.  phosphorique.     Potasse. 

il .  Chou  mille  têtes 0,23  0,26  0,36 

12.  —  0,29  0,25  0,43 

13.  —  0,22  0,27  0,38 

14.  —  0,24  0,20  0,44 

13.  Moellier  blanc  (feuilles).  0,23  0,21  0,37 

—  rouge       —          0,27          0,22  0,42 

—  blanc  (tronc)..     0,17          0,18  0,34 

—  rouge                   0,20         0,21  0,40 
Des  six  récoltes  du  tableau,  la  plus  nutritive  est  celle  de 

la  parcelle  12,  qui  a  fourni  le  maximum  de  substances 
protéiques.  Les  choux  nos  11  et  13  contenaient  plus  d'acide 
phosphorique  que  les  autres  ;  la  potasse  élait  dominante 
dans  ceux  des  nos  12  et  14. 

Quant  aux  choux  moelliers,  la  variété  rouge  l'emporte  sur 
la  blanche.  La  différence,  peu  prononcée  pour  l'acide  phos- 
phorique, est  plus  sensible  pour  l'azote.  La  variété  rouge 
semble  être  décidément  la  meilleure  des  deux. 

4e  Série.  —  Parcelle  16  à  20. 

Betteraves,  Rutabagas,  Pommes  de  terre. 

A.  —  Rutabagas. 

L'ensemencement  des  rutabagas  a  été  fait,  en  place  et  en 
poquet,  le  6  juillet  1889,  sur  les  parcelles  16  à  19.  La 
germination  a  été  régulière,  il  n'y  a  pas  eu  un  seul  emplace- 
ment vide.  Vers  la  fin  d'août,  les  plants  étaient  peu  déve- 
loppés, ceux  de  la  parcelle.  18  principalement.  La  différence 
était  encore  plus  marquée  au  commencement  d'octobre  ;  elle 
s'est  maintenue  jusqu'à  l'arrachage  ,  qui  a  eu  lieu  lin 
novembre  ;  la  pesée  l'indique  nettement  : 


333 

Parcelle  16 38.500  kil.  à  l'hectare. 

—  17 39.800  —     — 

—  18 30.000  —     — 

—  19 37.600  — 

Composition  centésimale,  à  l'état  vert. 

Acide 
Parcelle.  Azote.  phusphorique.  Potasse.  Chaux. 

16 0,%  0,14  0,139  0,121 

17 0,19  0,13  0,228  0,152 

18 0,26  0,16  0,186  0,145 

19 0,20  0,14  0,224  0,116 

Sous  le  rapport  du  rendement,  la  parcelle  .à  l'engrais 
complet  (17)  est  la  mieux  partagée  ;  celle  au  superphosphate 
(18)  est  la  plus  pauvre  ;  la  parcelle  au  fumier  (19)  vient  en 
troisième  ligne. 

En  ce  qui  concerne  la  richesse  en  éléments  nutritifs,  les 
rutabagas  nourris  au  superphosphate  valent  mieux  que  les 
autres  ;  viennent  ensuite,  dans  l'ordre  décroissant,  ceux  des 
nos  16,  19  et  17. 

B.  —  Betteraves. 

Semées  le  28  mai  1889,  sur  la  parcelle  20,  les  betteraves 
(variété  jaune  longue  d'Allemagne)  ont  débuté  par  une  végé- 
tation satisfaisante.  Leur  vigueur  primitive  a  fléchi  à  deux 
reprises,  en  août  et  en  octobre,  probablement  par  suite  de  la 
froidure  et  de  l'humidité  de  la 'saison.  Aussi  le  28  novembre, 
jour  de  leur  extraction,  leur  poids  à  l'hectare  n'était  que  de 
36,550  kil.,  après  un  nettoyage  soigneux  et  l'ablation  dn 
toutes  les  feuilles. 


334 

Composition  centésimale,  à  l'état  vert. 

Azote 0,163 

Acide  phosphoriquc. . .  0,096 

Potasse 0,328 

Chaux 0,052 

Sucre 5,847 

La  qualité  vient  compenser  la  quantité;  le  produit  est  très 
bon. 

G.  —  Pommes  de  terre. 

Un  changement  a  été  apporté  cette  année  a  la  fumure  des 
pommes  de  terre.  L'action  des  engrais  purement  chimiques 
me  semblant  suffisamment  étudiée,  je  n'ai  pas  voulu  priver  le 
sol  plus  longtemps  de  l'apport  d'humus  qui  lui  est  nécessaire 
et  j'ai  donné  à  chaque  parcelle  2,500  kil.  de  fumier  d'étable, 
plus  50  kil.  de  plâtre  et  30  kil.  de  sulfate  de  fer. 

On  a  planté  celle  fois,  le  26  avril  4890:  Magnum  bonum 
sur  les  parcelles  16  à  19,  Bichter  imper •ator  sur  la  parcelle 
20.  Les  tubercules  de  Magnum  étaient  entiers  ;  ceux  de 
Uichtcr  avaient  été  partagés  en  gros  tronçons,  pour  cause 
d'insuffisance  de  semence. 

Les  premières  feuilles  apparaissent  le  13  mai,  sur  la  par- 
celle 20.  La  variété  Magnum  ne  sort  de  terre  que  huit  jours 
plus  tard. 

Le  16  juin,  Richter  entre  en  fleur  ;  Magnum  est  encore  en 
retard  de  huit  jours.  A  ce  moment,  les  deux  variétés  sont 
très  vigoureuses  et  très  développées.  Je  fais  procéder  à  une 
aspersion  générale  de  bouillie  d'hydrocarbonate  de  cuivre  à 
2  %  ;  toutes  les  feuilles  en  sont  littéralement  criblées. 

Le  20  juin,  le  temps  étant  toujours  humide,  on  récidive 
l'arrosage  à  l'hydrocarbonate  de  cuivre - 

Vers  le  milieu  de  juillet,  la  floraison  est  à  son  apogée  ;  les 


335 

fanes  ont  acquis  un  développement  magnifique  et  les  recher- 
ches les  plus  minutieuses  n'y  font  pas  apercevoir  la  moindre 
trace  de  peronospora.  Par  précaution  cependant,  je  fais 
donner  une  troisième  aspersion  cuprique,  le  26  juillet.  Le 
5  août,  la  maladie  se  révèle  sur  toutes  les  planches  a  la  fois, 
faible  à  la  vérité,  mais  certaine.  Ce  qui  surprend  ici,  c'est 
que  l'explosion  du  peronospora  survienne  dix  jours  après  un 
traitement  énergique  et  très  soigneusement  fait.  La  variété 
Richter  imperalor  n'est  pas  atteinte  au  même  degré  que  la 
Magnum  ;  elle  est  néanmoins  malade. 

Une  quatrième  aspersion  d'hydrocarbonate  de  cuivre  est 
aussitôt  pratiquée  partout.  Grâce  '  à  son  action  sans  doule, 
les  Veuilles  résistent  pendant  tout  le  mois  d'août,  quoique 
tachées.  Mais  elles  souffrent  et  elles  noircissent  à  vue  d'oeil, 
dans  les  premiers  jours  de  septembre ,  celles  des  Magnum 
plus  rapidement  que  celles  des  Richter. 

L'arrachage  a  lieu  le  22  septembre  ;  les  tubercules  sont 
magnifiques  partout  et  très  nombreux,  surtout  sur  la  parcelle 
20  ;  voici  leur  poids,  ramené  à  une  culture  d'un  hectare, 
avec  la  proportion  des  gros  et  des  petits  tubercules  sur 
chaque  parcelle  : 

Parcelle.  Variété.  Tubercules.  Total. 

16.  Magnum  bonum..  Gros..     20,350  \ 

Petits.      4,500J24<8S0kil- 

17.  —  Gros..     21,400)  n,  „nn 

Petits.      3,300  I  24'700- 

18.  -  Gros..     18,750  j 

Petits.       4,950)   2ÏMUU 

J  25,700  — 


19.  —  Gros..     21,600 

Petits  .       4,100 


20.  Richter  imperator.  Gros . .     33,100 

Petits  .       3,000  < 


336 

L&  récolte  a  été  magnifique  sur  toutes  les  parcelles, 
notamment  sur  le  n°  20,  où  le  rendement  de  la  variété 
Richtcr  impcrator  surpasse  celui  de  la  Magnum  bonum  de 
29  %  et  donne  une  fois  de  plus  raison  a  M.  Aimé  Girard, 
son  savant  promoteur.  Est-ce  le  sulfate  de  fer  qui  a  excité 
cette  riche  production,  il  serait  difficile  de  l'affirmer,  et  sans 
doute  les  conditions  atmosphériques  y  ont  aidé  ;  ce  qui  est 
certain,  c'est  que  jamais  le  Champ  d'expériences  n'avait  porté 
si  belle  récolte.  L'invasion  du  peronospora  faisait  craindre  un 
tout  autre  résultat  ;  son  action  a  été  heureusement  entravée 
par  les  traitements  dirigés  contre  lui;  elle  a  été  tardive,  par 
la  même  moins  grave,  et  elle  n'a  pas  arrêté  le  développe- 
ment des  tubercules.  Son  influence  a  été  un  peu  plus  marquée 
sur  la  richesse  en  éléments  nutritifs: 

Composition  centésimale,  à  l'état  vert. 


GROS 

TUBERCULES. 

Acide 

Parcelle. 

Azole. 

phosphorique. 

Potasse. 

Chaux. 

Fécule. 

16.. 

0,26 

0,16 

0,352 

0,054 

17,50 

17.. 

0,25 

0,18 

0,364 

0,052 

19,28 

18.. 

0,25 

0,13 

0,400 

0,043 

19,15 

19.. 

0,20 

0,17 

0,402 

0,040 

19,02 

20.. 

0,20 

0,15 

PETITS 

0,425 

TUBERCULES. 

0,046 

17,01 

16.. 

0,30 

0,12 

0,438 

0,023 

20,69 

17.. 

0,33 

0,14 

0,470 

0,030 

18,06 

18.. 

0,32 

0,11 

0,432 

0,027 

18,82 

19.. 

0,34 

0,10 

0,432 

0,024 

19,40 

20.. 

0,28 

0,14 

0,445 

0,028 

18,56 

Plusieurs  faits  se  dégagent  des  tableaux  ci-dessus  :   les 
gros  tubercules  sont,  pour  la  plupart,  un  peu  plus  riches  en 


337 

fécule,  en  acide  phosphoriquc  et  en  chaux  que  les  petits  ; 
ils  contiennent  moins  d'azote  et  de  potasse  que  ces  derniers. 
En  somme,  la  récolle  est  un  peu  faible  au  point  de  vue  des 
éléments  nutritifs. 

V.  —  Seigle  de  Schlanstedt. 

La  parcelle  n°  0  a  été  consacrée  à  la  comparaison  du 
seigle  de  Schlanstedt  et  du  seigle  indigène,  semés  le  19 
octobre,  en  surface  égale  et  en  lignes.  La  fumure  a  consisté 
à  l'automne  en  phosphate  de  Pernes  (1,000  kil.  à  l'hectare) 
additionné  de  plâtre  (500  kil.  à  l'hectare).  Au  prinlemps,  les 
deux  moitiés  de  la  parcelle  ont  reçu  en  couverture  du  nitrate 
de  soude,  à  raison  de  150  kil.  à  l'hectare. 

La  germination  a  commencé  le  27  octobre,  pour  le  seigle 
de  Schlanstedt,  en  avance  de  trois  jours  sur  le  seigle  de 
pays.  Les  limaces  ont  un  peu  ravagé  les  deux  semis,  malgré 
plusieurs  épandagcs  de  chaux  vive. 

La  végétation  du  seigle  de  Schlanstedt  a  été  singulière. 
Jusqu'au  mois  d'avril,  son  élongalion  a  été  fort  lente  et,  à 
celte  époque,  sa  hauteur  était  à  peine  la  moitié  de  celle  du 
seigle  indigène.  Son  seul  avantage  sur  ce  dernier  était  d'avoir 
tallé  beaucoup  plus  que  lui.  Il  n'a  commencé  à  épier  que  le 
2  mai,  quinze  jours  après  le  seigle  de  pays.  A  la  fin  d'avril, 
il  prend  un  accroissement  sensible,  qui  s'accentue  avec  une 
grande  rapidité.  Le  15  mai,  au  début  de  sa  floraison,  la 
longueur  de  la  lige  est  presque  la  même  pour  les  deux 
espèces.  Dix  jours  plus  tard,  le  seigle  russe  avait  dépassé 
l'indigène  et,  à  la  récolte,  il  mesurait  0m,25  de  plus  que  lui. 
Tous  deux  ont  été  coupés  le  23  juillet  et  battus  le  23  août. 
Us  ont  donné,  à  la  bascule,  pour  1  hectare  : 

Puillu.  Grdin. 

Seigle  de  Schlanstedt  ...     8,G50  kil.        4,500  kil. 
—    indigène 7,-200  —  3,600  — 

22 


338 

Poids  de  l'hectolitre  mesuré  à  la  trémie  : 

Seigle  de  Schlanstedt 70  kil. 

—    indigène 66  — 

Composition  centésimale  du  grain. 

Acide 
Espèce.  Azote.  phosphorique.     Potasse.        Chaui, 

D     ,     e  . ,      ,   1(    (  Gros.     1,80      0,89      0,G44      0,04 
S.  de  Schlanstedt..    „ 

I  Menu.     1,86      0,93      0,528      0,05 

(  Gros.     1,60      0,89      0,614      0,04 
ind,gene î  Menu.     1,70      0,90      0,528      0,06 

A  tous  égards,  le  seigle  de  Schlanstedt  vaut  mieux  que  le 
nôtre.  Sa  production  est  encore  supérieure  celte  année  a 
celle  de  l'an  dernier.  Désormais,  il  sera  seul  cultivé  à  la 
Station,  dans  le  but  de  voir  s'il  maintiendra  ses  qualités 
actuelles. 


ANNEXE. 


1°   Avoine. 


J'ai  continué,  au  dernier  exercice,  à  expérimenter  côte  à 
côte  Yavoine  grise  de  Vendée  et  Y  avoine  noire  de  Bre- 
tagne. Les  semailles  ont  été  faites  le  23  octobre  1889,  au 
semoir,  sur  planches  de  quatre  raies,  séparées  par  une  rigole 
étroite  et  profonde.  Le  terrain  mesurait  environ  60  arcs. 

L'avoine  noire  occupait  15  planches  ayant  reçu  pour 
unique  engrais  des  phosphates  de  nature  différente,  en 
proportion  telle  qu'ils  pussent  fournir  180  kil.  d'acide  phos- 
phorique par  hectare  :  sur  les  cinq  premières  planches, 
thermo-phosphate  Desailly  ;  sur  les  cinq  suivantes,  un  produit 
phosphaté  spécial  fabriqué  par  M.  Desailly  et  titrant  12,20% 


339 

d'acide  phosphorique  ;  sur  les  cinq  dernières,  phosphate  du 
Boulonnais. 

L'avoine  grise  était  répartie  sur  onze  planches  semblables 
aux  premières,  dont  cinq  additionnées  de  thermo-phosphate 
et  six  de  phosphate  du  Boulonnais. 

Germination  le  9  novembre  pour  la  variété  noire,  le  10 
pour  l'avoine  grise;  très  belle  pour  les  deux. 

Au  mois  de  mars,  la  variété  noire  prend  une  avance  qu'elle 
garde  jusqu'à  la  fin  et  dont  la  mesure  est  donnée  par  la 
pesée  faite  à  la  récolte  le  24  juillet  1890  et  que  je  rapporte 
à  1  hectare,  en  la  calculant  sur  la  production  moyenne  des 
trois  phosphates  : 

Espèce.  Paille.  Grain. 

Avoine  grise 2,500  kil.  1,600°  kil. 

—     noire 3,600   —  2,180   — 

La  paille  de  la  variété  grise  était   beaucoup   plus   grosse 
que  celle  de  la  variété  noire. 
L'hectolitre  de  grain,  mesuré  à  la  trémie,  pesait  : 

Avoine  grise 49  kil .  * 

—     noire 50    — 

La  densité  est  sensiblement  la  même,  mais  la  différence 
de  rendement  est  écrasante  en  faveur  de  l'avoine  noire  et 
tout  à  fait  inusitée  ;  la  cause  qui  l'a  produite  n'a  pas  été 
découverte.  Mais  les  divers  phosphates  appliqués  a  leur 
culture  ont  donné  des  résultats  qu'il  est  nécessaire  de  marquer 
par  des  chiffres. 

Le  thermo-phosphate  a  produit  à  l'hectare,  sur  l'avoine 
noire,  400  kil.  de  grain  de  plus  que  le  produit  spécial  de  la 
même  fabrique  et  250  kil.  de  grain  de  plus  que  le  phosphate 
du  Boulonnais.  Il  semble  avoir  une  activité  particulière.  Sur 
l'avoine  grise,  l'écart  n'a  été  que  de  140  kil.  à  l'hectare, 
mais  toujours  dans  le  même  sens. 


340 

La  valeur  alimentaire  des  deux  grains  n'est  pas  exactement 
la  même  ;  toutefois,  la  différence  est  très  faible  ;  en  voici  la 
mesure,  : 

Composition  centésimale  des  grains. 

Acide 
Espèce.  Azole.     phosphorique.      Polasse.  Chaux. 

Avoine  grise...     1,80        0,78        0,490        0,03 
noire..     1,80        0,84        0,386        0,04 

2°  Blés  divers. 

Quatre  blés  ont  été  semés  en  dehors  du  Champ  d'expé- 
riences, à  plat  et  en  lignes,  sur  planches  de  quatre  raies. 
La  fumure,  uniforme  pour  tous,  a  consisté  en  un  mélange  de 
fumier,  10,000  kil.  et  phosphate  fossile,  1,000  kil.  par 
hectare.  La  proportion  totale  d'acide  phosphorique  se  trou- 
vait un  peu  forte  ;  elle  était  nécessaire  parce  que  la  terre 
emblavée  n'avait  pas  encore  été  additionnée  de  phosphate 
ou  de  superphosphate. 
t 

A.    —    Blé    Bordier. 

Ce  nouvel  hybride  de  M.  Vilmorin  a  été  semé  le  31  octobre 
1889  sur  billons. 

La  germination  s'est  dessinée  le  17  novembre;  les  aiguilles, 
très  vertes  dès  le  début,  ont  fourni  des  tiges  solides,  sans 
être  très  grosses,  et  dont  la  belle  tenue  ne  s'est  pas  démentie 
un  instant,  malgré  les  tourmentes  des  mois  de  juin  et  de 
juillet.  C'est  à  peine  si  quelques  poignées  ont  été  couchées 
par  la  trombe  du  17  juillet. 

Le  tallage  a  été  très  remarquable. 

L'épiage  a  eu  lieu  le  1er  juin  ;  la  floraison,  le  8.  La  matu- 
rité était  complète  le  28  juillet. 


341 

Rendement  à  l'hectare  : 

Paille 5,310  kil. 

Grain 1,860   — 

L'hectolitre,  mesuré  à  la. trémie,  pesait  75  kil. 

Rendement  en  hectolitres  :  24,8. 

Le  grain,  bien  nourri,  était  moyennement  développé,  mais 
un  peu  léger  par  rapport  aux  autres.  Il  avait  peut  être  encore 
pour  défaut  de  ne  pas  adhérer  suflisamment  à  ses  glumes  et 
de  s'égrener  un  peu  facilement.  Cependant,  sa  belle  appa- 
rence et  sa  composition  élémentaire  le  font  classer  en  bon 
rang  parmi  les  variétés  prolifiques. 

Composition  centésimale  du  grain. 


Gros . 
Menu 


Acide 

* 

Azote. 

phospliorique. 

Potasse. 

Chaux. 

Gluten  sec 

1,40 

0,07 

0,46-2 

0,03 

8,80 

1,50 

0,97 

0,455 

0,03 

— 

Co?nposilion  centésimale  de  la  paille. 
0,15        0,23        0,660        0,10 

B.  —  Blé  Redschaff  de  Dantzick. 

M.  le  Gte  de  Juigné,  député  de  la  Loire-Inférieure,  avait 
eu  la  gracieuseté  de  m'offrir  de  la  semence  de  blé  Redschalï', 
qu'il  cultive  depuis  un  certain  nombre  d'années  avec  un 
succès  soutenu. 

J'ai  semé  ce  blé  le  28  octobre  1889,  à  côté  du  blé  Bordier. 

Il  est  sorti  de  terre  le  12  novembre.  Sa  végétation  a  été 
très  belle  ;  il  a  tallé  également  partout,  à  12  ou  14  tiges,  et 
il  a  résisté  aux  orages  déjà  cités.  Sa  hauteur  n'a  jamais 
égalé  tout  à  l'ait  celle  du  précédent,  mais  elle  en  approchait 
et  la  nuance  était  aussi  bonne  sur  les  deux  variétés. 


342 

11  a  fleuri  huit  jours  plus  tard  que  le  blé  Bordier,  mais  on 
a  pu  le  couper  a  la  même  époque  que  les  autres,  sa  matu- 
ration n'était  pas  en  retard. 

Poids  de  la  récolte  :  paille,  5,922  kil.  a  l'hectare. 
—  grain,  2,112   —         — 

Poids  de  l'hectolitre  de  grain  mesuré  a  la  trémie  :  80  kil. 
Rendement  en  hectolitres  :  26,4. 

Tous  ces  résultats  sont  supérieurs  à  ceux  du  blé  Bordier. 
11  en  est  à  peu  près  de  même  de  la  composition  chimique  : 

Composition  centésimale  du  grain. 

Acide 
Azote.      phosphorique.     Potasse.  Chaux.  Gluten. 

Gros 1,70        0,91        0,501        0,03        9,17 

Menu 1,80        0,93        0,463        0,04  — 

Composition  centésimale  de  la  paille. 

0,60        0,G20        0,700        0,18 

G.  —  Blé  Schiriff. 

Celle  variété  provenait  de  la  récolte  faite  à  la  Station,  en 
1888,  cl  soigneusement  triée.  Elle  a  été  semée  en  ligues  et 
à  plat  le  9  novembre  1889. 

Germination  le  2  décembre  seulement;  auparavant  on 
n'apercevait  que  quelques  aiguilles  isolées.  Il  a  paru  souffrir 
un  peu  de  l'humidité,  au  commencement  de  1890,  puis  il 
s'est  remonté,  sans  laller  beaucoup,  et  il  est  parvenu  sans 
accident  à  maturité. 

Epiage  le  3  juin,  floraison  le  12. 

Rendement  par  hectare  :  paille,  5,623  kil. 
—  —  grain,  1,620    — 


848 

Poids  de  l'hectolitre  de  grain  mesuré  a  la  trémie  :  80  kil. 

Rendement  en 'hectolitres  :  20,2* 

Le  grain  est  petit,  quoique  le  blé  n'ait  pas  versé.  Le 
rendement  est  insuffisant,  mais  la  qualité  laisse  moins  à 
désirer. 

Composition  centésimale  du  grain. 

Acide 
Azote,     phosphorique.      Potasse.  Chaux.  Gluten. 

Gros 2,10        0^8        0,540        0,04        9,70 

Menu 2,00        0,94        0,548        0,03  — 

Composition  centésimale  de  la  paille. 

0,80        0,15        0,640        0,25 

D.  —  Blé  Victoria. 

Semé  le  8  novembre,  il  apparaît  déjà  le  17  et  il  devient 
aussitôt  la  pâture  des  limaces,  qui  le  dévorent  encore  au 
mois  de  janvier,  malgré  des  épandages  de  chaux  et  de 
cendres  réitérés,  dont,  il  est  vrai,  la  pluie  neutralise  presque 
immédiatement  l'effet.  La  conséquence  de  cette  guerre 
prolongée  a  été  d'éclaircir  considérablement  nombre  de 
points  de  l'emblavure.  Fort  heureusement,  le  blé  a  vigou- 
reusement tallé,  ce  qui  relève  un  peu  sa  production. 

Epiagc  le  29  mai,  floraison  le  8  juin. 

Moisson  le  28  juillet.  La  paille  est  très  courte,  néanmoins, 
le  blé  a  un  peu  versé. 

Rendement  à  l'hectare  :  paille,  5,837  kil. 
—  —         grain,  1,878  — 

Poids  de  l'hectolitre  de  grain  mesuré  à  la  trémie  :   75  kil. 

Rendement  en  hectolitres  :  25. 


344 
Composition  centésimale  du  grain. 

Acide 
Azote.      phosphorique.      Potasse.  Chaux.  Gluten. 

Gros 1,80        0,99        0,484        0,04        10,60 

Menu 1,90'      0,95        0,614        0,04  — 

Composition  centésimale  de  la  paille. 

0,50        0,30        0,620        0,10 

3°  Essais  de  sulfate  de  fer. 

L'action  de  cet,  utile  auxiliaire  a  élé  étudiée  à  nouveau 
sur  une  prairie  naturelle,  sur  des  pommes  de  terre  et  sur 
des  vignes  placées  clans  des  conditions  différentes. 

Prairies.  —  Deux  prairies  hautes,  contigués,  à  sous-sol 
de  même  nature,  mesurant  environ  1  hectare  1/2  chacune, 
ont  eu  comme  fumure,  à  l'automne  :  1,000  kil.  de  phosphate 
fossile  à  l'hectare  ;  au  printemps  :  200  kil.  de  sulfate  d'am- 
moniaque et  aulanl  de  sulfate  de  potasse ,  [tour  la  même 
superficie.  Sur  l'une  d'elles,  j'ai  fait  répandre  en  plus,  au 
commencement  d'avril,  300  kil.  de  sulfate  de  fer  par 
hectare. 

La  récolte  de  foin  n'a  pas  été  bonne  ;  la  pousse  avait  été 
contrariée  par  le  défaut  de  chaleur  du  printemps  ;  mais  il  y 
a  eu  différence  notable  entre  la  production  des  deux  prairies  : 

Fumure  sans  sulfate  de  fer  :  3,080  kil.  à  l'hectare. 
—      avec  —  4,445    —  — 

11  semble  bien  ici  que  l'excédent  de  la  deuxième  prairie 
sur  la  première,  soit  le  fait  du  sulfate  de.  fer,  car  toutes  les 
autres  conditions  étaient  les  mêmes. 

Pommes  de  terre.  —  C'est  dans  le  champ  d'expériences 
que  j'ai  essayé  l'effet  du  sulfate  de  fer  sur  les  variétés 
Magnum  bonum  et  Richler  iraperator.  J'ai  déjà  cité  les  belles 


345 

récoltes  obtenues;  elles  sont  d'autant  plus  probantes  que, 
dans  un  champ  voisin,  les  mêmes  pommes  de  terre,  ayant 
eu  le  secours  des  mêmes  engrais  dépourvus  de  sulfate  de 
fer,  ont  donné  à  peine  20,000  kil.  de  tubercules. 

Vigne.  —  Quarante-cinq  pieds  de  vigne,  distants  de 
1  mètre  et  appuyés  sur  un  mur  de  <2ra,50  de  hauteur,  ont 
reçu  chacun  45  gr.  de  sulfate  de  fer  et  80  gr.  de  plâtre,  en 
plus  d'une  forte  quantité  de  fumier.  Leur  végétation  a  été 
des  plus  vigoureuses  ;  la  couleur  des  feuilles  était  d'un  beau 
vert  foncé,  jusqu'à  la  fin  de  septembre. 

Dix  autres  pieds  de  vigne,  plantés  à  0m,80  les  uns  des 
autres  et  bien  nourris  de  fumier,  pénètrent  dans  une  serre, 
dont  ils  tapissent  tout  le  vitrage.  Une  tranchée  de  0ra,(20  de 
profondeur  sur  0n,,50  de  largeur  a  été  ouverte  à  0m,25  des 
souches.  J'y  ai  fait  répandre  un  mélange  de  2  kil.  de  plâtre 
et  de  1  kil.  de  sulfate  de  fer,  puis  on  a  aussitôt  comblé  la 
tranchée.  Je  redoutais  un  peu  l'effet  d'une  aussi  forte  dose 
de  sel  ferrugineux.  Loin  d'être  nuisible,  elle  a  paru  fort 
utile,  car  jamais  la  serre  n'avait  été  si  bien  garnie  de  raisins; 
il  y  en  avait  à  profusion,  et  bien  des  grappes  mesuraient 
plus  de  0ra,25  de  longueur. 

Dans  une  troisième  vigne,  en  plein  champ  cette  fois, 
105  ceps  ont  été  traités  aussi  par  le  plâtre  et  le  sulfate  de 
fer.  Il  ne  leur  avait  été  donné  aucun  engrais  depuis  plusieurs 
années.  L'effet  n'a  pas  été  aussi  marqué  que  dans  les  deux 
cas  précédents,  mais  il  était  visible  que  la  vigne  végétait 
beaucoup  plus  activement  que  celle  du  voisinage,  à  laquelle 
on  n'avait  pas  fourni  la  même  fumure. 

Conclusions. 

1°  Les  engrais  employés  dans  le  Champ  d'expériences 
doivent   être  rangés   dans   l'ordre   décroissant  ci-dessous, 


34G 

d'après  le  rendement  et  d'après  la  valeur  nutritive  ou  vénale 
du  blé  de  pays  semé  dans  les  quatre  premières  parcelles  : 

Ordre  de  rendement. 

Paille.  Grain. 

Engrais  complet.  Phosphate  fossile  azoté. 

Fumier.  Superphosphate  azoté. 

Phosphate  fossile  azoté.  Engrais  complet. 

Superphosphate  azoté.  Fumier. 

Valeur  nutritive.  Produit  brut. 

Engrais  complet.  Phosphate  fossile  azoté. 

Superphosphate  azoté.  Engrais  complet. 

Phosphate  fossile  azoté.  Fumier. 

Fumier.  Superphosphate  azoté. 

Le  blé  Victoria,  mal  venu,  placerait  les  scories  à  peu 
près  sur  le  plan  du  superphosphate  azoté. 

2°  Le  trèfle  incarnat  hâtif  a  fourni  un  rendement  normal. 
La  variété  tardive  n'a  donné  qu'une  demi-récolte. 

La  jarosse  hâtive  a  fourni  un  beau  rendement.  La  variété 
tardive  n'est  pas  bien  venue. 

Le  seigle  fourrage  a  manqué  complètement. 

h" avoine  fourrage  a  donné  une  récolte  moyenne  et  de 
bonne  qualité. 

Pour  le  trèfle  et  la  jarosse,  les  variétés  mal  réussies 
étaient  plus  riches  que  les  autres. 

3°  Le  rendement  et  la  valeur  alimentaire  des  choux  à 
mille  têtes  classent  les  engrais  producteurs  dans  l'ordre 
décroissant  ci-après: 

Rendement.  Valeur  nutritive. 

Engrais  complet.  Engrais  complet. 

Fumier.  Phosphate  fossile  azoté. 

Phosphate  fossile  azoté.  Fumier. 

Superphosphate  azoté.  Superphosphate  azoté. 


347 

Les  choux  moelliers  rouge  et  blanc  ont  donné  un  produit 
médiocre.  Le  meilleur  des  deux  était  le  routée,  en  tant  que 
valeur  alimentaire. 

4°  La  récolte,  et  la  richesse  des  rutabagas  conduisent  au 
classement  suivant  des  engrais  qui  les  ont  produits  : 

Rendement.  Valeur  nutritive. 

Engrais  complet.  Superphosphate  azoté. 

Phosphate  fossile  azoté.  Phosphate  fossile  azoté. 

Fumier.  Fumier. 

Superphosphate  azoté.   .  Engrais  complet. 

Médiocre  récolte  de  betteraves  sur  scories  phosphoreuses 
azotées.  La  qualité  est  très  bonne. 

Pour  les  pommes  de  terre,  variété  Magnum  bonum, 
voici  le  classement  des  engrais,  toujours  décroissants,  par 
rapport  :  à  la  production  totale,  à  la  valeur  nutritive  et  a  la 
richesse  en  fécule  : 

Rendement.  Valeur  nutritive.  Fécule. 

Fumier.  Phosph.  foss.  azoté.  Engrais  complet. 

Phosph.  foss.  azoté.  Engrais  complet.     Superph.  azoté. 

Engrais  complet.  Superph.  azoté.        Fumier. 

Superph.  azoté.  Fumier.  Phosph.  foss.  azoté. 

La  variété  Richter  imperator  a  produit  beaucoup  plus 
que  la  précédente,  mais  sa  richesse  nutritive  et  sa  richesse 
en  fécule  sont  un  peu  faibles. 

5°  Le  seigle  de  Sclilanstedl  a  été  supérieur  au  seigle  du 
pays,  à  tous  les  points  de  vue. 

6°  L'avoine  noire  de  Bretagne  a  continué  de  surpasser 
Yavoine  grise  de  Vendée,  sous  tous  les  rapports. 

7°  Le  blé  Bordier  est  une  très  belle  variété,  robuste  et 
prolifique.  Si  sou  rendement  n'a  été  que  de  °2;>  hectolitres, 
la  faute  en  est  certainement  à  l'intempérie  de  la  saison. 

8°  Le  blé  Redschaff  de  Dantzick  s"est  très  bien  comporté. 


348 

Il  paraît  susceptible  de  rendements  plus  élevés  que  celui  de 
cette  année. 

9°  Le  blé  Schiriff  n'a  pas  bien  réussi. 

10°  Le  blé  Victoria  n'a  pas  été  à  son  niveau  habituel  ; 
mais  il  a  déjà  fait  ses  preuves,  c'est  le  temps  qu'il  faut  seul 
accuser  de  son  faible  rendement. 

11°  Il  ressort  des  analyses  effectuées  sur  les  diverses 
cultures  de  la  Station  que,  presque  toujours,  les  produits 
peu  développés  sont  plus  riches  en  éléments  nutritifs  que 
ceux  dont  la  taille  ou  le  volume  est  plus  considérable. 

12°  Le  thermo-phosphate  de  chaux  a  produit  plus 
d'avoine  que  le  phosphate  fossile  du  Boulonnais. 

13°  Le  sulfate  de  fer  s'est  montré  un  stimulant  énergique 
pour  le  foin,  pour  la  pomme  de  terre  et  pour  la  vigne. 


QUESTIONS 


DE 


GÉOGRAPHIE  ANCIENNE 

Par  Léon   MAITRE. 


GRANN0NA   ET  GUERANDE. 

Les  Saxons  ont-ils  donné  leur  nom  aux  rivages  du  pays 
guérandais,  ou  faut-il  réserver  le  nom  de  rivage  saxon  au 
littoral  de  la  Normandie? 

J'avais  cru  répondre  suffisamment  a  celte  question  en  mon- 
trant, a  l'aide  de  l'histoire,  que  ces  barbares  étaient  venus 
jusqu'à  Angers,  sous  le  règne  de  Childéric,  qu'ils  combattirent 
contre  le  roi  de  Cornouaille,  Grallon,  à  l'embouchure  de  la 
Loire,  vers  495  et  qu'ils  répétèrent  leurs  incursions  au  VI8 
siècle,  sous  l'épiscopat  de  saint  Félix  (i).  Appuyé  sur  ces  faits, 
je  me  croyais  fondé  à  dire  que  ces  barbares  avaient  bien  pu 
commencer  plus  tôt  leurs  actes  de  piraterie  et  ravager  nos  côtes 
dès  le  commencement  du  Ve  siècle,  c'est-a-dire  sous  le  règne 
d'Honorius,  époque  où  la  Notice  des  Dignités  de  l'Empire  parle 
vaguement  d'un  littas  saxonicum.  Je  reconnais  que  je  n'ai  pas 
remonté  assez  haut  le  cours  des  événements  et  que  j'ai  laissé  la 

(')   Voir  les  Annales  de  la  Sociélé  Académique  de  1889,  p.  247. 


350 

porte  ouverte  aux  objections,  pour  ceux  qui  tiennent  au  littoral 
de  la  Manche, 

Je  retourne  donc  aux  sources  et  j'interroge  l'historien 
Eulrope.  Celui-ci  nous  rapporte  que  sous  Dioctétien,  c'est-à- 
dire  à  la  fin  du  IIIe  siècle,  Carausius  reçut  la  mission  de  main- 
tenir l'ordre  sur  les  côtes  de  la  Belgique  et  de  YArmorique 
que  les  Francs  et  les  Saxons  dévastaient  (<).  Tout  le  monde 
sait  que  le  nom  d'Armorique,  dans  les  textes  anciens,  s'applique 
non  pas  aux  côtes  normandes  seulement,  mais  encore  à  notre 
Bretagne  et  même  au  littoral  inférieur.  C'est  un  point  hors  de 
contestation  (-).  Voila  donc  une  première,  preuve  que  les 
Saxons  pouvaient  étendre  leurs  pillages  jusqu'à  l'embouchure 
de  la  Loire,  bien  avant  Childéric. 

Il  y  en  a  une  autre.  A.  Marcellin,  pour  le  IVe  siècle,  nous 
apprend  que,  sous  Valenlinien,  les  Romains  curent,  à  combattre 
les  Saxons.  Peu  importe  sur  quel  champ  de  bataille,  l'essen- 
tiel est  que  nous  sachions  que  ces  ennemis  faisaient  parler 
d'eux  et  de  leur  humeur  guerrière  avant  le  règne  d'IIonorius. 

Quand  les  Empereurs  jugèrent  à  propos  de  dresser  le  tableau 
de  la  répartition  des  forces  de  l'Empire,  sur  les  territoires 
menacés  par  les  barbares,  au  début  du  Ve  siècle,  peut-être 
même  à  la  fin  du  précédent,  les  côtes  infestées  par  les  Saxons 
étaient  si  étendues  qu'il  fallut  désigner  plusieurs  oflieiers  pour 
leur  tenir  tête  (3).  La  Notice  des  Dignités  nomme  plusieurs  fois 


(1)  Aptid  Bononiam  per  traclum  Belgicœ  et  Armoricœ  pacandum  mare 
acceperat,  qnod  Franci  et  Saxones  infestabant.  (Liv.  IX,  chap.  XX.) 

(2)  .le  ne  fais  que  répéter  ce  qu'a  déjà  dit  M.  l'abbé  Gallard  dans  l'article 
spécial  qu'il  a  consacré  au  Trait  armoricain  [Bull,  de  la  Société  Archéologique 
de  Nantes  de  1884,  p.  53-00.  Extenditur  Tracttts  Armoricani  et  Nervicani 
limilis  per  provincias  quinque,  per  Aquitaniam  primam  cl  secundam  Senoniam, 
secundam  Lugdunensem  et  tertiam.  [Trésor  de  Grévius,  t.  VU.) 

(3)  Cornes  liltoris  suxonici  per  Britauiiias.  (ISolilia  dignilaluin,  edit.  Seek, 
p.  104,  121,  120.) 


351 

un  chef  qu'elle  appelle  le  Comte  du  Rivage  saxon  dans  les 
Bretagnes,  et,  quand  elle  arrive  h  la  seconde  Belgique,  c'est- 
à-dire  au  pays  qui  s'étend  entre  la  Somme  et  l'Escaut,  elle 
porte  que  le  chef  a  sous  ses  ordres  des  cavaliers  Dalmates  qui 
sont  placés  à  Marris  in  litore  saxonico  (*). 

Ce  n'est  pas  tout.  11  y  a  une  troisième  mention  de  ce  rivage 
saxon  qui  revient  dans  la  rédaction  de  la  Notice  des  Dignités 
de  l'Empire,  à  l'endroit  où  elle  énumère  les  troupes  placées 
sous  le  commandement  du  personnage  éminent  qu'elle  appelle 
le  Duc  des  Armoricains  et  des  Nerviens  (2).  On  y  voit  appa- 
raître un  tribun  dont  la  résidence  est  fixée  dans  une  station 
nommée  Grannona,  située  sur  le  rivage  saxon  (3). 

Cette  ville  nous  étant  inconnue,  nous  sommes  réduits  aux 
conjectures  sur  la  portion  de  nos  côtes  qu'on  a  voulu  désigner. 
Les  uns  veulent  que  ce  soit  la  côte  normande,  les  autres  la 
côte  bretonne.  Relisons  la  Notice  et,  en  pesant  chacun  des 
termes  de  sa  rédaction,  voyons  s'il  est  possible  de  découvrir  de 
quel  côté  se  trouve  la  vérité. 

Le  personnage  dont  nous  avons  parlé  est  le  chef  de  tous  les 
postes  maritimes,  son  autorité  s'étend  de  la  Garonne  à  la  Pre- 
mière Belgique.  Il  a  pour  mission  particulière  de  surveiller  les 
descentes  des  pirates,  on  le  devine  au  nombre  de  garnisons 
rangées,  de  dislance  en  distance,  sur  les  bords  de  l'Océan. 
Comme  tous  les  chefs  de  corps  d'armée,  il  a  deux  légions  à  sa 
disposition,  lesquelles,  suivant  la  Notice,  s'appellent  la  Première 
Armorique  et  la  Première  Flavienne,  forces  qui  ne  sont  pas 
trop  considérables  pour  l'immensité  de   la  région   qu'il  gou- 


(1)  Ibidem,  p.  207. 

(s)  Siib  dispositions  viri  speclabilis  ducis  Annonçant  et  Nervicani.  (Notilia 
dignitaltm  ) 

(3)  Tribunus  cohortis  primœ  novœ  Annoricœ  Grannona  in  lit  tore  saxonico. 
{Ibidem.) 


352 

verne(t).  Les  auxiliaires  qui  remplissent  les  cadres  appartiennent 
à  diverses  nations.  On  y  voit  des  barbares  de  la  Gorogne  (Carro- 
nenses),  des  Maures  (Mauri),  des  Andalous  (Marieuses),  des 
Ossoniens  (Ursarienses),  des  Dalmates  (Dalmatœ),  des  Hongrois 
(Grannonenses),  des  Suèves,  des  Balaves,  des  Francs,  des  Sar- 
niates  et  des  Teïphales  (2).  Chacune  de  ces  garnisons  est  com- 
mandée invariablement  par  un  préfet,  et  indiquée  avec  la  même 
formule.  La  rédaction  ne  change  que  pour  deux  officiers:  pour 
le  tribun  de  la  cohorte  de  la  Première  Armoricaine  en  rési- 
dence à  Grannona  et  pour  le  préfet  des  soldats  de  la  Première 
Flavienne  établi  à  Goutances  (Constantin). 

Comme  la  Notice  ne  leur  donne  pas  de  barbares  a  commander, 
on  est  fondé  à  croire  qu'ils  sont  à  la  (été  de  légionnaires  et 
qu'ils  occupent  chacun  le  siège  d'un  gouvernement  militaire. 
Le  fait  parait  certain  au  moins  pour  Goutances,  dont  le  nom, 
sorti  de  Constantia  castra,  s'est  étendu  à  tout  le  Cotcntin,  en 
souvenir  de  son  antique  suprématie. 

La  légion  qui  avait  son  centre  à  Goutances  envoyait  des 
détachements  en  divers  endroits,  notamment  à  l'embouchure 
de  la  Seine,  comme  le  dit  positivement  Ammien  Marcelin;  et  ce 
camp  secondaire  est  encore  nommé  Constantia  castra,  ce 
qui  indique  clairement  que  du  Couesnon  à  la  Seine,  on  ne 
rencontrait  que  des  soldats  d'une  même  légion,  la  Première 
Flavienne  (3).  Aucun  mol  ne  nous  contredit  dans  le  texte,  au 

(')  Ricli,  Dictionnaire  des  Antiquités  grecques  et  romaines.  Legio. 

(2)  Prefeclus  militum  Carronensium,  Maurorum,  MarUnsium,  Ursariensiitm, 
Ttalmalarum,  Grannonensium,  Baiavornm,  Francorum,  Sarmatarum,  etc.  Pour 
tout  le  monde  ces  barbares  sont  des  auxiliaires  à  la  solde  de  l'Empire,  mais 
pour  M.  Oiieux  ce  sont  des  milices  locales.  Voir  Annales  de  la  Société 
Académique  de  18!)0,  p.  121. 

(^  Qui  (Matrona  et  Sequana)  (luentes  per  Lugdunensem  post  circumclausum 
ambitu  insulari  Parisiorum  caslellum,  Luteliam  nomine,  consociatim  mcautes 
protinus  prope  Castra  Constantia  fiinduntur  in  mare  [Livre  XV,  cliap.  11.  Ammien 
Marcellin). 


353 

contraire.  Le  préfet  de  CoiUances  (i)  est  immédiatement  suivi 
d'officiers  fixés  avec  leurs  troupes  à  Rouen,  à  Avranches,  à 
Granville,  à  Bayeux,  c'est-à-dire  le  long  de  la  côte  qui  s'étend 
de  Dol  au  Havre  ;  la  seconde  ligne  de  postes  établis  en  arrière, 
au  Mans  et  à  Rennes,  ne  vient  qu'après. 

Puisque  nous  connaissons,  à  n'en  pas  douter,  le  plan  de 
défense  des  côtes  normandes  avec  l'emplacement  choisi  pour 
chacune  des  garnisons,  il  en  résulte  que  Grannona  n'est  pas 
à  chercher  de  ce  côté,  mais  au  delà,  dans  la  partie  qui  s'étend 
du  nord-ouest  au  sud-ouest,  autour  de  la  presqu'île  armori- 
caine, contrée  également  très  exposée  aux  incursions  des 
pirates ,  et  qui  devait  être  gardée  avec  non  moins  de 
vigilance. 

Que  dit  la  Notice  à  ce  sujet?  Elle  place  un  tribun  à  Grannona, 
ville  indéterminée  il  est  vrai,  mais  rangée  de  telle  façon  dans  la 
liste,  que  le  chercheur  n'a  pas  à  s'écarter  d'un  certain  rayon. 
Son  ressort  est  limité  par  la  série  des  officiers  qui  l'accom- 
pagnent et  qui  ont  leur  résidence  incontestable  autour  des  côtes 
bretonnes,  depuis  la  Vilaine  jusqu'à  la  Rance,  dans  des  villes 
connues  comme  Vannes,  la  cité  des  Osismiens  (Finistère), 
Ploumanach  et  Met  h. 

Nous  avons  épuisé  toutes  les  désignations  de  la  Notice,  et 
nous  n'avons  pas  rencontré  de  garnison  pour  surveiller  la  côte 
qui  s'étend  de  la  Vilaine  à  la  Garonne,  si  ce  n'est  Poitiers,  sur 
la  seconde  ligne.  11  nous  reste  pourtant  à  identifier  les  noms  dès 
deux  stations  de  Blabla  et  de  Grannona,  ce  sont  les  deux 
dernières  à  déterminer.  Il  est  clair  que  nous  n'irons  pas  les 
chercher  du  côté  de  Bayeux.  Nous  aurons  plus  de  chance  de 
les  découvrir  à  l'embouchure  des  fleuves  dont  nous  n'avons  pas 
encore  parlé.  Puisqu'on  a  pris  soin  de  garder  la  Seine  par  un 

(*)  Prefeçtus  militum  Primas  Flaviœ,  Constarttia.  Ce  préfet  pouvait  faire 
l'intérim  du  Tribun  absent  ou  avoir  une  dignité  de  plus  que  ses  collègues. 

23 


354 

double  campement  de  troupes,    il  n'est  pas    possible  que   la 
Loire  et  la  Garonne  aient  été  oubliées. 

Blàbia  parait  convenir  parfaitement  à  Blaye;  quant  a 
Grannona,  on  a  pensé  depuis  longtemps  à  Guérande,  parce 
que  cette  ville  est  sur  un  plateau  exceptionnellement  élevé  du 
haut  duquel  une  garnison  peut  aisément  surveiller  l'embouchure 
de  deux  fleuves.  Du  haut  des  murs  de  Guérande,  la  vue 
embrasse  le  littoral  qui  s'étend  de  la  Vilaine  à  la  Loire  et  perce 
l'horizon  jusqu'à  Belle-Isîe,  quand  le  temps  est  favorable. 
Cette  situation  se  recommande  d'elle-même  à  l'attention  et 
mérite  nos  préférences ,  sans  qu'il  soit  nécessaire  d'éta- 
blir la  moindre  filiation  étymologique  entre  Guérande  et 
Grannone.  Ce  qui  prouve  que  nous  ne  nous  trompons 
pas ,  c'est  que  le  pays  guérandais  est  couvert  de  ruines 
romaines  et  est  desservi  par  un  réseau  de  voies  pavées  qui 
permettait  à  la  garnison  de  Grannona  de  se  porter  dans 
toutes  les  directions. 

De  ce  que  Blabla  suit  Grannona,  au  lieu  de  la  précéder, 
dans  l'énuméralion  des  postes  maritimes,  il  n'en  faut  pas  inférer 
que  la  Notice  est  un  document  rédigé  sans  attention,  au  mépris 
de  tout  ordre  géographique.  L'Administration  romaine,  si 
régulière,  si  méthodique  dans  tous  ses  mouvements,  n'aurait 
pas  commis  une  pareille  négligence.  Voici  l'explication  que 
j'ose  présenter  comme  acceptable.  Après  avoir  désigné  le 
chef-lieu  du  gouvernement  Grannona,  le  rédacteur  a  été  forcé 
de  commencer  son  énuméralion  par  le  point  le  [dus  éloigné  au 
sud,  Blaye,  avant  d'entamer  la  liste  des  cités  de  l'Armorique. 
C'est  la  même  nécessité  qui  l'a  conduit  à  citer  Rouen  après 
Coutanccs,  pour  suivre  après  la  série  des  postes  de  l'ouest  à 
l'est. 

Les  auteurs  qui  ont  voulu  trouver  Blabia  sur  nos  côtes 
n'ont  pas  pris  garde  qu'ils  laissaient  sans  défense  un  im- 
mense territoire,  de  même  qu'en  plaçant  Grannona  au  Cotenlin, 


355 

on  prive  la  Loire  de  la   forteresse   dont    elle  avait  si   grand 
besoin  (i). 

Il  n'est  pas  vraisemblable  que  le  généralissime  de  l'Armo- 
rique  et  des  Aquitaines  ait  négligé  de  surveiller  les  deux  cours 
d'eau  qui  pouvaient  le  plus  sûrement  aider  les  pirates  dans 
jeurs  incursions  à  l'intérieur.  C'est  pourtant  la  conséquence  qui 
ressort  de  la  théorie  de  M.  Orieux.  Mon  contradicteur  veut  que 
Grannono,  station  des  Hongrois  de  Gran,  citée  entre  Avranches 
et  Bayeux,  soit  la  même  localité  que  Grannona,  résidence  du 
Tribun  de  la  cohorte  de  la  première  Armorique,  et  dépense 
beaucoup  d'érudition  pour  montrer  que  les  deux  officiers  qui 
commandaient  ces  postes  pouvaient  vivre  l'un  près  de  l'autre, 
ce  qui  équivaut  a  soutenir  que  les  chefs  vivaient  d'un  côté  et 
les  garnisons  de  l'autre  (2). 

Les  deux  légions  étant  admises,  il  est  plus  raisonnable  de 
croire  que  chacune  avait  son  tribun,  l'un  à  l'ouest,  l'autre  au 
nord,  en  position  de  donner  des  ordres  rapides,  et  d'en  surveiller 
l'exécution.  Vouloir  réduire  le  litlus  saxonicum  aux  côtes 
normandes  en  tout  temps,  parce  que  les  auteurs  du  VIe  siècle 
nous  parlent  de  Saxons  établis  a  poste  fixe  autour  de  Bayeux, 
c'est  commettre  un  anachronisme  et  aller  contre  le  témoignage 
des  contemporains  qui,  exposés  aux  dévastations  continuelles 
des"  pirates,  répétaient  le  nom  de  Saxon  partout  où  ces  barbares 
abordaient.  Dans  l'état  actuel  de  la  science,  il  n'est  pas  possible 
de  traduire  Grannona  plus  justement  que  par  Guérande.  C'est 
l'opinion  que  j'ai  soutenue  dans  la  cinquième  livraison  de  mes 
Villes  disparues.  Les  contradictions  n'aboutissent  qu'à  semer 
des  doutes  inutiles,  tandis  que  notre  application  des  textes 
concorde  avec  les  découvertes  comme  avec  les  exigences  de  la 
stratégie. 

(')  C'est  l'erreur  que  j'ai   commise   moi-même  dans  mon  premier  travail  et 
que  je  m'empresse  de  rectifier. 

(2)  Prefectus  militum  Grannonensium  Grannono. 


350 

Je  répète  que  je  crois  au  passage  des  Saxons  dans  la  Loire- 
Inférieure  et  même  à  leurs  établissements  permanents.  Ils 
occupaient  les  environs  du  bassin  du  Croisic  quand  les  Bretons 
ont  fait  invasion,  ils  y  travaillaient  à  la  confection  des  salines. 
C'est  une  conviction  non  pas  hasardée,  mais  fondée  sur  les 
mots  saxons  qui  sont  restés  dans  le  langage  vulgaire  du  pays. 
Il  y  avait  une  saline  nommée  Bernaliardisca  (1),  or,  le  nom 
de  Bernard  est  germain.  Dans  l'organisme  des  salines,  je 
remarque  le  ladurc,  c;est  le  lieu  où  les  paludiers  viennent 
prendre  leur  change  ;  en  allemand,  laden  veut  dire  charger. 
Vaderne  est  un  canal  par  lequel  circule  l'eau  saturée  de  la 
saline;  en  allemand,  adern  veut  dire  veine.  D'où  sont  venus  ces 
mots  s'ils  n'ont  pas  été  importés  du  Nord  sur  nos  côtes?  et  qui 
est-ce  qui  a  eu  la  puissance  de  les  implanter,  si  ceux  qui  les 
prononçaient  n'ont  pas  habité  le  pays  pendant  longtemps  ?  Pour 
tous  ces  motifs,  je  maintiens  ma  thèse  et  je  persiste  à  croire  à 
la  présence  de  Grannona  surja  côte  Guérandaise. 

On  est  surpris  que  l'archéologie  constate  beaucoup  de  ruines 
à  l'embouchure  de  la  Loire  et  prétende  y  découvrir  plusieurs 
villes  antiques;  on  oublie  que  la  Loire-Inférieure  est  l'une  des 
plus  riches  vallées  du  monde,  aussi  capable  d'attirer  l'ai  lent  ion 
que  la  Normandie  et  le  Morbihan.  Les  anciens  se  sont  toujours 
arrêtés  dans  les  pays  les  plus  plantureux,  et  surtout  à  la  portée 
des  grands  fleuves,  afin  d'avoir  des  transports  faciles  sous  la 
main.  Qu'on  étudie  historiquement  l'embouchure  de.  chacun  des 
fleuves  de  la  Gaule,  on  verra  qu'il  n'y  a  pas  d'estuaire  qui  ne 
soit  environné  de  ruines  pressées. 

Pour  la  Seine,  nous  avons  non  seulement  deux  villes,  Lille- 
bonne  et  Caudebec  (Juliobona  cl  Latomagus),  mais  encore  un 
camp  [Gonstantia  Castra).  Le  Rhône  a  Marligues,  Marseille, 
Arles  et  Montpellier;  la  Rance,  Alelh;  la  rivière  d'Auray,  Locma- 

(')  Cartulaire de  Redon,  p.  'il. 


357 

riakcr;  la  Gironde  a  Royan,  Blaye  et  le  Verdon;  l'Adour  a 
Bayonne  (Lapurdiim),  et  on  voudrait  que  la  Loire,  avec  son 
vaste  estuaire  découpé,  n'ait  pas  eu,  elle  aussi,  ses  places  de 
commerce  et  sa  forteresse  et  qu'il  nous  soit  interdit  d'y  placer 
Grannona,  Curbilon  et  Veneda!! 

Après  tant  d'exemples  d'une  habitude  constante,  il  faut 
pousser  le  scepticisme  bien  loin  pour  entreprendre  de  nous 
démontrer  que  la  Loire  a  fait  exception,  que  le  plus  beau  pays 
de  France,  la  vallée  la  plus  fertile  a  été  désertée  par  les  Anciens, 
dans  un  département  où  nous  trouvons  leurs  établissements  à 
chaque  pas.  Anelz,  Saint-Géréon,  Mauves,  Nantes,  Couëron, 
Savenay,  sont  des  stations  pleines  de  monnaies  et  de  débris 
d'industrie  romaine,  et  on  voudrait  que  les  civilisateurs  de  la 
Gaule  se  soient  arrêtés  là,  sans  deviner  les  avantages  d'une 
position  avancée  sur  la  pointe  de  Saint-Nazaire.  Il  suffit 
d'énoncer  cette  prétention  pour  en  montrer  toute  la  fragilité. 

Mais  laissons  l'érudition,  si  vous  le  voulez,  et  consultons  la 
poésie,  elle  vous  dira  que  les  plus  beaux  raisonnements  ne 
valent  pas  les  impressions,  que  les  lieux  habités  de  toute  anti- 
quité se  révèlent  d'eux-mêmes  à  ceux  qui  savent  les  regarder. 
Les  hommes  n'ont  jamais  été  insensibles  aux  beautés  que  la 
nature  se  plaît  à  accumuler  sur  certains  points.  Un  de  nos 
derniers  Préfets,  M.  Glaize,  qui  a  beaucoup  lu  et  beaucoup 
voyagé,  qui  connaît  toutes  les  côtes  de  la  Méditerranée,  me 
disait,  à  propos  de  mes  appréciations  sur  la  Basse-Loire,  une 
parole  qui  m'a  bien  frappé  :  «  Le  bassin  du  Croisic  est  mer- 
veilleux, il  rappelle  les  plus  beaux  sites  de  l'Orient,  c'est  une 
de  ces  contrées  que  les  navigateurs  ont  préférées  à  toutes  les 
autres  dès  l'origine  de  la  civilisation.  » 

II 

PORTUS   BR1VATÈS    ET    LE    TRAIT   DU   CROISIC. 

Tout    le    monde    sait   que    les    longitudes    du    géographe 


358 

Ptolémée  sont  très  erronées.  D'Anville  faisait  remarquer  qu'il 
comptait  148  degrés  de  longitude  entre  le  méridien  de  l'Ile-de- 
Fer  des  Canaries  et  la  plus  orientale  des  cinq  embouchures  du 
Gange,  au  lieu  de  108  degrés  qu'il  y  a  en  réalité  (i).  Quand 
nous  avons  a  fixer  sur  la  carie  l'emplacement  d'une  cité  antique 
ou  d'un  port,  il  est  donc  prudent  de  prendre  d'autres  guides 
et  de  recourir  surtout  aux  lumières  de  l'archéologie.  Il  y  a  des 
auteurs  qui  conservent  néanmoins  un  attachement  injustifiable 
pour  le  vieux  géographe,  et  qui  le  prennent  pour  un  indicateur 
impeccable.  On  en  a  vu  qui  ont  mieux  aimé  défigurer  la  carte 
de  leur  pays  et  placer  un  port  dans  les  vases  de  la  Vilaine  que 
de  lui  donner  tort.  Il  en  est  un  qui,  par  amour  pour  Ptolémée, 
a  osé  rayer  de  la  géographie  ancienne  et  de  la  liste  de  nos 
vieux  ports  le  Trait  du  Croisic. 

Quand  on  agite  une  aussi  grosse  question  il  faut  avoir  au 
moins  des  armes  solides,  des  arguments  irréfutables;  or, 
ce  n'est  pas  le  cas  du  système  qui  s'est  produit  tout  ré- 
cemment. 

L'affaissement  du  sol  de  nos  côtes  depuis  l'époque  historique 
n'est  pas  un  fait  prouvé,  tant  s'en  faut  ;  il  est,  au  contraire, 
rejeté  par  les  géologues  modernes ,  notamment  par  plusieurs 
Universités.  On  explique  tout  aussi  bien  par  la  rupture  des 
cordons  littoraux  les  effets  que  M.  Orieux  attribue  à  un 
affaissement.  Les  ateliers  inondés  pouvaient  être  protégés  à 
l'origine  par  une  digue  que  les  ouragans  ont  rompue,  et  la  voie 
romaine  qui  traverse  les  marais  de  Ponldarm  a  pu  être  faite 
dans  les  conditions  où  nous  la  trouvons  pour  franchir  un 
mauvais  pas  et  donner  de  la  consistance  à  un  terrain  déjà 
mouillé,  il  y  a  1800  ans.  Quant  au  petit  bronze  de  Télricus 
relire  des  vases  mobiles  de  Penhoèt,  c'est  une  découverte  trop 
minuscule  pour  qu'on  puisse  en  l'aire  une  arme  de  guerre  capable 

(')  Mémoires  de  l'Académie  des  Inscriptions,  1768,  t.  XXXll,  |>.  604. 


359 

de  renverser  les  théories  fondées  sur  des  constatations   nom- 
breuses et  indiscutables. 

Ce  que  j'ai  rencontré  dans  mes  fouilles  du  Trait  du  Croisic 
est  autrement  concluant.  J'ai  cité  des  carcasses  de  bateau 
enfouies  dans  le  sol  des  marais  assez  profondément  pour  qu'elles 
aient  passé  inaperçues  parmi  les  paludiers  qui  ont  établi  les 
plus  vieilles  salines  (i).  On  se  rappelle  que  j'ai  cité  aussi  plusieurs 
ateliers  gallo-romains  dont  le  but  unique  était  d'utiliser  l'argile 
fine  qui  forme  le  fond  de  cette  baie,  argile  plastique  et  grasse, 
déjà  très  abondante  au  IIIe  siècle,  qui  ne  peut  avoir  été 
apportée  là  que  par  un  séjour  très  prolongé  des  eaux  marines. 
Je  ne  sais  quelle  est  l'épaisseur  de  ces  alluvions,  mais  il  est 
bien  certain  que  si  nous  relevons  le  sol  jusqu'à  7  mètres  nous 
en  fermons  l'entrée  à  la  mer  et  nous  sommes  obligés  de 
recourir  à  un  miracle  pour  expliquer  comment  les  Romains, 
introducteurs  de  l'industrie  salicole  dans  le  pays,  ont  pu  faire 
des  salines  dans  une  plaine  où  les  siècles  précédents  n'avaient 
pas  préparé  le  terrain  spécial  que  réclame  cette  culture. 

Notre  contradicteur  croit  être  très  sûr  de  ses  affirmations 
parce  que  le  chenal  actuel  du  port  du  Croisic  est  obstrué  par 
des  rochers  à  fleur  d'eau.  Son  hypothèse  de  l'affaissement  lui 
permet  d'en  faire  une  véritable  barrière  puisqu'il  ajoute 
7  mètres  à  la  hauteur  actuelle  et  il  ferme  ainsi  la  porte  aux 
navires  vénètes  que  je  voulais  y  introduire  avec  les  Phéniciens. 
Malgré  sa  perspicacité,  il  n'a  pas  tout  vu,  il  n'a  regardé  que 
la  pointe  de  Penbron  ou,  aveuglé  par  son  idée  préconçue,  il 
n'a  pas  aperçu  les  autres  entrées  que  la  nature  a  préparées 
ailleurs. 

Au  bas  du  coteau  de  Clis,  il  y  a  un  magnifique  étier,  celui 


(')  Si  les  paludiers  avaient  aperçu  les  membrures  du  bateau,  à  l'origine,  ils 
se  seraient  empressés  de  les  retirer  pour  se  chauffer,  car  le  bois  manque  com- 
plètement dans  le  pays. 


360 

de  l'Enclis  qui  traverse  une  plaine  d'alluvions  basses  et  qui 
déboucherait  sans  grandes  dépenses  en  face  de  La  ïurballe  si 
nos  ingénieurs  voulaient  le  prolonger.  Le  jour  où  on  voudra 
creuser  un  nouveau  chenal  dans  la  partie  que  je  signale,  rien 
ne  sera  plus  facile.  L'Océan  est  passé  par  là  aux  époques 
géologiques,  de  même  qu'il  entourait  complètement  le  rocher 
de  Pcnbron,  rattaché  aujourd'hui  à  la  terre  ferme  par  une 
falaise  fragile  que  le  moindre  ouragan  peut  rompre.  Telle  est 
l'unique  digue  qui,  du  côté  de  l'ouest,  sépare  notre  bassin 
intérieur  de  la  haute  mer. 

Du  côté  du  Pouliguen,  le  sol  est  si  plat,  les  marais  salants 
opposent  une  barrière  si  légère  au  mélange  des  eaux,  qu'on 
pourrait  presque  indiquer  le  chenal  que  suivaient  les  marées 
des  temps  préhistoriques. 

J'ai  encore  un  fait  à  présenter  et  non  une  hypothèse  :  c'est  la 
découverte  d'une  ardoise  marquée  de  caractères  phéniciens  a 
Clis.  Elle  n'est  pas  venue  là  par  terre,  elle  a  été  évidemment 
apportée  par  les  bateaux  de  ces  hardis  navigateurs  qui,  du 
fond  de  l'Orient,  vinrent  débarquer  leurs  produits  dans  tous  nos 
ports,  plusieurs  siècles  avant  notre  ère  (»). 

III 

CORMLON   ET   SAINT-NAZAIRË   (2). 

On  a  présenté  d'étranges  arguments  pour  essayer  d'ébranler 
l'opinion  que  j'ai  émise  sur  l'antiquité  du  port  de  Sainl-Nazaire. 
On  m'a  répondu  que  le  mouillage  était  détestable  cl,  pour 
preuve,  on  a  invoqué  la  préférence  accordée  à  Paimbœuf  au 
XVIIe  siècle. 

(')  Temporibus  Tarquinii  l'risi  ex  Asia  Phoceensium  juventns  in  ultimos 
Galliœ  sinus,  nauibus  prufecta,  magnas  res  annis  gessit.     (JUSTIN.) 

(2)  Ce  chapitre  est  destiné  à  compléter  l'étude  que  j'ui  publiée  dans  les 
Annales  de  Bretagne  de  1889. 


361 

Ces  raisons  toucheraient  sensiblement  le  lecteur  s'il  était 
prouvé  que  la  côte  de  Paimbœuf  présente  des  avantages  bien 
supérieurs  à  ceux  de  la  rive  opposée  ;  au  contraire,  tout  le 
monde  sait  que  les  vents  d'ouest  et  les  courants  sont  aussi 
mauvais  a  Paimbœuf  que  chez  sa  rivale,  peut-être  davantage, 
que  les  rives  y  sont  plates  et  sans  abri,  tandis  que  le  bassin  de 
Saint-Nazairc  est  abrité  par  le  coteau  des  Préaux. 

La  fortune  de  Paimbœuf  n'a  tenu  qu'au  caprice  de  quelques 
négociants  nantais  qui  voulaient  faire  un  avant-port  maritime 
aussi  rapproché  que  possible  de  leur  ville,  pour  la  facililé  de 
leurs  armements,  et  créer  une  place  d'échange  où  les  navires 
étrangers  pourraient  trafiquer  avec  eux  sans  être  forcés  de 
franchir  les  bas-fonds  sablonneux  du  fleuve.  Paimbœuf  n'a 
jamais  été  que  la  succursale  de  Nantes,  sa  rade  a  été  préférée 
parce  qu'elle  était  plus  rapprochée  du  chef-lieu  et  non  pour 
l'excellence  de  son  mouillage. 

Le  port  de  Gorbilon  était  un  port  libre,  indépendant,  il  s'est 
fondé  entre  Saint- Nazaire  et  Méan  à  une  époque  où  la  Loire 
se  portait  beaucoup  plus  sur  sa  rive  droite  que  sur  sa  rive 
gauche.  Les  courants  étaient  si  violents  qu'ils  avaient  creusé 
un  immense  golfe  que  les  alluvions  ont  rempli  peu  à  peu,  par 
la  succession  des  siècles  et  que  l'Histoire  constate  comme  les 
sondages  des  géologues.  On  sait  qu'au  XIe  siècle  Sainl-Nazaire 
se  nommait  Saint-Nazaire-du-Golfe  (Sanctus-Nazariits-de- 
Simtario)  ('). 

Qu'on  se  reporte  à  2000  ans  en  arrière  et  qu'on  supprime  la 
niasse  des  apports  annuels  du  fleuve,  on  apercevra  aisément  la 
courbe  profonde  que  décrivait  la  rive  droite  avant  de  toucher 
l'Océan.  Elle  se  devine  encore  aujourd'hui,  quand  on  descend 
vers  l'embouchure.  Il  est  évident  qu'il  y  avait  en  face  de 
Mcndin  une  corne   proéminente  derrière  laquelle   les  navires 

(')  Arcliiv.  départ.  H.  51. 


?62 

légers  dos  Phéniciens  pouvaient  relâcher  et  séjourner  sans 
crainte  à  l'abri  des  fureurs  de  la  mer.  Dans  tous  les  cas,  qu'on 
doute  ou  qu'on  ne  doute  pas,  le  fait  est  prouvé,  l'anse  de 
Penhouèt  était  un  port  avant  l'ère  chrétienne,  les  bateaux  qui 
venaient  y  mouiller  y  ont  laissé  bon  nombre  de  pierres  percées 
d'ancrage  que  M.  l'ingénieur  Kcrviler  a  retrouvées  et  avec 
lesquelles  il  faut  compter  dans  la  solution  du  problème  qui  nous 
occupe. 

J'ai  dit  que  la  proximité  du  bassin  du  Brivet  était  aussi  un 
motif  de  croire  à  la  présence  d'un  port  sur  la  rive  de  Méan, 
j'aurais  dû  faire  remarquer  que  la  plupart  de  nos  ports  se  sont 
fondés  près  des  confluents  des  cours  d'eau.  Rezé  est  a  l'embou- 
chure de  la  Sèvre,  Nantes  est  à  l'embouchure  de  l'Erdre.  11  ne 
serait  pas  étonnant  que  les  Phéniciens  eussent  recherché  le 
Brivet,  car  ils  aimaient  à  commercer  avec  les  populations 
industrielles  comme  celles  dont  j'ai  parlé.  J'ai  cité  beaucoup  de 
découvertes  faites  dans  notre  siècle.  Qui  sait  si  nos  prédéces- 
seurs n'en  ont  pas  exhumé  tout  autant  dans  les  siècles  passés 
et  n'ont  pas  négligé,  par  ignorance,  de  nous  transmettre  des 
collections  d'antiquités?  Chaque  génération  a  dû  recueillir  des 
débris  de  l'industrie  ancienne  et  si  là  notre  en  recueille  encore, 
après  quinze  siècles  de  culture  et  de  travaux,  il  faut  bien  croire 
que  le  pays  était  couvert  de  fabricants  et  de  négociants  à 
l'époque  des  armes  de  bronze. 

Les  géographes  nous  disent  qu'après  avoir  prospéré,  le  port 
de  Gorbilon  disparut,  et  ils  n'en  indiquent  pas  les  raisons. 
Quand  un  village  ou  une  ferme  sont  brûlés  et  qu'ils  sont  recons- 
truits, ils  prennent  le  nom  de  Villeneuve,  synonime  de  résur- 
rection. Le  même  événement  est  arrivé  à  Saint-Nazaire.  Quand 
celte  bourgade  recul  les  reliques  de  saint  Nazaire  avant  le  VIe 
siècle,  elle  avait  un  nom  assurément  qui  changea  à  l'arrivée 
du  saint,  el  ce  nom  ne  pouvait  être  que  Novio  dunum,  en 
français  Noyon  ou  Nyon.   Ce   n'est  pas  moi  qui  l'invente,  c'est 


363 

la  tradition  qui  le  dit  et  voici  comment.  La  chaussée  romaine 
qui  conduit  de  Savenay  à  la  poinle  de  Saint-Nnzairc,  s'appelle 
la  chaussée  de  Nyon,  au-delà  de  la  bulle  de  S  cm  ;  ce  nom  de 
Nyon  est  trop  particulier  pour  avoir  été  imaginé  sans  raison, 
il  ne  peut  être  que  l'écho  sans  cesse  répété  de  l'histoire  d'une 
ville  déchue  puis  relevée. 

Au  surplus,  on  peut  soutenir  a  priori  que  les  villes  décorées 
du  nom  d'un  saint  sont  généralement  antiques,  parce  motif  que 
les  apôtres  des  premiers  siècles  recherchaient  les  centres  popu- 
leux plutôt  que  les  solitudes.  Quand  Grégoire  de  Tours  nous 
rapporte  que  des  reliques  de  saint  Nazaire  étaient  déposées  dans 
le  bourg  qui  nous  occupe,  cela  ne  veut  pas  dire  que  la  popula- 
tion fût  riche  et  habitât  dans  des  palais  dont  nous  devrions 
retrouver  les  traces,  cela  signifie  seulement  que  la  côte  n'est 
jamais  demeurée  déserte  et  que,  sur  l'emplacement  de  Corbilon, 
une  agulomération  nouvelle  s'était  formée. 

Mon  contradicteur  me  reproche  d'être  trop  attaché  à  l'em- 
bouchure du  fleuve,  il  voudrait  m'entraîner  à  sa  suite  dans  la 
Haute-Loire,  sur  des  rives  où  personne  n'a  jamais  trouvé  la 
moindre  antiquité.  Malgré  Strabon,  d'après  lequel  les  Anciens 
avaient  coutume  de  s'embarquer  pour  la  Bretagne  à  l'embou- 
chure des  quatre  grands  fleuves  de  la  Gaule,  il  affirme  que 
Corbilon  pouvait  être  à  l'intérieur  comme  Bordeaux  et  Rouen. 

L'argument  est  absolument  sans  force,  attendu  que  jamais  les 
géographes  n'ont  dit  que  nos  grands  fleuves  avaient  seulement 
un  port.  De  ce  que  Rouen  et  Bordeaux  sont  des  villes  antiques, 
il  ne  s'ensuit  pas  qu'elles  n'avaient  pas  de  rivales.  (Juliobona) 
Lillebonne  est  une  station  romaine  bien  au-dessous  de  Rouen  ; 
(Novio  regum)  Royan  est  une  station  du  même  genre  bien 
reconnue  à  l'embouchure  de  la  Gironde  (1).  Si  la  Seine   et   la 

(')  Lillebonne  est  à  une  certaine  distance  de  la  Seine,  ee  fleuve  cependant  a 
pu  servir  pour  ses  transports. 


864 


Garonne  ont  eu  des  ports  très  avancés,  comme  ceux  que  je 
cite,  et  bien  d'autres  qui  se  révéleront,  je  ne  vois  pas  pourquoi 
on  refuserait  de  croire  à  la  possibilité  d'un  port  dans  le  golfe 
de  Saint-Nazaire. 

Comparons  la  situation  de  ce  dernier  avec  les  deux  ports  les 
plus  anciens  de  la  Gaule  :  Narbonne  est  au  fond  d'un  golfe  qui 
s'appelle  l'étang  de  Sigean,  et  ii  Marseille  la  côte  de  la  Méditer- 
ranée décrit  une  courbe  très  sensible  qui  a  beaucoup  de  ressem- 
blance avec  celle  de  Méan.  Voilà  des  raisons  tirées  de  la  lopo- 
grapbie,  des  coutumes,  de  l'histoire  et  de  la  tradition  qui  méri- 
tent d'être  prises  en  considération  et  qui,  dans  tous  les  cas,  ont 
plus  de  poids  que  de  simples  négations. 


IV 

CONDEVINCUM  (1)   ET   NANTES. 

En  laissant  de  côté  les  lumières  de  l'observation  directe  et 
en  s'attacbant  trop  au  texte  des  géographes  un  de  nos  collègues 
est  arrivé  à  des  déductions  surprenantes.  Qu'on  en  juge.  Il  s'est 
fait  l'apôtre  de  celte  idée  que  les  Samnites  ont  habité  la  Loire- 
Inférieure  et,  au  lieu  de  les  cantonner  autour  de  la  Brière,  il 
leur  donne  tout  le  pays  nantais  jusqu'à  Ancenis  et  au-delà. 
Cette  générosité  l'empêchant  de  placer  les  Nannèles  dans  leur 
patrie  naturelle,  il  les  refoule  vers  la  Normandie  et  ne  les 
ramène  qu'au  temps  des  invasions.  Je  n'invente  rien,  cette 
théorie  historique  est  imprimée.  M.  Orieux  a  découvert  que  les 
peuples  de  la  Gaule  se  sont  livrés,  au  Ve  siècle  de  notre  ère,  à 
un  véritable  chassé-croisé  qui  avait  échappé  jusqu'ici  à  tous 
nos  historiens.  Si  quelque  érudit,  aussi  passionné  pour  les  textes, 
se  met  un  de  ces  jours   à  commenter  la  Table  de  Peutinger, 


(')  Toutes    les    villes    ont    eu    un    nom.    Dariorigum    Venetorum,    Lutetia 
Parisiorum.  —  Potins  Nannetum  n'est  pas  un  nom. 


365 

nous  en  verrons  bien  d'autres."  Les  Parisii  seront  transportés  sur 
les  bords  de  la  Garonne  ou  du  Rhin. 

Notre  collègue  ne  s'embarrasse  pas  des  conséquences  de  sa 
théorie  absolument  personnelle,  il  est  persuadé  que  les  peuples 
se  déplacent  comme  les  régiments,  qu'il  suffît  de  l'ordre  d'un 
Gouverneur  pour  les  détacher  du  sol  qui  les  a  vus  naître  et  les 
envoyer  là  où  le  caprice  veut  les  conduire.  Rome  a  pu  agir 
ainsi  envers  les  Barbares  nomades  qui  menaçaient  l'Empire, 
mais  où  a-t-on  jamais  lu  que  les  envahisseurs  aient  transplanté 
les  indigènes? 

Certains  peuples,  tels  que  les  Guriosolites  et  les  Diablintes 
ont  disparu  nominalement  de  la  carte  parce  qu'ils  ont  été 
englobés  par  de  puissants  voisins,  il  ne  s'en  suit  pas  qu'ils  ont 
laissé  une  place  vide  que  d'autres  ont  prise.  Chaque  peuplade 
de  la  Gaule  avait  sa  capitale,  ce  qui  prouve  qu'elle  avait  ses 
coutumes,  ses  lois,  sa  religion  ;  celle  des  Nannèles  se  nommait 
Condevincum,  nom  celtique  qui  signifie  confluent,  nom  très 
commun  chez  nous,  duquel  sont  dérivés  tous  les  Condé  et  les 
Candé  de  notre  géographie. 

Nantes  est  aussi  à  un  confluent,  son  nom  est  donc  d'accord 
avec  sa  situation  et  pas  n'est  besoin  d'envoyer  les  Nannètes  à 
Condé-sur-Noireau  pour  avoir  la  rencontre  de  deux  rivières. 

Une  capitale  politique  ne  se  fonde  pas  en  un  jour,  ni  en  un 
siècle,  il  lui  faut  la  succession  des  générations  multipliées.  Si 
elle  est  renversée,  elle  se  relève  après  le  départ  du  vainqueur. 
Troie  fut  reconstruite  jusqu'à  sept  fois  sur  le  même  emplace- 
ment. Les  hommes  ne  se  dispersent  pas  plus  facilement  que  les 
fourmis  quand  ils  ont  établi  leurs  pénates  quelque  part. 

Bien  que  Nantes  ait  porté  le  nom  de  Viens ,  synonyme  de 
bourg,  il  n'en  résulte  pas  que  ce  centre  politique  et  religieux 
occupait  un  rang  secondaire.  11  est  reconnu  par  tous  les  archéo- 
logues que  nos  chefs-lieux  tels  qu'Angers,  Tours,  Bordeaux, 
Saintes,  étaient  des  villes  ouvertes  sans  aucune  fortification  avant 


3GG 

le  IVe  siècle.  Le  centre  gaulois  était  peut-être  peu  étendu,  mais 
à  côté  vivait  une  population  gallo-romaine  riche  et  influente, 
dispersée  dans  la  banlieue. 

Les  parents  de  saint  Donatien  et  de  saint  Rosatien  étaient 
établis  à  l'extrémité  du  faubourg  Saint-Clément,  d'autres  étaient 
sur  la  place  Viarmes  ou  sur  le  coteau  du  Bourgneuf.  Leurs 
villas  ont  été  détruites  pour  défendre  la  cité  contre  les  Barbares  : 
c'est  un  fait  historique  qu'il  faut  accepter,  malgré  toutes  nos 
préventions. 

Les  capitales  des  peuples  sont  les  premières  villes  qui  aient 
été  entourées  d'une  muraille  d'enceinte.  Nantes  est  dans  ce  cas, 
elle  fut  pourvue  d'une  ceinture  de  briques  et  de  moellons  dont 
la  base  reposait  sur  les  ruines  de  ses  monuments  mutilés  et 
décapités  dans  un  moment  de  panique  universelle.  On  ne  peut 
pas  démolir  un  pan  de  ces  murailles  sans  trouver  des  stèles  _ 
funéraires  ornées  de  bas-reliefs,  des  fûts  de  colonnes,  des  cha- 
piteaux  et  des  inscriptions  (•). 

Est-ce  qu'une  simple  bourgade  aurait  pu,  sans  magistrature, 
sans  aristocratie,  sans  collège  sacerdotal,  fournir  tant  de  beaux 
matériaux?  Les  ruines  du  Vieux  Nantes  annoncent  toute  autre 
chose  qu'un  village  de  pécheurs.  Si  les  Romains  sont  venus 
déployer  tout  le  luxe  de  leurs  constructions  au  confluent  de 
l'Erdre  et  de  la  Loire,  c'est  qu'ils  y  trouvaient  déjà  établie  une 
agglomération  commerçante  et  industrieuse  :  Condevincum. 
Peu  importe  l'étenduedeson  territoire.  Les  [dus  grandes  cités  ont 
eu  des  débuts  très  humilies.  Lulèce,  dans  son  île  de  la  Seine, 
ne  couvrait  pas  plus  de  place  que  Nantes  au  début  de  notre  ère. 
Ce  sont  les  Romains  qui  les  ont  aidées  toutes  les  deux  à  se 
développer  en  les  parant  d'édifices  somptueux  et  en  imprimant  le 
mouvement  au  commerce. 


(')  Les  dernières  fouilles  de  la  Porte  Saint-Pierre  ont  donné  des  matériaux 
provenant  d'un  grand  monument. 


367 


CARIACUM,    AULA   QUIRIACA    ET    PIRIAC 

Fortunat  est  obscur,  comme  tous  les  poêles  de  la  décadence; 
les  noms  des  lieux  qu'il  a  cités  ne  peuvent  pas  toujours  être 
identifiés  à  coup  sûr  ;  il  y  en  a  un  pourtant  dont  la  tradition  a 
été  approuvée  généralement,  c'est  celui  de  Cariacum.  Ce  prélat 
écrivant  à  son  contemporain  saint  Félix,  lui  parle  des  charmes 
de  sa  propriété  et  la  caractérise  par  un  mot  qui  la  fixe  bien  sur 
les  bords  d'un  fleuve  :  devexus  in  amnem.  On  est  convenu 
qu'il  s'agit  de  la  terre  de  Chasseil,  en  Sainle-Luce,  domaine 
qui  fut  de  toute  antiquité  dans  la  mense  épiscopale,  sur  les 
bords  de  la  Loire. 

Ce  nom  de  Cariacum  se  retrouve  une  seconde  fois  dans  le 
récit  d'un  voyage  que  fit  Fortunat,  voyage  qui  lui  causa  bien 
des  émotions  (i).  Il  faillit  y  perdre  la  vie  sans  doute,  car  les 
trois  quarts  de  ses  vers  sont  consacrés  à  nous  dépeindre  la 
tempête  effroyable  qu'il  a  essuyée,  et  oublie  complètement  de 
nous  parler  de  l'objet  principal  du  voyage,  les  fêtes  célébrées  en 
l'honneur  de  saint  Aubin.  On  voit  qu'il  n'a  jamais  navigué,  car 
tout  l'impressionne.  Il  parle  des  périls  qu'il  a  courus,  des  flots, 
de  l'Aquilon,  des  vagues,  des  inondations,  des  murmures  ter- 
ribles de  l'océan  (murmura  Ponli),  des  vents  déchaînés,  des 
bonds  que  faisait  sa  barque  sur  des  montagnes  d'eau  (aquosa 
cacumina),  des  abîmes  qui  séparent  les  vagues  (liquidas  monte- 
vacante  vias),  enfin  de  la  tempête  écumanle  qui  fait  bouillonner 
les  flots  de  la  mer  (fluet  ibus  pela  y  i). 

Voilà  le  récit  que  M.  Oiïeux  voudrait  intituler  un  voyage  sur 
la  Loire.  Les  poètes  se  permettent  des  licences,  mais  aucun  n'a 

(')  Sa  pièce  est  intitulée  de  itinere.  Il  aurait  dû  prendre  pour  titre  de  tém- 
pestate.  * 


368 

jamais  osé  appliquer  les  mois  de  pelagus  et  de  ponlus  à  un 
fleuve.  J'ai  vu  bien  des  fois  la  Loire  pendant  les  inondations, 
je  n'ai  jamais  vu  ses  eaux  soulevées  par  les  vents  de  façon  à 
former  ce  qu'on  appelle  des  vagues. 

Fortunat  est  allé  de  Poitiers  à  Angers  rejoindre  son  collègue 
l'évêqûe  Domilien.  Celui-ci  l'a  entraîné,  dit-il,  [rapuit)  pour  le 
conduire  aux  fêtes  de  Saint-Aubin.  Quelle  est  l'église  où  la 
solennité  eut  lieu?  Ce  ne  peut  être  celle  d'Angers,  autrement 
il  aurait  dit  relinuit,  il  me  retint.  11  y  avait  dans  le  diocèse  de 
Nantes,  à  Guérande,  une  basilique  où  l'on  conservait  des  reliques 
de  saint  Aubin  ;  il  serait  possible  qu'ils  se  soient  rendus  par 
eau  dans  le  trait  du  Croisic  et  alors  le  voyage  par  mer  s'expli- 
querait naturellement. 

Quant  à  Cariacum,  je  l'ai  appliqué  à  Piriac  pour  deux  rai- 
sons solides  :  d'abord  parce  que  cette  localité  est  ainsi  nommée 
dans  une  charte  de  1126;  ensuite  parce  qu'elle  est  sur  l'itiné- 
raire que  Fortunat  dut  suivre  pour  aller  sur  la  Vilaine  au 
monaslère  de  Tehillaç.  Je,  sais  que  l'identification  de  Tincilla- 
censis  locus  avec  Tehillaç  n'est  pas  indiscutable,  cependant  on 
avouera  qu'elle  s'accorde  mieux  avec  l'ensemble  du  récit  que 
les  traductions  proposées  jusqu'ici  par  les  auteurs  angevins. 

Je  n'ai  pas  pris  Tehillaç  au  hasard,  je  l'ai  choisi  dans  une 
contrée  qui  a  eu  des  rapports  certains  avec  l'Anjou.  J'y  vois 
d'abord  le  prieuré  de  Moutonnac  (')i  fondation  pieuse  dépen- 
dante, dès  le  IXe  siècle,  de  l'abbaye  de  Saint-Aubin,  puis  un 
village  appelé  la  Ville  Aubin,  enfin  je  lis  dans  la  vie  de  saint 
Aubin,  écrite  au  XIIe  siècle,  qu'il  se  déroba  dans  un  monaslère 
du  nom  de  Tincilliacense  Ç>)  et  je  me  souviens  que  Guérande 


(')   Mullunnacus,  850.    (Diplôme,  arch.   de   Maine-et-Loire,    H.   170.)   Plus 
tard  le  prieuré  passa  je  ne  sais  comment  à  l'abbaye  de  Toussaint,  d'Angers. 
(-)  Mox  in   Tincilliacensi  monasterio  se  subdidil.  {Us  du  XII*  siècle,  i°  96, 

Bibl.  munieip.  d'Angers.) 


360 

a  érigé  une  basilique  à  ce  grand  saint  dont  elle  conservait 
(  es  reliques.  Voilà  bien  des  motifs  sérieux  pour  croire  que 
Fortunat  s'est  éloigné  de  l'Anjou  quand  il  est  allé  aux  fêtes  de 
Saint- Aubin. 

VI 

LES   CITERNES  ROMAINES   DE   BATZ. 

Il  existe  près  du  bourg  de  Bàtz,  adossées  à  une  éminence 
rocheuse,  de  laquelle  on  domine  les  marais,  trois  excavations 
qui  ressemblent  de  loin  à  des  grottes  faites  pour  abriter  les 
douaniers  ;  quand  on  s'approche,  on  remarque  bien  vile  que 
ce  sont  des  constructions  hémisphériques  allongées,  voûtées 
en  coupole,  dont  le  flanc  a  été  éventré  par  la  curiosité.  Quand 
elles  étaient  intactes,  elles  ressemblaient  à  ces  silos  arabes  qui 
servent  à  cacher  des  provisions. 

Dans  le  principe,  on  ne  pouvait  y  pénétrer  que  par  l'œil 
pratiqué  dans  la  voûte,  œil  évasé  en  entonnoir  large  d'un 
mètre  au  dehors  et  de  0m,88  en  dedans.  Ces  trois  récipients 
sont  accolés  les  uns  aux  autres  de  telle  façon  qu'ils  forment 
une  masse  compacte  et  représentent  en  plan  trois  cercles 
tangents,  un  en  arrière,  deux  en  avant.  Leur  contenance  est 
au  moins  de  G00  litres  chacun.  La  maçonnerie  est  faite  si 
habilement  que  la  brèche  ouverte  dans  le  flanc  n'a  pas  le 
moins  du  monde  ébranlé  l'ensemble,  les  pierres  sont  noyées 
dans  un  mortier  de  briques  pilées  pareil  au  ciment  romain,  et 
aussi  résistant.  Les  parois  sont  revêtues  d'un  enduit  lisse, 
très  net  ;  le  fond  est  dallé  de  grosses  pierres  plates  très  solide- 
ment ajustées  et  la  couronne  du  regard  est  maçonnée  au  moyen  de 
feuilles  d'ardoises  et  de  petites  briques  avec  une  telle  précision 
que   l'orifice  pouvait  se  boucher   hermétiquement  (').   On  ne 

(')  L'emploi  de  l'ardoise  est  très  ancien,  je  l'ai  constate  d'une  façon  certaine 
dans  des  édifices  de  l'époque  romaine  en  Bretagne. 

24 


370 

peut  pas  douter  qu'on  ait  eu  l'intention  d'en  faire  des  citernes. 
Au  niveau  du  carrelage,  on  aperçoit  un  premier  canal,  et  a 
0m,30  au-dessus,  une  autre  bouche  de  conduit  qui  servaient 
évidemment  à  l'écoulement  d'un  liquide. 

Jusqu'au  mois  de  juin  1890,  on  ne  connaissait,  pas  autre 
chose,  on  croyait  que  les  conduits  indiqués  faisaient  commu- 
niquer les  trois  récipients  et  on  n'allait  pas  chercher  plus  loin 
l'énigme  de  leur  construction.  Aussi,  quand  le  Congrès  breton 
réuni  au  Groisic  en  1887,  fit  l'excursion  du  bourg  de  Batz, 
les  visiteurs  se  contentèrent  de  regarder  et  restèrent  coi. 
Personne  n'osa  se  prononcer. 

J'ai  cru  que  dans  un  pays  aussi  fréquenté  par  les  étrangers, 
il  était  honteux  de  laisser  plus  longtemps  planer  le  mystère 
sur  des  monuments  qui  ont  certainement  un  caractère  de 
haute  antiquité.  Autorisé  et  encouragé  par  le  propriétaire, 
M.  de  Verncuil,  j'ai  tenté  une  fouille  du  côté  évenlré,  c'est-à- 
dire  au  Nord,  et  voici  ce  que  j'ai  mis  à  découvert. 

En  suivant  la  direction  des  canaux  qui  s'annoncent  intérieu- 
rement et  en  cherchant  leur  issue  à  l'extérieur,  j'ai  vu  que.  le 
liquide  se  déversait  au  moyen  de  trois  avant-becs  en  granité 
faisant  saillie  comme  les  gargouilles  de  nos  cathédrales.  Les 
trois  orifices  inférieurs  d'un  diamètre  assez  large  permettaient 
de  nettoyer  les  récipients  et  de  vider  la  vase  tandis  que  les 
trois  orifices  supérieurs  plus  étroits  distribuaient  modérément 
le  contenu  a  ceux  qui  se  présentaient.  Le  liquide  ne  pouvait  pas 
être  autre  chose  que  de  l'eau,  car  il  n'est  pas  vraisemblable  que 
le  vin  ait  jamais  été  assez  commun  à  Batz  pour  être  logé  dans 
des   citernes. 

Ceux  qui  venaient  puiser  devaient  passer  d'abord  par  une 
cour  que  j'ai  déblayée  et  qui  m'a  donné  des  débris  assez  récents, 
notamment  des  ardoises  de  toiture,  des  morceaux  de  meule 
de  moulin,  des  pierres  de  granit  mouluré,  des  fragments  de 
corniche  en  luffeau  et  de  crazanne.  Comme  elle  formait  cavité 


371 

elle  a  servi  de  dépôt  à  tous  les  décombres  des  alentours.  Cette 
cour  est  pavée  grossièrement  de  pierres  inégales  et  délimitée 
par  des  murs  sans  chaux  dont  les  matériaux  sont  assemblés 
avec  de  la  terre  («).  Pour  approcher  des  trois  fontaines,  il 
fallait  franchir  une  porte  avec  jambages  en  granit  et  entrer  dans 
une  sorte  de  réduit  où  la  base  des  citernes  présente  sur  deux 
côtés  des  parois  enduites  en  belle  chaux  lisse  qui  contrastent 
singulièrement  avec  la  maçonnerie  grossière  des  alentours. 
Le  fond  du  réduit  sous  les  becs  de  déversoir  est  sans  carrelage. 
En  cherchant  le  périmètre  complet  de  la  grande  cour  à  l'extré- 
mité Nord,  je  suis  tombé  sur  une  petite  cavité  creusée  dans 
le  roc ,  a  forme  ovale,  dont  les  contours  irréguliers  sont 
maçonnés  avec  de  la  chaux  et  des  pierres  (?). 

Il  est  clair  qu'il  y  a  là  un  assemblage  de  constructions  de 
différents  âges  où  chaque  partie  a  un  cachet  particulier,  une 
couleur  différente,  ce  qui  n'est  pas  surprenant.  L'éminence  de 
Trémondel,  voisine  du  bourg,  a  vu  passer  bien  des  générations 
qui,  toutes  ont  laissé  là  leur  empreinte,  c'est  l'un  des  beaux 
emplacements  du  pays.  On  sait  qu'il  était  occupé  dès  le  IXe 
siècle,  puisque  le  nom  de  Montret  figure  dans  les  chartes  à 
côté  de  celui  de  Batz  comme  son  complément  obligé  Baf 
Montret.  La  construction  primitive  fut  remplacée  par  un  logis 
qui  devait  occuper  les  pentes  du  mamelon  et  dont  les  matériaux 
ont  été  utilisés  de  diverses  manières.  Ils  ont  servi  en  dernier 
lieu  à  la  construction  d'un  moulin  et  d'un  logement  de  meunier, 
en  1619.  A  son  tour  le  moulin  a  disparu-,  son  cerne  n'est  plus 
guère  indiqué  que  par  un  relief  en  cercle  et  une  énorme  pierre 
taillée,  portant  la  trace  du  gond  de  la  porte.  G'est-là  ce  qui 
explique  la  quantité  innombrable  de  beaux  matériaux  qui  sont 


(*)  Elle  a  6  mètres  de  large  sur  14  mètres  de  longueur, 
(2)   Elle  a  l  niche  sur  0m,85. 


372 

accumulés   dans   les   clôtures  des   terrains  de    la   bulle  et  la 
variété  des  débris  exhumés  ('). 

La  seigneurie  de  Trémondet,  d'un  ressort  très  restreint,  avait 
sans  doute  son  manoir  et  son  siège  sur  l'emplacement  des 
citernes  au  Moyen-Age  (-).  Elle  s'est  fondue  ensuite  dans  le 
domaine  voisin,  le  jour  où  la  famille  de  Kerbouchard,  illustrée 
par  le  renom  de  l'amiral  de  Bretagne,  en  fit  l'acquisition  et 
s'établit  dans  le  pays  de  Batz.  Dans  leurs  déclarations  au 
Domaine,  les  propriétaires  s'intitulent  alternativement  seigneurs 
de  Kerbouchard  ou  de  Trémondet,  ce  qui  indique  bien  qu'il 
y  a  eu  fusion  et  consolidation.  Le  monument  qu'on  appelle  la 
fuie  de  Kerbouchard  n'est  pas  autre  chose  que  la  fuie  de 
Trémondet. 

S'ensuit-il  que  nous  soyions  sur  les  ruines  d'une  somptueuse 
demeure,  bâtie  avec  le  luxe  et  le  confort  déployés  par  les 
architectes  de  la  Renaissance  sur  les  bords  de  la  Loire  et 
ailleurs? 

Rien  n'est  plus  facile  que  de  se  représenter  exactement  ce 
qu'était  la  résidence  d'un  seigneur  féodal  au  bourg  de  Batz,  au 
temps  des  croisades. 

Ce  qu'où  a  construit  dans  les  temps  les  plus  prospères,  c'est- 
à-dire  au  XVe  siècle  et  plus  lard  peut  nous  servir  à  mesurer  ce 
qu'était  le  luxe  de  l'habitation  antérieurement.  Le  logis  des 
sires  de  Kerbouchard  est  encore  debout  ;  ses  dimensions  sont 
celles  de  la  plus  modeste  gentilhommière  qu'on  puisse  imaginer. 
Une  salle  basse,  une  chambre  haute,  quelques  dépendances 
autour  d'une  cour  et  un  puits,  des  fenêtres  minuscules,  un 
escalier  en  granit  droit  et  abrupt  satisfaisaient  leurs  exigences. 
Leurs  voisins,  les  seigneurs  de  Kerlan  et  de  Kerdréan  n'eu  deman- 


(»)  Avon  de  l(>'2'.),  Batz,  Sénech.  de  Guérandc  (Loire-Inférieure,  série B'.)i 

(-)  Il  y  avait  aussi  un  logis  de  Trémondet  à  Piriac.  Lequel  était  le  principal  ? 
Je  l'ignore. 


373 

datent  pas  davantage  ;  ils  vivaient  sans  ambition  du  produit  de 
leurs  salines  et  de  quelques  champs  de  blé,  des  pigeons  de  leur 
fuie  ou  du  poisson  de  la  côte  et  buvaient  l'eau  de  leur  puits  ou 
des  fontaines  publiques  qui  ça  et  là  demeurent  a  ciel  ouvert. 
Les  prieurs  de  Batz  qui  étaient  les  mieux  logés  et  les  mieux 
approvisionnés  avaient  aussi  leur  puits  ;  ils  n'ont  laissé  après 
eux  aucun  réservoir.  Il  est  d'usage  dans  le  pays  depuis  des 
siècles  de  puiser  l'eau  à  boire  dans  des  vases  à  large  panse  en 
terre  rouge,  d'une  contenance  de  12  à  15  litres  et  de  les 
remplir  seulement  au  fur  et  à  mesure  des  besoins  du  ménage. 

L'installation  des  citernes  de  Trémondet  annonce  un  raffine- 
ment de  mœurs  qui  est  absolument  en  dehors  des  habitudes 
simples  de  ce  pays  éloigné  jadis  de  tout  centre  civilisé.  On  a  vu 
que  leur  construction  était  faite  en  vue  de  remplacer  un  filtre, 
de  séparer  l'eau  claire  de  l'eau  trouble.  L'ouverture  supérieure 
est  assez  large  pour  qu'un  homme  puisse  y  entrer  et  les  nettoyer 
et  la  maçonnerie  est  assemblée  avec  un  ciment  d'une  finesse 
rare,  qu'on  n'est  pas  habitué  a  rencontrer  dans  les  édifices  de 
notre  pays,  et  d'une  adhérence  telle  qu'il  fait  corps  avec  le 
granité  contre  lequel  il  a  été  appliqué.  Les  briques  qui  orment 
la  couronne  de  l'orifice  sont  d'une  pâte  fine  qui  contraste  avec 
la  grossièreté  de  celles  qui  se  voient  dans  les  plus  vieilles  cons- 
tructions de  la  contrée.  Je  me  suis  procuré  des  briques  enlevées 
aux  maisons  les  plus  anciennes  ;  j'en  ai  pris  dans  les  cheminées 
de  revécue  de  Nantes,  qui  sont  du  XVe  siècle,  et  partout  je 
n'ai  rencontré  que  de  la  terre  cuite  imparfaitement,  mêlée  de 
gros  sable  non  broyé.  Tout  autres  sont  les  produits  de  la 
fabrication  antique.  J'ai  reconnu  dans  les  briques  de  nos 
citernes  de  Trémondet  la  trace  noire  qui  caractérise  celles  de 
nos  stations  romaines,  et  je  n'hésite  pas  a  les  regarder  comme 
l'œuvre  du  grand  peuple  qui  a  laissé  tant  de  traces  de  son 
passage  autour  du  Trait  du  Croisic. 

Les  Romains  attachaient    une    si    grande    importance   à   la 


374 

qualité  de  l'eau  qu'ils  entreprenaient  des  travaux  immenses  pour 
amener  certaines  sources  jusqu'à  leurs  villas.  Les  citernes  sont 
avec  les  ponts  les  monuments  qu'ils  se  sont  plu  a  répandre  dans 
tout  l'univers  (•).  Ils  ne  construisaient  jamais  une  seule  citerne, 
mais  deux  ou  trois.  Vitruvc  enseigne  qu'il  faut  les  agencer  de 
manière  qu'en  passant  de  l'une  à  l'autre,  l'eau  puisse  se.  clarifier. 
Pline  dit  aussi  qu'il  est  bon  d'en  construire  deux  afin  que  les 
immondices  s'arrêtent  dans  la  première,  et  que  l'eau  de  la 
seconde  soit  pure.  C'est  bien  l'application  du  même  principe 
qui  a  dirigé  l'exécution  des  citernes  de  Trémondet,  et  c'est  là 
un  des  principaux  motifs  qui  me  font  croire  à  leur  antiquité. 
Pourquoi  cette  attribution  serait-elle  invraisemblable  quand 
nous  avons  rencontré  les  ouvrages  des  Romains  à  Saille,  à 
Clis,  à  Guérande,  à  Escoublac  ? 

Cette  île  n'est  pas  un  pays  neuf,  elle  était  habitée  bien 
longtemps  avant  notre  ère  par  une  peuplade  celtique  qui  érigeait 
des  menhirs  et  qui  pratiquait  le  commerce  avec  les  contrées 
d'outre  Loire.  Je  montrerai  à  qui  voudra  une  monnaie  en 
electrum  marquée  au  type  piclon,  qui  fut  trouvée  pendant  mon 
dernier  séjour  à  Batz,  à  100  mètres  de  la  butte  de  Trémondet. 
Elle  est  antérieure  de  deux  siècles  à  Jésus-Christ.  Toutes  les 
générations  ont  passé  sur  nos  côtes  et  chacune  a  laissé  des 
traces  si  distinctes  de  son  séjour,  qu'il  n'est  pas  possible  de  les 
confondre.  11  y  a  dans  la  construction  des  citernes  une  supé- 
riorité de  main-d'œuvre  qu'on  chercherait  vainement  dans  les 
maçonneries  du  prieuré  de  N.-D.  du  Mûrier  ou  de  la  fuie  de 
Kerbouchard  et  qui  les  classe  hors  rang. 

J'ai  cité',  après  les  avoir  fouillées,  les  villas  de  Clis,  de  la 
Motte,  de  Kerfur,  du  Diolet,  de  Saille  ;  je  n'ai  pas  réussi 
cependant    à    convaincre    tous    mes    lecteurs    de   l'attraction 


(')  Daremberg  et  Suglio.  Dictionnaire  des  Antiquité),  grecques  el  romaines. 
Voir  le  mol  citerne. 


375 

qu'exerça  le  Trait  du  Croisic  sur  les  Anciens.  Mon  contradicteur 
n'est  pas  sensible  aux  impressions  que  font  sur  tout  observateur 
une  grande  accumulation  de  ruines  et  les  vestiges  exhumés  des 
industries  disparues.  On  a  beau  lui  montrer  une  contrée  couverte 
de  menhirs  et  de  dolmens,  les  bijoux  précieux  qui  remplissent 
les  vitrines  de  notre  musée,  les  armes  de  bronze  et  de  fer,  les 
monnaies  qui,  en  1816,  circulaient  encore  comme  à  l'époque 
des  Antonins,  et  un  réseau  de  voies  pavées  venant  converger 
sur  un  même  centre,  il  ferme  les  yeux  à  l'évidence  quand  il 
devrait  proclamer  avec  nous  que  pas  un  pays  n'est  plus  digne 
de  l'attention  des  archéologues. 

Chaque  génération  depuis  quinze  siècles  emporte  les  débris 
de  ceux  qui  ne  sont  plus,  renverse  les  édifices  pour  cultiver  le 
sol,  trace  des  sillons  sur  les  ateliers,  fond  les  métaux  et  les 
matières  précieuses,  et  cependant  nous  les  derniers  venus,  nous 
trouvons  encore  à  glaner!  Et  les  sceptiques  voudraient  que  nous 
leur  montrions  des  constructions  romaines  à  chaque  pas  !  Cette 
exigence  paraîtra  bien  injuste  envers  nous  qui  avons  poussé, 
aussi  loin  que  possible,  l'enquête  à  faire  à  travers  cet  immense 
territoire. 


\ 

COMPTE    RENDU 

DES 

TRAVAUX  DE  LA  SECTION  DE  MÉDECINE 

PENDANT    L'ANNÉE   1890 
Par  M.  le  Dr  POLO,  secrétaire. 


Messieurs, 

Le  13  décembre  1889,  le  Bureau  de  la  Section  a  été  ainsi 
constitué  : 

MM.  Al ti mont Président. 

Ollive Vice-président. 

Polo Secrétaire. 

Pérochaud Secrétaire  adjoint. 

Le  S  janvier  de  l'année  courante ,  la  Seciion  devait 
installer  le  nouveau  Bureau.  Mais  [tour  la  première  fois 
depuis  hi  guerre  la  séance  ne  fut  pas  ouverte.  L'influenza 
sévissait  dans  notre  ville  et  les  médecins  étaient  à  leur  poste 
près  des  malades  ou  frappés  eux-mêmes  par  l'épidémie. 
Si  celle-ci  nous  a  forcé  de  chômer  une  fois,  elle  nous  a  fait 
bien  travailler  aussi.  Nous  avons  beaucoup  parlé  d'elle  à  nos 
séances. 

MM.  les  D™  Barthélémy,  Hervouel  et  Mahot  furent  désignés 
pour  réunir   les  documents   d'un   rapport   sur  la   marche 


377 

locale  de  l'influenza.  M.  Hervouet  fut  chargé  de  la  rédaction 
de  ce  rapport.  Dans  son  travail,  notre  confrère  étudie  le  début 
de  la  marche,  les  symptômes  de  l'épidémie.  Le  caractère  do- 
minant observé  chez  les  malades  a  été  l'abattement.  L'influenza 
est  contagieuse.  Les  victimes  ont  été  nombreuses ,  mais, 
heureusement,  si  tous  étaient  frappés,  ils  ne  mouraient  pas 
tous.  A  Nantes,  en  effet,  la  mortalité  a  été  relativement 
minime.  Les  complications  se  sont  manifestées  surtout  à  la 
peau,  aux  yeux  et  aux  oreilles.  A  ce  sujet  MM.  les  Drs 
Dianoux,  ïeillais  et  Polo  ont  fourni  à  M.  le  Rapporteur  des 
documents  concernant  chacun  la  partie  dont  ils  s'occu- 
pent. La  discussion  sur  l'influenza  a  rempli  plus  d'une  séance. 
M.  le  Président  et  M.  le  Dr  Ecoty,  médecin  au  65e  de  ligne, 
ont  rapporté  des  cas  intéressants  observés  par  eux  pendant 
l'épidémie. 

M.  le  Dr  Ollive  nous  a  lu  un  rapport  médico-légal  au 
sujet  d'une  accusation  d'attentat  à  la  pudeur  sur  un  enfant. 
L'accusation  était  portée  par  l'enfant  lui-même.  L'expertise 
démontra  la  fausseté  de  cette  déclaration  et  fit  rendre  la 
liberté  à  l'accusé. 

M.  le  Dr  Barthélémy  a  rendu  compte  des  maladies  conta- 
gieuses qu'il  a  eu  à  traiter  aux  pavillons  d'isolements  pendant 
le  premier  semestre  de  l'année  1890  :  diphtérie,  rougeole, 
coqueluche,  érysipèle.  Trois  cas  de  variole  furent  observés 
provenant  d'un  même  foyer  de  la  ville.  M.  Barthélémy  fit 
immédiatement  vacciner  tous  les  habitants  de  la  maison 
contaminée.  Les  chambres  des  malades  furent  soigneusement 
désinfectées  au  soufre  et  leurs  effets  passés  à  l'étuve.  Aucun 
autre  cas  ne  se  produisit  dans  le  quartier.  Une  épidémie  qui 
aurait  pu  être  terrible  fut  ainsi  arrêtée  dès  le  début,  par 
la  vaccination  et  la  désinfection.  Voilà,  il  me  semble,  une 
conséquence  indubitable  des  derniers  progrès  de.  la  médecine. 
Ce    fait    nous    indique  aussi    la    place    que    doit    occuper 


378 

l'hygiène  dans  la  pratique  courante  de  l'art  ou  plutôt  de  la 
science  médicale.  Oui,  la  médecine  est  bien  une  science.  Si, 
en  effet,  le.  praticien,  au  milieu  des  obscurités  existant  encore 
pour  lui,  doit  avoir  le  coup-d'œil  par  lequel  il  devine  plutôt 
qu'il  ne  voit  ;  s'il  doit,  dans  certains  cas,  sentir  comme  l'artiste 
plutôt  que  raisonner  comme  le  savant,  cela  devient  de  plus  en 
plus  rare.  Pour  lui,  rien  ne  peut  remplacer  la  connaissance  des 
découvertes  chaque  jour  plus  nombreuses  d'où  se  déduisent 
contre  la  maladie  tant  d'applications  vraiment, scientifiques. 

M.  le  Dr  Bonamy,  revenant  sur  un  sujet  qui  lui  est  cher, 
nous  a  lu  un  travail  très  complet  sur  le  traitement  de  la 
diphtérie  par  les  vapeurs  d'eucalyptus.  Pendant  le  quatrième 
semestre  de  l'année  dernière,  M.  Bonamy  a  eu  a  soigner 
à  l'hospice  Saint-Jacques  un  assez  grand  nombre  d'enfants 
atteints  de  la  diphtérie.  Les  malades,  opérés  ou  non,  ont  été 
tous  soumis  aux  pulvérisations  d'eucalyptus  conjointement 
avec  un  traitement  tonique.  Le  résultat  a  été  excellent. 

M.  le  Dr   Pérochaud  a  rapporté   un   cas   intéressant  de  ' 
tétanos  infantile,  un  autre  de  myélite  antérieure   aiguë  chez 
un  enfant  de  six  ans. 

M.  Fleury  a  communiqué  à  la  Section  une  note  sur  une 
nouvelle  formule  d'injection  hypodermique  de  chlorydrale 
basique  de  quinine. 

M.  le  Dr  Boiflin  a  rendu  compte  de  trois  opérations  de 
laparotomie,  la  première,  pour  un  rétrécissement  dn  colon 
ascendant,  les  deux  autres  pour  des  salpingites  suppurées 
doubles.  Ces  opérations,  il  n'y  a  pas  bien  longtemps,  auraient 
été  traitées  de  téméraires,  elles  sont  aujourd'hui  devenues 
possibles  et  même  indiquées  au  chirurgien,  grâce  à  une 
antisepsie  et  surtout  à  une  asepsie  rigoureuses.  Les  trois 
cas  rapportés  par  M.  Boiffin  ont  été  suivis  de  guérison. 

M.  le  Dr  de  Larabrie  nous  a  lait  une  communication  sur 
le  traitement    des   fibromes   utérins   par  l'électrolyse.    11   a 


379 

rapporté  les  excellents  résultats  obtenus  par  lui  et  a  donné 
les  indications  et  les  contre  indications  du  traitement. 

Enfin,  M.  le  Dr  Polo  a  lu  l'observation  d'un  malade  atteint 
d'une  gourme  syphilitique  du  larynx,  produisant  l'asphyxie. 
Le  traitement  classique  s'élant  montré  insuffisant,  la  guérison 
complète  a  été  obtenue  par  des  injections  de  peptonate  de 
mercure. 

Vous  le  voyez,  Messieurs,  nos  séances  ont  été  assez  bien 
remplies,  nous  sommés  heureux  de  constater  sous  ce  rapport 
un  réel  progrès  sur  l'année  dernière.  Quelques  modifications 
ont  été  apportées  dans  le  fonctionnement  de  la  Section. 
L'heure  de  la  séance  a  été  avancée,  cinq  heures  au  lieu 
de  huit.  Chose  plus  importante  et  dont  nous  devons  nous 
féliciter,  notre  Journal  de  Médecine  de  l'Ouest  a  fusionné 
avec  la  Gazette  Médicale  de  Nantes,  qui  est  devenue  notre 
organe  officiel.  Les  jetons  de  présence  ont  été  supprimés, 
mais  celte  mesure  n'a  point  empêché  nos  confrères  d'assister 
en  aussi  grand  nombre  aux  séances,  guidés  exclusivement 
par  l'intérêt  de  la  science. 

Dieu  merci,  nous  n'avons  eu  cette  année  à  déplorer  ni 
mort  ni  démission.  Au  contraire  ,  plusieurs  jeunes  confrères 
sont  venus  donner  du  sang  nouveau  à  notre  Société  médicale. 
MM.  les  Drs  Ecot,  Landois,  Valenlin,  de  Larabrie,  se  sont 
fait  admettre  dans  nos  rangs.  Nous  pouvons  donc  dire  que, 
nous  du  moins,  ne  sommes  point  menacés  par  la  dépopula- 
tion. 


COMPTE  RENDU 

DES 

TRAVAUX    DE    LA    SECTION    DES    LETTRES 

PENDANT    L'ANNÉE     1889-1890 
Par  M.  Francis  MI3RLANT. 


Messieurs, 

Le  Bureau  de  la  Section  des  Lettres,  pour  l'année  1889- 
1890,  a  été  constitué  ainsi  qu'il  suit: 

Président MM.  de  Chastellux. 

Vice-Président Le  Beau. 

Secrétaire Francis  Merlant. 

Secrétaire  adjoint .  Emile  Oger. 

Nous  avons  eu  la  douleur  de  perdre  un  de  nos  plus  vieux 
collègues,  M.  Manchon,  décédé  à  Nantes  le  °25  décembre  1889. 

Membre  de  la  Société  Académique  depuis  le  1er  avril  1859, 
M.  Manchon  était  un  des  plus  assidus  à  toutes  nos  séances 
et,  en  particulier,  aux  séances  de  la  Section  des  Lettres. 

Aimable  et  bienveillant,  il  laisse  parmi  nous  le  souvenir 
d'un  excellent  confrère  et  d'un  littérateur  distingué. 

Quelques  jours  après,  ce.  deuil  était  suivi  d'un  autre  non 
moins  cruel  pour  nous..  Nous  perdions,  le  7  janvier, 
M.  Ivouxel,  ancien  commissaire  de  la  marine. 


381 

M.  le  Président  a  consacré  à  nos  deux  collègues  des 
notices  nécrologiques  qui  ne  sont  que  l'expression  de  nos 
bien  sincères  regrets. 

Notre  Section  a  continué  cette  année  le  cours  de  ses 
travaux,  mais  faut-il  l'attribuer  a  cette  fatale  influenza  ?  elle 
a  été  moins  laborieuse  que  l'année  précédente. 

M.  Orieux  a  poursuivi  ses  études  sur  la  Contrée  guéran- 
daise  commencées  l'an  dernier. 

Il  a  quitté  Grannona  et  Gorbilon  pour  s'occuper  de  Portus- 
Brivates,  de  Vénéda  et  de  la  Grande-Brière. 

Il  nous  montre  avec  une  incontestable  autorité  comment 
s'est  déterminée  dans  cette  contrée  la  formation  de  la  lourbe. 

Est-ce  l'effet  des  marées  qui,  jadis,  se  sont  retirées  des 
espaces  qu'elles  couvrent  aujourd'hui? 

L'auteur  ne  le  pense  pas.  Il  croit  plutôt  a  un  affaissement 
du  sol  de  3  ou  4  mètres  au-dessous  du  niveau  des  marées. 
A  la  suite  de  cet  affaissement,  l'œuvre  simultanée  du  flot, 
du  temps  et  de  l'argile  a  forme  la  couche  terrestre. 

Plusieurs  brochures  ont  été  envoyées  a  la  Société 
Académique. 

C'est  d'abord  Notre-Dame  de  la  Blanche,  très  intéres- 
sante étude  de  M.  le  Dr  Viaud-Grand-Marais,  l'historiographe 
de  Noirmoulier. 

Le  monastère  de  Notre-Dame  de  la  Blanche  fut  fondé  au 
XIIe  siècle  par  les  Terriens  au  Pilier,  puis  transféré  à  Noir- 
moulier et  mis  au  séquestre  par  la  Constituante.  Vendu 
plus  tard  à  un  fabricant  de  produits  chimiques,  il  devint 
enfin  une  importante  exploitation  agricole. 

M.   Emile  Oger,  chargé  par  la  Section  des  Lettres  de  lui 

remettre  une  note   sur  la    «  Houri,  »  charmant  roman  de 

Mrae  Riom,  nous  a  donné  un  compte   rendu  du  plus  haut 

intérêt. 

Un  de  nos  nouveaux  confrères,  M.  Loiseau,  nous  a  fourni 


382 

une  remarquable  élude  philosophique  sur  la  douleur.  L'auteur 
prend  la  douleur  sons  ses  différents  aspects,  au  point  de 
vue  moral  et.au  point  de  vue  physique.  Il  étudie  ses  ravages 
et  aussi  les  différents  remèdes  que  la  science  économique  a 
essayé  d'y  apporter  pour  en  tirer  des  conclusions  de  la  plus 
haute  moralité. 

Avant  de  passer  à  la  poésie,  je  rappellerai  Erdra  ou  la 
Légende  de  l'Erdre  que  j'ai  eu  l'honneur  de  lire  à  l'une  de 
nos  séances 

i 

Enfin,  M.  Dominique  Caillé  et  M.  Emile  Oger  nous  ont 
charmés  a  différentes  reprises  par  la  lecture  de  leurs  beaux 
vers. 

Je  ne  citerai  pas,  Messieurs,  les  titres  de  ces  pièces  dont, 
j'en  suis  sûr,  vous  n'avez  oublié  ni  la  grâce  ni  l'agrément. 

Espérons,  ce  sera  ma  conclusion,  que  l'an  prochain  votre 
Section,  plus  laborieuse,  nous  permettra  d'applaudir  à  des 
travaux  plus  nombreux  que  cette  année. 


COMPTE    RENDU 

DES 

TRAVAUX  DE  LA. SECTION  D'HISTOIRE  NATURELLE 

POUR  L'ANNÉE  1889-1890 

Par  M.   Th.  VIAUD.    secrétaire. 


Messieurs, 

Le  Rureau  de  la  Section  des  Sciences  naturelles  a  été 
constitué,  pour  1889-1890,  de  la  façon  suivante  : 

MM.  Ménier,    président. 

Le  Beau,  vice-président. 
Gadeceau,  trésorier. 
Bureau,  bibliothécaire. 
Viaud,  secrétaire. 

La  composition  de  la  Section  est  restée  la  même  et, 
comme  Tannée  précédente,  les  communications  se  rapportent 
à  la  botanique  et  à  la  zoologie. 

Botanique. 

M.  Ménier  continue  ses  recherches  mycologiques  cou- 
ronnées d'ailleurs  d'heureux  résultats.  En  décembre,  il  fait 


384 

passer  sous  les  yeux  des  membres  présents  un  grand  nombre 
de  photographies  de  champignons,  entre  autres  :  Lepiota 
excoriata,  Lepiota  procera,  Lepiota  clypeolaria,  Boletus 
variegatus,  Boletus  fiai  us,  Boletus  luteus,  Ciitocybe 
inversa,  Tricholoma  saponaccum,  Entoloma  limdum, 
Russula  nigricans,  Russula  adusla,  Scleroderma  corium, 
etc.  En  janvier,  il  signale  deux  nouvelles  espèces  de  Lépiotes, 
qu'il  figure  et  décrit  ainsi  dans  le  tome  V  du  Bulletin  de 
la    Société   mycologique  de  France: 

«  Lepiota  littoralis.  Cli.  Mén.  Saint-Brevin,  Bourgneuf- 
»  en-Retz,  sables  du  Collet. 

»  Celle  remarquable  espèce,  que  j'ai  trouvée  pour  la 
»  première  fois  à  l'automne  de  1888,  est  assez  abondamment 
»  répandue  dans  les  sables  du  littoral,  depuis  Mindin  jusqu'à 
»  Saint-Brevin  et  au  delà  dans  la  baie  de  Saint-Michel.  Elle 
»  croit  solitaire  ou  par  groupes  sur  les  talus  destinés  à 
»  protéger  les  vignes  contre  l'action  du  vent  de  la  mer. 
»  Elle  se  développe  en  grande  partie  dans  le  sable  et  ne 
»  montre  ordinairement  à  la  surface  que-  son  chapeau  déjà 
»  étalé.  C'est  seulement  sur  quelques  individus  jeunes  et  le 
»  plus  souvent  totalement  enfouis  qu'on  peut  rencontrer  des 
»  débris  aranéeux  blancs,  d'un  voile  bien  distinct  de  la 
»  cuticule  du  chapeau.  On  peut  en  retrouver  aussi  des  traces 
»  sur  le  bulbe  du  pied.  Le  caractère,  tiré  de  la  présence 
»  d'un  voile  général  très  fugace  dans  ce  champignon,  m'a 
»  paru  insuffisant  à  lui  seul  pour  en  faire  une  amanite, 
»  alors  que  par  tous  les  autres  caractères,  l'aspect,  la  surface 
»  du  chapeau,  l'anneau,  la  texture  même,  il  rappelle  les 
»  lépiotes,  parmi  lesquelles  je  n'hésite  pas  à  le  ranger.  La 
»  conservation  du  voile  est  d'ailleurs  exceptionnelle  et  me 
»  semble  due  à  la  nature  spéciale  du  sol,  qui  esl  ici  un  sable 
»  lin.  Celte  lépiote  appartient  an  groupe  Procerœ.  La  taille 
»  est    variable:    diamètre    du    chapeau,    0m,07   à   0^12; 


385 

»  hauteur  du  pied,   0m,08  à  Ora,10  sur  1™,00  à  lm,05  de 

•>  largeur.  Par  sa  marge  excoriée,  elle  se    rapproche   de 

»  Lepiola    excoriata ,    dont    elle  diffère    beaucoup    par 

»  ailleurs. 

»  M.  Lajunchèrc  m'a  dit  récemment  l'avoir  rencontrée 
»  dans  les  sables  du  Collet.  Je  ne  l'ai  pas  vue  au  nord  de  la 
»  Loire  dans  les  dunes  de  Portnichet  et  de  la  Baule  que  j'ai 
»  parcourues  il  la  même  époque;  elle  est  plutôt  à  rechercher 
»  dans  le  sud-ouest  et  le  midi  de  la  France. 

»  Lepiota  arenicola.  Ch.  Mén.  Mindin,  près  Saint- 
»  Brevin,  le  Collet,  près  Bourgneuf-en-Relz. 

»  Cette  espèce  pourrait  être  prise,  à  première  vue,  pour 

»  une  forme   plus   petite  et  blanche  de  la  précédente,  dont 

»  elle  possède  le  pied  bulbeux  et  l'anneau.  Elle  s'en  dislingue 

»  facilement  par  son  chapeau  blanc,  satiné,  brillant,  et  les 

»  spores  en  général  ellipsoïdes.  Elle  habite  les  parties  déjà 

»  fixées  et  un  peu  herbeuses  des  premières  dunes,  parmi  les 

»  mousses,  les   lichens,    les    graminées    et   autres  plantes 

»  formant  la  première  végétation  littorale.  Elle  s'écarte  peu 

»  de  cette  zone;  on  la  trouve  encore  à  l'entrée  des  premiers 

>.  semis  de  pins  maritimes,  mais  elle  manque  complètement 

»  sous  le  couvert  des  anciennes  plantations.  Elle  est  beau- 

»  coup  plus  commune  que  le  Liepota  clypeolaria,  var.  alba 

»  Bres.  au   milieu  de  laquelle  elle  vit.  C'est  un  champignon 

»  très  délicat,  que  j'ai  mangé  plusieurs  fois  seul  ou  mêlé  à 

»  Lepiota   clypeolaria  et  à  Lepiota  illinita.  Malheureuse- 

»  ment,  il  retient  toujours  une  petite  quantité  de  sable,  dont 

«  il  est  diflicile  de  le  débarrasser. 

»  M.  Lajunchère  me  l'a  envoyé  des  sables  du  Collet  et 
»  m'a  dit  avoir  bien  observé  des  débris  de  volve  à  la 
»  base.  C'est,  comme  la  précédente,  une  lépiote  amma- 
»  niloïde.  » 

25 


38G 

En  février,   M.  Ménier  rend  compte  d'une  excursion  fuite 
par  lui   la   veille,  2  février,  entre  Saint-Nazaire  et  Saint- 
Marc   La   douceur    de,    la    température   lui   a   permis    de 
récolter  le   clalhre  cancellé  et   Clavaria  crislata,  sur  une 
souche  de  bois,  il  put  recueillir  trois  espèces  assez  rares  : 
Auricularia    mesenterica ,     Schizophyllum    commune , 
Hirneola   Auricula  Judœ,   les   deux  dernières,    nouvelles 
pour  le  département.   En  mai,   il  présente  un  polypore  du 
bouleau  offrant  une  particularité  curieuse  :  l'hymenium  s'est 
produit  sur  les  deux   faces  supérieure   et   inférieure  de  ce 
champignon,  par  suite  d'une  chute  de  l'arbre  et  du  renver- 
sement consécutif  du  champignon.    11   présente   en  même 
temps  des  rameaux  de  Sabine  sur  lesquels  se  sont  développés  : 
Pythia  cupressi  et   Gynosporangium  sabinm.   Ce  dernier 
champignon  est  une  Urédinée  dioïqùe  vivant  alternativement 
sur  la  sabine  et  le  poirier,  dont  il  attaque  les  feuilles  et  les 
jeunes    rameaux    pouvant    causer   ainsi    un    dépérissement 
fâcheux  et  même  la  mort  de  l'arbre.    En   juillet,  en  même 
temps  qu'il  présente  un  lichen  nouveau  pour  le  déparlement, 
Ricasolia  herbacea   ou  lœlhevireus,  récollé  le  3  juillet  sur 
un  hêtre  dans  la  forêl  du  Gàvre,  et  un  champignon  :  Mela- 
nogasler  ambiguus,  que  lui  avait  transmis  M.  Saint-Gai, 
professeur  à  l'Ecole  d'agriculture  de  Grand-Jouan,  il  donne  la 
liste   suivante   des   champignons   rares   ou   nouveaux  de   la 
Loire-Inférieure  communiqués  par  le  Dr  Quélet  à  l'Association 
française  pour  l'avancement  des  sciences  et  insérés  dans  son 
Imllclin  de  1889. 

Dictyolus  Cyphellocfurmis  (Pleurotus)  Berk.  Sur  liges 
sèches  de  pomme  de  terre,  allée  de  la  Branclioire,  entre  la 
Contric  et  Sainl-Ilcrblain,  4  juillet  1888.  Nouveau  pour  la 
flore  mycologique  de  France. 

Gyroporus  scaber,   var.  flqvescens.  Maubreuil,   1888,  cl 


387 

forêt  du  Gâvre,  3  juillet  1889.  Variété  nouvelle  pour  la  région 
déjà  signalée  dans  les  Vosges  et  la  Nièvre. 

Leucoporus  brumalis,  var.  fuligineus.  Quel.  La  Maillar- 
dière ,  sur  racine  de  charme  au  ras  du  sol.  Variété 
nouvelle  pour  la  région  ,  déjà  signalée  dans  le  Jura  et  la 
Provence. 

Phellinus versatilis, conchatus.  Quel.  pèclinatus,Fr.  var. 
Merïierii.  Conchoïde,  tomenteux,  soyeux,  jaune  souci,  sulfurin 
sur  les  bords,  chair  mince,  très  coriace,  jaune  fauve;  tubes 
fins  et  courts,  pores  punctiformes,  jaune  fauve  à  reflet 
argenté;  spores  ovoïdes  (3  à  4  ja)  hyaline,  puis  jonquille. 
A  rautomne,  sur  l'ajonc,  coteaux  maritimes  de  la  Kerncrie, 
à  la  pointe  Saint-Gildas. 

Slereum   insi<jnitum.   Quel,  espèce  nouvelle.  Maubreuil, 

1888. 

Peziza  biocarpa.  Cuit.  ;  parc  de  Saint-Brevin.  Nouveau 
pour  la  flore  mycologique  de  France.' 

A  la  même  séance,  il  présente  un  fruit  de  Mandragore, 
envoi  de  M.  le  Dr  Milry,  médecin  dans  un  régiment  d'artillerie 
à  Nîmes. 

Gomme  vous  le  voyez,  Messieurs,  l'activité  de  M.  Ménier 
est  infatigable  ;  il  ne  ménage  ni  son  temps,  ni  ses  peines  à 
la  tâche  qu'il  a  entreprise,  mais  aussi  ses  efforts  sont  cou- 
ronnés de  bien  beaux  succès. 

M.  Gadeceau  récolte,  le  1er  juin,  dans  une  excursion  à 
Campbon,  Euphorbia  palustris  et  Cirsium  eriophorum, 
plantes  signalées,  il  y  a  deux  ans  seulement,  dans  la  Loire- 
Inféricurc  par  M.  Guiho.  Il  présente  à  la  Section,  dans  la 
même  séance,  une  petite  composée,  Myriogene  minuta, 
récoltée  par  lui  dans  une  caisse  de  Cycadées  venue  du  Japon 
à  l'exposition  de  1889. 


388 
Zoologie. 

M.  Le  Beau  continue  ses  communications  sur  le  saumon, 

les  civclles  et  les  huîtres. 

L'année  dernière,  notre  honorable  confrère  vous  avait 
communiqué  les  résultats  de  son  enquête  sur  la  reproduction 
du  saumon.  Il  avait  fait  pêcber  des  saumoneaux  dans  la 
basse  Loire,  comme  on  en  trouve  également  dans  la  haute 
Loire,  au  Puy,  et  dans  la  Vienne;  la  preuve  se  trouvait  faite 
que  le  saumon,  contrairement  aux  assertions  des  pécheurs, 
fraie  bien  en  Loire.  Il  avait  également  constaté  l'existence  et 
l'état  des  grappes  d'œul's  sur  deux  femelles  prises  en  février 
1888.  Cette  année,  M.  Le  Beau  a  pu  continuer  ses  observa- 
tions. Une  soixantaine  de  saumons,  pris  dans  les  derniers 
jours  de  décembre  1889,  ayant  été  saisis  au  moment  de  leur 
expédition,  tant  de  Nantes  que  de  Cordemais,  furent  examinés. 
Ils  ne  présentaient  aucune  différence  d'aspect  extérieur  entre 
les  mâles  et  les  femelles.  Point  de  beccards.  Ces  poissons, 
dont  la  taille  moyenne  était  de  0m,75  à  ()n\80  et  le  poids 
moyen  de  lOkil.,  étaient  magnifiques  et  pleins  de  santé  ;  ils 
furent  tous  ouverts.  Parmi  eux  se  trouvaient  cinq  mules. 
Leurs  laitances  étaient  très  maigres.  Quant  aux  femelles, 
elles  donnèrent  27  grappes  d'œufs.  Comme  dans  les  poissons 
examinés  en  février,  l'année  précédente,  ces  grappes  étaient 
formées  d'œufs  fortement  agglutinés,  de  couleur  rosée, 
ayant  an  plus  la  grosseur  d'une  forte  tête  d'épingle;  toute- 
fois, quelques  grappes  se  trouvaient  plus  développées.  Ces 
œufs  paraissaient  dans  le  même  état,  à  un  examen  extérieur, 
que  ceux  d'un  saumon  pris,  le  1S  novembre  1888,  à  Hoche- 
Maurice,  et  d'autres  saunions  pris,  le  6  janvier,  à  Roche- 
Maurice  et  à  Tile  Pivin.  Œufs  et  laitances  provenant  de  ces 
divers  saunions  furent  envoyés  à  Paris. 

M.   Le  Beau  se  demande  quelle  conclusion  tirer  de  l'étal 


380 

l'udimen taire  de  ces  grappes  d'œufs.  Dans  l'état  de  nos 
connaissances,  on  pont  admettre  qu'un  certain  nombre  de 
ces  poissons  ne  devaient  pas  frayer  l'année  où  ils  ont  été 
pochés,  et  que,  pour  les  autres,  d'après  l'opinion  de  M.  le 
l)r  Vaillant,  le  développement  des  œufs  se  fait  en  quelques 
jours,  quelques  semaines  tout  au  plus,  assez  rapidement 
pour  que  les  saumons  les  plus  avancés  parmi  ceux  pris  à 
hauteur  de  Nantes  soient  en  état  de  frayer  aux  environs 
d'Issoire,  par  exemple. 

Les  recherches  concernant  la  reproduction  du  saumon  se 
trouvent  donc  ainsi  circonscrites,  et  on  peut  espérer,  par  un 
ensemble  non  discontinu  d'observations  sur  tout  le  parcours 
du  fleuve,  voir  se  dégager  les  lois  de  celle  reproduction. 

Cette  étude  présente  pour  nous  le  plus  grand  intérêt  ;  c'est 
elle  seule  qui  pourra  nous  amener  à  une  réglementation 
rationnelle  de  la  période  d'interdiction  de  cette  pêche,  qui 
fournit  une  partie  importante  de  leurs  moyens  d'existence  à 
un  grand  nombre  d'habitants  de  notre  département. 

Les  civelles  disparaissent,  d'après  l'opinion  générale,  dès 
le  mois  d'avril,  A  partir  de  ce  moment,  les  civelles  ont  perdu 
leur  couleur  blanche,  elles  ont  noirci,  leur  colonne  vertébrale 
s'est  développée,  elles  sont  passées  à  l'état  de  petites  anguilles, 
qui  se  sont  dispersées  en  remontant  les  cours  d'eau. 

M.  Le  Beau  a  constaté  en  août  la  présence  de  civelles 
n'excédant  pas  la  longueur  du  doigt,  dans  un  réservoir 
alimenté  par  les  eaux  de  la  Loire. 

M.  Le  Beau  a  terminé  ses  fort  intéressantes  communica- 
tions en  nous  décrivant  les  appareils  de  M.  Bouchon-Brandely 
pour  la  culture  de  l'huître  en  eau  profonde  et  en  nous  faisant 
connaître  les  résultats  obtenus  avec  ces  appareils  au  Croisic 
et  dans  la  baie  du  Bile. 

«  Le  principe,  dit  M.  Le  Beau,    sur   lequel   repose   cetle 


890 

»  nouvelle  culture  des  huîtres  esl  que  ces  mollusques 
»  trouvent  dans  les  eaux  courantes  tout  ce  qui  leur  est 
»  nécessaire  pour  leur  nourriture,  de  sorte  que  plus  le  cou- 
»  rant  est  fort,  plus  la  nourriture  est  abondante.  Un  des 
»  avantages  les  plus  essentiels  du  procédé  de  M.  Bouchon- 
»  Brandely  est  que  l'huître  se  trouve  du  même  coup 
»  soustraite  à  l'action  de  tous  ses  ennemis  naturels  qui  lui 
»>  font  une  guerre  acharnée  sur  le  sol  de  la  mer,  plus  d'eu- 
»  vahissement  par  les  moules,  plus  d'asphyxie  par  les  vases, 
»  plus  de  carnages  par  les  astéries  et  les  bigorneaux  perceurs, 
»  plus  de  gelées  par  les  grands  froids.  L'huître  se  balance 
»  tranquillement  dans  son  hamac  de  fil  de  fer,  et  peut 
»  même,  s'il  lui  prend  fantaisie  de  se  retourner,  ce  qui  ne 
»  nuira  en  rien  à  son  développement,  regarder  d'un  air 
»  gouailleur  ceux  qui  restent  a  l'attendre  sur  le  sol,  mais  ne 
»  voient  plus  rien  venir.  »> 

Ces  appareils  sont  constitués  par  de  grands  plateaux 
circulaires  en  fil  de  fer  galvanisé,  avec  un  écarlement  de 
mailles  calculé  suivant  la  dimension  des  huîtres  qui  devien- 
dront, au  nombre  de  cent  environ,  les  pensionnaires  de 
chaque  plateau.  Ces  plateaux  s'emboîtent  les  uns  au  dessus 
des  autres  et  sont  reliés  entre  eux  par  une  tige  centrale,  un 
couvercle  mobile  ferme  l'appareil  en  dessus.  Cet  appareil 
peut  être  fixe  ou  mobile  :  dans  le  premier  cas  il  est  fixé  au 
sol  par  un  bâtis,  dans  le  second  il  est  muni  d'un  grappin  et 
d'une  bouée. 

Des  huîtres,  des  moules,  des  maires  et  des  palourdes  furent 
placées  dans  ces  appareils  tant  au  Croisic  que  dans  la  baie 
du  Bile  au  mois  d'août,  tardivement  par  conséquent,  et 
examinées  en  novembre.  A  peine  ces  mollusques  ont-ils  pu 
profiter  de  la  pousse  d'automne  qui,  d'ailleurs,  fut  mauvaise 
partout.  La  mortalité  était  à  peu  près  nulle.  Les  maires  el 
les   palourdes,    dont  l'habitat  ordinaire  est  le  sable,  étaient 


391 

restées  absolument  stationnants.  Quant  aux  moules,  leur 
pousse  avait  été  de  près  de  3  centimètres  et  celle  des 
huîtres  de  10  à  15  millimètres. 

Les  appareils  ont  été  remis  en  place  pour  la  campagne 
prochaine  et  nous  espérons  que  M.  Le  Beau  voudra  bien  nous 
communiquer  les  résultats  obtenus. 

Quant  à  ceux  constatés,  ils  sont  magnifiques  et  permettent 
d'espérer  la  multiplication  à  l'infini  des  surfaces  d'élevage 
sans  rien  enlever  de  leurs  avantages  aux  parcs  actuels  pour 
la  production  du  naissain  et  l'engraissement. 

M.  Le  Beau  nous  fait  également  remarquer  la  rapidité  de 
la  croissance  de  l'huître  dans  la  baie  du  Bile  dans  les  con- 
ditions ordinaires  d'élevage. 

M.  le  Dr  Bureau  signale  à  la  Section,  dans  la  séance  de 
janvier,  la  capture  de  deux  oiseaux  déposés  actuellement  au 
Muséum  de  Nantes  :  un  Ibis  falcinelle  jeune,  Ibis  falcinellus, 
tué  dans  les  marais  de  Vouillé,  près  Luçon,  le  30  octobre 
1889,  et  une  Foulque  macroule,  Fulica  air  a,  entièrement 
blanche,  tuée  sur  le  lac  de  Grand-Lieu  le  20  octobre  1889. 

M.  le  Dr  Viaud-Graisd-Marais  fait,  à  la  même  séance  de 
juillet,  une  communication  au  nom  de  M.  le  Dr  Llénas, 
membre  correspondant  de  la  Société,  résidant  a  Portoplata, 
dans  l'île  de  Saint-Domingue.  Des  terrassements  faits  entre 
Portoplata  et  Saint-Domingue  pour  l'établissement  d'une 
voie  ferrée  ont  mis  au  jour  des  sépultures  d'Indiens  Ciguayos. 
Ces  Indiens  vivaient  à  Saint-Domingue  lors  de  la  découverte 
de  cette  ile  par  Christophe  Colomb.  Ils  ont  disparu  rapide- 
ment après  l'arrivée  des  Espagnols. 

M.  le  Dr  Llénas  a  transmis  à  notre  collègue  la  photo- 
graphie d'un  crâne  d'indien  Ciguayo.  Ce  crâne  est  remar- 
quable par  son  aplatissement  portant  sur  le  frontal  et  les 
temporaux,  et  son  caractère  1res  prononcé  de  dolicocéphalie. 


892 

Il  est  tout  à  fait  analogue  aux  crânes  des  Astéques  et  des 
Indiens  tôles  plates.  En  même  temps  M.  Viaud-Grand-Marafs 
a  reçu  de  M.  Llénas  des  figurines  de  terre  cuite  de  même 
provenance,  sans  doute  des  représentations  de  divinités.  Ces 
figurines  sont  très  remarquables  par  leur  ressemblance  au 
moins  quant  à  la  disposition  des  cheveux  tressés  et  enroulés 
autour  de  la  tête,  avec  les  divinités  égyptiennes.  Ces  figurines 
sont  bracycéphales. 


DE    L'INTEMPERANCE 

DISCOURS 

PRONONCÉ 

DANS     LA     SÉANCE    DU     24     NOVEMBRE     1890 

Par  M.  Julien  MERLAND  , 

Juge    suppléant   au    Tribunal    civil    de    Nantes, 
Président  de  la  Société  Académique  de  Nantes  et  de  la  Loire-Inférieure. 


Messieurs, 

Quelques-uns  de  mes  prédécesseurs  au  fauteuil  présidentiel 
vous  ont  entretenus  des  nobles  vertus  de  l'humanité.  Obéis- 
sant à  la  loi  des  contrastes,  je  veux  à  mon  tour  vous 
dépeindre  un  des  vices  les  plus  honteux  de  l'homme.  C'est, 
en  effet,  en  regardant  le  mal  face  à  face,  en  luttant  avec 
lui  corps  à  corps,  que  l'on  doit  le  combattre,  et  pour  en 
triompher,  il  ne  faut  pas  craindre  de  déchirer  les  voiles. 

Le  vice  dont  je  vais  vous  parler,  c'est  l'Intempérance. 

Depuis  le  jour  où  le  jus  de  la  vigne  fut  découvert,  les 
hommes  n'ont  cessé  d'en  faire  l'usage  le  plus  immodéré  et 
ce  qui  aurait  dû  être  pour  eux  un  reconstituant  utile  est 
devenu  un  poison  délétère.  Dans  tous  les  temps,  à  toutes 

A 


H 

les  époques,  chez  tous  les  peuples,   le   vin  a  élé  la  cause 
de  grands  crimes  et  de  grands  malheurs. 

La  Bible  nous  apprend  qu'à  peine  l'Arche  était-elle  arrêtée 
sur  le  mont  Ararat,  et  Noé  en  était-il  sorti,  qu'il  oubliait 
sa  dignité  dans  les  fumées  du  vin  ,  si  bien  que  Japhet 
était  obligé  d'étendre  sur  lui  son  manteau. 

Ce  fut  à  la  suite  d'une  orgie,  où  le  vin  avait  coulé  trop 
abondamment,  qu'Alexandre  le  Grand  tua  Clilus,  et  si  le 
crime  resta  impuni  en  raison  de  la  puissance  du  coupable, 
l'impartiale  histoire  n'en  a  point  absous  la  mémoire  du  fils 
de   Philippe. 

Dans  cette  Lacédémone,  que  Lycurgue,  par  ses  lois  dures 
et  sévères,  avait  fait  si  forte  et  si  puissante,  les  nobles 
Spartiates,  comprenant  le  danger  du  vin,  faisaient  enivrer 
leurs  esclaves  et  les  donnaient  ensuite  en  spectacle  à 
leurs  enfants ,  afin  de  dégoûter  ceux-ci  de  semblables 
excès. 

Si  de  la  Grèce  nous  passons  à  Rome,  nous  voyons  pendant 
les  premiers  siècles  la  sobriété  y  être  en  grand  honneur 
et  Rome  jouir  alors  d'une  puissance  incontestée.  Mais  sous  les 
successeurs  d'Oclave-Auguste,  il  n'en  est  plus  de  même. 
Déjà  le  sensuel  Horace  chantait  avec  bien  de  la  complaisance 
le  vin  de  Falernc.  L'histoire  redit,  en  se  voilant  la  face, 
les  orgies  des  Tibère,  des  Néron,  des  Caligula  et  de  celle 
brute  à  figure  humaine,  Vilellius,  qui,  ivre  de  vin  et  gorgé 
de  chair,  trouva  la  mort  dans  une  émeute  soldatesque.  Les 
meilleurs  empereurs  n'échappèrent  point  à  la  contagion  et 
le  vertueux  Trajan  lui-même  avait  élé  obligé  de  défendre 
qu'on  exécutât  les  ordres  qu'il  donnerait  après  ses  trop 
longs  repas  (').  Lorsque  l'exemple  émane  de  si  haut,  il  est 
bien  difficile  d'admettre  qu'il  n'ait  pas  été  suivi  par  en  bas. 

(')  V.  Duruy,  Abrégé  d'Histoire  romaine,  page  30'.). 


in 

N'est-ce  point  là  une  des  causes  de  la  démoralisation  du 
Bas-Empire  ?  Un  jour  le  trône  fut  mis  aux  enchères  et 
trouva  preneur  !  Quand  un  peuple  est  tombé  dans  un  tel 
état,  il  faut  peu  de  chose  pour  l'anéantir,  et  pour  détruire 
le  plus  puissant  empire  du  monde,  il  a  suffi  d'une  horde 
de  barbares  vomie  de  l'Extrême-Orient. 

Mais,  Messieurs,  je  ne  veux  point  m'étendre  sur  des 
souvenirs  d'un  autre  âge.  Je  ne  veux  point  faire  ici  un  cours 
d'histoire  et  surtout  d'histoire  ancienne.  Je  veux  aborder 
l'histoire  contemporaine.  Le  mal  est  assez  grand,  assez 
visible,  pour-  que  j'en  constate  la  gravité,  les  conséquences, 
et  que  je  me  demande  les  remèdes  à  y  apporter  pour  le 
combattre. 

Si,  un  jour  de  foire  ou  de  marché,  vous  parcourez  les 
chemins  de  nos  campagnes  -,  si,  un  jour  de  fête  ou  un 
dimanche,  vous  traversez  nos  rues  et  nos  places,  vous  verrez 
des  hommes  marchant  d'un  pas  lourd  et  inégal,  chancelant 
et  titubant  à  chaque  instant.  Ces  hommes  battent  les  maisons, 
au  risque  de  briser  les  devantures  des  magasins  ou  trébu- 
chent sur  les  banquettes  de  nos  routes,  tout  prêts  à  tomber 
dans  les  fossés  ;  et  ils  vont  ainsi,  jusqu'à  ce  que  rencontrant 
un  léger  obstacle,  ils  s'arrêtent  ne  pouvant  le  franchir,  ou 
plutôt  s'y  heurtant,  se  laissent  choir  à  terre  où  ils  restent 
étendus  de  longues  heures,  à  moins  qu'un  passant  complai- 
sant ne  les  reconduise  chez  eux  ou  qu'un  agent  de  l'autorité 
ne  les  emmène  au  poste. 

Les  hommes,  dont  je  viens  de  tracer  le  triste  portrait, 
ont  dépensé  en  une  journée  le  prix  du  travail  d'une  semaine 
entière.  De  cabarets  en  cabarets,  ils  n'ont  quitté  les  tables 
fumantes  qu'à  bout  d'argent  ou  renvoyés  par  le  cabarclier. 
Leur  raison,  ce  noble  don  de  Dieu  à  l'homme,  qui  le  sépare 
de  la  bête,  ils  l'ont  laissée  au  fond  d'une  bouteille  de  vin 
blanc  ou  d'un  verre  d'absinthe.  Rien  ne  les  dislingue  plus  de 
la  brute.  Ils  se  sont  mis  à  son  niveau.  Je  me  trompe.  L'animal 


IV 

a  conscience  du  danger  et  veille  à  sa  propre  sécurité. 
L'ivrogne  ira  se  jeter  de  lui-même  dans  la  rivière  ou  se 
précipitera  sous  les  roues  d'une  voiture  ou  d'une  loco- 
motive. 

Mais  laissons-le  étendu  sur  la  voie  publique  et  pénétrons 
dans  son  domicile. 
Nous  y  assistons  au  spectacle  le  plus  navrant. 
La  maison  sue  la  misère  la  plus  noire.  La  femme  hâve  et 
déguenillée  a  vu  son  chétif  mobilier  s'en  aller  pièce  par 
pièce  chez  le  fripier.  Ses  vêtements,  elle  les  a  elle-même 
vendus  ou  déposés  au  mont-de-piété.  Les*  enfants  sont 
couverts  de  haillons.  Ils  vous  entourent  en  vous  demandant 
un  morceau  de  pain.  La  faim  !  ils  crient  la  faim,  parce  que 
le  père  a  eu  trop  soif.  Il  n'y  a  plus  de  pain  à  la  maison, 
parce  que  le  père  a  trop  bu  de  vin. 

Et  ce  tableau,  je  ne  l'ai  point  peint  de  couleurs  trop 
sombres  ! 

Puis,  lorsque  le  père  de  famille  va  rentrer,  ce  seront  des 
reproches  qu'il  adressera  a  sa  femme  et  à  ses  enfants.  Ce 
sera  par  des  coups  qu'il  répondra  à  leurs  demandes  trop 
justifiées. 

Quel  sera  l'avenir  de  ces  malheureux  enfants  ?  Je  ne  veux 
d'abord  vous  en  parler  qu'au  point  de  vue  de  leur  santé. 
M.  Monod,  au  Congrès  de  l'Assistance  publique,  dont  il  est 
le  directeur,  a  présenté,  en  1889,  un  très  remarquable 
rapport  sur  les  enfants  d'ivrognes.  11  en  résulte  qu'un  père 
ou  une  mère  ivrogne  donne  le  plus  souvent  naissance  à 
des  enfants  dégénérés.  D'après  les  statistiques,  les  trois 
quarts  des  enfants  idiots  ou  épileptiques  sont  issus  de  parents 
alcoolisés.  M.  Monod  cite  plusieurs  exemples.  J'extrais 
textuellement  les  lignes  suivantes  :  «  Un  homme  bien  portant, 
sobre,  avait  eu  deux  enfants,  un  fils  cl  une  fille  bien  portants 
aussi  tous  les  deux.  Après  la  naissance  de  sa  fille,  le  père 
tomba   dans   l'ivrognerie.  11  eut  encore  quatre  enfants.    Le 


premier  de  ces  qualre-la   fut   faible  d'esprit,  les  trois  autres 
furent  trois  idiots.  » 

M.  Monod  cite  d'autres  exemples.  Ainsi,  un  ménage 
d'ivsognes  ayant  eu  neuf  enfants  dont  pas  un  de  constitution 
saine  ;  ainsi,  une  famille  composée  de  cinq  enfants,  dont  trois 
de  constitution  robuste,  un  hystérique  et  un  autre  arriéré. 
Or  il  fut  appris  que  pendant  la  période  où  étaient  nés  ces 
deux  déshérités  de  la  nature,  le  père  s'était  livré  à  des  excès 
alcooliques. 

Le  Petit  Journal  du  26  août  1889,  auquel  j'ai  emprunté 
ces  extraits,  ajoute  :  Il  faut  arracher  les  enfants  aux  parents 
indignes  et  les  ivrognes  doivent  être  rangés  dans  cette  classe 
honteuse. 

Et  le  Petit  Journal  a  bien  raison. 

Voilà  pour  l'avenir  des  enfants  au  point  de  vue  de  leur 
santé.  L'avenir,  au  point  de  vue  de  leur  moralité,  est  plus 
sombre  encore.  Je  frémis  d'y  songer.  Car  ce  n'est  plus  la 
misère  physique  avec  sa  hideuse  escorte  ;  c'est  la  misère 
sociale  avec  ses  tristes  conséquences. 

Privés  de  direction,  privés  de  bons  conseils,  n'ayant  sous 
les  yeux  que  de  mauvais  exemples,  que  deviendront  ces 
enfants  ?  Le  jour  où  la  faim  sera  plus  forte,  où  le  dénûment 
sera  plus  grand,  l'enfant  tendra  la  main  sur  le  trottoir  pour 
mendier  un  petit  sou.  La  mendicité  est  cousine  germaine  du 
vagabondage.  De  cet  enfant,  qui  était  né  peut-être  pour 
occuper  dans  la  société  une  place  honorable,  l'inconduite  du 
père  en  aura  fait  un  vagabond  et  puis,  plus  tard,  pis  encore, 
un  voleur  ou  un  escroc.  Bientôt  le  fils,  devenu  jeune  homme, 
s'assoira  sur  les  bancs  de  la  police  correctionnelle  ou  de  la 
cour  d'assises  pour  devenir  au  bagne  un  numéro.  Bientôt  la 
fille,  à  laquelle  on  n'aura  pas  inculqué  des  idées  de  travail, 
descendra  dans  la  rue  demander  à  la  débauche  un  moyen 
d'existence.  De  chute  en  chute,  elle  ira  un  soir  enfouir  sa 
jeunesse  et  sa  fraîcheur  au  fond  de  quelque  mauvais  lieu. 


VI 

Demandez  aux  forçats  et  aux  filles  publiques  comment  ils 
ont  été  élevés  et  quelle  était  la  conduite  de  leurs  parents. 
Ils  vous  répondront  et  vous  verrez  que  je  n'ai  rien  exagéré. 

0  hommes  !  ô  pères  de  famille  !  Combien,  au  contraire, 
si  vous  aviez  su  économiser  sur  votre  paye  de  chaque 
semaine,  vous  eussiez  eu  une,  existence  heureuse,  vivant 
dans  vos  enfants  entourés  de  leurs  soins  et  de  leur  recon- 
naissance pendant  votre  vieillesse  !  Combien  vous  fûtes 
coupables  !  Comment  votre  exemple  n'arrête-t-il  pas  les 
débauchés  et  ne  fait-il  pas  réfléchir  les  ivrognes  ? 

Il  est  pourtant  quelques  exceptions.  Elles  sont  rares.  J'en 
veux  citer  un  cas. 

Dans  une  ville  voisine  de  la  nôtre,  j'ai  connu  un  père  de 
famille  qui,  délaissant  sa  femme  et  ses  enfants,  de  débauche 
en  débauche,  était  tombé  dans  un  tel  état  qu'un  jour  il  fut 
trouvé  mort  derrière  une  porte.  Il  laissait  trois  enfants,  deux 
fils  et  une  fille.  Ceux-ci  ont  répudié  l'héritage  paternel.  Bien 
que  très  jeunes,  ils  ont  compris,  sans  doute,  que  l'inconduite 
avait  été  la  cause  du  malheur  et  de  la  mort  de  leur  père. 
Aidés  de  bons  conseils,  de  bons  avis,  ils  sont  devenus 
aujourd'hui  d'habiles  et  d'honnêtes  ouvriers,  vivant  dans 
l'aisance.  Ils  sont  estimés  dans  leur  ville  et  si,  un  jour,  ils 
se  marient,  nul  doute  qu'à  rencontre  des  exemples  qu'ils  ont 
reçus,  ils  ne  guident  leurs  enfants  dans  le  sentier  du  devoir. 

Mais,  je  le  répète,  de  pareils  cas  sont  rares  et  les  mauvais 
exemples  des  parents  sont  désastreux  pour  les  enfants. 

Quelles  seront,  du  reste,  pour  l'ivrogne  lui-même,  les 
conséquences  de  son  inconduite  ?  L'alcoolisme  conduit  à  la 
mort,  à  la  folie,  au  suicide.  Consultez  les  statistiques, 
compulsez  les  registres  des  maisons  d'aliénés  et  vous  venez 
combien  de  fois  dans  la  colonne  «  causes  d'aliénation 
mentale,  »  combien  de  fois  seront  inscrits  les  mots  «  excès 
alcooliques.  »  Ouvrez  les  statistiques  criminelles  au  tableau 
«  suicides»  et  vous  y  lirez  bien  souvent   la  même  mention. 


VII 

Les  hôpitaux  et  les  asiles  d'aliénés  regorgent  do  malades 
atteints  du  delir'mm  tremens,  et  Ton  sait  que  cette  maladie 
est  presque  incurable.  La  folie  alcoolique  augmente  dans  des 
proportions  effrayantes.  M.  Garnier  vient  de  publier  à  ce 
sujet,  dans  les  Annales  d'hygiène,  un  très  intéressant  travail 
duquel  il  résulte  qu'en  trois  ans,  de  1886  à  1889,  le  chiffre 
des  séquestrations  pour  folie  alcoolique  s'est  élevé  de  25  %• 
Tous  les  médecins  vous  diront,  en  outre,  que  les  alcooliques 
sont  prédisposés  à  toute  espèce  de  maladies  et  que  chez  eux 
la  moindre  affection  prend  de  suite  de  grands  caractères  de 
gravité. 

Je  me  rappelle  qu'au  Lycée,  temps  déjà  bien  éloigné  de 
moi,  on  nous  faisait  apprendre  une  fable  de  Florian,  intitulée  : 
La  Mort  se  choisissant  un  premier  ministre.  Celle  fable 
a  toujours  frappé  mon  attention.  Permettez-moi  de  la  repro- 
duire. 

La  Mort,  Reine  du  monde,  assembla  certain  jour, 

Dans  les  Enfers,  toute  sa  cour 
Elle  voulait  choisir  un  bon  premier  ministre, 
Qui  rendit  ses  Etats  encor  plus  florissants. 

Pour  remplir  cet  emploi  sinistre, 
Du  fond  du  noir  Tartare,  arrivent  à  pas  lents, 

La  Fièvre,  la  Goutte  et  la  Guerre. 

C'étaient  trois  sujets  excellents. 

Tout  l'Enfer  et  toute  la  Terre 

Rendaient  justice  à  leurs  talents. 
La  Mort  leur  fit  accueil.  La  Peste  vint  ensuite  ; 
On  ne  pouvait  nier  qu'elle  n'eut  du  mérite. 

Nul  n'osait  le   lui  disputer 
Lorsque  d'un  médecin  arriva  la  visite, 
Et  l'on  ne  sut  alors  qui  devait  l'emporter. 

La  Mort  même  était  tn  balance  : 

Mais  les  Vices  étant  venus, 
Des  ce  moment  la  Mort  n'hésita  [dus, 

Elle  choisit  l'Intempérance. 


VIII 

Oui  !  le  fabuliste  a  raison.  L'Intempérance,  c'est  le  meil- 
leur ministre  de  la  mort.  C'est  le  pourvoyeur  le  plus  sûr  de 
la  barque  a  Caron. 

Si,  maintenant,  vous  quittez  les  asiles  d'aliénés  et  les  hôpi- 
taux, séjour  de  la  souffrance  et  de  la  mort,  et  si  vous  péné- 
trez dans  les  salles  d'assises  ou  de  police  correctionnelle,  si 
vous  assistez  aux  débats  judiciaires,  vous  verrez  que,  pour 
s'excuser  des  crimes  ou  des  délits  qu'on  leur  reproche, 
'ivresse  est  presque  toujours  la  seule  cause  qu'invoquent  les 
accusés.  —  Vous  avez  volé?  —  J'étais  ivre.  —  Vous  avez 
injurié  ?  —  J'étais  ivre.  —  Vous  avez  frappé  ?  —  J'étais 
ivre.  —  Vous  avez  incendié  ?  —  J'étais  ivre.  —  Vous  avez 
assassiné?  —  J'étais  ivre  (i). 

Voulez -vous  maintenant  me  suivre  aux  Chambres  civiles 
chargées  de  juger  les  séparations  de  corps  et  les  divorces  ? 
Voulez-vous  écouter  la  lecture  des  enquêtes  ?  Vous  y  enten- 
drez presque  toujours  les  mêmes  phrases  que  l'on  pourrait, 
pour  ainsi  dire,  imprimer  d'avance.  Neuf  fois  sur  dix ,  les 
causes  de  la  désunion  sont  l'ivresse  avec  ses  conséquences 
forcées,  les  coups  et  les  injures. 

Ah  !  Messieurs  !  arrivons  à  supprimer  l'ivresse  et,  en  même 
temps,  nous  aurons  plus  qu'à  moitié  supprimé  les  audiences 


(')  «  La  statistique  de  1887  attribue  aux  progrès  de  l'alcoolisme  l'aug- 
»  mentation  très  notable  des  délits  de  coups  et  blessures.  Le  nombre  en 
»  était  de  16,025  dans  la  période  de  1871-1875.  Il  s'est  élevé  à  21,065  en 
»  1887.  D'après  cette  même  statistique,  la  consommation  de  l'alcool  a 
»  triplé.  Aussi  le  nombre  des  cas  de  folie  produit  par  l'alcoolisme  a  doublé. 
»  Le  dixième  des  suicides  est  attribué  à  l'ivrognerie.  Sur  8,202  suicides, 
»  820,  en  1887,  ont  été  causés  par  l'abus  des  spiritueux.  L'alcoolisme  a 
»  déterminé  encore  le  vingtième  des  morts  accidentelles.   » 

(Extrait  d'un  remarquable  travail  :  La  Criminalité  féminine,  par  Louis 
Proal,  conseiller  a  la  Cour  d'Aix.  —  Correspondant,  année  1890,  tome  III, 
p.   495.") 


IX 

criminelles  et  correctionnelles  et  réduit  clans  de  grandes  pro- 
portions les  demandes  de  séparations  et  de  divorces. 

C'est  incontestablement  dans  les  classes  ouvrières  des 
villes  et  des  campagnes  que  l'on  trouve  le  plus  grand  nombre 
de  gens  adonnés  à  l'ivrognerie.  Est-ce  à  dire  que  l'on  n'en 
trouve  que  la  ?  L'Intempérance,  à  des  degrés  différents,  a 
pénétré  partout.  Les  classes  dirigeantes  n'ont  pas  été  a  l'abri 
de  la  contagion.  Si  les  cas  sont  plus  rares,  on  peut  pourtant 
en  compter  d'assez  nombreux.  Il  est  même  des  hommes  que 
leur  naissance,  leur  intelligence,  leur  haute  situation,  n'ont 
pas  préservé  du  mal.  Bien  des  noms  illustres  se  pressent 
sous  ma  plume.  Je  ne  veux  en  citer  aucun,  pas  même  celui 
du  poète,  qui  a  su  le  mieux  chanter  l'amour  et  la  jeunesse. 
Hélas  !  il  avait  mis  aux  pieds  d'une  coquette,  sa  jeunesse  à 
lui  avec  ses  nobles  inspirations,  son  talent,  sa  belle  intelli- 
gence, sa  vie  même.  Elle  lui  a  tout  pris.  Trahi,  désabusé, 
abreuvé  de  chagrins^  il  a  demandé  au  vin  l'oubli  de  ses 
maux  et  cet  oubli,  il  l'a  trouvé  dans  la  tombe,  où  il  est 
descendu  prématurément.  Ah  !  Messieurs,  pilié  pour  lui  !  Il 
avait  vu  sa  maîtresse  infidèle,  sa  vie  brisée.  Pitié  pour  lui  ! 
Plantons  un  saule  au  cimetière  :  son  ombre  sera  légère  à  la 
terre  où  il  dort  !  , 

Combien  d'autres  belles  intelligences  ont  sombré  dans  des 
circonstances  semblables  !  Combien  de  gens,  auxquels  la  vie 
s'ouvrait  belle  et  souriante,  ont  vu  leur  existence  s'évanouir 
dans  les  fumées. de  l'ivresse  et  ont  dû  aux  excès  alcooliques 
la  perte  des  dons  heureux  qu'ils  avaient  reçus  de  la 
nature. 

Quoi  d'étonnant  d'après  cela  que  tous  les  législateurs 
aient  cherché  à  combattre  les  dangers  de  l'Intempérance. 
Permettez-moi  une  rapide  revue  de  la  législation  ancienne. 
Nous  verrons  ensuite  les  moyens  que  nos  lois  mettent  à 
notre  disposition  pour  combattre  le  mal  et  nous  nous  deman- 
derons si  ces  moyens  sont  suffisants  et  efficaces. 


En  remontant  à  la  plus  haute  antiquité,  nous  voyons  que 
Lycurgue  faisait  arracher  la  vigne  et  que  Dracon  punissait 
l'Intempérance  de  la  peine  de  mort  (•).  Les  soldats  romains, 
du  moins  dans  les  premiers  siècles,  ne  buvaient  que  de  l'eau 
et  du  vinaigre,  et  Mahomet  avait  défendu  le  vin  a  ses 
sectateurs. 

En  France,  François  Ier,  par  l'édit  du  1er  août  1536, 
avait  puni  l'ivresse  de  peines  très  sévères.  Quiconque  était 
trouvé  en  état  d'ivresse  était  pour  la  première  fois  détenu 
prisonnier  au  pain  et  à  l'eau  ;  la  deuxième  fois,  il  était 
battu  de  verges  ou  de  fouet  dans  la  prison  ;  la  troisième 
fois,  il  était  fustigé  publiquement,  et  enfin,  en  cas  de  nouvelle 
récidive,  il  était  puni  d'amputation  de  l'oreille,  d'infamie 
et  de  bannissement.  Si,  en  étal  d'ivresse,  il  commettait  une 
mauvaise  action,  il  devait  être  puni  davantage  pour  ladite 
ébriété  à  l'arbitraire  du  juge  (-). 

Plus  tard  une  ordonnance  de  1560  {m'i-  25)  défendit  aux 
habitants  des  villes,  bourgs  et  villages,  sous  peine  d'amende 
ou  de  prison,  d'aller  boire  ou  manger  dans  les  cabarets 
et  le  commentateur  ajoute  qu'on  punissait  du  carcan  les 
contrevenants  à  ces  dispositions  (3). 

Un  édit  de  Louis  XIV  fut  également  rendu  en  pareil  matière. 
Mais  toutes  ces  lois  étaient  tombées  en  désuétude,  et  jusqu'en 
1873,  aucune  pénalité  ne  frappait  l'ivresse  en  France. 

11  n'en  était  [tas  de  même  en  pays  étrangers.  Depuis  déjà 

(')  Il  parait  qu'il  en  c'iait  de  même  a  Rome.  Voici  en  effet  un  passage  que 
l'on  peu!  lire  clans  le  travail  déjà  cité  de  M.  Louis  Proal,  la  Criminalité  féminine: 
(Correspandant,  année  1890,  tome  III,  page  495).  «  Les  Romains  n'étaient 
pas  indulgents  pour  les  femmes  qui  s'enivraient  ;  elles  étaient  punies  de 
mort.  Valère  Maxime  en  cite  un  exemple  (L.  VI,  cliap.  3).  Chacun,  dit-il, 
trouve  qu'elle  avait  justement  expié  par  une  punition  exemplaire  la  violation 
des  lois  de  la  sobriété  ;  car  toute  femme,  qui  fait  un  usage  immodéré  du 
vin,  ferme  son  cœur  à  toutes  les  vertus  et  l'ouvre  à  tous  les  vices.   » 

(-)  Magasin  Pittoresquej  tome  III,  page  312. 

(:1)  Magasin  Pittoresque,  tome  III,  page  228. 


XI 

longtemps,  en  Suède,  on  avait  édicté  des  peines  sévères 
contre  les. ivrognes.  Je  les  trouve  énumérées  dans  un  rapport 
publié  eu  1854  par  M.  de  Watteville,  inspecteur  des  établis- 
sements de  bienfaisance,  rapport  intitulé  :  de  l'Adminis- 
tration des  bureaux  de  bienfaisance  et  de  la  situation 
du  paupérisme  en  France  (•).  Tout  homme  trouvé  en 
état  d'ivresse  est  frappé  les  premières  fois  d'une  amende 
et  perd  ses  droits  d'électeur  et  d'éligible.  En  cas  de  récidive, 
il  subit  la  peine  du  pilori  devant  l'église  paroissiale.  En  cas 
de  nouvelle  rechute,  il  est  condamné  à  la  détention,  puis 
à  six  mois,  puis  à  un  an  de  travaux  forcés.  Tout  individu 
coupable  d'avoir  excité  une  personne  a  boire  est  frappé  de 
peines  d'amende.  Tout  ecclésiastique,  qui  s'est  mis  en  état 
d'ivresse,  perd  son  bénéfice.  Les  fonctionnaires  sont  suspendus 
et  révoqués.  Jamais  l'ivresse  n'est  acceptée  comme  l'excuse 
d'un  délit.  Un  homme  mort  ivre  n'est  pas  enterré  dans  le 
cimetière.  Enfin  deux  fois  pas  an  les  ordonnances  sur 
l'ivresse  sont  lues  du  haut  de  la  chaire  par  les  pasteurs. 

En  Russie,  la  législation  a  été  également  de  tout  temps 
très  sévère.  De  nombreuses  lois  ont  été  édictées  à  ce  sujet. 
Elles  portent  les  dates  des  3  juillet  1729,  3  février  1738, 
8  avril  1782,  3  juin  1837,  23  mars  1839  et  15  août  1845. 
Le  nouveau  Gode  russe  s'est  inspiré  de  toutes  ces  dispositions 
dans  ses  art.  241,  242,  243  et  244  relatifs  à  la  répression 
de  l'ivresse.  Un  article  spécial  porte  que  les  pharmaciens 
perdent  le  droit  de  diriger  leurs  pharmacies,  s'ils  ne  mènent 
pas  une  vie  sobre.  Enfin  le  Gode  russe  reconnaît  la  pres- 
cription de  l'église  évangélique-luthérienne,  qui  considère 
l'ivrognerie  comme  une  cause  de  divorce. 

De  son  côté,  la  loi  de  Mecklembourg-Schwerin  de  1843 
condamne  à  la  détention  l'homme  ivre  qui  trouble  l'ordre  et, 
en  cas  de  récidive,  le  frappe  de  peines  corporelles. 

(')   Magasin  Pittoresque,  lonu'  XX1U,  page  '207. 


XII 

La  France,  comme  je  l'ai  dit,  avant  1873  n'avait  aucun 
moyen  de  punir  l'ivresse.  Sous  l'Empire,  on  avait  pensé  que 
le  décret  de  1851  sur  la  police  des  cabarets  suffisait  pour 
arrêter  les  progrès  du  mal.  Les  cabareliers,  qui  devaient  se 
munir  d'une  autorisation  spéciale  qu'on  pouvait  leur  refuser 
et  leur  retirer,  étaient  placés  sous  la  dépendance  abso'ue  et 
pour  ainsi  dire  arbitraire  des  préfets  et  on  avait  cru  que 
cette  surveillance  suffisait.  Des  raisons,  peut-être  étrangères 
à  un  but  de  moralisation,  avaient  fait  rendre  ce  décret.  Des 
raisons  analogues  le  firent  peut-être  aussi  abroger.  On 
restait  alors  absolument  désarmé,  et  des  législateurs,  qui 
étaient  en  même  temps  des  moralistes,  comme  par  exemple 
M.  Théophile  Roussel,  estimèrent  à  juste  titre  qu'il  était 
urgent  de  combattre  le  mal  par  des  dispositions  législatives. 

Ce  fut  à  la  suite  de  longues  et  intéressantes  discussions 
que  fut  volée  la  loi  du  23  janvier  1873,  actuellement  encore 
en  vigueur. 

Aux  termes  de  cette  loi,  toute  personne  trouvée  en  état 
d'ivresse  manifeste  dans  un  lieu  public,  est  punie  pour  la 
première  fois  d'une  amende  de  1  a  5  fr.  ;  en  cas  de  récidive 
dans  l'année,  d'un  emprisonnement  de  1  à  5^  jours  ;  en  cas 
de  nouvelle  récidive,  toujours  dans  l'année,  d'une  peine  de 
6  jours  à  1  mois  de  prison  et  d'une  amende  de  1C  fr.  a 
300  fr.  Enfin,  en  cas  d'une  quatrième  récidive,  la  peine  de 
prison  et  celle  d'amende  peuvent  être  portées  au  double. 

Sont  punis  de  la  même  peine,  les  débitants  et  cabareliers 
qui  donnent  à  boire  à  des  gens  manifestement  ivres  ou  qui 
servent  des  boissons  alcooliques  à  des  mineurs  de  16  ans. 

Toute  personne,  qui  a  subi  deux  condamnations  en  police 
correctionnelle  pour  des  délits  ci-dessus  spécifiés,  peut  être, 
par  le  deuxième  jugement,  déclarée  incapable  d'exercer  tout 
ou  partie  de  ses  droits  civils.  L'affichage  du  jugement  peut 
aussi  être  ordonné  par  le  Tribunal. 

Enfin  est  puni  d'une  peine  de  G  jours  à  1  mois  de  prison 


XIII 

et  d'une  amende  de  16  fr.  à   300  fr.,  toute  personne  qui  a 
fait  boire  jusqu'à  l'ivresse  un  mineur  de  16  ans. 

Les  pénalités,  comme  on  le  voit,  sont  assez  sérieuses, 
bien  qu'elles  soient  loin  d'avoir  la  gravité  certainement 
excessive  de  la  législation  ancienne. 

Cette  loi  a-t-elle  produit  les  effets  que  l'on  espérait  en 
obtenir  ?  Il  est  bien  évident  que  non,  puisque  tout  nous 
démontre  les  progrès  sans  cesse  croissants  de  l'alcoolisme. 

Du  reste,  dans  les  campagnes,  la  loi  est  restée  à  peu  près 
lettre    morte.   La   gendarmerie,    astreinte  à   de   nombreux 
services  très  pénibles,  ayant  à  surveiller  plusieurs  communes 
souvent  assez  éloignées  les  unes  des  autres,  la  gendarmerie, 
dis-je,   ne   peut  guère   s'occuper  de  dresser   des   procès- 
verbaux   contre  tous  les  ivrognes  qu'elle  rencontre  les  soirs 
de  marchés  ou  de  fêtes.  Les  gardes  champêtres  sont  aussi 
peu  disposés   à   verbaliser  en  pareille  matière.  Les  maires, 
eux-mêmes,  craignent  souvent  de   froisser  leurs  électeurs. 
Aussi,  il  est  bien  rare  de  voir  exercer  des  poursuites  pour 
ivresse  devant  la  simple  police  rurale.  Dans  les  villes  où  le 
personnel  de   la   police   est  beaucoup   plus   nombreux,  la 
surveillance  est  mieux  exercée  et  le  nombre  des  poursuites 
pour  contraventions  ou  délits  est  assez  élevé.  Depuis  cinq 
ans,  de  1885  à  1889,   dans  l'arrondissement  de  Nantes,  on 
compte  une  moyenne  environ  par  an  de  800  poursuites  en 
simple  police  et  de  120  poursuites  en  police  correctionnelle, 
et  les  chiffres  vont  toujours  en  augmentant.  C'est  ainsi,  qu'en 
1889,  ils  se  sont  élevés  à  1,145  en  simple  police  et  a  130  en 
police  correctionnelle.  Chose  triste  à   noter,   les  femmes  y 
sont  comprises  dans  la  proportion  de  plus  d'un  tiers.  Il  est 
des  individus,  qui  comparaissent  jusqu'à  huit  et  dix  fois  et 
davantage,  dans  une  seule  année,  devant  le  Tribunal  correc- 
tionnel. Je  pourrais  en   citer  certains,  et  surtout  certaines 
femmes  qui,  libérés  le  malin,   sont  le  soir   arrêtés  en  état 
d'ivresse  manifeste  et  le  lendemain  condamnés  de  rechef. 


XIV 

Leurs  noms  sont  bien  connus  dos  magistrats,  et  lorsqu'on 
leur  demande  leur  état-civil,  quelques-uns  répondent  en 
souriant  qu'il  est  inutile  de  leur  poser  ces  questions,  puisque, 
pour  ainsi  dire,  presque  chaque  semaine  on  les  leur  adresse. 
Il  est  à  Nantes,  et  de  même  évidemment  dans  les  autres 
villes,  des  hommes  et  des  femmes  qui  ont  subi  plus  de 
trente  et  quarante  condamnations ,  toujours  pour  ivresse. 
Que  la  peine  soit  légère,  qu'elle  soit  sévère,  elle  n'empêche 
point  ces  ivrognes  de  retomber  dans  leurs  fautes,  et  certes, 
devant  ces  natures  absolument  dévoyées  ,  la  justice  est 
impuissante. 

Un  travail  très  intéressant  vient  d'être  publié  dans  le 
Magasin  pittoresque  (année  1889).  11  en  résulte  que,  de 
1878  à  1887,  la  moyenne  des  poursuites  exercées  a  été  de 
150  par  100,000  habitants,  proportion  effrayante  quand  on 
songe  surtout  combien  de  cas  échappent  à  toute  constatation 
et  quand  on  sait  aussi  que  la  loi  n'atteint  que  l'ivresse 
publique  et  n'a  pas  à  rechercher  les  gens  qui  s'enivrent  dans 
leurs  propres  demeures. 

Une  statistique  a  été  dressée  par  département.  11  faut 
croire  aux  statistiques,  bien  que  quelques  esprits,  et  je  suis 
un  peu  de  ceux-là,  n'y  aient  pas  une  confiance  absolue. 
Cependant,  on  doit  le  reconnaître,  c'est  une  base  qui  peut 
servir  d'indication  dans  de  certaines  limites.  Eh  bien  !  la 
Bretagne  est  classée  parmi  les  contrées  où  les  poursuites 
sont  presque  les  plus  nombreuses.  La  proportion  est  de 
616  pour  100,000  habitants  dans  le  Finistère,  de  266  dans 
le  Morbihan,  de  241  dans  la  Loire-Inférieure  (').  Autant  de 
victimes,  Messieurs,  prédisposées  aux  maladies  les  plus 
graves!  Le  choléra,  tant  redouté  de  tout  le  monde,  est  moins 
à  craindre  et  est  loin  d'être  aussi  meurtrier. 

Depuis  la  liberté  donnée  à  tous  d'ouvrir  un  débit  de  bois- 

(')  Mugasin  pittoresque,  année  188'.),  fi.  382. 


XV 

sons,  le  nombre  des  cabarets  a  augmenté  dans  des  propor- 
tions énormes.  Songez  qu'il  y  a  un  débit  pour  95  habitants 
dans  les  départements  de  la  Vendée  et  de  la  Loire-Inférieure 
et  que  dans  certains  autres  départements  on  rencontre  un 
débit  pour  52  habitants. 

Et  encore  quelles  sont  les  boissons  que  Ton  y  sert  ?  La 
fraude,  qui  a  pénétré  partout,  s'est  surtout  manifestée  dans 
la  vente  des  boissons  alcooliques.  Consultons  encore  de  nou- 
veau les  statistiques  officielles.  Elles  nous  apprendront  que, 
sur  1,864,514  hectolitres  d'alcool,  23,240  seulement  ont  le 
vin  pour  origine.  Le  reste,  soit  1,841,274  hectolitres,  a  été 
fabriqué  au  moyen  de  grains,  de  betteraves,  de  pommes  de 
terre,  de  mélasses,  de  châtaignes,  même  de  glands  de  chêne 
et  contient  des  substances  toxiques.  De  là,  des  maladies 
graves,  des  désordres  organiques  et  aussi  les  9,928  aliénés 
alcooliques  qui  ont  été  enfermés  dans  nos  hospices  au  cours 
d'une  seule  année  (<). 

Que  les  ivrognes  se  rassurent  donc  !  Viennent  le  phylloxéra 
et  le  mildiou  ,  vienne  la  destruction  complète  de  nos 
vignobles  !  ils  trouveront  encore  dans  les  boissons  frelatées 
un  moyen  de  satisfaire  leurs  passions,  ruiner  leur  santé  et 
absorber  un  poison  qui  les  conduira  tôt  ou  tard  à  la  folie, 
au  suicide,  à  la  mort.  Est-ce  que,  dans  quelques  siècles,  le 
monde  ne  serait  plus  peuplé  que  d'épileptiques ,  d'idiots 
et  d'aliénés  ?  Est-ce  que  nos  arrière  petits-fils ,  produits 
de  générations  dégénérées,  incapables  de  comprendre  les 
mots  honneur,  devoir,  patrie,  oublieux  des  grandes  actions 
de  nos  ancêtres,  ne  sauraient  que  s'entr'égorger  ?  Est-ce  que, 
dans  quelques  siècles,  il  ne  serait  plus  nécessaire  de  créer  des 
caisses  d'épargne,  de  construire  des  écoles  ;  mais  faudrait-il 


(')  Extrait  du  remarquable  discours  prononcé  par  M.  le  sénateur  Halgan, 
vice-président  de  la  Société  Industrielle  de  Nantes,  à  la  réunion  de  la  dite 
Société,  le  29  décembre  188V). 


XVI 

bâtir  des  hôpitaux  et  des  bagnes  et,  au  lieu  du  Panthéon, 
portant  gravée  sur  sa  façade  celte  fière  devise  :  «  Aux  Grands 
Hommes,  la  Patrie  reconnaissante,  o  les  hommes  du  jour 
élèveraient-ils  un  temple  au  dieu  Bacchus  et  inscriraient-ils  sur 
son  frontispice  :  «  Aux  alcoolisés,  la  gratitude  publique.  Gloire 
à  l'Intempérance.  »  O  siècle  qui  va  bientôt  finir,  quels  seront 
ceux  qui  te  succéderont  ?  Serions-nous  les  derniers  des 
Romains  et  la  fortune  du  monde  serait-elle  destinée  à  som- 
brer devant  quelques  fûts  d'eau-dc-vie  ! 

S'il  en  est  ainsi  en  France,  la  situation  est  la  même  à 
l'étranger.  En  Belgique,  par  exemple,  la  consommation  de 
l'alcool  ne  fait  qu'augmenter.  Depuis  quinze  ans,  elle  s'est 
accrue  de  37  %  et,  comme  conséquences,  les  cas  de  folie  et 
de  suicide  ont  progressé  dans  les  mêmes  proportions  (45  % 
pour  la  folie,  80  %  pour  les  suicides).  Enfin,  le  pays  dépense 
en  boissons  fortes,  135  millions  par  an,  tandis  que  l'Etal  ne 
consacre  que  16  millions  a  l'instruction  publique.  Il  y  a 
5,500  écoles  et  130,000  cabarets  (i). 

Si  les  pénalités  sont  restées  impuissantes  à  réagir  contre  le 
mal,  est-ce  qu'elles  ne  sont  pas  assez  sévères?  Je  ne  le 
pense  pas.  Ce  n'est  point,  je  crois,  la  peur  seule  de  l'amende 
ou  de  la  prison,  qui  empêchera  les  ivrognes  de  s'adonner  à 
leurs  penchants.  Je  voudrais  cependant  que  chacun  sut  que 
l'ivresse  n'est  point  une  excuse  pour  les  faits  délictueux  dont 
elle  peut  être  la  cause.  Les  tribunaux,  qui  doivent  être  les 
vigilants  gardiens  des  lois,  sont  souvent  enclins  a  trouver 
des  circonstances  atténuantes  dans  l'état  d'ivresse  des  accusés 
et  les  juges  se  montrent  souvent  d'autant  plus  indulgents  que 
l'inculpé  était  plus  ivre.  C'est  une  tendance  fâcheuse  à  laquelle 
il  faut  résister.  L'édit  de  François  1er  portait  que  l'individu 
qui  commettait  un  crime  en  étal  d'ivresse,  devait  être  puni 
davantage  pour   la  dite   ébriétè  à  l'arbitraire  du  juge. 

(»)  Extrait  du  Petit  Journal,  no  du  1  niais  1889. 


XVII 

Laissons  le  moins  possible  à  l'arbitraire  des  hommes.  Mais 
pourquoi  la  loi  ne  ferait-elle  pas  de  l'état  d'ivresse  une 
circonstance  aggravante  ?  Lorsqu'un  homme  est  poursuivi 
pour  vol,  par  exemple,  on  relève,  suivant  les  cas,  les  circons- 
tances aggravantes  d'effraction,  de  nuit,  d'escalade,  de  domes- 
ticité, etc.,  et  le  jury  doit  être  appelé  a  statuer,  par  oui  ou 
par  non,  sur  ces  diverses  questions.  Pourquoi  n'ajouterait- 
on  pas  cette  question  bien  simple  :  L'accusé  était-il  en  état 
d'ivresse  ?-Et  si  la  réponse  était  affirmative,  pourquoi  la  loi 
n'aggraverait-elle  pas  la  peine  ?  Puisque  l'ivresse  est  un 
délit,  pourquoi  l'homme,  qui  aurait  joint  un  délit  à  un  autre 
délit,  ou  à  un  crime,  ne  serait-il  pas  puni  plus  sévèrement? 
J'irais  plus  loin.  Je  voudrais  que  le  juge  de  simple  police  et 
le  juge  correctionnel  fussent,  dans  toutes  les  affaires  soumises 
à  leur  juridiction,  obligés  de  résoudre  la  même  question  et, 
en  cas  d'affirmative,  d'aggraver  la  peine.  Si  chacun  savait 
que,  loin  de  l'excuser,  sou  état  d'ivresse  le  rendrait  plus  cou- 
pable des  faits  qu'il  pourrait  commettre,  quelques-uns,  peut- 
être,  réfléchiraient  avant  de  se  mettre  dans  un  pareil  état  et 
en  craindraient  davantage  les  conséquences. 

En  ce  qui  concerne  les  pénalités  à  édicter  contre  l'ivresse, 
je  ne  verrais  que  cette  disposition  à  ajouter  à  l'ensemble  de 
notre  législation.  La  loi  de  4873  me  semble  suffisamment 
sévère  et  je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  l'étendre  davantage. 
Je  ne  pense  pas,  non  plus,  qu'on  doive  poursuivre  l'ivresse, 
à  l'aide  de  dispositions  pénales,  dans  ses  derniers  retranche- 
ments, c'est-a-dire  dans  l'intérieur  du  domicile  privé.  Ce 
serait  alors  ouvrir  la  porte  à  des  abus  de  toule  sorte.  Ce 
serait  violer  ce  qu'il  y  a  de  plus  respectable  au  monde  :  la 
demeure  des  citoyens. 

Mais  il  est  d'autres  armes  dont  on  doit  faire  usage.  Je  ne 
veux  point  examiner  ici,  en  détail,  la  réglementation  si  déli- 
cate et  si  complexe  de  la  police  des  cabarets,  ni  celle  de  la 
surtaxe  des  alcools.  Ce  sont  la  des  matières  qui  ne  peuvent 

B 


XVIII 

être  étudiées  dans  un  discours  académique.  11  appartient  à 

nos  Députés,  a  nos  Sénateurs,  à  nos  Gouvernants  d'envisager 
avec  soin  et  de  résoudre  ces  questions.  C'est  au  développe- 
ment de  l'instruction  sous  toutes  ses  formes,  c'est  a  la  bonne 
éducation  à  donner  aux  enfants  qu'il  faut  surtout  avoir 
recours.  Les  moralistes,  les  philanthropes,  ces  véritables  amis 
de  l'humanité,  ont  cherché  et  cherchent  à  lutter  sans  cesse. 
Sous  l'inspiration  d'hommes  de  bien,  des  sociétés  de  tempé- 
rance se  sont  fondées  un  peu  partout  (i).  Des  récompenses 
sont  accordées  à  la  sobriété.  Chaque  année,  l'Académie  fran- 
çaise décerne  des  prix  de  vertu.  Les  noms  des  Montyon  et 
des  Gobert  sont  sur  toutes  les  lèvres  et  la  postérité  devra 
garder  plus  pieusement  leur  mémoire  que  celle  des  hommes 
qui  tuent  avec  le  fer  ou  le  canon. 

Ce  sont  ces  œuvres  philanthropiques  qu'il  importe  d'encou- 
rager, et  si,  peut-être,  elles  n'ont  pas  donné  de  suite  tous 
les  résultats  désirables,  ne  désespérons  pas  pour  cela,  Quand 
un  mal  a  des  racines  aussi  profondes  et  aussi  vieilles,  il  faut 
du  temps  et  des  efforts  pour  les  extirper.  Au  lieu  de  décou- 
rager, soutenons  donc  toutes  les  œuvres  moralisatrices. 
S'il  est  peu  d'hommes  qui  puissent  être  des  Montyon  et  des 
Gobert,  tous,  dans  la  mesure  de  nos  moyens,  nous  pouvons 
et  nous  devons  travailler  au  même  but.  Luttons  de  toutes 
nos  forces  contre  l'alcoolisme,   puisque  ce   mot  est  devenu 

(')  Je  ne  puis  m'expliquer  ce  qu'a  osé  écrire  M.  Renan,  il  y  a  quelques 
années.  J'extrais  du  travail  déjà  cité  de  M.  Proal,  La  Criminalité  féminine, 
les  lignes  suivantes  :  «  C'est  au  moment  où  l'ivrognerie  fait  courir  a  la  santé 
et  à  la  moralité  publique  des  dangers  si  inquiétants  que  M.  Renan  en  prend 
la  défense,  dans  les  termes  suivants  :  Les  sociétés  de  tempérance,  dit-il, 
reposent  sur  d'excellentes  intentions,  mais  sur  un  malentendu.  Au  lieu  de 
supprimer  l'ivresse  pour  ceux  qui  en  ont  besoin,  ne  vaudrait-il  pas  mieux 
essayer  de  la  rendre  douce,  aimable,  accompagnée  de  sentiments  moraux?  Il 
y  a  tant  d'hommes  pour  lesquels  l'heure  de  l'ivresse  est,  après  l'heure  de 
l'amour,  le  moment  où  ils  sont  le  meilleur.  »  Journal  des  Débats,  7  octobre 
1883.  —  (Correspondant,  année  1800,  tome  III,  p.  495.) 


XIX 

dernièrement  tristement  français.  A  nous  qui  faisons  partie 
des  classes  dirigeantes,  il  est  de  notre  devoir  de  donner 
l'exemple  par  nos  conseils,  par  notre  vie  surtout.  Si  l'ouvrier 
nous  voit  moins  fréquenter  les  cafés  ou  les  brasseries  de  nos 
villes,  il  n'entrera  pas  aussi  souvent  dans  les  cabarets  ou  les 
tavernes  borgnes.  S'il  nous  voit  plus  rarement  attablés  à  la 
devanture  des  estaminets  luxueux,  il  ira  plus  rarement  aussi 
dans  les  bouges  puants  des  assommoirs  de  carrefour.  S'il 
nous  voit  moins  désœuvrés,  plus  adonnés  au  travail,  lui- 
même  restera  moins  oisif,  et  il  travaillera  plus  gaiement 
quand  il  verra  les  favorisés  de  la  fortune  ne  pas  rester  dans 
l'inaction. 

Tous,  dis-je,  quelle  que  soit  notre  situation,  nous  pouvons, 
nous  devons  exercer  une  influence  salutaire.  Les  femmes 
elles-mêmes,  Mesdames,  doivent  nous  venir  en  aide.  Vous 
n'ignorez  pas  quelle  est  votre  autorité.  C'est  sous  votre 
impulsion  que  s'accomplissent  les  grandes  choses.  C'est 
aussi  sous  votre  impulsion  que  se  commettent  les  grands 
crimes.  Vous  êtes  les  apôtres  du  bien  et  du  mal.  Vous  êtes, 
dans  une  large  mesure,  les  arbitres  des  destinées  des 
peuples.  Blanche  de  Caslille,  Jeanne  d'Albret,  ont  eu  des 
fils  qui  se  sont  appelés  Saint-Louis,  Henri  IV.  Pervertis  ont 
été  les  tils  d'Isabeau  de  Bavière  et  de  l'Italienne,  l'inspiratrice 
de  laSaint-Barlhélemy.  Aux  pieds  d'Agnès  Sorel,  Charles  VII 
a  oublié  la  Vierge  qui  mourait  pour  lui.  Au  milieu  d'ignobles 
débauches  s'est  éteinte  la  race  des  Valois  et  le  poignard 
du  moine  Jacques  Clément,  en  frappant  le  dernier  fils  de 
Catherine  de  Médicis,  n'a  fait  que  hâter  la  fin  d'un  prmee 
usé  par  les  excès.  Si  la  France  de  Louis  XV  ne  sait  plus 
vaincre  sur  les  champs  de  bataille  ;  si  nous  sommes  obligés 
de  subir  la  honte  de  Rosbach  ;  si  nous  assistons,  l'arme  au 
liras,  au  partage  de  la  Pologne  expirante,  nous  envoyant  son 
dernier  cri  d'agonie  :  —  «  Dieu  est  trop  haut  et  la  France  est 
trop  loin  ;  »  —  si  le  pays  se  uréoarc  d'affreuses  représailles  ; 


XX 

si  des  flots  de  sang  vont  couler  de  tous  les  côtés ,  la  cause 
en  est,  en  grande  partie,  à  trois  femmes  que  la  postérité  a 
flétries,  en  clouant,  au  pilori  de  l'histoire,  les  noms  de 
jyjrues  je  Châteauroux,  de  Pompadour  et  de  Dubarry.  Dans 
toutes  les  classes  de  la  société,  quel  que  soit  le  rang  où  la 
naissance  ou  la  fortune  l'ait  placée,  l'influence  de  la  femme 
se  fait  sentir.  Donnez  donc,  Mesdames,  l'exemple  aux  femmes 
du  peuple.  Faites-leur  voir  comment  vous  savez  rendre 
votre  intérieur  agréable  à  vos  maris,  comment  vous  savez 
élever  vos  enfants.  Gardez  ceux-ci  dans  la  voie  du  bien. 
Montrez  aux  femmes,  aux  mères  des  ouvriers  et  des  culti- 
vateurs, comment  elles  doivent  s'y  prendre.  Détournez  vos 
fils  d'être  des  oisifs,  des  désœuvrés,  des  libertins.  Inspirez- 
leur  l'amour  du  travail.  Veillez  sur  leur  conduite.  Empêchez- 
les  de  fréquenter  les  estaminets  et  les  cafés.  Retenez-les  dans 
leurs  écarts.  Je  fais  appel  à  votre  cœur,  à  votre  raison.  Vous 
pouvez  être  les  auxiliaires  les  plus  actives  de  la  lutte  que  je 
prêche.  Ne  manquez  pas  a  ce  devoir. 

C'est  en  effet  une  croisade  universelle,  à  laquelle  je  convie 
tout  le  monde.  Que  tous  s'enrôlent  sous  le  môme  drapeau  ! 
Que  tous  le  tiennent  d'une  main  ferme  !  Que  personne  ne  se 
dérobe  a  l'appel  !  Ecrivains  dans  leurs  livres,  journalistes 
dans  la  presse,  députés  a  la  tribune,  avocats  a  la  barre, 
magistrats  sur  leur  siège,  instituteurs  dans  l'école,  prêtres 
du  haut  de  la  chaire,  femmes  au  sein  de  la  famille,  combat- 
tons ensemble  le  fléau  !  De  même  qu'au  Sénat  romain,  le 
vieux  Caton  s'écriait  chaque  jour  :  «  Guerre  à  Cartilage,  » 
de  même,  nous,  Français  du  XIXe  siècle,  ne  cessons  de 
répéter  :  «  Guerre,  guerre,  sans  trêve  ni  merci,  à 
l'Intempérance.  » 


RAPPORT 

SUR   LES 

TRAVAUX  DE  LA  SOCIÉTÉ   ACADÉMIQUE 

DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE 

PENDANT    L'ANNÉE    1889-1890 

Pau  M.  le  Dr  PÉROOHAUD,  secrétaire  général. 


Messieurs, 

Ce  n'est  pas  sans  appréhension  que  je  viens  m'acquitter 
de  la  mission  que  la  Société  Académique  m'a  fait  l'honneur 
de  me  confier.  Mes  prédécesseurs  ne  m'ont  point  rendu  la 
lâche  facile. 

Oserai-je,  comme  celui  qui  fut  votre  secrétaire  général,  il 
y  a  deux  ans,  éluder  l'aridité  du  rapport  en  lui  annexant 
les  séductions  d'une  conférence.  J'aimerais  mieux  pouvoir 
marcher  sur  les  traces  de  celui  a  qui  je  succède  immédiate- 
ment, si  je  pouvais  me  flatter  de  savoir  comme  lui  allier  la 
solidité  du  fond  à  l'élégance  de  la  forme;  mais  ce  sont  la 
des  dons  de  nature  qu'il  ne  faut  pas  songer  à  imiter,  sous 
peine  de  se  faire  appliquer  un  apologue  de  notre  grand 
fabuliste. 


XXH 

Heureusement  pour  moi,  en  fait  de  secrétaires  généraux 
de  la  Société  Académique,  mes  souvenirs  personnels  ne 
remontent  pas  plus  loin,  car,  sans  aucun  doute,  mon 
découragement  irait  croissant  avec  le  nombre  de  mes 
prédécesseurs. 

Donc,  sans  y  penser  davantage,  je  ferai  de  mon  mieux. 
Je  veux  compter  sur  la  bienveillance  de  mes  collègues, 
parce  que  je  sens  que  j'en  ai  grand  besoin,  et  aussi  sur  la 
bienveillance  de  l'auditoire  exceptionnel  que  cette  fête  nous 
amène;  j'y  compte,  sans  y  avoir  d'autre  droit  que  ma  propre 
sympatbie  et  mon  respoct  pour  ce  public  dont  la  présence 
rend  ma  tache  plus  difficile  encore.  Comment,  en  effet, 
arriver  à  lui  plaire  avec  des  sujets  qui  n'ont  rien  de  plaisant? 
Au  moins,  ferai-je  tous  mes  efforts  pour  l'ennuyer  le  moins 
possible. 

Permettez-moi,  dès  maintenant,  de  remercier  les  gracieux 
artistes  qui ,  l'année  dernière  ,  ont  bien  voulu  vous  prêter 
un  concours  désintéressé  :  leur  talent ,  qui  a  rompu  si 
agréablement  les  lectures  de  votre  séance  générale,  a  été 
salué  par  des  bravos  unanimes.  Merci  donc  a  Mlle  Blanchos 
pour  le  charme  avec  lequel  elle  a  su  dire  la  Fiancée  du 
Timbalier  et  ce  délicieux  monologue  :  Miss  Schoking. 
Merci  à  Mlle  Marquet,  qui  a  enlevé  avec  maestria  le  grand 
air  si  difficile  des  Noces  de  Jeannette;  à  M.  Goffoël,  dont 
la  belle  voix  de  ténor,  si  chaude  et  si  bien  timbrée,  a  mérité 
vos  légitimes  applaudissements.  Merci,  enfin,  à  Mlle  Ballzinger 
dont,  près  de  vous,  l'éloge  serait  superflu. 

Avant  d'entrer  dans  le  détail  des  travaux  de  notre  Société, 
je  dois,  suivant  l'usage,  vous  rendre  compte  des  changements 
survenus  dans  notre  personnel,  dans  la  composition  du  Bureau 
et  dans  celle  du  Comité  central. 

M.    Julien  Merland    a  succédé  à  M.    Andouard,  dont  le 


XXIII 

discours,  aussi  remarquable  par  l'éloquence  que  par  l'érudi- 
tion, enlevait  l'année  dernière,  tous  vos  suffrages. 

M.  le  Dr  Bonamy  a  été  élu  vice-président.  Vous  m'avez 
fait  riionneur  de  nie  confier  les  fonctions  de  secrétaire  gé- 
néral ;\  M.  Francis  Merlant  a  été  nommé  secrétaire  adjoint  ; 
M.  Delteil,  trésorier  ;  M.  Guénel ,  bibliothécaire,  et  M.  Gabier, 
bibliothécaire  adjoint. 

Le  Comité  central  se  trouvait  constitué  de  la  façon 
suivante  :  MM.  Poirier,  Linycr  et  Séineril,  pour  la  Section 
d'Agriculture;  MM.  Lefeuvre,  Ollive,  Raingeard,  pour  la 
Section  de  Médecine;  MM.  de  Ghastellux,  Le  Beau,  Orieux, 
pour  la  Section  des  Lettres;  MM.  Gadeceau,  Gallandreau, 
Legendre,  pour  la  Section  des  Sciences  naturelles. 

Plusieurs  membres  nouveaux  sont  venus  grossir  nos  rangs, 
indice  certain  de  notre  prospérité  et  garantie  sérieuse  de 
travail  pour  le  présent  et  pour  l'avenir.  Ce  sont  :  M.  Emile 
Oger,  dont  vous  avez  pu  entendre  dans  cette  salle,  l'année 
dernière,  proclamer  le  nom  comme  premier  lauréat  de  nos 
Concours;  M.  Le  Carpentier,  substitut;  M.  Rouche , 
M.  Liébault,  M.  Victor  Loyscau;  puis  toute  une  phalange 
de  savants,  tous  inscrits  à  la  Section  de  Médecine:  M.  Douteau, 
professeur  à  l'Ecole  de  Médecine;  MM.  les  Drs  Ecot,  Bossis, 
Valentin,  Landois. 

La  mort,  cette  année  encore,  nous  a  cruellement  éprouvés, 
car  nous  avons  perdu  deux  de  nos  collègues.  M.  Julien 
Merland  a  rendu  à  chacun  d'eux  l'hommage  qui  lui  était  dû. 
Scra-t-il  permis  à  votre  humble  Secrétaire  général  de  déposer 
à  son  tour  une  couronne  sur  les  tombes  à  peine  fermées  où 
reposent  MM.  Manchon  et  Rouxcl. 

M.  Manchon  était  un  des  vétérans  de  votre  Société;  depuis 
vingt-sept  ans  il  partageait  vos  travaux,  et  nul  n'était  plus 
que  lui  assidu  à  vos  réunions.  11  a  souvent  fait  partie  du 
Comité  central  et  a  été  successivement  secrétaire  et  président 


XXIV 

de  la  Section  des  Lettres.  En  18G7,  il  a  été  élu  vice-président 
de  la  Société,  et  depuis  1882  il  en  était  le  bibliothécaire 
adjoint.  Hélas!  depuis  quelques  années  déjà,  les  infirmités 
ne  lui  permettaient  plus  de  montrer  la  même  activité  qu'au- 
trefois; chaque  jour  sa  santé  déclinait,  mais,  jusqu'au  dernier 
moment,  il  a  conservé  cette  politesse  exquise,  celte  urbanité 
parfaite,  qui  faisait  que  jamais  il  n'abordait  quelqu'un  de 
nous  sans  un  mot  aimable  et  affectueux. 

M.  Rouxel  faisait  partie  de  votre  Société  depuis  l'année 
1870.  Professeur,  d'abord  au  collège  d'Ancenis,  puis  au  collège 
d'Angers,  il  abandonna  bientôt  la  carrière  universitaire, 
suivit  ses  penchants  et  entra  dans  la  marine.  Chevalier  de 
la  Légion-d'Honneur,  il  prit  sa  retraite  en  qualité  de 
commissaire  adjoint  de  la  marine  et  vint  se  fixer  parmi 
nous.  En  outre  des  nombreux  travaux  et  rapports  qu'il 
publia  soit  à  la  Société  de  Géographie,  soit  dans  notre 
Société,  M.  Rouxel,  dont  l'activité  était  infatigable,  acceptait 
toujours  la  tâche  ingrate  de  mener  à  bien  les  enquêtes  de 
commodo  et  incommodo  dont  le  chargeaient  nos  munici- 
palités. Ce  n'est  pas  tout  :  dans  le  quartier  populeux  et 
pauvre  qu'il  habitait,  notre  regretté  collègue  prodiguait 
sans  compter  ses  secours  et  ses  conseils;  jamais,  il  n'a 
marchandé  aux  malheureux  ni  son  temps,  ni  sa  peine,  ayant 
pris  pour  devise  :  «  qu'il  faut  savoir  faire  le  bien  pour  le 
bonheur  de  le  faire.  » 

J'ai  hâte,  Messieurs,  d'arriver  aux  travaux  qui  ont  si  bien 
rempli  les  séances  de  nos  Sections. 

Ces  travaux  sont  nombreux  et  considérables.  Les  uns, 
essentiellement  techniques,  comme  ceux  de  médecine,  par 
exemple,  ne  sont  pas  susceptibles  d'un  examen  analytique 
détaillé,  surtout  dans  une  séance  publique. 

Je  dois  me  borner  [tour  ceux-là  à  une  appréciation  générale 
ou  même  à  un  simple  énoncé,  renvoyant  à  nos  publications 


XXV 

les  personnes  qui  voudraient  en  faire  l'objet  d'un  examen 
plus  approfondi.  Je  pourrai  m'arrèter  un  peu  plus  sur  les 
autres,  sur  les  études  d'histoire  et  de  critique,  sur  les  œuvres 
purement  littéraires,  sur  celles,  en  un  mot,  qui  sont  du 
domaine  commun  à  tous  les  gens  lettrés. 

Néanmoins,  je  serai  forcé,  pour  ne  pas  allonger  démesuré- 
ment ce  rapport,  d'être  bien  plus  bref  que  je  ne  voudrais. 
Très  convaincu  du  mérite  des  œuvres  dont  je  vais  vous 
entretenir,  je   voudrais  vous  faire  partager  ma  conviction. 

Les  sujets  scientifiques  vont  nous  occuper  tout  d'abord. 

M.  le  professeur  Ménier,  un  des  membres  les  plus  distingués 
de  la  Section  des  Sciences  naturelles,  continue  ses  savantes 
et  patientes  recherches  sur  les  champignons.  Les  résultats 
qu'il  a  obtenus  sont  déjà  considérables,  aussi  le  Congrès  des 
'mycologistes  vient-il,  dans  une  de  ses  dernières  séances,  de 
lui  accorder,  à  l'unanimité,  la  présidence. 

Cette  année  encore,  les  nombreuses  excursions  qu'il  a 
faites  ont  toutes  été  aussi  fructueuses.  Plusieurs  nouvelles 
espèces  de  champignons  ont  été  découvertes  et  décrites. 
C'est  ainsi  qu'il  signale  deux  nouvelles  espèces  de  Lépiotes, 
que  l'on  trouve  répandues,  l'une,  dans  les  sables  du  littoral, 
depuis  Mindin  jusqu'à  Saint-Brevin,  sur  les  talus  destinés  à 
protéger  les  vignes  contre  l'action  du  vent  de  la  mer-,  l'autre, 
dans  les  parties  déjà  fixées  et  un  -peu  herbeuses  des  premières 
dunes,  parmi  les  mousses,  les  lichens  et  les  graminées. 

M.  Gadeceau  vous  a  produit  de  curieux  spécimens 
ÏÏEuphorbia  palustris  et  de  Cirsium  eriophorum  signalés, 
il  y  a  deux  ans  seulement,  dans  la  Loire-Inférieure. 

M.  Le  Beau  a  continué  ses  communications  sur  les  mœurs 
du  saumon.  Il  a  fait  pécher  des  saumoneaux  dans  la  Basse- 
Loire  ;  comme  on  en  trouve  également  dans  la  Haute-Loire, 
au  Puy,  et  dans  la  Vienne,  la  preuve  se  trouve  ainsi  faite 
que,  contrairement  aux  assertions  des  pécheurs,   le  saumon 


XXVI 

fraie  bien  en  Loire.  Enfin,  M.  Le  Beau  vous  a  lu  deux  autres 
mémoires:  l'un,  sur  la  civelle;  l'autre,  sur  les  appareils  de 
M.  Bouchon  Brandely,  pour  la  culture  de  l'huître  en  eaux 
profondes.  Ces  appareils,  sorte  de  cages  en  fil  de  fer  galvanisé, 
maintiennent  l'huître  à  une  certaine  distance  des  bas-fonds, 
ce  qui  permet  à  cet  intéressant  mollusque  de  narguer  ses 
ennemis  attachés  au  sol  :  moules,  astéries,  bigorneaux, 
perceurs,  etc. 

L'éminent  professeur  d'histoire  naturelle,  M.  le  Dr  Bureau, 
aussi  habile  chasseur  que  savant  ornithologiste,  a  fait  la 
capture  de  deux  oiseaux,  rares  dans  notre  département,  un 
ibis  falcinelle  et  une  foulque  macroule  entièrement  blanche. 
Ces  deux  oiseaux  sont  actuellement  déposés  au  Muséum  de 
Nantes. 

Enfin,  M.  le  Dr  Viaud-Grand-Marais  a  pu  vous  présenter 
des  crânes  d'indiens. Giguayos.  Ges  indiens  vivaient  à  Saint- 
Domingue  lors  de  la  découverte  de  l'île  par  Christophe 
Colomb.  En  même  temps  que  ces  crânes,  absolument  dolyco- 
cépbales,  et  tout  à  fait  analogues  à  ceux  des  Astèques  et  des 
indiens  Têtes-Plates,  M.  le  Dr  Llénas  envoyait  à  notre  collègue 
des  figurines  de  terre  cuite.  Ces  figurines,  trouvées  dans  les 
mêmes  fouilles,  sont  sans  doute  des  divinités  et  sont  très 
remarquables  par  leur  ressemblance  avec  les  divinités 
égyptiennes. 

J'arrive  à  rémunération  des  travaux  de  la  Section  de 
Médecine.  Vous  me  permettrez,  Messieurs,  de  m'acquitter  un 
peu  sommairement  de  cette  partie  de  ma  lâche;  ce  n'est  pas 
que  les  sujets  manquent,  mais  ils  ont  un  caractère  trop 
spécial  [tour  qu'on  puisse  en  parler  avec  détail  dans  une 
réunion  comme  celle-ci.  Je  me  bornerai  donc  à  donner  une 
idée  générale  de  la  direction  (pie  nous  avons  suivie  et  je  ren- 
verrai, pour  plus  ample  informé,  à  l'excellent  compte  rendu  de 
mon  collègue  et  ami,  M.  le  Dr  Polo,  secrétaire  de  la  Section. 


XXVII 

M.  le  Dr  Ollivc  a  traité  devant  vous  plusieurs  sujets  de 
médecine  légale. 

M.  le  Dr  Bonamy,  revenant  sur  un  sujet  qui  lui  est  cher, 
vous  a  lu  un  travail  très  complet  sur  le  traitement  de  la 
diphtérie  par  les  vapeurs  d'eucalyptus.  11  vous  a  lu  également 
une  très  intéressante  observation  de  fièvre  lypho-palustre. 

M.  le  Dr  Barthélémy,  que  la  Section  de  Médecine  est 
heureuse  de  compter  au  nombre  de  ses  membres  les  plus 
actifs,  nous  a  rendu  compte  des  maladies  contagieuses  qu'il 
a  eu  à  traiter  aux  pavillons  d'isolement. 

M.  le  Dr  Pérochaud  vous  a  rapporté  un  cas  de  tétanos 
infantile,  un  autre  de  myélite  antérieure  aiguë  chez  une 
enfant  de  6  ans. 

M.  le  Dr  Boiffin  vous  a  lu  les  observations  de  trois  opéra- 
tions de  laparotomie  :  la  première,  pour  un  rétrécissement 
du  colon  ascendant;  les  deux  autres,  pour  des  salpingites 
suppurées  doubles. 

M.  le  Dr  de  Larabrie  vous  a  communiqué  un  mémoire  très 
intéressant  et  très  consciencieusement  étudié  sur  le  traitement 
des  fibromes  utérins  par  l'électrolyse. 

Il  me  faudrait  encore  citer  les  travaux  de  MM.  Ecot,  Polo, 
Hcrvouët,  Attimont;  mais  je  me  borne  à  cette  simple  énumé- 
ration,  pour  les  raisons  que  j'ai  dites  plus  haut. 

Je  veux  cependant  vous  dire  un  mot  de  l'épidémie  qui  a 
sévi  cette  année  sur  noire  ville.  L'influenza,  puisqu'il  faut 
l'appeler  par  son  nom,  s'est  montrée  à  Nantes  pendant  le 
mois  de  décembre,  surtout  pendant  la  seconde  quinzaine; 
mais  son  plus  grand  effort  a  porté  sans  aucun  doute  sur  le 
mois  de  janvier.  Vous  avez  beaucoup  parlé  d'elle  à  vos 
séances.  MM.  les  Drs  Barthélémy,  Mahot,  Ilervouët  furent 
désignés  pour  réunir  les  documents  d'un  rapport  sur  la 
marche  locale  de  cette  épidémie.  La  rédaction  en  fut  confiée  à 
la  plume  alerte  de  M.  Ilervouët.  11  vous  a  retracé  les  princi- 


XXVIII 

paux  symptômes  observés  et  vous  a  montré  que  la  dépression 
nerveuse ,  ['asthénie ,  semble  en  avoir  été  le  caractère 
dominant.  L'élément  catarrbal  n'a  pas  été  constant;  il 
a  même  manqué  chez  bien  des  malades ,  et  pourtant 
ce  sont  ces  déterminations  broncho-pulmonaires  qui  ont 
été  les  complications  les  plus  graves  ,  souvent  même 
mortelles. 

Ce  sont  ces  raisons  qui  ont  porté  un  grand  nombre  de  nos 
collègues  à  émettre  un  doute  sur  la  nature  de  celle  affection. 
En  effet,  elle  ne  rappelait  en  rien  la  grippe,  celle  du  moins 
que  nous  avons  l'habitude  d'observer  sous  ce  nom.  Aussi, 
le  savant  rapporteur  de  la  Commission  a-t-il  été  bien  inspiré 
dans  sa  discussion  sur  la  nature  de  cette  épidémie;  il  admet 
plusieurs  variétés  de  grippes,  maladies  infectieuses;  la 
maladie  que  nous  avons  observée  en  est  une  variété. 

Nous  venons,  Messieurs,  de  jeter  un  coup  d'œil  rapide 
sur  les  travaux  d'histoire  naturelle  et  de  médecine.  Il  me 
reste  à  vous  entretenir  de  travaux  purement  littéraires, 
comprenant  des  œuvres  de  critique,  de  poésie,  d'histoire. 
Commençons  par  la  critique. 

M.  Emile  Oger,  dont  je  suis  heureux  de  retrouver  une 
fois  de  plus  le  nom  sous  ma  plume,  vous  a  lu  une  élude 
très  approfondie  sur  un  roman  de  notre  collègue  Mme  Uiom, 
la.Houn.  Dans  ce  style  vif  et  léger  qui  lui  est  familier, 
M.  Oger  vous  a  donné  une  analyse  très  complète  des  amours 
de  Pierre  Cassabère  et  de  Jeanne  Caste! .  Ils  veulent  s'unir, 
mais  la  mère  de  Pierre,  une  femme  de  tête,  à  défaut  de  cœur, 
s'y  oppose.  Jeanne  n'a  rien.  Par  cupidité,  elle  force  son  fils 
à  épouser  la  marraine  de  Jeanne  ;  celle-ci  est  vieille , 
mais  elle  est  riche,  et  Pierre  consent.  11  consent,  puis  il 
part;  il  part  pour  l'Amérique,  espérant  à  son  retour  être 
libre  et  épouser  alors  sa  Jeanne  bien  aimée.  Mais,  hélas!  il 
n'anïvr  que  pour  assister  à  l'enterrement  de  Jeanne  la  jeune: 


XXIK 

le  bon  Dieu  s'est  trompé;  la  marraine  vivait!  la  filleule  était 
morte. 

Ce  roman  est  donc  triste;  mais  comme  le  fait  remarquer 
mon  aimable  collègue,  «  ce  n'est  pas  seulement  une  tristesse 
poignante,  une  mélancolie  à  faire  pleurer  qui  se  dégagent 
de  l'œuvre  de  Mme  Riom,  c'est,  avec  le  châtiment  final,  une 
haute  et  éloquente   leçon.  •> 

Mais  M.  Emile  Oger  n'est  pas  seulement  un  critique  érudit, 
c'est  encore  et  surtout  un  poète.  Il  vous  a  lu,  cette  année, 
sous  un  titre  frais  et  coquet,  Ocèanes,  de  gracieuses  marines 
qui,  sous  forme  de  sonnet,  sont  dessinées  par  un  amoureux 
sincère  de  nos  dunes  bretonnes.  On  y  respire  un  peu  de 
celle  acre  senteur  qu'exhalent  les  varechs  et  les  goémons, 
et  certains  de  ces  petits  tableaux,  riches  en  couleur,  font 
heureusement  augurer  de  l'avenir  poétique  de  noire  jeune 
collègue. 

Dans  Haines  et  pitié,  je  remarque  surtout  une  pièce 
patriotique  :  «  Sous  escorte.  »  Il  s'agit  d'une  française  qui 
vient  d'enseigner  à  son  fils  la  haine  de  l'envahisseur.  Ces 
vers  nous  prouvent  que  les  jeunes  français  de  notre  temps 
ne  ressemblent  pas  tous  au  personnage  de  La  lutte  pour  la 
vie.  Us  nous  reportent  presque  à  l'époque  de  fièvre  où 
M.  Emile  Bergerat  chantait  Les  cuirassiers  de  Reischoffen, 
M.  André  ïheuriet  Les  paysans  de  VArgonne,  M.  Catulle 
Mendès  La  colère  d'un  franc  tireur. 

Enfin,  tout  dernièrement,  M.  Oger  nous  a  lu  sous  le  litre  : 
Les  deuils,  de  délicieuses  poésies.  Ces  belles  pages  doivent 
être  lues  tout  entières,  et  je  crains  de  commettre  une 
véritable  mutilation  en  vous  en  extrayant  un  passage.  La 
longueur  de  ce  rapport ,  qui  a  peut-être  déjà  fatigué  votre 
attention,  me  met  dans  la  nécessité  de  .vous  en  citer  seu- 
lement quelques  strophes. 

Je  choisis  au  hasard  les  deux  suivantes  : 


XXX 

L'HERBIER. 

Mon  herbier  est  un  reliquaire, 
Et  les  reliques,  —  simples  fleurs,  — 
Longtemps  ont  gardé  mon  mystère: 
Chaste  amour,  suprêmes  douleurs. 

Elles  ont,  sûres  confidentes, 
Entendu  le  trop  lourd  secret, 
Les  folles  prières  ardentes, 
Les  cris  d'espoir  ou  de  regret. 

Par  elles,  j'ai  pu  tout  relire: 

Sourires  clairs,  jeunes  aveux. 
Par  elles,  souffrir  ce  martyre 
Dont  je  mourrai,  mais  que  je  veux. 

Ne  portent-elles  point  encore 
La  trace  du  doigt  parfumé 
Très  pur,  très  fin,  couleur  d'aurore, 
De  l'ange  saintement  aimé? 

El  n'ai-je  point  dans  leurs  pétales 
Rêvé  le  ciel  de  ses  grands  yeux, 
Son  front  aux  clartés  virginales, 
Ses  cheveux  blonds,  son  cou  neigeux  ! 

Pauvres  fleurs,  vous  êtes  flétries  : 
Mais,  vous  restez  ce  souvenir 
Que  dans  les  mornes  rêveries 
Ma  lèvre  sait  toujours  bénir. 

Pauvres  douces  (leurs,  je  vous  aime 
Et  sans  couleurs  et  sans  parfums. 
Je  vous  aime,  tombeau  suprême 
Du  passé,  des  espoirs  défunts. 


XXXI 


GOUTTES     D'EAU. 


Je  sais  un  roc  étrange,  au  bord  de  flots  lointains. 
De  ses  flancs  brunis  par  les  saisons,  goutte  à  goutte, 
Une  eau  s'épanche  et,  claire,  en  zigzags  incertains 
Sur  le  sable  creusés,  coule  et  s'égare  toute. 


Je  sais  une  jeune  âme  où,  sans  jamais  tarir, 
Une  larme  bruit,  larme  deux  fois  sacrée, 
Larme  d'amour  rêvé,  larme  de  souvenir 
Que  toi  seule  pourrais  boire,  ô  douce  adorée. 

Des  pêcheurs  vous  diront  le  mystère  du  roc. 
—  u  La  lame,  ce  jour-là,  menaçait.  De  la  grève, 
»  On  nous  guettait  avec,  dans  le  cœur,  ce  tic  toc 
»  Qui  précède  un  malheur,  qui  suit  un  mauvais  rêve. 

»  Mais  nous  rentrions  tous,  tous  sauf  un  matelot. 

»  La  veuve  devint  folle.  ■ —  Et  cette  pauvre  femme 

»  Venait  ici  souvent.  —  Elle  parlait  au  flot, 

»  Lui  réclamait  son  homme,  ou  le  traitait  d'infâme. 


»  Un  soir,  conduits  par  Dieu,  les  vents  et  l'Océan 

»  Ont  jeté  les  galets  de  la  côte  sur  elle, 

»  Et,  pour  l'ensevelir,  fait  ce  tombeau  géant. 

»  Et  la  folle,  malgré  la  mort  même,  fidèle, 


»  Verse  des  pleurs  —  cette  eau,  —  de  son  regard  ouvert 
»  Dans  l'ombre.  Qui  pourrait  expliquer  qu'on  entende 
»  Des  sanglots,  par  les  nuits  obscures,  nuits  d'enfer, 
»  Retentir,  lourds  d'angoisse,  au  large  et  sur  la  lande? 

Et  l'âme?  Son  secret?  N'ai-je  point  trop  souffert? 


XXXII 

M.  Francis  Meriant,  mon  aimable  voisin,  vous  a  lu  une 
charmante  nouvelle ,  Erdra  ou  la  légende  de  l'Erdrc. 

M.  Loyseau  vous  a  fourni  une  remarquable  étude  philoso- 
phique sur  la  douleur.  L'auteur  prend  la  douleur  sous  ses 
différents  aspects  :  au  point  de  vue  moral  et  au  point  de 
vue  physique.  Il  étudie  ses  ravages  et  aussi  les  différents 
remèdes  que  la  science  a  essayé  d'y  apporter,  pour  en 
tirer  des  conclusions  de  la  plus  haute  moralité. 

M.  Maître,  qui,  vous  le  savez,  Messieurs,  est  un  chercheur 
insatiable,  vous  a  lu  une  étude  très  approfondie  sur  «  Les 
Chatelliers  en  Bretagne.  » 

Les  Chatelliers  et  tous  les  ouvrages  en  terre  sous  forme 
de  buttes  ou  de  retranchements  ont  été  considérés  jusqu'ici 
comme  des  travaux  militaires  destinés  au  campement  des 
troupes  ou  à  la  stratégie.  M.  Léon  Maître,  en  étudiant  la 
topographie  du  pays  de  Blain  et  ses  richesses  naturelles,  a 
remarqué  que  le  plus  souvent,  les  prétendus  camps  très 
multipliés  au  nord  de  notre  département  et  rares  au  sud, 
accompagnent  des  dépôts  de  scories  de  fer  ou  des  gisements 
à  exploiter.  Il  en  a  conclu  que  les  ouvriers  se  retranchaient 
dans  ces  enceintes  mal  définies  jusqu'ici.  L'une  d'elles,  qu'il 
a  fouillée  avec  soin,  lui  a  donné  un  foyer  et  du  minerai 
travaillé.  Il  prouve  d'ailleurs  que  la  situation  de  beaucoup 
de  Chatelliers  est  tout  a  fait  défavorable  au  point  de  vue 
militaire  et  que  leurs  fondateurs  ont  été  plus  préoccupés  de 
se  rapprocher  des  cours  d'eau  et  des  contrées  forestières 
(pie  de  (aire  des  postes  d'observation.  11  résulte  de  ce  fait 
que  la  conquête  romaine  dans  notre  pays  a  été  plutôt  une 
occupation  industrielle  et  commerciale  qu'une  entreprise 
guerrière  et  brutale. 

Notre  éminenl  collègue  M.  Orieux  a  continué  ses  recherches 
sur  la  Contrée  guérandaise  devant  l'histoire  ancienne. 
L'année  dernière   il  nous  avait   parlé  de   Grannone  qu'il 


XXXIII 

plaçait  à  Bayeux  ;  cette  année  il  aborde  l'élude  du  Porl- 
Brivale  qu'il  place  dans  l'estuaire  de  la  Vilaine. 

En  effet ,  au  temps  de  Grégoire  de  Tours,  la  Vilaine 
s'appelait  Vicinonia.  Ptolémée,  qui  mentionne  lePort-Brivate, 
fixe  sa  situation  entre  la  Loire  au  sud  et  YErius  au  nord. 
Or,  l'Erius  répond  a  la  rivière  d'Auray,  et  le  Port-Brivate 
répond  sur  la  Vilaine,  aux  données  de  Ptolémée. 

D'un  autre  côté,  en  parlant  de  l'affaissement  du  sol  de 
notre  littoral,  l'auteur  de  la  Contrée  guérandaise  pense  qu'au 
temps  de  Ptolémée,  le  trait  du  Groisic  était  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer.  On  trouve  en  effet  sur  ce  terrain  des 
chênes,  des  monuments  de  pierre,  des  armes,  des  monnaies, 
des  ustensiles  de  ménage.  Or,  comme  nos  ancêtres  les 
Celtes  plaçaient  leurs  monuments  hors  des  eaux,  que  les 
chênes  ne  poussent  pas  sous  l'eau,  il  s'ensuit  que  ce  terrain 
était  -au-dessus  du  niveau  des  eaux  lorsque  les  arbres  y 
sont  nés,  lorsque  les  pierres  celtiques  y  ont  été  placées. 
L'affaissement  du  sol  ne  se  serait  produit  que  plus  tard, 
vers  l'an  267. 

Parmi  les  noms  anciens  qu'on  attribue  a  cette  contrée, 
M.  Orieux  ne  voit  guère  que  celui  de  Veneda  qui  puisse 
s'appliquer  à  Guérande. 

Je  ne  puis  suivre  le  récit  de  notre  collègue,  et  je  dois 
laisser  de  côté  la  situation  de  Cariacum  et  celle  de  l'abbaye 
de  Tincillac  pour  arriver  sans  retard  à  la  mystérieuse 
Corbilon.  M.  Orieux  croit,  dans  l'état  actuel  de  la  question, 
qu'il  est  absolument  impossible  d'affirmer  que  Corbilon  fut  ici 
ou  qu'il  fut  là.  Il  hasarde  cependant  une  opinion,  et,  de 
déduction  en  déduction,  il  arrive  à  émettre  cet  avis  que 
Corbilon  pourrait  être  cherché  à  une  lieue  de  Nantes,  sur 
la  rive  gauche  du  fleuve,  vers  un  lieu  appelé  Corbon.  Après 
la  ruine  de  leur  ville,  les  habitants  de  Corbilon  ont  dû 
chercher  à  la  remplacer  dans  le   voisinage  et  c'est  alors 

c 


XXXIV 

qu'ils  ont  fini  par  concentrer  leurs  affaires  à  Nantes,  alors 
une  simple  bourgade  de  pêcheurs  admirablement  située  au 
confluent  de  deux  rivières. 

Ce  travail  remarquable  fait,  Messieurs,  le  plus  grand 
honneur  à  notre  Collègue,  et  vous  me  permettrez  de  lui 
adresser  en  votre  nom,  mes  plus  sincères  félicitations. 

Un  jeune  poète,  M.  Dominique  Caillé  vous  a  lu  celte 
année  trois  pièces  de  vers  :  Son  autobiographie  littéraire, 
un  sonnet  sur  Louis  XIV  aux  dunes,  d'après  le  tableau 
de  Tatlegrain.  Enfin  une  petite  poésie  :  Les  Mésanges  de 
l'Enfant  Jésus. 

Je  n'ai  pas  l'intention  de  vous  analyser  ces  œuvres,  de 
vous  en  expliquer  le  charme,  de  chercher  à  pénétrer  le  secret 
de  leur  pouvoir  sur  l'âme  du  lecteur.  Pour  qui  a  lu  :  Au  bord 
de  la  Chèzine,  Parisina,  Sous  la  Tonnelle,  Lever 
d'Étoiles,  toute  nouvelle  composition  de  M.  Dominique 
Caillé  est  accueillie  avec  bonheur.  Les  vers  de  notre  collègue 
sont  ciselés  avec  une  dextérité  qui  ne  leur  enlève  ni  la  grâce, 
ni  rémotion.  Ce  sont,  comme  on  dit  aujourd'hui,  des  mor- 
ceaux d'anthologie,  dont  la  très  élégante  facture  témoigne 
d'un  poète  qui  connaît  a  merveille  les  règles  de  la  prosodie 
moderne.  Quels  délicieux  sonnets  nous  lui  devons!  Quelles 
perles  poétiques  il  sait  enchâsser  dans  ses  belles  rimes  d'or! 
Ecoutez  plutôt  cette  charmante  poésie  : 

LES  MÉSANGES  DE  L'ENFANT  JESUS. 

Marie  était  assise  au  seuil  de  sa  demeure 

Et  tournait  son  fuseau  lourd  de  laine  en  songeant , 

Et  Joseph  se  courbait  sur  le  rabot,  à  l'heure 

Où  le  petit  Jésus  jouait  avec  saint  Jean. 

Jésus  dans  ses  doigts  blancs  prenait  un  peu  de  fanges 
Sur  le  bord  d'un  vieux  puits,  au  milieu  de  la  cour, 
Sa  main  en  pétrissait  de  légères  mésanges 
Que  son  souffle  envoyait  dans  l'azur  tour  à  tour  ! 


XXXV 

Comme  Jean  stupéfait  admirait  ce  prodige  , 

Jésus  lui  dit  :  Mon  souffle  en  tout  temps,  en  tout  lieu, 

Redonnera  la  vie  au  lys  mort  sur  sa  tige 

Et  fera  s'envoler  les  âmes  au  ciel  bleu. 

Il  me  reste  à  vous  parler  de  deux  ouvrages  de  M.  Alcide 
Leroux  :  une  pièce  de  vers  et  un  récit  de  voyage  écrit  en 
prose.  Mais  cette  prose,  Messieurs,  comme  elle  est  belle; 
avec  son  superbe  coloris,  avec  le  souffle  éloquent  qui  l'anime, 
nous  sommes  tentés  de  la  prendre  pour  de  la  poésie,  à  laquelle 
seule  la  rime  ferait  défaut.  C'est  l'impression  du  moins  que 
m'a  laissée  la  lecture  de  son  Voyage  en  Palestine. 

Cette  année,  notre  collègue  nous  a  conduits  au  bord  de  ce 
lac  fameux  qui  s'appelle  la  Mer  Morte.  Rien  de  pittoresque  et 
de  varié  comme  cette  excursion  h  travers  les  montagnes  nues 
de  la  Judée,  au  bord  du  lit  desséché  du  Cédron,  sur  ces 
rives  lugubres  et  continuellement  dévorées  par  le  soleil.  Le 
monastère  grec  de  Saint-Sabas  et  quelques  tribus  de  Bédouins 
animent  seuls  aujourd'hui  ceUe  solitude  qui  servit  longtemps 
d'asile  à  des  légions  d'anachorètes.  A  l'extrémité  de  ce  désert, 
qui  commence  à  Jérusalem,  se  trouve  la  Mer  Morte,  dont  le 
nom  soulève  tant  de  questions,  aussi  intéressantes  pour  la 
science  que  pour  l'histoire.  La  Mer  Morte  impressionne  le 
voyageur  rien  que  par  son  aspect  ;  pour  vous  en  donner  une 
idée,  je  ne  saurais  mieux  faire  que  de  vous  citer  quelques 
lignes  de  la  description  que  nous  en  a  tracée  M.  Leroux. 

«  Instinctivement,  je  m'arrêtai  devant  celte  masse  d'eau 
entourée  de  rivages  sinistres  et  de  lugubres  souvenirs.  La 
nappe  liquide  dormait  lourdement  et  semblait  inerte  et 
huileuse.  Néanmoins,  elle  était  bleue  et  paraissait  limpide. 
Le  sable  fin  et  terne  était  semé  de  fragments  de  bitume 
arrondis  par  le  frottement;  nul  débris  de  coquillage  ou  de 
plante  marine  ne  s'y  trouvait  mêlé.  En  face,  et  a  peu  de 
distance,  la  ligne  rouge,  abrupte,   des  montagnes  de  Moab, 


XXXVI 

formait  une  Longue  muraille  couleur  de  fer  rouillé,  à  peine 
ébréchée,  à  peine  ondulée  à  son  sommet.  A  droite,  se 
dressaient  les  cônes  desséchés  et  grisâtres  des  monts  de 
Judée.  Entre  ces  deux  lignes  de  hauteurs  qui  ne  se  ressem- 
blent que  par  leur  aridité  horrible,  la  Mer  Morte  se  déroulait 
monotone  et  engourdie  jusqu'à  une  distance  de  vingt-cinq 
lieues.  Un  soleil  de  plomb  laissait  tomber  à  flots  ses  rayons 
sur  ces  flancs  de  montagnes  éternellement  brûlés,  et  la 
chaleur  accumulée  depuis  des  milliers  d'années  au  fond  de 
ce  gouffre  pesait  comme  un  fardeau  sur  la  surface  unie  et 
tiède.  D'ailleurs,  aucune  brise,  aucun  souffle  ne  venait  troubler 
l'eau  et  l'atmosphère  dont  l'immobilité  semblait  inébranlable. 
Pour  distraire  le  regard,  rien  sur  celle  mer  désolée:  pas  une 
voile,  pas  une  barque,  pas  un  oiseau;  rien  sur  ce  rivage 
qu'une  longue  traînée  de  branches  mortes  et  brisées,  blanches 
comme  l'ivoire,  dont  l'enchevêtrement  désordonné  formait 
comme  une  ceinture  d'ossements  autour  de  l'empire  de  la 
mort.  » 

Laissez-moi  maintenant,  Messieurs,  détacher  quelques  vers 
de  la  poésie  que  M.  Leroux  vous  a  lue  à  une  de  vos  dernières 
séances  :  Le  Parthénon.  De  tous  les  nombreux  voyages 
qu'il  a  faits  en  savant  et  en  poète,  notre  collègue  nous  a 
rapporté  des  tableaux  saisissants;  il  nous  a  initiés  aux  splen- 
deurs de  la  Grèce  antique.  Il  a  vu  Athènes,  il  a  visité  ses 
ruines  superbes,  les  temples  de  Gérés  et  d'Hercule,  le 
gymnase  de  Mercure ,  les  Gynosargcs ,  l'Olympieum , 
l'Erectheum,  les  Propylées,  mais  surtout  le  Parthénon.  La 
plus  grande  partie  de  ces  temples  est  dédiée  a  Minerve. 

S'il  demande  à  quels  dieux   tous  ces  temples,  hélas! 
Brisés  appartenaient,  on  lui  dit  :  A  l'allas  ! 
A  l'allas  l'Erecthée  !  à  l'allas  le  l'androse, 
Le  temple  où  la  Victoire,  oisive,  se  repose  , 
Enfin,  le  Parthénon,  source  de  la  beauté, 


XXXVII 

Où,  depuis  doux  mille  ans,  puise  l'humanité  ! 
A  Pallas   Atliènè,    ce.    travail   de    génie, 
Où  perce  en  longs  reflets  la  raison  infinie  ! 
A  la  Vierge  Pallas,  ce  divin  monument 
Qui,  de  l'idéal  même,  est  un  rayonnement. 

Et  noire  collègue  termine  par  cette  apostrophe  à  Minerve  : 

Qui  donc  es-tu  ,  Pallas?  N'es-tu  qu'une  déesse 
A  peine  supérieure  à  l'humaine  faiblesse  ? 
Qu'une  divinité  soumise  aux  passions 
Comme  les  dieux  communs  aux  vieilles  nations? 
Non,  tu  n'es  pas  cela  ;  mystérieux  emblème, 
Image  sans  défaut  de  la  splendeur  suprême  , 
Tu  résumes  en  toi  les  attributs  divins 
Qu'Atbène  entrevoyait  par  ses  grands  écrivains  ; 
Tu  résumes  en  toi  l'éternelle  Sagesse  , 
L'éternelle  clarté  dont  le  regard  s'abaisse 
Jusqu'à  l'homme  et  l'éclairé  en  son  épaisse  nuit. 
Au  milieu  des  éclats  du  plaisir  qui  s'enfuit 
Tu  règnes  triomphante,  impassible,  immoitelle, 
Môme  après  deux  mille  ans,  tu  nous  apparais,  telle 
Que  t'honoraient  les  Grecs,  inclinant  leurs  cimiers 
Au  milieu  de   leurs  dieux,  tous  rangés  à  tes  pieds. 
Aussi  nous,  nous  à  qui  s'est  enfin  révélée 
La  divine  pensée  à  nos  yeux  dévoilée, 
Nous  t'aimons,  ô  Pallas,  comme  un  premier  rayon 
Annonçant   le    soleil  caché  sous   l'horizon. 

Je  termine,  Messieurs,  car  j'ai  peur  d'abuser  de  vos 
instants  ;  et  pourtant,  quoique  long,  ce  rapport  est  encore 
bien  incomplet  ;  la  faute  en  est  aux  nombreux  travaux  que 
j'ai  eu  à  vous  présenter.  Gomme  nos  pères  ont  travaillé, 
nous  continuons  à  le  faire  ;  et  si  mes  paroles  n'ont  pas  trahi 
ma  pensée,  si  j'ai  pu  faire  briller  suffisamment  à  vos  yeux 
le  mérite  des  œuvres  sorties  de  notre  sein,  vous  penserez 
avec  moi,  que  cette  année  encore,  la  Société  Académique 
est  digne  de  ses  prédécesseurs. 


RAPPORT 


DE 


LA    COMMISSION    DES    PRIX 


SUR 


LE    CONCOURS    DE    L'ANNÉE    1890 


Par  M.    Francis   MERLANT,    secrétaire  adjoint. 


Messieurs, 

La  Société  Académique  est  heureuse  de  constater  qu'un 
nombre  important  de  candidats  a  voulu,  cette  année,  briguer 
ses  suffrages. 

Le  Concours  comprend  en  effet  quinze  ouvrages  tant  en 
prose  qu'en  poésie  :  un  seul  a  dû  être  écarté  comme  ne 
remplissant  pas  les  conditions  nécessaires  pour  avoir  le 
droit  même  d'être  cité. 

Je,  vous  parlerai  tout  d'abord  de  deux  volumes  imprimés. 
Le  premier  a  pour  titre:  «  M«r  Hidel,  évoque  de  Philippopolis, 
vicaire  apostolique  de  Corée,  d'après  sa  correspondance.  » 

Mte1  Hidel  naquit  à  Chantcnay,  aux  portes  de  Nantes  ; 
dès  son  enfance  il  manifesta  sa  vocation  religieuse  et  à 
peine  ordonné  prêtre,  il  embrassa  la  carrière  si  pénible  du 
missionnaire. 


XXXIX 

Noble  cœur,  avide  de  dévouement,  il  part  pour  la  Corée 
dont  il  veut  être  l'apôtre.  Là  il  eut  a  lutter  contre  toutes  les 
difficultés  d'un  pays  inconnu  et  contre  toutes  les  hostilités 
d'un  peuple  païen.  Poursuivi,  traqué,  torturé  même,  il  dut 
fuir  plusieurs  fois  cette  terre  arrosée  du  sang  de  ses  confrères 
martyrs,  mais  il  y  revint  toujours  avec  une  nouvelle  et 
infatigable  ardeur. 

Sacré  évêque  par  le  pape  Pie  IX,  il  regagna  son  poste 
devenu  de  plus  en  plus  périlleux,  pour  rentrer  quelques 
années  après  mourir  en  France  le  corps  brisé,  mais  l'âme 
heureuse  d'avoir  accompli  une  si  noble  mission. 

Celte  vie  est  racontée  dans  un  style  simple  et  rapide  ; 
les  lettres  de  l'Evêque  missionnaire  habilement  enchaînées 
forment  pour  ainsi  dire  la  trame  du  récit  ;  de  nombreuses 
anecdotes  semées  cà  et  là  augmentent  le  charme  de  la  narration 
et  en  soutiennent  l'intérêt.  Tout  d'abord  l'on  pourrait  penser 
que  le  travail  de  M.  l'abbé  Piacentini  n'est  qu'une  compi- 
lation heureuse,  qu'un  arrangement  ingénieux  de  la  corres- 
pondance de  Msr  Ridel.  Pour  mener  sa  tâche  à  bonne  fin, 
l'auteur  a  dû  nécessairement  puiser  dans  la  collection  im- 
portante des  lettres  de  l'évêque;  mais  il  faut  aussi  voir 
là  un  travail  personnel,  une  élude  approfondie  d'un  pays 
peu  connu  jusqu'à  ce  jour.  Les  descriptions  géographiques 
de  la  Corée,  la  peinture  des  mœurs  de  ses  habitants  et 
de  la  diplomatie  de  ses  gouvernants  donnent  à  cet  ouvrage 
une  réelle  valeur. 

M«r  Ridel,  Messieurs,  est  notre  compatriote  ;  grâce  à 
M.  l'abbé  Piacentini,  son  souvenir  ne  périra  pas  parmi  nous, 
aussi  la  Société  Académique  est-elle  heureuse  de  remercier 
l'auteur  et  de  lui  décerner  une  médaille  de  vermeil. 

M.  Olivier  de  Gourcuff  envoie  au  Concours  un  recueil  de 
poésies  «  Le  Rêve  et  la  Vie.  » 

C'est  une  tâche  à  la  fois  agréable  et  facile  pour  le  critique 


XL 

d'avoir  à  se  prononcer  sur  un  semblable  livre,  car  il  n'y 
a  que  des  louanges  à  faire.  «  Le  Rêve  et  la  Vie,  »  qui  a  eu 
l'honneur  d'une  préface  de  M.  Jules  Simon,  est  une  suite  de 
poésies  qui  roulent  pour  la  plupart  sur  des  sujets  bretons. 
On  y  retrouve  constamment  le  l aient  déjà  bien  connu  de 
l'écrivain  et  en  plus  une  véritable  verve  poétique. 
Vous  pouvez  en  juger  par  celte  pièce  si  gracieuse  : 

NOËL    ANCIEN. 

Salut,  fêle  jolie  et  la  plus  poétique 

0  Noël  triomphant. 
Où  Dieu,  préférant  aux  palais  un  toit  rustique, 

S'est  fait  petit  enfant  ! 

Dans  un  pauvre  taudis  le  Sauveur  vient  dé  naître, 

Souriez,  vastes  cieux  ! 
Humble  et  chétif,  voici  le  Roi,  voici  le  Maître  , 

Résonnez,  chants  joyeux. 

Ange,  sur  son  front  pur,  ouvrez  vos  blanches  ailes 

Jaloux  de  l'adorer. 
Bergers  et  paysans,  cœurs  naïfs  et  fidèles 

Venez  le  célébrer. 

Bourgeois,  au  couvre  feu,  gagnez  votie  demeure, 

Rentrez  chez  vous  sans  bruit. 
Chauffez-vous  et  veillez,  bientôt   tintera  l'heure 

La  messe  de  minuit. 

Sur  son  biniou  plaintif,  un  gars  breton,  un  paire, 

Qui  se  nommait  Noël, 
Chantait  ces  airs,  tandis  que  crépitait  dans  l'àtre 

La  bûche  de  Noél. 

Votre  Commission,  Messieurs,  décerne  à  notre  compatriote 

une  médaille  d'argent  grand  module. 

Nous  passons  maintenant  aux  manuscrits  en  commençant 
par  la  poésie.  Je  demande  pardon  aux  auteurs  de  ne  parler 


XL! 

qu'assez  brièvement  de  leurs  ouvrages,  retendue  du  Concours 
ne  me  permettant  pas  d'abuser  de  la  bienveillante  attention 
de  l'auditoire. 

Voici  d'abord  des  «  Bégaiements,  »  poésies  fugitives. 
A  la  lecture  de  ce  recueil,  on  ne  peut  s'empêcher  de  dire  : 
voilà  l'œuvre  d'un  jeune.  Ils  respirent  la  jeunesse  en  effet, 
ces  vers  charmants,  d'une  tournure  agréable  et  surtout 
d'une  délicatesse  presque  naïve  mais  voulue,  qui  en  fait  le  plus 
grand  mérite.  La  facture  n'est  peut-être  pas  parfaite,  on  y 
rencontre  quelques  négligences,  mais  ce  sont  des  défauts 
sans  gravité  et  bien  vite  oubliés. 

Ecoutez  ces  deux  poésies  : 

QUAND    JE    SERAI   VIEUX! 

Quand  je  serai  vieux,  quand  tu  seras  vieille, 
Que  le  temps  aura  blanchi  nos  cheveux, 
Parles  soirs  d'hiver,  les  soirs  où  l'on  veille, 
Nous  nous  redirons  les  premiers  aveux  ! 

Et  puis  au  printemps,  qu'avril  ensoleille, 
Dans  les  sentiers  verts  nous  irons  tous  deux 
Quand  je  serai  vieux,  quand  tu  seras  vieille, 
Que  le  temps  aura  blanchi  nos  cheveux. 

Et  nous  sourirons  aux  gais  amoureux, 
Jeunesse  à  la  nôtre  en  tous  points  pareille, 
Qui  s'en  vont  courir  dès  l'aube  vermeille  : 
Et  nous  prierons  Dieu  pour  qu'ils  soient  heureux 
Quand  je  serai  vieux,  que  tu  seras  vieille  ! 

PRIÈRE  POUR  UNE  MÈRE  DONT  L'ENFANT  VA  MOURIR. 

Mon  Dieu,  laissez  l'enfant  à  la  mère  qui  pleure, 
Pourquoi  faudrait-il  donc  que  ce  cher  ange  meure. 

11  est  si  joyeux  et  si  beau  ! 
Laissez-le  vivre  encore  et  cachez  ce  tombeau  ! 


XLII 

Laissez  car  ce  pauvret  l'ut  sa  seule  espérance  ! 
Elle  endura  pour  lui   bien  souvent  la  souffrance 

Sans  se  plaindre  jamais  a  vous. 
Et  quand  c'était  pour  lui,  souffrir  lui  semblait  doux! 

Laissez  et  rendez  vite  au  chérubin  qui  râle 
Des  couleurs  pour  orner  son  petit  front  si  pâle 

Et  que  tous  deux  en  l'avenir, 
En  s'embrassant,  Seigneur,  ils  puissent  vous  bénir. 

N'est-ce  pas  là  le  véritable  souffle  poétique  ?  L'expérience 
qui  ne  s'acquiert,  en  poésie  comme  en  toute  autre  chose, 
qu'avec  l'âge,  manque  à  l'auteur  ;  encore  un  peu  de  temps 
et  de  travail  et  il  arrivera  presque  à  la  perfection.  Que  la 
médaille  d'argent  grand  module  soit  un  encouragement,  en 
même  temps  qu'une  récompense   pour  ses  «  Bégaiements.  » 

C'est  encore  un  jeune  sans  doute,  l'auteur  des  «  Sonnets 
pour  les  Demoiselles;  »  charmant  recueil  où  les  sujets 
nouveaux  et  bien  choisis  ne  tombent  pas  dans  la  banalité  si 
redoutable  pour  les  débutants.  L'exécution  ne  laisse  rien  à 
désirer  et  l'on  sent  là  un  véritable  poète  qui  mène  habile- 
ment sa  rime,  plutôt  que  sa  rime  ne  le  mène. 

Je  vous  citerai  un  sonnet  double,  ingénieux  dialogue  en 
vers  : 

LE  BAPTÊME  DES  CLOCHES. 

Alice  M  *  *  * 


LES  JEUNES   MARRAINES. 

L'heure  s'avance.  Il  faut  que  nous  partions  enfin, 
Mais  nous  avons  voulu  vous  contempler  encore 
Avant  que  vous  montiez  dans  le  clocher  sonore 
Où  l'on  fera  vibrer  vos  grosses  voix  d'airain. 


XLIH 

C'est  que  nous  les  aimons,  nos  filleules  nouvelles, 
Et,  pour  solcnniscr  vos  premiers  tintements, 
Nous  n'avons  lien  omis,  ni  les  fines  dentelles, 
Ni  les  flambeaux,  ni  l'or  des  divins  ornements, 

Ni  les  fleurs,  ni  le  ehœur  des  hymnes  triomphales. 
Et,  sous  les  vieilles  nefs  des  riches  cathédrales, 
On  n'en  fêta  jamais  avec  autant  d'amour. 

Mais  vous,  quand  vous  serez  là-haut,  graves  et  seules, 
Vous  rappellerez-vous  de  nous,  brunes  filleules, 
Et  ne  ferez-vous  rien  pour  nous  à  votre  tour  ? 

Et  les  cloches  de  répondre  a  leurs  jeunes  marraines 


u.  . 

LES    CLOCHES. 

Belles,    rassurez-vous,    nous    vous    aimons    de    même, 
Vous  reviendrez  parmi  les  fleurs  et  les  flambeaux, 
Tremblantes  de  bonheur  sous  le  saint  diadème, 
Et  nous  vous  chanterons  nos  refrains  les  plus  beaux. 

Puis,  lorsqu'en  souriant  l'aïeule  grise  et  blême, 
Avec  un  chérubin  viendra  sous  ces  arceaux. 
Nous  sonnerons  encor  pour  un  autre  baptême, 
Nos  plus  gais  carillons  tombent  sur  les  berceaux. 

Tranquillisez-vous  donc,  adorables  marraines  ! 
Et,  quand   vous   fermerez  vos  paupières  sereines, 
Pour  le  dernier  sommeil,  toutes  ;i  petits  coups, 

Rythmant  plaintivement  le  psaume  et  la  prière, 
Nous  tinterons  un  glas  si  discret  et  si  doux, 
Qu'il  n'éveillera  pas  les  mortes  dans  la  bière. 

Voilà  ,  Messieurs ,  deux  poésies  empreintes  d'une  douce 
mélancolie,  qui,  à  elles  seules,  méritent  aux  «  Sonnets  poul- 
ies Demoiselles  »  une  médaille  d'argent  grand  module. 


XLIV 

Sous  ce  lilre  :  «  Coccinelle,  d  nous  avons  reçu  un  ensemble 
de  pièces  dont  les  principales  sont  :  «  Le  Pinson,  l'Oiseau, 
la  Sensilive,  le  Petit  Breton.  •>  Nous  y  trouvons  une  grande 
facilité  de  versification  ;  il  est  regrettable  que  quelques 
incorrections  et  expressions  mal  choisies  se  soient  glissées 
dans  plusieurs  morceaux. 

«  Le  Petit  Breton  »  est  une  poésie  gracieusement  racontée. 

LE     PETIT    BRETON. 

Le  Petit  Breton,  l'arme  sur  l'épaule, 
Le  long  des  vieux  quais  traîne  son  pas  lourd. 
C'est  le  premier  soir  qu'il  se  voit  si  drôle 
A  faire  le  guet  au  pied  de  la  tour. 

Il  songe  au  pays,  aux  enfants  de  Dole, 
A  son  dur  labeur,  aux  champs  d'alentour, 
Aux  enlacements,  le  soir  sous  le  saule, 
Et  son  œil  s'emplit  de  larmes  d'amour. 

Mais  un  bruit  s'éveille.  Il  tremble,  il  écoute. 
Rien    ne    brille,    rien  ne   longe    la    route. 
La  prison  s'endort,  les  volets  sont  clos. 


Votre  Commission,  Messieurs,  accorde  à  l'auteur  une 
médaille  de  bronze. 

Nous  passons  à  un  recueil  de  sonnets  précédés  d'une 
pièce  de  plus  longue  haleine  sur  Carnac,  où  le  poète  évoque 
les  souvenirs  et  les  légendes  que  rappellent  tous  ces  «  fiers 
menhirs  toujours  mystérieux.  »  «  Le  mont  Saint-Michel,  » 
«  Le  Mariage  à  Saint-Marc,  »  «  Quentin  Matsys,  »  sont  des 
morceaux  irréprochables  au  point  de  vue  de  la  forme.  Ce 
sont  des  sujets  historiques,  toujours  très  difficiles  à  traiter 
pour  un  poète.  Le  nôtre  a  toutefois  tiré  bon  parti  tout 
spécialement  de  l'histoire  si  touchante  de  Quentin  Matsys, 


XLV 

ce  maître  flamand,   tour  à   tour    forgeron,   sculpteur   et 
peintre  : 

Délaissant  pour  jamais,  nous  dit-on,  l'enclume  et  le  ciseau, 
Pour  celle  qu'il  aimait,  il  saisit  le  pinceau. 
D'un    simple   forgeron,  l'Amour  fit  un  Apelle. 

Une  médaille  de  bronze  sera  la  récompense  bien  méritée 
de  ces  sonnets  presque  sans  défaut. 

«  Le  Mal  du  pays  »  comprend  une  série  de  sonnets  (le 
sonnet  est,  vous  le  voyez,  Messieurs,  plus  que  jamais  a  la 
mode)  dont  le  second  «  A  Michel  Columb  »  inspiré  par  ce 
merveilleux  tombeau  des  Carmes,  qui  est  peut-être  la  plus 
grande  richesse  artistique  de  notre  cathédrale,  se  termine 
très  heureusement  par  ces  strophes  : 

D'un    prince,    ce   tombeau  rappelle  la  mémoire, 
En  voyant  le  chef-d'œuvre  élevé  pour  sa  gloire 
Qui  ne  sent  un  regret  en  son  âme  frémir  !... 

Sculpteur,  qu'une  auréole  immortelle  environne. 
Plus  grand  par  ton  talent,  que  lui  par  sa  couronne, 
C'est  dans  ce  monument  que  !u  devrais  dormir  ! 

«  Excelsior  »  «  Ange  et  Femme,  »  pièces  mélancoliques 
et  tendres,  et  dans  un  autre  genre  les  vers  sur  «  l'Alsace  » 
animés  d'un  véritable  souffle  patriotique,  méritent  également 
d'être  cités. 

Une  mention  honorable  est  accordée  a  l'auteur  de  ce 
recueil. 

«  Les  Rêveries  »  contiennent  des  poésies  d'une  bonne 
facture  et  d'une  haute  moralité.  Le  poète,  on  le  sent  à  la 
lecture  de  ces  vers,  est  une  âme  remplie  des  sentiments  les 
plus  délicats  et  les  plus  élevés.  Tantôt,  c'est  une  souffrance 
qu'il  cherche  h  consoler.  —  Condoléances  à  M***,  à  l'occasion 
de  la  mort  de   son  époux  ;  —  plus  loin,   c'est  une  suite  de 


XLVI 

pensées  graves  et  philosophiques  inspirées  par  le  spectacle 
du  trépas  —  Méditation  auprès  d'une  couche  funèbre. 

A  ce  manuscrit  est  jointe  une  spirituelle  fantaisie  médico- 
littéraire  :  «  Les  Microbes.  » 

Rendons  justice  a  la  patience  absolument  bénédictine  qu'il 
a  fallu  a  l'auteur  pour  mener  à  bonne  fin  l'exécution  de  ses 
«  Microbes,  »  car  si,  en  poésie,  il  est  toujours  facile  de  trouver 
une  rime  à  amour  ou  à  bonheur,  la  tâche  est  rude  lorsqu'on 
se  heurte  à  des  expressions  comme  «  pneumocoque  ou 
stomatite.  » 

Les  «  Rêveries  »  et  «  Microbes  »  reçoivent  une  mention 
honorable. 

Je  termine,  Messieurs,  la  poésie,  en  vous  rendant  compte 
de  deux  manuscrits  que  votre  Commission  n'a  pas  cru  devoir 
récompenser. 

Le  premier,  intitulé  «  Le  Travail,  »  contient  trois  morceaux 
dont  la  forme  est  passable,  mais  dont  le  fond  manque  de 
relief.  Nous  conseillons  au  poète  d'aborder  des  sujets  moins 
ternes  et  il  n'y  a  pas  à  douter  que,  dans  un  .prochain 
Concours,  il  ne  remporte  une  juste  récompense. 

L'auteur  du  dernier  manuscrit  «  Satyres,  »  serait-il  un 
désespéré  de  la  vie  ?  On  semblerait  le  croire  à  la  lecture  de 
ses  poésies,  et  puisque  lui-même  nous  avoue  qu'il  préfère  le 
fouet  à  la  louange,  je  lui  parlerai  avec  la  plus  grande 
franchise  et  lui  dirai  : 

Il  faut  être  maître  dans  l'art  pour  toucher  à  la  satyre. 
Horace  et  Boileau  ont  admirablement  réussi  là  où  d'autres 
bons  poètes  ont  piteusement  échoué.  Avant  dune  de  vous 
lancer  dans  une  carrière  aussi  ardue  et  de  vous  armer  de  la 
marotte  de  Triboulet,  repassez  un  peu,  je  vous  prie,  les 
règles  de  votre  prosodie. 

Je  vous  parlerai  maintenant,  Messieurs,  des  manuscrits  en 
prose  du  Concours. 


XLVII 

«  De  l'amélioration  des  logements  d'ouvriers  dans  ses 
rapports  avec  le  rétablissement  de  l'esprit  de  famille.  » 

Tel  est  le  titre  d'une  étude  philanthropique  qui  débute  par 
un  tableau  saisissant  de  ,1a  misère  qui  dévore  la  classe 
ouvrière  dans  «  ce  Paris,  si  brillant,  la  tête  et  le  cœur  de  la 
France,  le  pivot  de  la  civilisation,  mais  aussi  le  sein  de 
misères  atroces  et  de  vices  immondes.  »  L'auteur  dont 
nous  venons  d'emprunter  les  expressions  nous  montre  la 
détresse  engendrant  le  crime  et  le  crime  augmentant  la 
détresse.  Il  cherche  le  remède  à  ce  malheur  de  notre  société 
et  croit  le  trouver  dans  l'amélioration  des  logements 
d'ouvriers.  Cette  question,  il  la  met  au  premier  rang  pour 
le  bonheur  de  l'Etat,  «  car,  dit-il  avec  raison,  la  question 
ouvrière  est  une  question  vitale  dont  la  solution  prime 
toutes  les  autres.  » 

Pour  la  résoudre,  notre  économiste  propose  quelques 
moyens,  dont,  voici  les  principaux  :  Décentralisation  manu- 
facturière; création  de  maisons-casernes,  ou  mieux,  de 
cottages,  pour  mettre  les  habitants  à  l'abri  d'une  promiscuité 
pernicieuse;  formation  de  Sociétés  ayant  ce  but,  par  l'asso- 
ciation de  capitalistes  qui  favoriseraient  autant  que  possible 
dans  ces  constructions  l'épargne  de  la  classe  ouvrière. 

Rien  de  plus  pratique  que  ces  conclusions,  et  leur  appli- 
cation, déjà  tentée  dans  une  mesure  plus  ou  moins  grande 
par  les  œuvres  philanthropiques  qui  commencent  à  s'élever 
en  France  et  en  Angleterre,  a  produit  d'heureux  résultats. 

En  dehors  des  qualités  remarquables  du  style,  je  ne  saurais 
trop  faire  ressortir  la  grandeur  de  l'idée  du  sujet.  Aussi,  la 
Société  Académique,  reconnaissante  a  l'auteur  de  sa  commu- 
nication, lui  décerne-t-elle  une  médaille  d'argent  grand 
module. 

Un  mémoire  sur  l'agriculture  dans  la  Loire-Inférieure  nous 
fait   un  exposé  précis   et  rapide  de  la  situation  de   notre 


XLVIII 

département,  au  point  de  vue  de  sa  production  et  surtout  de 
son  administration  agricole,  que  l'auteur  divise  en  trois 
genres  d'exploitation:  la  location  à  prix  déterminé,  la  culture 
par  colonat  et  la  mise  en  culture  par  le  propriétaire  lui- 
même. 

Les  idées  de  ce  travail  sont  nettement  exprimées,  et  le 
mémoire  obtient  une  médaille  de  bronze. 

Sous  le  titre  de  «  Notes  et  Souvenirs,  »   nous  avons  un 
recueil  de  six  nouvelles,    dont  une   principalement   mérite 
d'être  citée  :  «  La  Couronne.  »  La  narration  en  est  simple, 
bien  conduite,  et  l'idée  originale.  Notre  conteur  a  l'habitude 
de  la  plume  ,  il  la  conduit  habilement  ;   mais,   qu'il  prenne 
garde  à  sa  trop  grande  facilité  qui  l'exposerait  peut-être  a 
des  longueurs  nuisibles  à  l'intérêt  de  ses  récits. 
La  Commission  lui  accorde  une  mention  honorable. 
«  Les  Contes  de  la  Loire-Inférieure  »  est  un  manuscrit  en 
prose  joint  aux  sonnets  dont  je  vous  ai  parlé  précédemment: 
«  Mont  Saint-Michel,  Quentin  Matsys,  »   etc.  Ce  sont  des 
notes  recueillies  par   un   observateur   ami  de   la  légende. 
Pourquoi  ne  nous  les  a-t-il  pas  présentées  sous  une  forme 
plus  littéraire;   il   se   contente   d'une    simple  énumération, 
quand  il  avait   sous  la  main  des  sujets   si  féconds  et   si 
intéressants. 

Votre  Commission,  cependant,  lui  sait  gré  de  sa  bonne 
volonté  de  chercheur  et  lui  décerne  une  mention  honorable. 
J'ai  terminé,  Messieurs,  l'exposé  du  Concours  de  cette 
année.  Nous  sommes  heureux  de  constater  son  importance  ; 
espérons  que  le  prochain  ne  le  cédera  en  rien  à  celui-ci  et 
que  de  nombreux  candidats  viendront  mériter  vos  suffrages 
et  vos  applaudissements. 


CONCOURS    DE    1890. 


RÉCOMPENSES    DÉCERNÉES    AUX    LAURÉATS 

PAR  LA  SOCIÉTÉ  ACADÉMIQUE. 


Médaille  de  vermeil, 

M.  l'abbé  Piacentini,  pour  son  ouvrage  :  M%T  Ridel,  évéque 
de  PhilippopoliSj  vicaire  apostolique  de  Corée,  d'après  sa 
correspondance. 

Médailles  d'argent  (grand  module), 

M.  Olivier  de  Gourcuff,  pour  son  volume  de  poésies  : 
Le  Rêve -et  la  Vie. 

M.  Aymerillot  (E.  Marchand),  pour  ses  poésies  :  Sonnets 
pour  les  Demoiselles. 

M.  Emile  Blandel,  sous-officier  au  65e  de  ligne,  pour  ses 
poésies  :  Bégaiements. 

M.  Michel  Loueneau,  pour  son  ouvrage  :  De  l'améliora- 
tion des  logements  d'ouvriers  dans  ses  rapports  avec  le 
rétablissement  et  l'esprit  de  famille. 

Médailles  de  bronze, 

M.  Emile  Métaireau,  sous-officier  au  65e  de  ligne,  pour 
ses  poésies  :  Coccinelle. 

D 


Mme  Loïc  Tremor,  pour  ses  poésies  :  Sonnets. 

M.  Emmanuel  Gabier,   à  Rougé,  pour  son   Mémoire  sur 
l'agriculture  dans  la  Loire-Inférieure. 

Mentions  honorables, 

G.  de  S.,  pour  ses  poésies  :  Le  Mal  du  pays. 

Senex,  pour  ses  poésies  :  Rêveries,  Microbes. 

M.  André  de  Verlais,  pour  ses  Notes  et  Souvenirs. 

Mme  Loïc  Tremor,  pour  ses  Contes  de  la  Loire -Inférieure. 


PROGRAMME     DES     PRIX 
[proposés 

PAR  LA  SOCIÉTÉ  ACADÉMIQUE  DE  NANTES 
POUR    L'ANNÉE    1891. 


lpe    Question.     —     Etude    biographique     sur    un    ou 
plusieurs    Bretons    célèbres, 

2e     Question.     —     Etudes     archéologiques     sur     les 
départements    de    l'Ouest. 

(Bretagne  et  Poitou.) 

Les  monuments  antiques  et  particulièrement  les  vestiges 
de  nos  premiers  âges  tendent  à  disparaître.  L'Académie 
accueillerait  avec  empressement  les  mémoires  destinés  à  en 
conserver  le  souvenir. 

3e    Question.    —    Etudes    historiques    sur   l'une    des 
Institutions    de    Nantes. 

4e  Question.  —  Etudes  complémentaires  sur  la 
faune,  la  flore,  la  minéralogie  et  la  géologie 
du    département. 

5e  Question.  —   Rapport   sur   le  renouvellement  des 
traités    de    commerce    internationaux. 


lu 


6c    Question.    —    Etude    sur    les    égouts    collecteurs 

dans    les    villes. 

7e    Question.    —    Etude    sur    les    épidémies    locales 

de    diphtérie. 

8e    Question.    —    Canalisation    de    l'électricité    pour 

les    villes. 

9e  Question.  —  Transport  de  l'énergie  par  les 
moyens  connus  :  câble  télodynamique  ;  air  com- 
primé   ou    raréfié  ;    eau    forcée  ;    électricité. 


La  Société  Académique,  ne  voulant  pas  limiter  son  Concours 
à  des  questions  purement  spéciales,  décernera  une  récom- 
pense au  meilleur  ouvrage  : 

De  morale, 
De  poésie, 
De  littérature, 
D'histoire, 

D'économie  politique, 
De  législation, 
De  science, 
D'agriculture. 

Les  mémoires  manuscrits  devront  être  adressés,  avant  le 
<20  août  1891,  ii  M.  le  Secrétaire  général,  rue  Sul'l'ren,  1. 
Chaque  mémoire  portera  une  devise  reproduite  sur  un  paquet 
cacheté  mentionnant  le  nom  de  son  auteur. 

Tout  candidat  qui  se  sera  fait  connaître  sera  de  plein  droit 
hors  de  concours. 


lui 

Néanmoins,  une  récompense  pourra  être  accordée,  par 
exception,  aux  ouvrages  imprimés  traitant  de  travaux  inté- 
ressant la  Bretagne  et  particulièrement  le  département  de  la 
Loire-Inférieure,  et  dont  la  publication  ne  remontera  pas  a 
plus  de  deux  années. 

Les  prix  consisteront  en  médailles  de  bronze,  d'argent,  de 
vermeil  et  d'or,  s'il  y  a  lieu.  Ils  seront  décernés  dans  la 
séance  publique  de  novembre  1891. 

La  Société  Académique  jugera  s'il  y  a  lieu  d'insérer  dans 
ses  Annales  un  ou  plusieurs  des  mémoires  couronnés. 

Les  manuscrits  ne  sont  pas  rendus  ;  mais  les  auteurs 
peuvent  en  prendre  copie,  sur  leur  demande. 

Nantes,  décembre  1890. 

Le  Secrétaire  général,  Le  Président, 

Dr  PÉROCHAUD.  Julien  MERLAND. 


EXTRAITS 


DES 


PROCÈS-VERBAUX  DES  SÉANCES 

pour  l'année  1890. 


Séance  du  18  décembre  1889. 

Allocution  de  M.  Andouard,  président  sortant. 

Allocution  de  M.  Julien  Merland,  nouveau  président. 

Admission  en  qualité  de  membres  résidants  de  :  4°  M.  le 
Dr  Bossis  (rapporteur,  M.  Le  Grand  de  la  Liraye)  ;  °2°  de 
M.  Emile  Ogcr  (rapporteur,  M.  Gabier);  et  en  qualité  de 
membre  correspondant,  de  M.  Douteau,  pharmacien  à  Chan- 
tenay  (rapporteur,  M.  Ménier). 

La  contrée  guérandaise  dans  l'histoire  ancienne  (suite), 
par  M.  Oricux. 

Séance  du  %  janvier  1890. 

Notice  nécrologique  sur  M.  Manchon,  par  M.  Julien 
Merland,  président. 

Admission  en  qualité  de  membres  résidants  de  : 

1°  M.  Ilouche,  négociant  (rapporteur,  M.  Delteil)  ; 

cl°  M.  le  Dr  Ecot  (rapporteur,  M.  Boiffin)  ; 

3°  M.  Le  Carpenlier,  docteur  en  droit,  substitut  du  Procu- 
reur de  la  République  (rapporteur,  M.  Julien  Merland). 

Poésies,  par  M.  Oger. 


LV 

Séance  de  8  février  1890. 

Nominations  de  M.  Francis  Merlant,  comme  secrétaire 
adjoint,  en  remplacement  de  M.  D.  Caillé,  non  acceptant,  et 
de  M.  Gahier,  comme  bibliothécaire  adjoint,  en  remplace- 
ment de  M.  Manchon,  décédé. 

Notice  nécrologique,  sur  M.  Rouxel,  par  M.  Julien  Merland, 
président. 

Voyage  en  Orient  (suite),  par  M.  Alcide  Leroux. 

La  contrée  guérandaise  clans  Vkistoire  ancienne 
(suite),  par  M.  Orieux. 

Poésies,  par  M.  Oger. 

Séance  du  5  mars]  1890. 

Admission  en  qualité  de  membres  résidants  de  : 
1°  M.  le  Dr-  Valenlin  (rapporteur,  M.  le  Dr  Attimont)  -, 
2°  M.  Liébault,  ingénieur  (rapporteur,  M.  Delteil)  ; 
La  contrée  guérandaise  dans  V histoire  ancienne  (suite), 
par  M.  Orieux. 

Voyage  en  Orient  (suite),  par  M.  Alcide  Leroux. 

Séance   du  2    avril  1890. 

Admission  en  qualité  de  membre  résidant  de  : 

M.  le  Dr  Landois  (rapporteur,  M.  Hervouët). 

Erdra,  légende  nantaise,  par  M.  Francis  Merlant. 

Compte  rendu  par  M.  Oger  du  roman  de  Mme  Riom: 
La  Houn. 

La  contrée  guérandaise  dans  l'histoire  ancienne  (suite), 
par  M.  Orieux. 

Séance  du  7  mai   1890. 

Admission  en  qualité  de  membre  résidant  de  : 

M.  Victor  Loyseau,  libraire  (rapporteur,  M.  Gahier). 


LVI 

De  la  destination  des  chatelliers  en  Bretagne,  par 
M.  Maître. 

La  contrée  guérandaise  dans  l'histoire  ancienne  (fin), 
par  M.  Orieux. 

Sous  escorte,  poésie,  par  M.  Oger. 

Séance  du  2  juillet    1890. 

M.  Poirier  signale  une  publication  fort  intéressante  reçue 
par  la  Société  :  7e  rapport  de  la  Revue  géographique  des 
Etats-Unis. 

Autobiographie  littéraire,  poésie,  par  M.  D.  Caillé. 

De  la  douleur,  étude  psychologique,  par  M.  Loyseau. 

Poésies,  par  M.  Oger. 

Séance  du  1er  octobre  1890. 

Rapport  sur  les  travaux  de  la  Section  de  Médecine,  par 
M.  le  Dr  Polo,  secrétaire. 

Rapport  sur  les  travaux  de  la  Section  des  Lettres,  par 
M.  Francis  Merlant,  secrétaire. 

Rapport  sur  les  travaux  de  la  Section  des  Sciences  natu- 
relles, par  M.  Viaud,  secrétaire. 

Le  Parthénon,  poésie,  par  M.  Alcide  Leroux. 

Le  petit  Mort,  poésie,  par  M.  Oger. 


Séance  du  5  novembre  1890. 
Poésies,  par  M.  Oger. 


Séance   générale  annuelle  tenue  le  °24  novembre  1890, 
dans  la  salle  des  Beaux- Arts. 

Discours  du   président,   M.  Julien  Merland,  sur  Y  Intem- 
pérance. 


lvii 

Rapport  du  secrétaire  général,  M.  le  Dr  Pérochaud,  sur 
les  travaux  de  la  Société,  pendant  l'année  1890. 

Rapport,  du  secrétaire  adjoint,  M.  Francis  Merlant,  sur  le 
Concours  des  prix. 

Mlle  Guyot,  MM.  Glaverie,  Rucognani  et  Baron,  artistes  du 
Grand-Théâtre,  et  M.  S.  Bonjour,  ainsi  que  M.  Henri 
Weingacrtner,  pianiste-accompagnateur,  ont  prêté  leur 
obligeant  concours. 

Séance, d'élections  du  25  novembre  1890. 

M.  le  Président  donne  lecture  de  deux  lettres  de  MM. 
Bonamy  et  Guénel  qui  déclinent  toute  candidature,  le  premier 
à  la  présidence,  le  second  aux  fonctions  de  bibliothécaire. 

Sont  élus  : 

Président MM.  le  Dr  Guillemet. 

Vice-président Gadeceau. 

Secrétaire  général Francis  Merlant. 

Secrétaire  a'djoint le  Dr  Sanson. 

Bibliothécaire Viard. 

Bibliothécaire  adjoint..  Gahier. 


COMITÉ    CENTRAL. 

M.  Julien  Merland,  président  sortant. 

Section  d'agriculture,  commerce,  etc. 
MM.  Linyer,  Semeril,  Andouard. 


LVIII 

Section  de  médecine. 
MM.  Ollivc,  Raingeard,  Gourraud. 

Section  des  sciences,  lettres  et  arts. 
MM.  Le  Beau,  Orieux,  Dupré. 

Section  des  sciences  naturelles. 
MM.  Gallandrcau,  Legendre  et  Viaud. 


SOCIÉTÉ  ACADÉMIQUE  DE  LA  LOIRE-INFÉRIEURE. 


Année  1891. 


LISTE  DES  MEMBRES  RÉSIDANTS. 


SECTION  D'AGRICULTURE, 
COMMERCE,  INDUSTRIE  ET  SCIENCES  ÉCONOMIQUES. 


Andouard,  0.  I.,  chimiste. 
Chevalier,  vétérinaire. 

Cormerais,  conseiller  général. 

Cossé  (Dominique). 

Cossé  (Victor). 

Delteil  #,  pharm.  prinçipi  de  marine. 

Goullin  (Gustave),  négociant. 

Cte  de  Landemont. 

Lechat  #,  0.  A.,  négociant. 

Le  Gloahec  (Louis),  vétérinaire. 

Linyer,  avocat. 


Maisonneuve,  ingénieur. 

Mercier,  pharmacien. 

Pilon  (Eugène),  industriel. 

Poirier,  ingénieur  civil  des  mines. 

Renaud  (Paul)  &,  industriel. 

Rouche,  négociant. 

Sémeril,  pharmacien. 

Mis  de  Ternay,  conseiller  général 

Viard,  chimiste. 

Vincent  (Léon),  industriel. 

Vincent  (Joseph),  industriel. 


MEWBBES    AFFILIÉS. 


Gourraud. 

Ménier. 

De  Chastellux. 


Merland  (Julien). 
Merlant  (Francis). 


SECTION  DE  MÉDECINE. 


Attimont, 

docteur 

-médecin. 

Bureau,  0.  A., 

docteur- 

Barthélémy, 

id. 

Chachereau, 

id. 

Berneaud 

eaux, 

id. 

Chariier,  0.  I. 

id. 

Blanchet, 

id. 

Cochard, 

id. 

Boiflin, 

id. 

De  Larahrie, 

Bonamy, 

id. 

Dianoux, 

id. 

Bossis, 

id. 

Ecot, 

id. 

id. 


LX 


Gaudueheau,         docteui 

'-médecin. 

Malherbe  fils,  0.  A., 

docteui 

•-mé 

Genuit, 

id. 

Ménager, 

id. 

Gergaud, 

id. 

Mon  1  fort,  0.  A., 

id. 

Gourraud, 

id. 

Ollive, 

id. 

Grimaud  #, 

id. 

Pérochaud, 

id. 

Guénel, 

id. 

Poisson, 

id. 

Guillemet,  0.  A., 

id. 

Polo, 

id. 

Hervouèt, 

id. 

Porson, 

id. 

Heurtaux,  0.  I., 

id. 

Raingeard, 

id. 

Jollan  de  Clerville, 

id. 

Rouxeau  fils, 

id. 

Kirchberg, 

id. 

Samson, 

id. 

Laénnec,  0.  I., 

id. 

Simoneau, 

id. 

Landois, 

id. 

ïeillais  #, 

id. 

Lefeuvre, 

id. 

Thibault, 

id. 

Le  Grand  de  la  Liraye, 

id. 

Viaud-Grand-Marais 

,0.  A. 

,id. 

Luneau, 

id. 

Valentin, 

id. 

Mahol, 

id. 

SECTION  DES  LETTRES,   SCIENCES  ET  ARTS. 


Biou,  juge  de  paix. 

Caillé  (Dominique). 

De  Chastellux  $,  anc.  sous-préfet. 

Dolmelsch,  0.  A. 

Dupré  >&,  ingénieur  de  la  marine. 

Follioley  (abbé)  «&,  0.  I.,   proviseur 

du  Lycée  de  Nantes. 
Gabier,  avocat. 
Heurtin  (abbé). 

Larocque,  0. 1.,  direc.  de  l'E.  des  Se. 
Le  Deau,  0.  #,  0.  1.,  commissaire 

de  la  marine. 
Le  Carpentier,  substitut. 
Mgr  Le  Coq. 


Legrand,  avocat. 

Lcnoir,  architecte. 

Leroux,  avocat. 

Livet  (E.-A.)#,  0.  1.,  chef  d'inst. 

Loyseau,  libraire. 

Maître,  0.  1.,  archiviste. 

Merland  (Julien),  juge  suppléant. 

Merlant  (Francis),  négociant. 

Morcl,  0.  L,  principal  de  collège. 

Oger  (Emile). 

Orieux  #,  agent-voyer  en  chef  lion. 

Mme  Riom. 

Rivaud,  0.  #,  0. 1.,  préfet  de  la  L.-I. 

Rousse,  banquier. 


MEMBRES    AFFILIES. 


Cbachereau. 

Linyer. 

Deltcil. 

Ollive. 

Hcrvouèt. 

Poirier. 

Legendre. 

LXI 


SECTION    DES    SCIENCES  NATURELLES. 

Allaire,   pharmacien.  Legendre,  architecte. 

Callandreau,  pharmacien.  Ménier,  0.  A.,  pharmacien. 

Coquet  (l'abbé).  Moyon,  pharmacien. 

Gadeceau,  négociant.  Rauturau,        id. 

Guingeard,  pharmacien.  Robert,  id. 

Joùon,  0.  A.,  docteur-médecin.  Viaud,  id. 

MEMBRES    AFFILIÉS. 

Le  Beau.  Ménager. 

Jollan  de  Clerville.  Viaud- Grand-Marais. 

Dr  Bureau.  Viard. 

Léon  Vincent. 

Bureau. 

Président MM.  Dr  Guillemet. 

Vice-Président Gadeceau. 

Secrétaire  général Francis  Merlant. 

Secrétaire  adjoint Dr  Samson. 

Trésorier Delteil. 

Bibliothécaire-archiviste. . . .  Viard. 

Bibliothécaire  adjoint J.  Gabier. 

Comité    central. 

M.  Julien  Merland,  président  sortant. 

Agriculture.  Médecine  Lettres.  Sciences  naturelles. 

Linyer.  Ollive.  Le  Beau.  Callandreau. 

Sémeril.  Raingcard.  Gabier.  Legendre. 

Andouard.  Gourraud.  Dupré.  Viaud. 

Comité  de  rédaction. 

Le  Président,    le   Secrétaire    général,    le   Trésorier,    le    Bibliothécaire, 
membres  de  droit. 

Agriculture.  Médecine  Lettres.  Sciences  naturelles. 

Maisonneuve*  Griinaud.  De  Chastellux.         Gadeceau. 

Poirier.  Ollive.  Oger.  Viaud. 


LXII 


ORGANISATION  DES  SECTIONS. 

Médecine. 

Président MM.  Ollive. 

Vice-Président Chachereau. 

Secrétaire  général Pérochaud. 

Secrétaire  adjoint Boiffin. 

Trésorier Lefeuvrc. 

Bibliothécaire Le  Grand  de  la  Liraye. 

Lettres. 

Président MM.  Le ]  Beau. 

Vice-Président Gabier. 

Secrétaire , E.  'Oser. 

Secrétaire  adjoint Loyseau. 

Agriculture. 

Président MM.  Viard. 

Secrétaire Poirier. 

Sciences  naturelles. 

Président MM.  Le  Beau. 

Vice-Président Viaud. 

Secrétaire Legendre. 

Secrétaire  adjoint Guingcard. 

Trésorier Gadeceau. 

Bibliothécaire , Dr  Bureau. 


TABLE. 


Statuts  et  règlement  intérieur  de  la  Société 6 

Liste    des    membres    résidants   faisant   actuellement   partie  de  la 

Société 21 

Liste  des  membres  résidants    décédés,   démissionnaires  ou  devenus 

correspondants  (de  1880  à  1 889) 25 

Liste  des  membres  correspondants 26 

Liste  des  Sociétés    correspondantes 27 

Allocution  de  M.  Andouard,  président  sortant 31 

Allocution  de  M.  Julien  Merland,  président  nommé ,  33 

Notice  nécrologique  sur  M.  Manchon,  par  M.  Julien  Merland 37 

Notice  nécrologique  sur  M.  Rouxel,  par  M.  Julien  Merland 40 

Océanes,  par  M.  Emile  Oger 45 

Sous  escorte,  par  M.  Emile  Oger. , 52 

Compte  rendu  du  roman  La  Houn,  de  Mme  Riom,  par  M.  Emile  Oger  60 

Erdra,  légende  de  l'Eidre,  par  M.  Francis  Merlant 67 

Autobiographie  littéraire,  par  M.  Dominique   Caillé 82 

Louis  XIV  aux  dunes,  par  M.  Dominique  Caillé 86 

Les  Hémiptères  delà  Loire-Inférieure,  par  l'abbé  J.  Dominique..,  87 

La  Contrée  guérandaise  devant  l'histoire  ancienne,  par  M.  E.  Orieux.  117 
La  Douleur,  sa  nature  chez  l'individu    et   dans   la    société,  etc.,  par 

M.    V.  Loiseau 241 

Le  Parthénon,  poésie,  par  M.  Alcide  Leroux 252 

Un  an  aux  Iles  du  Salut,  par  M.  Delteil 256 

Route  déserte,  poésies,  par  M.  Emile  Oger 271 

L'eau  de    la    Loire    filtrée  d'après    le  système  de    M.  Leforl,  par 

A.     Andouard 282 


XL1V 

L'eau  de  la  Loire  pendant  le  rouissage    du    chanvre    et  du   lin,  au 

point  de  vue  des  matières  organiques  dissoutes,  par  A.  Andouard.  303 
Situation    du    vignoble    de    la    Loire-Inférieure    en    1890,  par   A. 

Andouard ..         310 

Champ  d'expériences  de  la  Station  agronomique  de  la  Loire-Inférieure 

pendant  l'exercice  1889-1890,  par  A.  Andouard 322 

Questions  de  géographie  ancienne,  par  Léon  Maître 349 

Compte  rendu  des  travaux  de  la  Section  de  médecine,  par  M.  Polo..  37G 
Compte  rendu  des  travaux  de  la  Section  des  lettres,  par  M.  Francis 

Merlant 380 

Compte  rendu  des  travaux  de  la  Section  des  sciences  naturelles,  par 

M.   Th.  Viaud 383 

Discours  prononcé  par  M.   Julien  Merland  à  la   séance  annuelle   du 

24    novembre  1890 1 

Rapport  sur  les  travaux  de  la  Société  Académique  pendant    l'année 

1889-90,  par  M.   le  Dr  Pérochaud XXI 

Rapport  de  la  Commission  des  prix  sur  le  concours  de  l'année  1890, 

par  M.  Francis  Merlant XXXVIII 

Récompenses  décernées  aux  lauréats  du  Concouis  de  1890...  XLIX 
Programme  des  prix  proposés  par  la  Société  Académique  pour  1891.  LI 

Extraits  des  procès-verbaux LIV 

Liste  des  membres  résidants  de  la  Société  Académique  pour  1891.  L1X 


Mme  \vn  Camille  Mellinet,  pi.  du  Pilori,  5.  —  L.  Mcllinet  et  C'e,  sucers. 


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i 


EXTRAIT  DU  REGLEMENT 

DE  LA  SOCIÉTÉ  ACADÉMIQUE. 


La  Société  public  un  journal  de  ses  travaux ,  sous  le  titre 
d'Annales  de  la  Société  Académique  de  Nantes  et  du  département  de 
la  Loire-Inférieure.  Ces  Annales  se  composent  des  divers  écrits  lus  à 
la  Société  ou  à  l'une  des  Sections.  —  La  Société  a  le  droit,  après  qu'une 
des  Sections  a  publié  un  travail,  de  se  l'approprier,  avec  le  consente- 
ment de  l'auteur.  —  Les  Annales  paraissent  tous  les  six  mois,  de  manière 
à  former,  a  la  fin  de  l'année  ,  un  volume  de  500  pages  in-8°. 

Les  Annales  de  la  Société  sont  publiées  par  séries  de  dix  années.  — 
Le  Règlement  de  la  Société  est  imprimé  à  la  tête  du  volume  de  chaque 
série ,  ainsi  que  la  liste  des  membres  résidants ,  classés  par  ordre  de 
réception. 


Le  choix  des  matières  et  la  rédaction  «ont  exclusivement  l'ouvrage  de 
la  Société  Académique. 

Le  prix  de  la  souscription  annuelle  est  de  : 
5  francs  pour  Nantes  ; 
7  francs  hors  Nantes  ,  par  la  poste. 

Lt       mandes  de  souscriptions  peuvent  être  adressées  franco  à  M1"1'  v* 
Melliuet,  éditeur  et  imprimeur  des  Annules,  place  du  Pilori,  5. 


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